Anastase de Bethsaloé Moine

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Anastase de Bethsaloé
Moine, Martyr, Saint
† 638

Chosroès, Roi de Perse, s'étant rendu maître de Jérusalem en 614, emporta dans son royaume la croix sur laquelle Jésus-Christ avait donné sa vie pour le salut du monde. Ce bois sacré fut l'instrument dont Dieu se servit pour opérer la conversion de plusieurs Persans : de ce nombre fut Anastase. Il était fils d'un mage, qui l'instruisit dans toutes les sciences de sa secte. Il prit de bonne heure le parti des armes. Le bruit que faisait l'enlèvement de la vraie croix lui donna envie d'examiner d'où pouvait venir la vénération des chrétiens pour l'instrument d'un supplice que l'on regardait comme infâme. Il se mit donc à étudier leur religion ; il fut extrêmement frappé, et de la beauté de sa morale, et de la sublimité de ses dogmes.

De retour en Perse, après une expédition contre les Romains, dans laquelle il avait servi, il renonça ainsi que son frère, à la profession des armes, se retira dans la ville d'Hiéraple, et y prit un logement chez un monnayeur persan qui était chrétien. Celui-ci, afin de l'entretenir dans ses bonnes résolutions, le menait souvent avec lui à la prière des fidèles. Les peintures dont les églises étaient ornées firent sur Anastase la plus vive impression ; il aimait surtout à considérer celles qui représentaient les combats des martyrs, dont on lui expliquait l'histoire. Il ne pouvait se lasser d'admirer le courage de ces glorieuses victimes de Jésus-Christ : leur sort lui paraissait digne d’envie, ce qui redoublait en lui le désir de connaître parfaitement la foi chrétienne. Quelque temps après, il sortit d'Hiéraple, ville soumise aux Perses, pour aller recevoir le baptême à Jérusalem. Ce sacrement lui fut administré par Modeste, qui gouvernait cette église en qualité de vicaire général, durant la captivité du patriarche Zacharie. Il changea son nom persan de Magundat en celui d’Anastase qui est grec, et dont l'étymologie donnait à entendre qu'il était passé de la mort à la vie. Il s'était préparé avec une ferveur singulière à la grâce de la régénération. Le nombre de jours pendant lesquels il était d'usage que les nouveaux baptisés portassent des habits blancs, il les employa aux exercices de la piété, et à écouter des instructions propres à l'affermir de plus en plus dans la foi. Le terme expiré, il se retira dans un monastère situé environ à deux lieues de Jérusalem, afin d'y garder les vœux qu'il avait faits au baptême, et avec plus de facilité, et d'une manière plus parfaite. L'abbé Justin lui fit d'abord apprendre la langue grecque et le psautier ; après quoi il lui coupa les cheveux, et lui donna l'habit monastique l'an 621.

Anastase devint bientôt le modèle de ses frères, par son exactitude aux différents exercices de la communauté; il s'y trouvait toujours le premier : ce zèle paraissait surtout quand il fallait se rendre à l'église pour y assister à la célébration des saints mystères. La soif ardente qu'il avait de la parole de Dieu, se manifestait par l'attention avec laquelle il écoutait les discours de piété ; à cette attention, il joignait la plus grande ferveur dans la pratique. Après l'Écriture sainte, il n'y avait point de livre qu'il lit avec plus de plaisir que l'histoire des martyrs j leurs combats et leurs triomphes faisaient couler de ses yeux un torrent de larmes, et l'embrasaient du désir de verser son sang pour Jésus-Christ. Des pensées importunes sur ce que son père lui avait appris des abominables superstitions des mages, altérèrent pendant quelque temps la tranquillité de son âme ; mais ayant découvert ses peines à son directeur, il en fut délivré par ses avis et par ses prières.

Anastase se sentant de plus en plus animé du désir du martyre, et ayant d'ailleurs connu par révélation qu'il mourrait pour la foi, sortit de son monastère, où il vivait depuis sept ans avec beaucoup d'édification, n fit des pèlerinages à Diospolis, à Garizime et à Notre-Dame de Césarée en Palestine. Il resta deux jours dans cette dernière ville, alors soumise aux Perses, ainsi que la plus grande partie de la Syrie. Son zèle s'alluma à la vue des enchantements que quelques soldats de la garnison faisaient dans les rues. Il leur parla avec force contre l'impiété de semblables pratiques. Les magistrats persans, informés de ce qui s'était passé, et craignant que ce ne fût un espion, ordonnèrent qu'on l'arrêtât. Lorsqu'il fut devant eux, il dit qu'il avait été lui-même mage autrefois, mais qu'il avait renoncé à ce vain titre, pour devenir disciple de Jésus-Christ. A peine eut-il confessé sa foi, qu'on le conduisit en prison. Il y passa trois jours sans boire ni manger, après quoi on le mena devant Marzabane, gouverneur de la ville. Il s'avoua chrétien dans l'interrogatoire qu'il subit. On voulut en vain le gagner par les plus magnifiques promesses ; il y fut insensible, aussi-bien qu'à la menace du supplice de la croix. Le gouverneur irrité ordonna qu'on lui attachât un pied et le cou avec une grosse chaîne, et qu'on le liât à un autre prisonnier. Il fut ensuite condamné à porter des pierres en cet état. Les Perses, et surtout ceux de la province de Rasech où il était né, lui firent milles insultes ; ils le chargeaient de coups comme un misérable, qui était, disaient-ils, l'opprobre de son pays ; ils lui arrachaient la barbe, et l'accablaient sous les plus pesants fardeaux.

Quelque temps après, Marzahane le fit ramener devant lui, et voulut l'obliger à prononcer les paroles usitées dans les superstitions des mages. « Eh quoi, dit le Saint, pourrais-je prononcer des impiétés auxquelles il n'est pas même permis de penser ? Savez-vous, reprit le juge, que j'en écrirai au Roi ? Ecrivez ce qu'il vous plaira, répliqua Anastase, je suis chrétien : oui, je vous le répète, je suis chrétien. Qu'on le frappe, dit le gouverneur, avec des bâtons pleins de nœuds. » Les bourreaux se préparant à le lier, il leur adressa ces paroles : « Cette précaution est inutile ; je me sens assez de courage pour me tenir dans la posture que vous voudrez : je m'estime trop heureux de souffrir pour Jésus-Christ. J'ôterai seulement mon habit, afin qu'il ne soit pas profané. » Après ces mots, il l'ôte avec modestie, se couche par terre, et reçoit les coups dont on le charge, sans remuer ni changer de posture. Le gouverneur l'ayant encore menacé d'écrire au Roi, le Saint lui dit : « Qui devons-nous plutôt craindre, ou un homme mortel, ou Dieu qui a fait toutes choses de rien? » Et comme on le pressait de sacrifier au feu, au soleil et à la lune, il répondit : « Je ne regarderai jamais comme des divinités les créatures que le vrai Dieu a faites pour notre usage. » Après avoir rendu ce glorieux témoignage à sa foi, il fut renvoyé en prison.

Cependant l'abbé Justin fut informé de tout ce que souffrait son disciple pour la cause de Jésus-Christ; il ordonna des prières dans la communauté, et fit partir deux moines pour le consoler et l'assister. Quant au saint confesseur, il était obligé de porter des pierres tout le jour, il n'avait de relâche que pendant la nuit, encore en passait-il une grande partie en oraison. Sa conduite frappait extraordinairement ses compagnons. Un d'entre eux le vit une nuit tout rayonnant de lumière, et au milieu d'un chœur d'anges qui priaient avec lui : il le fit voir aussi aux autres prisonniers. Le Saint avait coutume de prier le cou baissé, observant de ne pas remuer le pied, de peur de troubler le repos de celui qui était attaché à la même chaîne.

Dès que Marzabane eut reçu la réponse de Chosroès, auquel il avait écrit touchant Anastase , il fit dire au Saint que le Roi voulait bien user d'indulgence envers lui , et que s'il abjurait le christianisme seulement de bouche, il lui serait libre d'embrasser tel état qu'il voudrait. « Vous pourrez, ajouta l'envoyé, au nom du gouverneur, avoir une place parmi les premiers officiers. » Si vous ne vous sentez point de goût pour cette dignité, et que vous aimiez mieux vivre en chrétien, et même en moine, on ne vous inquiétera point sur cet article ; d'ailleurs, vous ne renierez votre Christ qu'en présence d'un seul homme. Quelle injure lui ferez-vous, puis» que, dans le fond du cœur, vous lui resterez toujours attaché ? » Saint Anastase répondit généreusement que l'apparence même de la dissimulation lui faisait horreur, et que jamais il n'aurait la lâcheté de renier son Dieu. Marzabane le voyant inébranlable, lui déclara qu’avait ordre de l'envoyer au Roi chargé de fers. « Il est inutile de m'enchaîner, dit le Saint, puisqu'il s'agit de souffrir pour Jésus-Christ, j'irai avec joie au lieu de ma destination. » Le gouverneur ordonna de le faire partir dans cinq jours avec deux autres prisonniers chrétiens. Durant les préparatifs du voyage, arriva la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, que l'on célébrait le 14 Septembre. Le commercier ou receveur des tributs pour le Roi, qui était un chrétien de distinction, obtint pour Anastase la permission d'aller à l'église, et d'assister à l'office divin. Sa présence et ses exhortations affermirent les fidèles dans leurs bonnes résolutions, ranimèrent la ferveur des âmes tièdes, et firent couler des larmes de tous les yeux. Après l'office, le Saint dîna chez le commercier, et retourna gaiement à sa prison.

Les cinq jours étant expirés, Anastase partit, sous bonne garde, de Césarée en Palestine, avec les deux prisonniers chrétiens dont nous venons de parler : il fut suivi par l'un des moines que l'abbé Justin avait envoyés pour l'assister. Dans tous les lieux où il passait, les chrétiens s'empressaient d'aller au-devant de lui, et de le recevoir avec les plus grandes marques de respect. Tant d'honneurs alarmaient l'humilité du Saint ; il craignait que le poison de l'orgueil ne se glissât dans son cœur, et ne lui ravît sa couronne. Persuadé que les secours de la grâce lui étaient plus nécessaires que jamais, il écrivit à son abbé, de la ville d'Hiéraple et des bords du Tigre, pour lui demander l'assistance de ses prières, et celles de toute la communauté.

Lorsqu'il fut arrivé à Barsaloé en Assyrie, petite ville à deux lieues et demie de Discarthes ou Dastagerde, près de l'Euphrate, où était alors le Roi de Perse, on le mit en prison, en attendant des ordres plus particuliers Chosroès l'envoya interroger par un officier, qui tâcha de l'éblouir par les plus magnifiques promesses. La pauvreté de l'habit que je porte, dit le Saint, annonce assez le mépris que je fais de la vanité des pompes mondaines, n Les honneurs et les richesses d'un Roi qui doit bien« tôt mourir lui-même, ne sont pas capables de me tenter. »

Le lendemain l'officier revint à la prison, dans l'espérance que les menaces seraient plus efficaces que les promesses : il se trompa. « Seigneur, lui dit le Saint avec tranquillité, il est inutile que vous vous tourmentiez de la sorte. Je suis, par la grâce de Jésus-Christ, incapable d'être ébranlé. Vous pouvez donc exécuter ce que vous avez résolu à mon égard. » L'officier irrité le condamna à être cruellement fustigé, ce qui fut exécuté trois jours de suite ; il ordonna ensuite qu'on l'étendît sur le dos, et qu'on lui mît sur les jambes une grosse pièce de bois, sur les extrémités de laquelle on fit encore monter deux hommes robustes. On peut imaginer l'effet que produisit une pression si violente. La patience et la tranquillité d'Anastase étonnèrent le juge. Il alla trouver le Roi, lui rendit compte de ce qui se passait, et lui demanda de nouveaux ordres.

Durant son absence, le geôlier qui était chrétien, mais trop faible pour quitter une profession qui ne convenait nullement alors à un disciple de Jésus-Christ, permit aux fidèles de visiter Anastase. Ils accoururent en foule dans la prison; chacun s'empressait de baiser les pieds et les chaînes du martyr : on emportait comme une chose sainte et précieuse, ce qui avait seulement touché son corps, ou même les instruments de son supplice. Le Saint, qui n'avait que de bas sentiments de lui-même, fut très-mécontent d'une telle conduite ; il s'en expliqua même en termes assez forts, mais il ne put rien gagner.

L'officier étant de retour fit battre Anastase de nouveau, mais toujours inutilement. On eût dit, à voir la constance du martyr, que son corps était insensible. On le pendit ensuite par une main, après lui avoir attaché un gros poids aux pieds; il resta deux heures en cet état, sans que ni les promesses, ni les menaces que l'on mit encore en œuvre, ne pussent l'ébranler.

Enfin le juge, désespérant de pouvoir vaincre sa résistance, alla encore trouver le Roi, afin de savoir ses dernières volontés. Il eut ordre de faire mourir notre Saint avec les autres prisonniers chrétiens. A son retour, les deux compagnons d'Anastase, et soixante-six autres chrétiens, furent étranglés sur le bord du fleuve. On voulut qu'Anastase fut témoin de l'exécution : on se flattait que cet horrible spectacle l'ébranlerait. On employa encore d'autres moyens pour le faire rentrer dans la religion des Perses; mais ils furent tous sans succès. «Je m'attendais, » dit-il aux bourreaux, à un genre de mort plus cruel. » Je pensais qu'on mettrait mon corps en pièces : mais puisque Dieu m'appelle à lui par une voie si facile, le » sacrifice que je lui fais de ma vie ne me coûte rien : » je le prie seulement de l'accepter. » A peine eut-il cessé de parler, qu'on l'étrangla comme les autres : on lui coupa ensuite la tête. Son martyre arriva le 22 Janvier, l'an de Jésus-Christ 628, et le 17 de l'empire d’Héraclius, jour auquel les Grecs et les Latins font sa fête. S. Anastase avait prédit la chute prochaine du tyran Chosroès. La prédiction se vérifia dix jours après son martyre, lorsque l'Empereur Héraclius entra en Perse.

Le corps du Saint, qu'on avait jeté aux chiens avec ceux des autres chrétiens, fut seul respecté par ces animaux voraces. Les fidèles le rachetèrent, et l'enterrèrent dans le monastère de saint Serge, qui n'était pas éloigné, et qui a fait donner le nom de Sergiopolis à la ville de Barsaloé. Le moine qui l'avait suivi rapporta sa tunique en Palestine ; son corps y fut aussi transféré dans la suite. Quelques années après, on le porta à Constantinople, et de là à Rome.

Alban Butler : Vies des pères, des martyrs, et des autres principaux saints… traduction de Jean François Godescard.

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