1939
Le
Saint-Siège
Mon Père, combien je souffre ! Je
voudrais me cacher pour de bon et que mon nom ne soit plus prononcé; ceci de
mon vivant comme après ma mort ! Bien entendu, ce n’est pas moi qui le
désire, mais la tribulation qui me consume.Je ne mérite que l’oubli et le mépris. Je vis
dans une nuit et une obscurité continuelle. Je ne vois que des ténèbres, des
ténèbres et rien d’autre, aussi loin que je regarde. Qu’il est obscur et
terrible, le chemin que je dois suivre ! Pas même la moindre lumière pour me
guider! Parfois je crois éclater à la vue du fardeau qui pèse sur moi.
— Le monde est suspendu à un fil très
fin... Ou le Pape se décide à le consacrer ou le monde sera puni !...
Ma vie est bien pénible ! Comment puis-je
vivre ainsi ? Je me sens dans un incroyable abandon ! Personne n’a pitié de
moi ! Ma misère est la plus grande des misères. Je suis dans une tristesse
profonde ! Je me sens toute craintive et confuse devant Notre-Seigneur.
Cependant il est là, dans cette même misère, y opérant tant de merveilles et
me disant des paroles si belles ! Mais qui suis-je pour que Jésus me parle
ainsi ? Je ne suis que la plus indigne de ses filles. Toutes les choses de
ma vie me tourmentent et me remplissent de doutes...
Je me demande si Notre-Seigneur n’a pas
horreur d’être en moi ! Cela me semble presque impossible qu’il ne s’en
aille pas, épouvanté, pour ne plus revenir.
(...)
Je ne peux pas penser au ciel. Je ne sais
pas ce qui vient de là-haut dans mon cœur et qui veut attraper mon cœur pour
l’y transporter.
Le 5
janvier 1939, Monsieur le Curé, accompagné du chanoine Vilar,sont venus me
visiter. Ce dernier est resté
seul avec moi, pour me parler.
Nous avons parlé de plusieurs choses,
pendant deux heures. Ensuite, il m’a parlé du but de sa visite, en
commençant ainsi :
— Ma visite vous paraîtra certainement
étrange, car vous ne me connaissez pas.
Je lui ai dit :
— Je sais, certainement, pourquoi vous
êtes venu.
Aussitôt il ajouta :
— Dites, dites, Alexandrina.
Je me suis expliquée :
— Vous êtes envoyé par le Saint-Siège.
C’était ce que je ressentais dans mon âme
à ce moment-là.
— C’est exact.
Et il m’a présenté quelques documents de
Rome, et ensuite m’a posé quelques questions auxquelles j’ai répondu
rondement. Je ne lui ai pas parlé de la Passion, par contre, lui, il m’en a
parlé.
— Il me semble que quelque chose vous
arrive depuis quelques mois...
Il a manifesté le désir d’y assister. Et,
en effet, il est venu y assister le vendredi suivant.
J’ai parlé de cela à mon directeur,
lequel m’a conseillé de m’ouvrir à lui avec franchise.
Le chanoine est revenu quatre fois, mais,
pour sa mission, que deux fois.
Si je ne me trompe, dès la première fois,
il me dit :
— J’aurais préféré vous connaître dans
d’autres circonstances, avant
que je ne vienne, chargé d’une mission.
Il m’a confié le secret de son départ
pour Rome, duquel, seul l’évêque était au courent.
Étant donné que je me sentais bien à
l’aise pour parler avec lui et, ayant la permission de mon Père spirituel,
nous avons beaucoup parlé de Jésus : je me suis sentie enveloppée dans une
atmosphère de sainteté et de sagesse, comme bien peu de fois cela arrive, en
conversant avec d’autres prêtres.
Je lui ai avoué que, par tempérament, je
n’avais pas l’habitude de procéder de la même manière avec les autres, mais
que lui, il m’inspirait confiance. Il m’a répondu :
— Vous faites bien de ne pas en parler :
ils ne le comprendraient pas.
Quand il a pris congé de moi pour s’en
retourner à Rome, j’ai pleuré. Il m’a promis de m’écrire et m’a demandé
d’être son avocate.J’ai, en effet, reçu de lui plusieurs
lettres, auxquelles j’ai répondu: nous avons aidé les événements par notre
prière.
Jésus me demandais de nouveau sacrifices.
À cause des examens médicaux et de l’intervention du Saint-Siège, mon cas
est devenu plus connu: pour moi, qui ne souhaitais que l’anonymat, cela fut
un martyre.
Ma famille ne me rapportait pas les
nouvelles qui circulaient, mais, malgré cela, j’ai appris les commentaires
que l’on faisait sur ma vie.
Pauvres ignorants, combien de mensonges
ils diffusaient !
Quelques-uns affirmaient que mon voyage à
Porto avait pour but d’obtenir une pension du gouvernement de Salazar; ils
parlaient même de chiffres absurdes et discordants; aucune tentative ne
réussissait pas à contredire de tels mensonges.
D’autres encore, disaient que j’y étais
allée pour mesurer mon degré de sainteté sur une machine spéciale...
Deolinda répliquait :
— Si cela était possible, j’irai moi
aussi, pour contrôler à quel point j’en suis...
J’éprouvais de la peine en constatant
l’ignorance qu’il y avait sur les choses du Seigneur.
D’autres encore propageaient que les
prêtres qui me rendaient visite, recueillaient de l’argent dans les
paroisses et me l’apportait et, que c’était pour cela que rien ne manquait
jamais chez moi.
Autres, pour en finir, disaient que je
faisais la «voyante»: en effet des personnes sont venues chez nous pour
connaître leur avenir. Je les recevaient avec beaucoup de sérénité,
feignant ne pas comprendre leur manège, mais quand elles insistaient, je
leur répondais :
— Je ne suis pas voyante, personne
peut deviner l’avenir; seul le Seigneur le connaît.
Mon Jésus, quelle répugnance, en
regardant l’abîme incomparable de mes misères ! Et vous demeurez dans un
pareil fumier, me comblant de tendresses et me disant de si belles choses ?
N’est-il pas normal que j’en doute, que cela me paraisse impossible ? Je
tremble et mon cœur déborde d’affliction.
Je cherche un peu de soulagement dans ma
souffrance. J’attends l’heure de ma crucifixion. Je ne peux pas parler. Mon
cœur galope. Dans mon âme c’est la rébellion, l’émeute. Je me trouve dans un
état d’abandon effrayant. Il me semble cheminer au milieu de la haine de
tous, de tribunal en tribunal.
Pauvre de moi! Et je n’ai pas reçu Jésus!
J’ai confiance qu’il suppléera dans la communion spirituelle, nonobstant la
nausée que je sens de moi-même et l’horreur pour mon énorme misère.
Hier, la tempête s’est calmée. Au début
je ressentais des choses horribles. Mon corps était tout transpercé comme
par d’aiguës pointes. Moments terribles! Malgré un court soulagement, je
suis toujours restée dans une nuit très obscure, dans une profonde
tristesse.
Je peux dire que je suis restée toute la
nuit à tenir compagnie à Jésus au Saint-Sacrement, me concentrant un peu sur
la tragédie de la nuit du jeudi saint. Il me semblait que Jésus m’invitait
au Jardin des Oliviers. Que de mouvements de foule ! Ces choses je les
ressentaient dans mon âme.
Mon Père, tout ce que je dicte me semble
mensonger. Combien de doutes ! Que d’effroi à l’approche de la Passion !
J’ai déjà dit à Deolinda
que c’est un miracle que de pouvoir en résister:
mon cœur ne bat presque plus. Que Jésus soit avec moi. Je n’ajoute rien,
parce que je ne le peux pas...
Ajout de Deolinda
« Mon Père, quel vendredi: ce fut
vraiment un jour de Passion! Avant que celle-ci
ne commence, combien son
visage était empreint d’affliction! Elle craignait ce jour et disait:
“Combien j’aimerais qu’il fut déjà passé !” Je la réconfortais comme je le
pouvais, la caressant, malgré que moi aussi j’étais remplie de peur et
d’affliction ?
Pendant la Passion, je n’ai pas pu
m’empêcher de pleurer et j’ai remarqué que presque toutes les personnes
présentes pleuraient. Quel spectacle émouvant ! L’agonie du Jardin des
Oliviers, fut longue et afflictive. On entendait des gémissements très
profonds et à un certain moment, elle suait le sang. De la flagellation, je
ne vous en parle même pas, et non plus du couronnent d’épines ! Les coups de
la flagellation la mirent à genoux; ses mains semblaient attachées. J’ai
voulu lui mettre un coussin sous les genoux, mais elle changea de place,
elle n’en voulait pas. Elle a les genoux en piteux état. Les coups sont
innombrables... elle les reçut pendant bien longtemps... Il fallait en
arriver là.
Les coups de canne sur la tête
couronnée d’épines, furent aussi très nombreux. Pendant la Passion elle
vomit deux fois : uniquement de l’eau, car elle n’avait rien à l’estomac.
La sueur était si abondante que ses
cheveux en étaient trempés. En passant la main sur ses vêtements, j’ai pu
constater qu’ils étaient aussi tout trempés.
À la fin du couronnement d’épines elle
ressemblait à un cadavre. Le chanoine Borlido — de Viana do Castelo — et
deux autres personnes, ainsi que le docteur Almiro de Vasconcelos — de
Penafiel — son épouse et sa sœur Judith, étaient présents”.
Ma souffrance fut bien douloureuse,
pendant quelques jours. Les vomissements de sang et une soif brûlante
continuèrent. Aucune eau n’était capable de ma rassasier. Je ne pouvais pas
boire... J’ai passé des jours ayant l’eau qui me coulait sur les lèvres,
mais sans pouvoir l’avaler.
J’étais fatiguée et fatiguées aussi les personnes qui m’assistaient. Alors
même qu’une grande quantité d’eau étais passée sur mes lèvres, j’en
demandais encore : — “Donnez-moi de l’eau, beaucoup d’eau, des sceaux
d’eau!” — J’avais l’impression de brûler : aucune eau me rassasiait.
Je sentais des odeurs horribles. Je ne
voulais pas que les personnes s’approchent de moi: elles sentais comme des
chiens morts. On de donnait des violettes et des parfums à sentir, mais ils
éloignaient tout: la même puanteur me tourmentait toujours.
Les jours où je pouvais prendre quelques
aliments, ceux-ci avaient pour moi un si mauvais goût que j’avais des
nausées: toutes ces choses exhalaient des odeurs répugnantes.
Combien de choses j’aurais à dire si je
pouvais décrire tout ce que je ressens ! Il m’en manque le courage, car il
est très pénible de remémorer toutes ces choses.
— Courage ! Tout le Paradis est avec
toi et la Maman du Ciel te regarde avec compassion et joie de voir la
réparation que tu m’offres.
— O Justice, ô Justice divine ! Le
monde est sur un volcan en feu, qui d’un moment à l’autre va faire éruption
et l’incendier ! Vengeance, vengeance d’un Dieu qui ne peut plus le
supporter ! Malheureux, n’entends-tu pas la voix qui t’appelle ? Maudite !
Maudite !
— En quel monceau de ruines restera le
monde ! C’est à cause de la gravité de ta
malice !
Convertis-toi ! Rebrousse chemin ! Je te le demande le jour de la fête de
mon divin Cœur !... Convertis-toi !... Il faut que tu rendes compte de
tout !...
(...)
Pendant la Passion je me suis sentie bien
abandonnée. Trois fois seulement il m’a adressé la parole. La première fois,
quand le poids de la divine Justice est tombé sur moi, il me dit :
— Là, tu tiens ma place. Sur toi aussi
tout cela est tombé. Aie courage ! C’est l’œuvre divine qui te donne des
forces.
La deuxième fois, encore au Jardin des
Oliviers :
— Moi aussi, je voyais en moi un très
grand abîme, tout rempli immondice ; je me voyais couvert de toutes sortes
de misères, et c’étaient les miennes.
Et le Seigneur me disait :
— Tout comme moi, tu es caution.
Cette nuit je l’ai passée sans fermer
l’œil ; je n’ai eu que quelques minutes de repos. Je ne sens pas de
consolation, mais il me plaît de ne par dormir, afin d’être toujours en
veille, toujours veillant sur mon Jésus dans les Tabernacles.
Je n’en suis pas sûre, mais je crois
qu’il devait être deux ou trois heures du matin : mon Dieu, quelle horreur !
Je ne savais pas ce que c’était, mais c’était la destruction du monde ; tout
était rasé : les maisons, les arbres, les toitures ; tout n’était qu’un
monceau de ruines ! Quelle chose épouvantable ! Mélangé à tout cela, je
voyais une foule innombrable qui se débattait; et par-dessus tous ces gens,
de terribles serpents,si grands, si affreux ! Par contre, je n’ai
pas vu une seule personne sortir de ces décombres. Un long moment après,
j’ai commencé à apercevoir la Bien-Aimée Mère du Ciel. Elle se déplaçait à
une grande hauteur, la tête abaissée, l’air bien triste.
À mesure qu’elle avançait, les ruines
disparaissaient ; tout est devenu plat. Ce qui jusque-là n’était que
décombres s’illuminait. Elle ne m’a rien dit: elle s’est arrêtée un moment,
et ensuite elle a disparu.
Je me suis retrouvée en paix et, tout ce
que j’avais ressenti comme affliction et peur a disparu également.
Quelque temps après, la destruction s’est
répétée, ainsi que la vue des décombres, mais je n’ai pas revu la
Petite-Maman.
Je n’ai pas su ce que cela signifiait; en
tout cas, je n’ai pas eu l’impression qu’il s’agisse d’une illusion de ma
part.
Au matin j’ai reçu mon Jésus avec une
très grande froideur et une tristesse pareille à une nuit obscure. Et
Notre-Seigneur m’a parlé, non pas d’un ton sévère, mais avec une profonde
douleur :
— Je vais détruire le monde; je vais
le précipiter en enfer, je vais le détruire; je ne peux plus souffrir tant
de malice, tant de méchanceté et de crimes. Dis-le à ton Directeur. Tu ne te
trompes pas ; ce que tu as vu c’est sa destruction. C’est ce qu’il est sans
le soutien de ma très Sainte Mère, et ce qu’il est avec Elle. Console-moi,
soulage-moi... Laisse-moi t’accabler ; laisse-moi te faire souffrir.
La fin de l'après-midi d'hier,
c'est-à-dire jusqu’à 21 heures, environ, tout s’est passé régulièrement: je
me sentais en paix et joyeuse.
De temps à autre les doutes revenaient,
mais ils n'avaient même pas le temps de m'affliger : ma Petite-Maman chérie,
en un instant me les dissipait. Je ne La voyais pas mais, je ne sais pas
pourquoi, je sentais que c'était Elle.
À peine les doutes commençaient leur
approche, immédiatement Elle venait et m’enlaçait si tendrement que tout ce
qui était la cause de ma souffrance disparaissait.
— Tu ne me crains pas.Tu n’éprouves pas de remords
parce que le péché a endurci ta conscience : elle est morte ; le péché te
l’a tuée. Maudite ! Tu cherches à te persuader que l’éternité n’existe pas.
Pour la vie que tu mènes, il te plairait qu’elle n’existe pas. Malheureuse!
Regarde comment tu vis ! Paie ! Rends-moi des comptes !
Jésus m’a visitée il y a peu ! C’est
toujours pour me faire souffrir davantage, mais je ne peux pas vivre sans
souffrance... Je sentais qu’il tremblait en moi et me disait :
— Quelle douleur ! Quelle douleur pour
mon divin Cœur de voir le monde s’incendier dans les flammes brûlantes des
passions et des vices ; de voir les individus, la société, tous les peuples
engagés dans une guerre féroce. On dirait que l’enfer s’est transporté sur
la terre. O monde, pauvre de toi, si tu ne te relèves pas ! O monde, pauvre
de toi, si tu ne te convertis pas !... Ton châtiment est très proche !C’est pour cela que je tremble
de douleur, et non pas de froid !
Je sentais que, Notre-Seigneur, au-dedans
de moi, levait les yeux et les bras vers le ciel, comme pour implorer le
pardon pour la pauvre humanité... et ceci m’obligeait à ressentir davantage
de douleur, pour les tristesses de Notre-Seigneur... Quelle douleur pour
l’âme ! C’était une agonie mortelle. Je me suis trouvée, et je me trouve
encore dans d’horribles ténèbres.
— Ma fille, ma bien-aimée, à nous
trois nous n'en faisons qu'un seul : moi, toi et ton Père spirituel ; que
veux-tu d'autre ?
Elle t'accompagne toujours pendant ta
Passion, comme Elle m’accompagna sur le chemin du Calvaire.
Avec de telles aides, je me suis sentie
ravigotée.
— Le Cœur de ma Mère bénie est blessé
par les outrages perpétrés contre lui. Tout ce qui blesse son Cœur, blesse
aussi le mien; tout ce qui blesse le mien, blesse également le sien,
tellement nos Cœurs sont unis. C’est pour cela que la consécration du monde
lui donnera beaucoup d’honneur et de gloire : les langues maudites et
impures qui prononcent des outrages contre Elle, seront ainsi vaincues et
humiliées.
— Le sein maternel de ta Petite-Maman du
ciel est le plus tendre et le plus doux : reposes-y.
Je me suis alors sentie entre les bras de
la chère Maman qui me serait amoureusement. Ce furent des moments très doux
qui me donnèrent la force nécessaire pour aller jusqu'au bout dans mon
calvaire. Je sentais bien, que c'était Elle ! Et avec quelle bonté Elle
m’enlaçait et me serrait contre son Cœur si saint !
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