CHAPITRE XIV
En janvier 1942, Alexandrina fut privée de son premier
Directeur spirituel, lequel s'occupait d'elle depuis neuf ans. Les jésuites
de Macieira de Cambra, chargèrent Madame Mariana Inès de Melo Sampaio
d'inviter le Père Umberto de se charger de cette mission. Ceci arriva lors
de leur rencontre à Fatima. Mais le salésien s'y récusa pendant deux ans, de
peur de compromettre le nom de Congrégation dans une affaire de tant de
responsabilité.
En juin 1944, écoutant une série de critiques contre
Alexandrina, décida de se rendre à Balasar pour observer en personne ce qui
s'y passait et, si besoin, apporter un peu de réconfort à une âme en peine ;
rien d'autre. Ayant demandé rendez-vous au médecin, afin de pouvoir être
reçu, il s'y rendit rapidement ; c'était un mercredi. Ensuite, il se décida
à rester jusqu'au vendredi pour assister aux extases.
Le Père Pinho, dans son livre édité au Brésil écrivit :
« Au terme de la première visite, en cet enfant de Dom
Bosco [Alexandrina] perçut comme un ange de réconfort qui venait lui
inspirer courage pour la montée de son douloureux calvaire. Elle lui ouvrit
facilement son âme, ce qui n'arrivait pas avec d'autres prêtres qui la
visitaient. Je confesse que cela fût pour moi, — son premier
directeur — un grand soulagement de voir de quelle façon la
Providence suppléait, de manière compétente, en la personne du Père Umberto
— maître des novices salésiens, prédicateur et écrivain — mon
absence. Dans des circonstances dures et difficiles, il prodigua à la malade
une direction assidue et illuminée. »
Le Père Umberto, en écoutant
ce qui se passait dans cette âme, promise désormais à une haute mystique,
demanda à Alexandrina si elle avait écrit tout ce qu’elle lui racontait.
A la réponse négative — depuis deux ans elle n’avait rien
noté — il lui posa la question suivante :
« Comment fera votre directeur spirituel, lorsqu’il
reviendra, ou, encore pire, comment fera son successeur, dans le cas où il
ne rentrerait pas ? Faites-le pour votre directeur ! Si vous voulez, je peux
vous aider pendant ces deux jours”.
Il en fut ainsi. Sous le titre Sentiments de l’âme,
et jusqu’à sa mort, quelques 4000 pages dactylographiées s’accumulèrent.
Alexandrina dictait et, Deolinda, doublement sœur, écrivait.
Le
Père Umberto l’inscrivit parmi les Coopératrices salésiennes, le 15 août
1944 ; lui remit ensuite son diplôme et un lys en satin blanc, avec sur sa
tige, un ruban où il était écrit : “Les Salésiens à leur coopératrice”.
Lors d’une extase, le 20 septembre 1944, Jésus approuva
l’obéissance d’Alexandrina aux dispositions prises par son nouveau directeur
spirituel. Voici ses paroles :
— Tu dois tout écrire, tout remettre à celui qui
s’intéresse à toi et à Ma cause. Cela est suffisant.
Les écrits d’Alexandrina, sous le point de vue
théologique nous laissent stupéfaits. Par moments ils sont emprunts de
lyrisme ; ils ne nécessitent pas de corrections sur quelque point que ce
soit et ne contiennent que peu d’erreurs d’orthographe. Ils sont aussi
parsemés d’expressions poétiques et d’images éclatantes ; le contenu est
dense et d’une puissance expressive exceptionnelle.
L’action du directeur spirituel vis à vis d’une âme
arrivée à ces hauteurs mystiques, est une action de guide, une sorte de
signalisation routière.
Une phrase de Jésus à Alexandrina, en 1945, le démontre :
— Sans un directeur spirituel, tu serais pire qu’un
aveugle qui n’a jamais connu la lumière : ceux-là ne voient pas la lumière,
mais ils croient qu’elle existe... Toi, tu resterais comme si tu ne croyais
à rien. Tu as besoin d’un appui continuel et de quelqu’un qui te dise que la
lumière existe, que tes chemins sont Mes chemins, les plus épineux, un
calvaire difficile à monter.
Jésus lui demandait encore de prier pour ceux qui sont
chargés de conduire et guider les âmes :
— Je veux que tu M’offres une partie de tes
souffrances pour les prêtres : pour que ceux-ci acquièrent la lumière divine
et comprennent Ma vie dans les âmes, afin qu’ils arrivent à la posséder
d’avantage et n’aient d’autre vie que la mienne ; et pour les prêtres qui ne
la comprennent pas, afin qu’ils l’étudient et ne soient pas tentés de
l’éteindre, de l’éliminer ; et aussi pour tous ceux qui m’offensent
gravement.
Lors des premières extases auxquels le Père Umberto
assista, il fut frappé par quelques phrases très significatives.
Jésus à Alexandrina :
— J’ai soif, J’ai soif, ma fille, J’ai soif d’amour.
Les âmes ne connaissent pas Ma folie. Je suis toujours prêt à les recevoir ;
Je leur offre, Je leur donne mon Cœur et Je veux les y accueillir ; Je veux
les posséder.
Et Alexandrina :
« Jésus, Jésus, je ressens votre anxiété. Je vois
votre divin Cœur ouvert. Ce fut l’amour qui Vous a déchiré la poitrine. Ce
fut encore l’amour qui Vous a laissé être blessé de la sorte. Quelle
blessure, quelle plaie profonde !... Vous aviez soif, Vous avez soif, mon
Jésus, Vous avez soif de posséder les âmes. Regardez, mon Amour, voyez ma
soif ; celle-ci me consume. Vous voyez pourtant que mon seul et ardent désir
est de les livrer toutes à votre Amour. Vous connaissez mes afflictions.
Regardez toute la torture dont souffre mon pauvre cœur. Vous savez bien, que
souvent j’aimerais Vous dire : “Jésus, je n’en peux plus ; je ne peux plus
résister”. Mais je ne le veux pas ! Hâtez-Vous, mon Jésus ! Si je peux
souffrir d’avantage, envoyez-moi des souffrances ; donnez-moi les vite, mais
donnez-moi aussi les âmes. Crucifiez-moi, ô mon Jésus, ne m’épargnez pas,
mon Amour, mais éloignez-les des peines de l’enfer ! Placez-moi comme une
barrière à son seuil ; placez-moi là jusqu’à ce que le monde soit monde,
afin que des pécheurs puissent être sauvés. Ou bien, mon Amour, laissez-moi
dans le monde, tant qu’il existera ; appelez à Vous tous les miens, ceux qui
me sont chers ; laissez-moi seule ; Vous me suffisez, mon Jésus... »
Dans une lettre au Père Mariano, Alexandrina lui écrivit
:
« J’ai commencé à endurer les souffrances —
pendant l’extase — du Jardin des Oliviers, remplie de courage et de
lumière. Cela fut de courte durée. A l’improviste Jésus m’a appelée :
— Ma fille, un prêtre qui vit à Lisbonne est
tout près de se perdre pour l’éternité ; il M’offense gravement. Appelle ton
directeur spirituel et demande-lui la permission afin que Je te fasse
souffrir durement, pendant la passion, pour sauver ce prêtre.
J’ai obéi et, ayant obtenu l’autorisation, je suis
tombée dans le Jardin des Oliviers et j’ai souffert d’une manière extrême.
J’ai ressenti avec quelle gravité cette âme offensait le Seigneur. J’ai subi
le châtiment de Dieu. Jésus me répétait :
— L’enfer, l’enfer !...
J’avais la nette impression que son âme y tombait
vraiment... alors j’ai supplié :
— Pas en enfer, Jésus ! Il commet le péché, mais je
suis sa victime ; non seulement pendant qu’il Vous offense en commettant le
péché, mais aussi longtemps que Vous le voudrez.
Le Seigneur continuait :
— Il trompe les gens : tous le croient bon, et
pourtant il m’offense grandement.
Je répondais alors :
— C’est vrai ; il trompe les autres, mais vous, il ne
vous trompe pas. Oubliez, Jésus. Ayez compassion.
Jésus me dit alors son nom : c’est le révérend Père N.
N. . Combien j’ai souffert pendant cette passion ! Des épées bien aiguisées
transperçaient mon cœur, en même temps que mon corps était horriblement
torturé ; mais ce prêtre, n’est pas tombé en enfer. »
Le Père Mariano, dans une lettre adressée au Père
Umberto, commentait :
« Rien que pour me rassurer, j’ai écrit à une sœur,
supérieure d’un couvent de Lisbonne, afin que celle-ci m’informe si l’évêque
avait des préoccupations particulières avec l’un de ses prêtres. La
supérieure s’est acquittée de ma demande, et sa réponse confirma, non
seulement les déboires d’un prêtre, dont le nom était bien celui dont
Alexandrina m’avait parlé. Quelques mois plus tard, un autre prêtre, le Père
Novais, m’a rendu visite. Il venait de participer aux exercices spirituels
qui s’étaient déroulés à Fatima. A ces mêmes exercices avait participé un
certain individu qui se comporta d’une manière exemplaire ; le soir il ne
dormait pas dans la maison des exercices, mais à l’auberge...
Un soir, après la dernière méditation, qui, si je ne
me trompe, était axée sur la mort, cette personne se retira dans son
auberge. Peu de temps après, quelqu’un vînt appeler un prêtre d’urgence, car
la personne en question venait d’être victime d’une crise cardiaque et
semblait au seuil de la mort. Les derniers sacrements lui furent administrés
et il décéda ensuite. Il s’agissait d’un prêtre habillé civilement. »
Particulièrement émouvant. Il s’agissait, en effet, du
prêtre pour lequel Alexandrina avait tant souffert et prié. Le fait est
relaté, par le Père Novais lui-même, dans les documents relatifs à la cause
de béatification.
Alexandrina avait une vraie horreur du péché. Elle disait
au Père Umberto :
« Je ne peux ni penser ni parler du péché. Je sens en
moi une sorte d’anéantissement ; je me sens ébranlée, anéantie. Et encore,
ces mots ne veulent rien dire par rapport à ce que je ressens en réalité. »
Quelques fois, ce soupir lui échappait :
« Que représente toute la souffrance humaine pour
réparer le moindre péché ?... Rien ! »
Elle eût même l’audace d’écrire :
« Si mil enfers existaient et que moi je possède mil
corps, j’en donnerais pour chaque enfer, afin qu’ils brûlent éternellement ;
mais je ne voudrais jamais, ô mon Jésus, te causer le moindre désagrément en
commettant un seul péché ! »
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