André
Bobola naquit en 1590 dans une terre du palatinat de Sandomir. Il entra 91
noviciat de la Compagnie de Jésus, à Vilna, le 2 juillet 1611 et fut ordonné
prêtre en 1622. En 1651, nous le trouvons supérieur de la
résidence de Bobronisk,
sur la Bérésina. Voici le portrait qu'en a tracé le P. Lukaszevicz : « C'était
un homme grave, modeste, sobre, spirituel, rempli de dévotion, exact observateur
des règles. Il était pour nous tous, qui avions le bonheur de le voir, un sujet
d'édification. Il avait la taille petite, la face, le corps arrondis, le visage
plein et un peu rouge ; ses cheveux avaient grisonné avant l'âge et étaient
devenus tout blancs. Il en était de même de sa barbe qu'il ne rasait point, mais
à laquelle il laissait une longueur médiocre. » En outre, d'après le chirurgien
Wolf Abrahamowicz, il était un peu chauve.
Depuis le
XIIe siècle, l'Église ruthène passa par des alternatives schismatiques et
orthodoxes. Dès la fin du XVIe siècle, le peuple, soutenu par l'exemple et
l'argent des Moscovites, s'affermit dans le schisme. On pensa réagir par la
fondation de collèges et de couvents latins, et un moment on put espérer d'eux
une œuvre durable grâce au concours donné à de saints évêques par le roi
Sigismond III. Mais les schismatiques ne se tinrent pas pour battus. Ils firent
venir de Grèce un évêque qui
rétablit la
hiérarchie schismatique, laquelle s'empara des églises d'où elle chassa les
catholiques. Dans le grand désordre qui en résulta se place le martyre de saint
Josaphat Kuncevicz (12 novembre1623). Le règne de Sigismond (1632) paraissait
devoir ramener la paix et l'amitié ; celui de Wladislas (1632-1648) rendit
l'audace aux schismatiques. Le collège de Pinsk, où vivait le P. Bobola, était
situé en plein pays schismatique. Le religieux rayonnait aux environs et
exerçait son ministère, bravant l'hostilité dont on ne lui ménageait pas les
marques parfois brutales, ce qu'on s'explique facilement par les heureux
résultats de zèle apostolique du religieux, principalement à Ianow.
En 1648,
commença la guerre religieuse dont nous n'avons pas à rappeler les horreur
inouïes. En 1651, en 1652) nouvelles guerres presque ininterrompues jusqu'en
1657. Ce fut parmi les horreurs de ces années que André Bobola consomma son
martyre.
Dans ce qui
concerne ce bienheureux, nous adopterons une méthode un peu différente des
autres biographies. Nous utiliserons plusieurs documents à l'aide desquels, au
moyen de quelques phrases servant à les relier, nous raconterons le martyre.
LE MARTYRE DU BIENHEUREUX ANDRÉ BOBOLA
La ville de
Pinsk fut envahie par 2.000 Cosaques, Valaques et Hongrois ; Jean Lichoho ou
Lichy y fut établi gouverneur. A leur approche, les catholiques avaient pris la
fuite, les jésuites s'étaient disséminés dans les environs ; mais des pelotons
de Cosaques, guidés par des schismatiques, furent lancés à leur poursuite. « Je
sais, dépose le Père Jean Lukaszewicz, que plusieurs des Pères et frères que je
connaissais fort bien ont été pris en divers temps et en divers lieux : aucun
n'a été relâché ; tous ont été cruellement mis à mort. Le P. Simon Maffon, issu
d'une famille noble de la Lithuanie, fut de ce nombre. Il avait une dévotion
particulière à la très sainte Vierge dans ses sermons et dans ses écrits, il
l'appelait communément, avec un vif sentiment de tendresse, « sa dame et sa
mère ». Il avait fui Pinsk et, en route, il administrait les sacrements dans
l'église paroissiale de Horodek, quand les Cosaques arrivèrent à l'improviste,
se saisirent de lui, le conduisirent dans une maison, le dépouillèrent de ses
vêtements, le mirent sur un banc auquel ils le clouèrent par les mains, les
pieds et le bas-ventre, puis le tirèrent à la tête avec des cordes jusqu'à faire
sortir les yeux de leurs orbites, lui arrachèrent la peau de la poitrine et du
dos, lui passèrent des torches allumées sur le corps et finirent par lui couper
la gorge. Le sacristain de notre collège de Pinsk avait pris des habits
séculiers ; il fut cependant reconnu à Iourhoush, et on l'y tua. Mon professeur
de rhétorique, le P. Eustache Pilinski, dans sa fuite du collège de Pinsk, tomba
également dans les mains des Cosaques, ils le mirent cruellement à mort. Dans le
collège de Nieswicz, les Pères Adam Wiechowicz et Jean Staniszewski, ainsi que
le .Père Jean Butkiewicz, furent de même cruellement massacrés, d'autres eurent
le même sort ailleurs. On en compta quarante en tout.
Le P.
Bobola s'était retiré à Ianow. Une bande de Cosaques Saporogues partie de Pinsk
sous la conduite de deux officiers entra peu après dans la ville et, guidée par
les schismatiques, commença le massacre des catholiques et des juifs. C'était le
16 mai, fête de l'Ascension pour l'église ruthène. Le P. Bobola était allé ce
jour-là à Perezdyle, petite paroisse voisine, préparer les fidèles par le
catéchisme, le sermon, la messe, et probablement aussi la confession, à la
célébration de la fête. Les Cosaques étaient entrés à Ianow à midi passé ; des
fuyards arrivèrent à Perezdyle comme le P. Bobola achevait sa messe et faisait
son action de grâces, annonçant l'arrivée des massacreurs. « Sa première pensée,
dit la Notice polonaise, fut de les attendre de pied ferme. Depuis longtemps son
sacrifice était fait et rien ne pouvait lui être plus agréable que de rencontrer
l'occasion de donner sa vie pour Jésus-Christ. Mais les fidèles le décidèrent
enfin à monter en voiture et ils espéraient le sauver. » Cependant les
schismatiques de Ianow avaient dénoncé la présence du Jésuite à Perezdyle. A
l'instant quatre Cosaques suivis d'un habitant de Ianow, nommé
JacquesCyetwerymka,
chargé du foin de leurs chevaux, partent à bride abattue et attaquent la voiture
du fugitif près de Mohilno, situé à une demi mille de Yanow. Le cocher Jean
Domanowski,
saisi de terreur, jeta les rênes et s'enfuit dans la forêt ; le père descendit
de voiture et se livre en disant : « Que la volonté de Dieu soit faite. »
Les
Cosaques se montrèrent tout d'abord remplis de bienveillance et tâchèrent de
gagner le jésuite à leur schisme ; ils échouèrent ; alors, le mettant tout nu,
ils le conduisirent à une haie voisine, le lièrent à un pieu et le fustigèrent,
mais sans plus de succès. Des laboureurs qui travaillaient aux champs virent
cette scène et prirent la fuite. Alors les Cosaques coupèrent des branches
d'arbres encore tendres et flexibles, les appliquèrent au front du père en forme
de couronne, tordirent les bouts et serrèrent le crâne comme dans un étau. De
temps en temps, ils faisaient une nouvelle torsion, dès qu'ils voyaient que la
couronne se relâchait. Ils veillaient cependant à ne pas briser les os afin de
prolonger la souffrance.
Puis les Cosaques écorchèrent la partie supérieure des mains, et détachant le
martyr du tronc de l'arbre le lièrent et fixèrent les deux bouts de la corde aux
selles de deux cavaliers ; suivaient d'autres Cosaques portant des haches dont
le fer se terminait d'un côté en forme de marteau. On partit au galop, mais le
martyr ne pouvait suivre à cette allure ; alors les Cosaques lui assenaient des
coups de hache. Dans cette occasion, il reçut deux blessures profondes au bras
gauche et une au bras droit. On arriva ainsi à Ianow. Je l'ai vu, dit un témoin,
quand les Cosaques l'amenèrent à Ianow ; ils lui avaient tressé une couronne de
branches de chêne vertes, dans laquelle ils serraient sa tête. A cette vue, moi
et beaucoup d'autres nous nous cachions et n'osions plus regarder que de loin. »
Un autre témoin dépose : « Il était nu-pieds, entièrement nu, et couvert du sang
qui sortait de ses blessures. » L'escorte fit des signes aux Cosaques restés en
ville pour leur apprendre qu'elle ramenait un prêtre latin. « Alors, dit le
prêtre Duboyski, témoin oculaire, un chef Cosaque s'approcha et cria : Es-tu un
prêtre latin ? Et il brandit son sabre comme pour le tuer. » « Cet homme, dit la
Notice polonaise, s'appelait Assavoula. Son aspect était horrible. Le P. André
n'en fut pas intimidé ; aux accès de rage du Cosaque et aux éclats de sa colère,
il n'opposait que le silence et la douceur de l'agneau. Il ne tarda pas à élever
la voix et ce fut pour confesser publiquement la foi catholique, se déclarant
prêt à verser pour elle jusqu'à la dernière goutte de son sang. Le persécuteur
fit entendre les menaces les plus effroyables ; mais le bienheureux Père n'y
répondait que par la prière ; en même temps il conjurait son bourreau de rentrer
dans le sein de la seule Église véritable, en confessant avec lui la foi
catholique. Deux assistants ont rapporté à un témoin les paroles suivantes que
le martyr aurait prononcées à ce moment : « Je suis prêtre catholique ; je suis
né dans cette foi, je veux mourir dans cette foi. » Et celles-ci entendues en
partie par Paul Hurinowicz et par d'autres témoins : « Ma foi, c'est la vraie
foi, c'est la bonne ; c'est elle qui conduit au salut... Je suis religieux, je
ne puis renoncer à ma sainte foi...Vous, convertissez-vous plutôt ; faites
pénitence, parce que vous ne vous sauverez point de
vos erreurs... Si vous
conceviez du mépris pour vos erreurs schismatiques et embrassiez la même sainte
foi que je professe, vous commenceriez à connaître Dieu et vous sauveriez vos
âmes. » « Une proposition aussi inattendue, dit la Notice polonaise, fit bondir
de rage le sauvage capitaine ; il saisit son sabre, le fit tourner plusieurs
fois en l'air et le déchargea de toutes ses forces sur la tête du martyr. Il
l'eût certainement partagée en deux, si, par un mouvement involontaire, André ne
l'eût couverte d'une de ses deux mains. » Le coup fit une blessure dans les
premières phalanges des doigts de la main droite. Le martyr ne prononça pas une
seule parole. Assavoula lui porta un second coup par derrière et l'atteignit au
talon du pied gauche, coupant une grande veine et entamant l'os ; le second coup
jeta le martyr par terre.
C'est à ce
moment que se place probablement la profession de foi prononcée par le
bienheureux et rapportée par le P. Jean Lukaszwicz : « Je crois et je confesse
que comme il n'y a qu'un seul Dieu, il n'y a aussi qu'une seule vraie Église et
une seule vraie foi catholique, révélée par Jésus-Christ et prêchée par les
apôtres ; et à l'exemple des apôtres et de beaucoup de martyrs, je souffre et
meurs volontiers pour elle. »
Pendant que
le martyr était étendu sur la terre, «un Cosaque inquiet, furieux de voir cet
œil doux et suppliant invoquer le secours d'en-haut, et craignant qu'il ne fût
exaucé, il s'approcha du confesseur et lui creva cet œil avec la pointe de son
sabre. » Un témoin ajoute que le Cosaque dit d'un ton moqueur : « Tu regardes
les Polonais. » « Mais tout cela, continue l'auteur de la Notice polonaise,
n'était qu'un prélude à la scène de son martyre. C'était un essai, un avant-goût
des supplices qui lui étaient réservés, Dieu voulant glorifier son serviteur par
un prodige de force et de constance tel que n'en a guère vu la sainte Église
militante. Ce fut un glorieux combat que les anges du ciel durent contempler
avec une joie ineffable et que l'innombrable armée des martyrs dut encourager de
ses acclamations et de ses applaudissements. »
Ces quatre
bourreaux saisirent le martyr par la jambe gauche et le traînèrent dans un petit
édifice situé au milieu de la place publique et servant de boucherie. Il était
voûté comme une cave et les regards pouvaient y plonger de divers côtés. Les
Cosaques donnèrent leurs chevaux à garder à Jacques Cyetwerymka, qui monta sur
un arbre pour voir ce qui se passait dans la boucherie. Un autre témoin fut
Samuel Szalka, ruthène uni, plus tard archiprêtre de Ianow, réfugié avec une
servante dans une tour voisine d'où ils purent tout voir et beaucoup entendre,
enfin quelques jeunes gens cachés derrière le mur de la boucherie recueillirent
les paroles du martyr et des bourreaux.
Ceux-ci
fermèrent la porte et jetèrent le saint sur un banc de boucherie. D'abord, ils
le flambèrent, appliquant sur les côtes et la poitrine deux torches de bois
résineux, brûlant la chair à petit feu. « En même temps ils offrent au martyr de
cesser la torture s'il renonce à la foi de l'Église catholique pour embrasser
celle de l'Église grecque ; mais il répond à leurs propositions par des paroles
sublimes et en confessant hautement la foi latine, il les exhorte de nouveau à
renoncer au schisme et à rentrer dans le sein de l'Église catholique. C'est
ainsi que le saint apôtre de Jésus-Christ prêchait au milieu des tourments et
priait pour ses bourreaux, dont la rage croissait avec l'inutilité de leurs
fureurs. » « Ils inventèrent, ajoute la Notice, dans leur haine contre le
sacerdoce latin, un supplice où le sacrilège le dispute à la barbarie, et que le
schisme seul peut trouver. Ils taillèrent, avec la pointe de leurs couteaux, la
peau de la tête en forme de tonsure, et l'arrachèrent violemment. » Ensuite, ils
coupèrent l'index de la main gauche et la première articulation de chaque pouce
; ils arrachèrent la peau de la paume de la main droite, détachèrent les muscles
et arrachèrent la peau de la main gauche. Alors on tourna le corps sur le ventre
et on le fixa de nouveau au banc. Puis faisant une entaille à la peau dans la
région des épaules, on la lui arracha par morceaux de tout le dos et d'une
partie des bras et, ajoute un témoin, on répandit de la paille d'orge « finement
hachée. Le martyr fut ensuite pressé fortement contre le banc afin de faire
pénétrer dans la chair les parcelles de la paille ; on l'y attacha solidement et
l'on enfonça des morceaux de bois effilés sous chacun des ongles de ses pieds et
de ses mains ».
Un soufflet
qu'on lui donna fit sauter deux incisives de la mâchoire supérieure. « Son
visage, dit la Notice, s'enfla tellement qu'il ne présentait plus aucune
apparence de figure humaine. En le voyant réduit à un état si misérable, les
sauvages poussaient des cris de joie, chaque tourment provoquait de nouveaux
éclats de rire, de nouvelles insultes et de nouvelles moqueries. » Le
bienheureux semble avoir élevé plusieurs fois vers le ciel ses mains écorchées,
on lui entendit dire les mots : Mes chers enfants, que faites-vous ?... Que le
Seigneur notre Dieu soit avec vous et, dans vôtre malice, faites un retour sur
vous-mêmes... Jésus ! Marie ! assistez-moi ! Éclairez ces aveugles par votre
lumière ; convertissez-les, retirez-les de leurs erreurs... Seigneur, que votre
volonté se fasse !... Jésus, Marie !... Seigneur, je livre mon âme entre vos
mains. »
« Revêtu,
dit la Notice polonaise, de sa chasuble sanglante dont chaque brin de paille
brillait comme un diamant, le prêtre était prêt à offrir le sacrifice. Il
redoublait ses ferventes prières pour ses bourreaux, tandis que ceux-ci
redoublaient les coups et les supplices. Après lui avoir coupé les narines,
taillé les lèvres, ils tinrent conseil sur le moyen à employer pour lui arracher
la langue. L'opération était importante, il s'agissait de détruire l'instrument
le plus efficace de l'apostolat catholique, l'organe dont le serviteur de Dieu
s'était servi pour prêcher la vérité et convertir tant d'âmes à la foi
orthodoxe. Après une longue délibération, on s'arrêta au mode le plus atroce ;
une large blessure est pratiquée dans le cou, et, par ce trou, la langue est
tirée du gosier avec toute sa racine. » « Elle fut jetée à terre », ajoute un
témoin. Il semble qu'auparavant les bourreaux lui avaient coupé les parties
naturelles. Alors ils enfoncèrent dans le côté gauche, vers la région du cœur,
un poinçon trouvé sans doute dans la boucherie et qui fit une blessure
circulaire et profonde se dirigeant vers l'intérieur. Puis, ils suspendirent le
corps du martyr par les pieds et, à la vue des contractions nerveuses : « Voyez,
disent-ils, comme danse ce Polonais ! »
La tuerie
se prolongeait depuis plus d'une heure. Les Cosaques fatigués s'en allèrent.
Quand ils eurent quitté la boucherie, quelques personnes s'y aventurèrent, entre
autres Jean Klimezyk, qui témoignait en ces termes de ce qu'il avait vu : « Je
l'ai vu, le sang ruisselait de sa tête, de ses mains, de ses pieds, de tout son
corps, comme d'un sanglier ou d'un bœuf qu'on vient d'abattre. »
Un colonel
de Cosaques visitant Ianow entra dans la boucherie, examina la victime et,
voyant qu'elle respirait encore, donna ordre de l'achever. Deux coups de sabre
coupèrent la gorge. Il était environ trois heures de l'après-midi.
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