ESSAI BIOGRAPHIQUE
Barthélemy
naquit à Lisbonne, paroisse de Notre-Dame des Martyrs “pendant le mois de mai
1514, quand Manuel 1er gouvernait le Portugal et que le Pape était
Léon X”.
Il naquit au sein d’une “ modeste famille disposant de
peu de moyens, mais généreuse et aimant partager”,
et qui avait pour les pauvres une
extrême tendresse.
Dès son enfance, le jeune Barthélemy appris, au sein d’un
tel entourage, “les principes qui allaient devenir plus tard sa vertu
prédominante : l’amour des pauvres”.
Peu de temps après sa naissance, une grande épidémie de
peste s’abattit sur Lisbonne, faisant de nombreuses victimes. Pour fuir ce
fléau, la famille s’éloigna de la Capitale et n’y revint qu’une fois le danger
éloigné.
Dès son plus jeune âge Barthélemy reçut de ses parents,
ainsi que de ses grands-parents, avec lesquels il vécut quelques années, une
excellente éducation morale et religieuse.
“Le bon sens et le sérieux révélés par l’enfant, lorsque
celui-ci accompagnait sa mère dans les visites à l’église et pendant les messes
dominicales faisaient l’admiration de tous. De même, lorsqu’il était chargé
d’assister quelque personne dans le besoin”, comme l’affirme l’un de ses
biographes.
Bien jeune encore, il fut envoyé chez un vieux maître pour
y apprendre les lettres. Le jeune garçon s’y intéressa tellement qu’il devint
bientôt très cultivé, et à l’âge de quatorze ans, il était devenu un excellent
latiniste.
Sa charité envers les pauvres et les déshérités croissait,
elle aussi, dans son jeune cœur. On sait que pendant ses études, il prenait avec
lui l’un de ses aïeuls, aveugle, le conduisait à l’église des dominicains, y
assistait à la messe, et s’en allait ensuite à ses cours. Deux ou trois heures
après, en revenant chez lui, il repassait par l’église, pour récupérer son
parent aveugle et, ensemble ils retournaient à la maison.
Mais, depuis déjà quelque temps, un secret désir taraudait
son cœur : il aimerait se faire religieux. Étant d’un naturel timide, il hésita
longtemps avant d’avouer le secret désir de son cœur.
Un jour pourtant, vers la Saint-Martin, pendant l’année
1528, il se remplit de courage et, se faisant violence, alla chez les
Dominicains qui desservaient sa paroisse et au Père Prieur — ancien confesseur
du roi Manuel Ier —, il vida son âme du poids qui le tourmentait.
Le Prieur, homme sage et compétent — il était maître en
théologie —, l’interrogea longuement, lui parla des jeûnes fréquents, de
l’abstinence constante, de la pauvreté des habits et des cellules, du travail,
des sacrifices que doivent pratiquer les religieux de l’Ordre, de la
renonciation à la volonté propre et de l’assiduité aux études. Barthélemy
l’écouta avec grande attention et répondit enfin, lorsqu’il comprit que le
Prieur avait terminé :
— “Mon Père, je cherche le labeur et non point les
gâteries. C’est pour fuir celles-ci et rechercher celui-là que je désire entrer
dans la vie religieuse. Je ne crains pas les difficultés, car il n’y a pas de
corps faible là où le cœur est fort”.
Cette réponse ferme et pleine de courageuse sincérité
décida le Prieur à recevoir le jeune garçon dans son Ordre. Le jour même il
subit un interrogatoire serré de la part des “examinateurs” de la Communauté, et
ce même jour il fut reçut comme novice et revêtu de l’habit de l’Ordre fondé par
saint Dominique.
Par la suite, rien ne refroidissait ni son esprit ni sa
vocation inaltérable. Les jeûnes fréquents, les pénitences austères, ainsi que
les études, étaient pour lui non point une tare, mais plutôt un lénitif ; il
n’hésitait pas, ce jeune étudiant dominicain à augmenter les pénitences, dans la
solitude de sa cellule.
L’année suivante, en 1529, il fit profession, alors qu’il
n’avait même pas seize ans. Il prit alors le nom de Frère Vale, nom qui lui
venait de l’un de ses grands-parents, mais dès qu’il le put, et sans contrevenir
aux règles de l’Ordre, il remplaça celui-ci par celui de Frère Barthélemy des
Martyrs.
En 1530 il commença ses études à Saint-Dominique de
Lisbonne. Il y fut un excellente élève, devenant bientôt un spécialiste aussi
bien en Logique et Philosophie qu’en Théologie Scolastique et Morale. Il devint
en peu d’années un éminent lettré.
Mais le jeune Barthélemy ne se contentait pas des études
qui lui étaient imposées par ses supérieurs ; il cultivait aussi son âme en
lisant les écrits mystiques de saint Bernard, de saint Bonaventure, de Tauler et
de Gerson— celui qui fut chanoine de Notre-Dame de Reims. Cette théologie allait
de paire avec son tempérament, car il s’agit non pas d’une théologie
spéculative, mais du développement en soi de l’amour de Dieu. Il mettait un soin
tout particulier à toujours se trouver en la présence de son Dieu, passant le
plus clair de son temps, — celui qui n’était pas occupé par les obligations de
son Ordre — dans la méditation des mystères divins.
Le Chapitre Provincial de l’Ordre de saint Dominique se
réunit, en 1532 dans la cité berceau du Portugal, c’est-à-dire Guimarães.
Barthélemy y fut envoyé pour y défendre quelques thèses de Logique. Il n’avait
alors que seize ans. Il y démontra toute l’étendue de ses connaissances, malgré
son jeune âge.
Quelques années plus tard, de nouveau il exerça ses
connaissances lors du grand Chapitre de l’Ordre qui se réalisa à Lisbonne, en
présence des plus hautes sommités de l’Ordre, venues de tous les coins de
l’Europe. Son succès fut fulgurant, ce qui lui valut d’être nommé lecteur au
Collège de Lisbonne, collège que le roi venait de créer.
Ses dons oratoires étaient, eux aussi éminents. Mais le
jeune dominicain, toujours par humilité, se faisait oublier, dès que cela lui
était possible : il n’aimait pas les louanges, et encore moins la veine gloire.
Il préférait se cacher au milieu de ses nombres confrères, dans un anonymat
aussi hermétique que lui permettait la règle. Toutefois, lorsqu’il ne pouvait
pas s’y arracher, il prêchait : ses sermons étaient emprunts d’une sagesse
inégalable, d’une onction qui faisait chavirer les cœurs de ceux qui
l’écoutaient, car ses sermons ils les préparaient dans une prière ardente, dans
la solitude de sa cellule.
Malgré ses succès, le jeune dominicain était de ceux qui,
comme l’écrivit un carme célèbre “sont tout disposés à suivre leur voie ou à
en prendre une autre au moindre commandement, car la pensée ne leur vient jamais
qu'ils ont raison. Ils se réjouissent quand on loue les autres, et leur seule
peine, c'est de ne pas servir Dieu comme eux.”
Il n’avait pas encore vingt-sept ans lorsqu’il fut nommé
professeur au couvent de
Batalha, où avait été installé le Collège de Lisbonne.
Il y fut professeur de Philosophie et ensuite de Théologie, car Barthélemy était
devenu un spécialiste de saint Thomas d’Aquin et sa Somme Théologique.

Le monastère de
“Batalha”, chargé d'Histoire
Tous ces succès furent autant de hérauts pour sa renommée
dans le monde, et les honneurs — qu’il ne cherchait aucunement ! — vont venir
couronner une jeunesse toute remplie de sagesse et d’humilité.
L’un de ses premiers signes va venir justement de la
maison royale. Le Prince Dom Louis, pour l’éducation de son fils — qui jouera
bientôt un rôle important dans la politique portugaise —, va choisir le jeune
dominicain. À contre cœur, et par obéissance, Barthélemy accepta cette lourde
charge, et déménagea à Évora, dans l’Alentejo ou le Prince avait élu demeure. Il
y vivait encore quand il fut élu Prieur du couvent de Benfica, dans la banlieue
de Lisbonne.
Le Prince n’y mit aucune entrave à cette nomination. Au
contraire, connaissant, maintenant, parfaitement les qualités de Frère
Barthélemy, il en fut même content pour lui.
À ce temps-là, le Provincial dominicain au Portugal avait
pour nom Louis de Grenade — grand mystique espagnol, il aura bientôt une très
grande influence sur le destin de Barthélemy.
Au couvent de Benfica, le jeune Prieur s’employa à y
remettre de l’ordre, en commençant par tout ce qui touche au spirituel, à la vie
de l’âme, tout en gardant toujours en lui ce sens aigu de l’humilité et une très
grande sagesse dans ses redressements. La encore, comme ailleurs, le succès fut
des plus notables. Cela ne fit qu’augmenter sa renommée, pourtant déjà grande,
au point que la régente, la Reine Catherine va faire appel à lui.
L’archevêque de Braga, primat du Portugal et des Espagnes,
un carme, venait de mourir, laissant vacant celui qui était alors le plus vaste
diocèse d’Europe. Il fallait un nouvel archevêque, quelqu’un de poigne et
jouissant d’une réputation sans faille.
À cette époque, au Portugal comme ailleurs,
“tous les
grands étaient à l’affût des morts épiscopales ou abbatiales,
pour se disputer
l’héritage qui allait s’ouvrir. Ayant des cadets à placer et ne voulant point
les doter avec leurs propres biens pour ne pas réduire la part de l’aîné , ils
imaginèrent de mettre leur entretien à la charge de l’Église, en en faisant des
évêques ou des abbés. La hiérarchie ecclésiastique servait ainsi de déversoir
aux familles nombreuses, et l’Église devenait, en quelque sorte, une institution
de placement pour les cadets de bonne maison”.
Il en fut de même pour l’archevêché de Braga : plusieurs
se présentèrent ou se sont montrés des candidats intéressés par l’octroi de ce
poste devenu vacant… Des querelles surgirent d’ici, de-là, parmi les nobles les
plus influants à la Cour.
Dans tous les ordres religieux, il y avait, bien entendu
aussi des hommes compétents et forts érudits, jouissant d’une réputation
certaine, aussi bien sur le plan spirituel que social et culturel ; il y en
avait même qui “frappait à la porte” d’une façon plus ou moins discrète, mais ce
fut le Frère Barthélemy qui fut l’élu de la Reine Catherine.
Celle-ci avait pour confesseur le Dominicain dont nous
avons déjà parlé, Louis de Grenade. Elle l’avait choisi, en premier lieu, mais
celui-ci déclina l’offre, étant donné ses diverses responsabilités au sein de
son Ordre, et proposa à sa place Frère Barthélemy, affirmant à la Souveraine
que, “comme homme de valeur certaine, de vertu éprouvée et de culture, il n’y en
avait pas qui mérite autant cette charge”.
Il ne restait plus qu’à convaincre l’intéressé, ce qui était sommes toutes, le
plus difficile.
Comme nous l’avons déjà signalé, Frère Barthélemy était
d’une extrême humilité et ne cherchait pas les honneurs, ce qui le mena, tout
naturellement, à refuser la lourde charge qui lui était proposée. Plus il
s’entêtait à refuser, plus la Reine et le Père Louis de Grenade insistaient.
Cette lutte dura quelques mois.
Barthélemy utilisa tous les arguments dont il pouvait
disposer : il invoquait son incompétence, son âge — il n’avait que quarante-cinq
ans — mais rien n'y faisait, c’était lui que la Reine voulait proposer à
l’approbation du Pape. Et plus il s’obstinait à refuser cet honneur, plus la
Reine s’obstinait, elle, à vouloir obtenir son consentement.
À cours d’arguments, elle demanda au Père Louis de
Grenade, d’utiliser de son autorité — il était le Provincial de l’Ordre — et de
lui imposer au nom de la “sainte obéissance”, cette charge que Barthélemy
refusait obstinément. Et ce fut ainsi que le jeune Dominicain fut nommé
archevêque de Braga.
En attendant la confirmation de Rome, le nouvel archevêque
mena, dans son couvent, la vie d’un simple frère. Il avait été, en effet,
déchargé de ses responsabilités au couvent de Benfica.
Au mois d’août 1559, arriva enfin la Bulle papale qui
confirmait le laborieux choix de la Reine. Le 3 septembre de cette même année il
fut sacré évêque dans l’église du couvent de Saint-Dominique, à Lisbonne,
recevant, le 8 du même mois, fête de la Nativité de Notre-Dame, le pallium des
mains de l’Archevêque de Lisbonne.
Cela faisait, maintenant, plus d’un an que l’archidiocèse
de Braga était vacant.

Braga: ancien
palais épiscopal
Après avoir pris congé de tous ses amis et frères de son
Ordre, Dom Barthélemy partit pour le Nord du Portugal, accompagné de son ami
fidèle, le Père dominicain Jean de Leiria. Il arriva dans la cité dont
Saint-Martin — cousin de celui de Tours — fut le premier évêque, le 4 octobre de
cette même année 1559. Il y fut reçu allègrement par toute la population, aussi
bien par les pauvres que par les riches. Toutefois, son humilité et le peu de
suite qui l’accompagnait, causèrent à cette foule nombreuse un certain
étonnement : comment un archevêque de Braga pouvait-il sembler si pauvre, si peu
escorté ?
Arrivé dans son palais épiscopal, Dom Barthélemy ne fut
pas surpris de la munificence de celui-ci, car l’archevêché de Braga est le plus
ancien du Portugal. Toutefois, il se sentait indigne, lui simple frère,
d’occuper cet édifice rempli de tant de richesses et où tant d’autres saints
archevêques avaient habité avant lui.
Comment lui, le pauvre dominicain, pourrait-il vivre dans
une telle richesse, dans une telle opulence et au milieu de tant de serviteurs,
alors qu’au dehors, dans sa ville et dans les campagnes lointaines, jusqu’où
s’étendait son immense diocèse, tant de gens n’avaient rien à manger, rien à
vêtir ?
Au cours de la visite on lui montra une pièce occupée par
un lit composé de trois planches posées sur deux tréteaux ; sur ces planches un
sac rempli de paille et recouvert d’une couverture en laine. Cette pièce
ressemblait bien à une cellule de moine ; ce fut celle-là qu’il se choisit comme
chambre. Il y fit mettre ensuite une table, composée de deux planches mal
rabotées, sur laquelle posait un crucifix. Contre le mur il fit aussi poser deux
planches dont il se servait comme étagère pour ses livres et ses cahiers. Il y
déposa aussi une image de Notre-Dame du Rosaire. Voilà tout l’ameublement de la
chambre du nouvel archevêque de Braga. Il la gardera ainsi tout le long de sa
vie.
En effet, Dom Barthélemy “considérait que l’élection
d’un religieux à une haute charge de gouvernement ne le dispensait pas de ses
obligations assumées lors de sa profession”.
Il prit donc la résolution de toujours respecté ses engagements pris jadis à
Lisbonne, lorsque, de seize ans, il avait fait sa profession religieuse.
Il commençait sa journée par une longue prière du matin,
suivie de la messe. Il recevait ensuite en audience ceux qui venaient chercher
ses ordres ou ses conseils. Ceci jusqu’à midi, heure à laquelle il déjeunait en
compagnie de ses chapelains ou de tout autre invité, dans une salle dont les
meubles étaient presque semblables à ceux de sa chambre. Et chose curieuse,
aucun de ses invités ne s’est jamais plaint de cette pauvreté. Les paroles
ardentes et riches d’enseignements qui sortaient de la bouche de l’archevêque
leur faisaient oublier cette pauvreté du mobilier.
Il se fit tout à tous, et commença dès lors à organiser
son vaste diocèse.
Il confia l’intendance de son palais épiscopal à Jean de
Leiria, son ami et compagnon de toujours ; élimina, sans causer de froissements,
une partie des gens de sa maison, les plaçant à d’autres endroits où ils
pouvaient être d’une utilité évidente ; convoqua et dicta ses consignes aux
juges ecclésiastiques, leur demandant de le tenir personnellement au courant de
toutes les affaires dont ils auraient à juger ; se fit remettre la liste exacte
de toutes les paroisses de son diocèse et commença la préparation des visites
pastorales qu’il entendait faire à chacune d’elles.
En même temps, du haut de sa chaire, il exhortait les
fidèles qui, de plus en plus nombreux venaient écouter ses sermons et en
sortaient émerveillés, non seulement à cause de ses paroles ardentes et remplies
de l’esprit évangélique, mais aussi émerveillés par ce personnage qui mettait en
pratique ce qu’il suggérait à ses auditeurs.
Renouant avec ses habitudes du temps où il n’était simple
frère, il commença à visiter les pauvres et les déshérités, leur apportant non
seulement le réconfort de ses paroles sages et réconfortantes, mais leur
prodiguant aussi des moyens de subsistance. Il n’était pas rare qu’il fasse
venir auprès de lui les pauvres qui se plaçant autour du palais épiscopal,
n’attendaient qu’un signe pour en franchir la grille et se trouver dans la
cuisine où ils pouvaient alors manger à leur fin.
En plus de cette alimentation qui leur faisait défaut, ils
recevaient une autre nourriture, toute spirituelle, celle-là, qui les
transformaient, les rendant plus fervents dans la prière, plus assidus aux
offices, davantage chrétiens, tout simplement, car il est bien vrai que “les
paroles passent à travers les oreilles, mais les pensées s'arrêtent dans le
cœur”.
Et le saint évêque avait ce don particulier de savoir parler aux cœurs…
Nous pourrions citer de nombreux cas où la charité de Dom
Barthélemy contribua à sauver des vies et même des situations délicates. Cela
nous mènerait très loin, car ces mêmes cas sont nombreux et variés.
L’une des premières préoccupations du nouvel archevêque,
comme nous l’avons déjà dit, fut de recenser les paroisses de son diocèse afin
de pouvoir les visiter au moins une fois.
Ayant obtenu les informations demandées, il se prépara,
quatre mois à peine après son installation, à visiter les mille deux soixante
paroisses que comptait alors le premier diocèse portugais, le plus grand
d’Europe.
On ne manqua pas de lui faire remarquer la rudesse
hivernale, l’âpreté des chemins dans un pays aussi montagneux, le manque de
confort pour lui et sa suite et même du manque du strict nécessaire dans les
villages où il n’y avait même pas de routes, des villages enfermés au milieu des
montagnes qui couvrent le nord du Portugal. On lui objecta aussi que cela irait
à l’encontre de sa dignité de Primat des Espagnes de se lancer dans une pareille
entreprise. Rien n'y fit : Dom Barthélemy voulait à tout prix porter la parole
divine à toutes ces contrées éloignées, manquant de tout confort, mais manquant
surtout de la parole évangélique.
Il y avait bien des prêtres dans la plupart de ces
paroisses, mais, comme dans d’autres pays — en France aussi ! — “peu de
prêtres se distinguaient par un zèle plus ardent ou par une vertu plus
éclatante. Il y en avait sans doute beaucoup qui étaient réguliers et édifiants,
mais la plupart n’avaient ni le degré d’instruction désirable dans un ministre
de la religion, ni ces habitudes extérieures qui soutiennent la piété et qui
contribuent au respect du peuple. Un grand nombre ne portaient pas le costume
ecclésiastique et paraissaient partager les mœurs du monde au milieu duquel ils
vivaient”.
À toutes ces objections, le bon archevêque répondait que
Celui qu’il servait avait dit lui-même ne pas être venu pour être servi mais
pour servir ; qu’il était le successeur de ceux que le Christ avait institué
pour faire paître le troupeau et que, par conséquent, il n’y avait aucune raison
valable pour qu’il agisse autrement que ceux-là. Et vers la fin janvier 1560,
“par un temps venteux et très froid”,
le voilà parti, monté sur son âne, sur les routes, souvent escarpées et
dangereuses du nord du pays.
Il célébrait la messe, administrait la confirmation, puis
prêchait, en adaptant ses paroles à son auditoire, composé, pour la plupart de
simples paysans illettrés, vivant d’une manière presque sauvage.
Au cours de ses visites, dans l’arrière pays lusitanien,
le bon archevêque fit de nombreuses rencontres pour le moins insolites, voir
même délicates. Nous ne nous y attarderons pas. Par contre, celle qui fit d’un
jeune berger, nous ne résistons pas à vous la narrer :
Allant, un certain jour d’un village à un autre, la
compagnie fut surprise par une pluie fine et importune, qui dura presque toute
la journée. Un vent froid qui les glaçait, soufflait avec violence.
L’archevêque, selon son habitude, était parti devant, afin
de pouvoir s’adonner en toute liberté à la méditation et à la louange de Dieu.
À un certain moment il aperçut, non loin du chemin, un
petit garçon mal habillé, monté sur un rocher, qui gardait ses brebis.
L’archevêque remarqua qu’au pied du rocher il y avait une grotte où le garçon
aurait pu s’abriter de la pluie et du vent. Intrigué, il appela l’enfant et lui
dit :
— Descend de là et va donc t’abriter de la pluie dans la
grotte qui est à tes pieds.
— Jamais de la vie ! répondit le berger. Si je laisse mes
brebis sans surveillance, le loup peut venir et m’en prendre une ou bien le
renard, qui me prendrait un agneau…
— Et alors ! s’étonna l’archevêque.
— Alors, répliqua le gamin, j’ai mon père à la maison qui
me gronderait, et encore heureux serai-je s’il ne fait que me gronder. Je
surveille mon troupeau, et lui me surveille ; je préfère rester sous la pluie
qu’avoir à fuir devant mon père !
L’archevêque resta pensif et attendit que les autres
arrivent à sa hauteur ; il leur raconta sa conversation avec le garçon et leur
dit ensuite :
— Voyez-vous, ce petit garçon vient d’apprendre à frère
Barthélemy à être archevêque. Il m’apprend que je ne dois pas m’arrêter de
visiter mes brebis, même si la pluie du ciel se déverse à torrents sur ma tête.
Si ce petit garçon désemparé ne quitte pas les siennes, obéissant à son père,
pourquoi ne ferai-je pas autant envers les brebis que le Christ m’a confiées ?
Après cette leçon d’humilité en même temps que de courage,
Dom Barthélemy continua son chemin et mit encore davantage de zèle dans ses
visites pastorales qu’il voulait à tout prix porteuses de fruits spirituels
abondants ; de conversions franches et sincères ; de retours à la pratique
religieuse de tous ses peuples abandonnés depuis bien longtemps, vivant éloignés
de tout et même de Dieu.
De retour dans son archevêché, il fit le bilan de cette
première visite pastoral : la pratique religieuse était en diminution un peu
partout et les prêtres, pour la plupart, étaient tièdes et peu instruits, pour
ne pas dire ignorants et illettrés... Cette “déplorable négligence du clergé
entraînait après elle deux grands maux, qui s’aggravaient tous les jours :
l’ignorance des vérités de la foi et l’abandon des pratiques religieuses”.
Que faire ?
Au vu de cela — explique Mgr Auguste Ferreira —, il
institua immédiatement dans son Palais deux classes de Cas de conscience,
données par deux religieux de
l’Ordre de Saint-Dominique. Et, afin que le nombre
d’élèves soit important, il consigna une importante rente pour subvenir aux
besoins des prêtres pauvres. A ces leçons devaient assister, non seulement les
prêtres résidents en cette ville, mais aussi tous ceux du dehors qui viendraient
là régler leurs affaires. Ainsi les studieux renouvelaient les matières, et ceux
qui en étaient plus faibles s’instruisaient et y avançaient. Mais, tous les
ecclésiastiques ne pouvaient y participer, vu l’éloignement de la ville, il
chargea son ancien condisciple, Frère Diogo do Rosario de traduire de l’espagnol
en portugais la Somme des Cas du Cardinal Cajetan, ancien Maître Général de
l’Ordre de Saint-Dominique, laquelle, après son impression, fut largement
distribuée par l’Archevêque, dans tout son Diocèse.
Pour l’instruction du peuple l’Archevêque composa
lui-même un Catéchisme de la Doctrine Chrétienne et des Pratiques Spirituelles,
afin qu’il soit lu dans les paroisses, où il n’y aurait pas de prêche.”
La formation du clergé existant était une tâche louable,
cela va de soit, pais il fallait prévoir son remplacement dans les années à
venir. Il fallait donc créer une école où les jeunes désireux d’embrasser la vie
ecclésiastique pourraient recevoir l’instruction nécessaire.
“Des études publiques avaient été instaurées à Braga,
au Collège de Saint-Paul, du temps de Dom Diogo de Sousa, l’un des prédécesseurs
de Dom Frei Barthélemy des Martyrs”,
pourquoi donc ne pas utiliser ce cadre déjà existant ?
Décidé à agir promptement, le nouvel archevêque de Braga,
le 30 août 1560, passa un contrat d donation avec les Jésuites — contrat qui fut
âprement discuté par le Chapitre et donna origine à de pénibles et difficiles
tractations — et confia aux Pères de la Compagnie de Jésus la direction dudit
Collège, où les classes commencèrent en octobre 1561.
Le Pape Pie IV confirma, par une Bulle du 7 octobre 1563,
ladite donation et le contrat, mettant ainsi fin, du même coup, à la querelle
qui opposait l’archevêque à son Chapitre.
Le temps allait confirmer que l’archevêque avait vu juste
et qu’il était sur la bonne voie. En effet,
“l’augmentation de la population
scolaire fut si grande et si importante l’assistance aux Messes et aux Sermons,
et si grande la participation aux Confessions, que cinq années après les Pères
de la Compagnie de Jésus ont dû rebâtir une nouvelle église devant la chapelle
et le Collège Saint-Paul”.
Dom Barthélemy des Martyrs fut donc le premier promoteur
d’un séminaire en Europe, et ceci avant même les consignes qui, quelques années
plus tard, allaient être données et précisées par le Concile de Trente auquel il
participa d’une manière active et où il s’illustra, comme nous le verrons plus
loin.
L’infatigable activité du bon archevêque était maintenant
connue de tous, et sa renommée s’étendait du Nord au Sud du Pays. On venait de
loin pour le voir, pour lui demander des conseils, pour admirer son œuvre qui
n’était pourtant qu’à ses débuts.
Parmi ses visiteurs, vint le voir aussi son ancien
Général, le Père Louis de Grenade, celui-là même qui lui avait jadis forcé la
main pour qu’il accepte l’archevêché de Braga.
Il vint donc et vit de quelle façon vivait l’archevêque :
dans la pauvreté, comme s’il était encore dans sa cellule dominicaine de Benfica
ou de Lisbonne. Louis de Grenade s’étonna de ce dénouement et le fit remarquer à
son ancien protégé, qui humblement lui dit :
— Que je me fasse respecter des pauvres dépensant avec ma
personne et les privant de ce avec quoi je peux les faire vivre ?
— Pourquoi devrai-je dépenser en ornements et en richesses
périssables ce que je peux donner aux orphelines et aux veuves ?
Dom Barthélemy était resté l’ami des petites gens : les
pauvres, les orphelins, les veuves, en qui il voyait des images vivantes du
Christ souffrant. Il n’avait jamais oublié ni abandonné ce don formidable que
ses parents, jadis, avaient su inculqué dans son âme juvénile. Pourquoi
changerait-il maintenant ?
Profitant, de la présence du Général de l’Ordre de
Saint-Dominique, il lui confia un autre projet et obtint son consentement et son
appui : la construction d’un couvent de son Ordre à Viana du Castelo.
Il venait de visiter cette petite ville côtière. Il y
avait vu cette fébrilité caractéristique à toutes les villes disposant d’un port
de mer : le mouvement des vaisseaux, des caravelles, des bateaux de pêche ; le
mouvement d’une foule cosmopolite, qui y venait de France, de Flandres,
d’Angleterre et d’ailleurs. Mais ce qui l’avait bien davantage marqué, c’était
le manque indéniable de religiosité.
Aussitôt dans son cœur de “bon Pasteur”, germa l’idée
d’une action d’envergure, une action qui puisse répondre rapidement à cette
carence de spiritualité, qui le chagrinait douloureusement.
“Mais ceci ne
pourrait se réaliser qu’avec la construction d’un monastère de son Ordre, d’où
sortiraient les professeurs et les prêcheurs qui enseigneraient, qui
éduqueraient, non seulement par la parole mais aussi par l’exemple.”
L’idée ayant été approuvée et soutenue, les dépenses
prévues, couvertes en grande partie par les importantes rentes de l’archevêché.
Mais, par prudence — qualité innée chez l’archevêque de Braga —
“pour assurer
sa stabilité, il lui annexa, avec l’autorisation du Saint-Siège et du Roi,
l’église de Saint-Sauveur de Torre, peu éloignée et qui appartenait à la Table
archiépiscopale”.
Il ne restait plus qu’à mettre main à l’œuvre…
L’autorisation de la Reine obtenue, les plans dûment visés
par toutes les autorités concernées, les travaux commencèrent en avril 1563,
alors que l’archevêque était encore à Trente pour le Concile du même nom. La
première Messe y fut célébrée au mois d’août 1571.
Il est de notoriété publique, qu’au bouleversement causé
par le protestantisme
l’Église opposa la réforme catholique, qui fut l’œuvre
maîtresse du Concile de Trente.
Pour des causes diverses, ce Concile qui s’était ouvert
une première fois sous Paul III, en décembre 1545, connu deux autres reprises :
la première sous Jules III, début mai 1551, et une deuxième et dernière, sous
Pie IV, au mois de janvier 1562.
Pour la convocation à cette dernière reprise, Pie IV
publia, le 29 novembre 1560 une Bulle, ordonnant que “tous les Patriarches,
Archevêques, Évêques, Abbés de tous Ordres, etc., et tous les autres qui, dans
les Conciles généraux ont un siège de droit commun, se rendent à Trente le
prochain dimanche de la Résurrection”
Le Pape demandait également aux rois et aux chefs des
gouvernements du monde catholique connu “de prêter leur concours et de s’y
faire représenter par leurs Ambassadeurs ; qu’ils promeuvent le départ des
Prélats, et qu'ils protègent les personnes qui transiteraient dans leurs
royaumes pour venir au Concile”.
À cette troisième et dernière ouverture du Concile de
Trente, outre l’Ambassadeur et Dom Frei Barthélemy des Martyrs, archevêque de
Braga ; le Portugal y fut représenté par trois autres évêques, qui tous étaient
accompagnés de leurs théologiens, secrétaires et autres ecclésiastiques
cultivés, experts en Droit Canon.
Dom Frei Barthélemy des Martyrs, quant à lui, était
accompagné du théologien Frère Henrique de Tavora, de Pierre Tavares, son
secrétaire, d’un chapelain et quelques autres personnes. Ils partirent pour
Trente, le lundi 24 mars 1561.
Pour le suppléer à Braga, pendant son absent, Dom
Barthélemy choisit son ami de toujours, sorte de lieutenant, Frère Jean de
Leiria, à qui il confia le gouvernement du Diocèse.
Comme toujours, fidèle à ses habitudes, le saint
archevêque partit à pied, non sans avoir donner une bénédiction toute spéciale à
son archidiocèse.
La nuit arrivée, il cherchait, là où il se trouvait, un
couvent de son Ordre ou de celui des Mendiants, et y passait la nuit, incognito,
chaque fois que cela lui était possible.
Cet incognito donna souvent lieu à quelques faits
cocasses, car il fut reconnu par certains et honoré avec tous les égards dus à
qualité d’archevêque Primat. D’autres fois encore, c’était une indiscrétion de
sa suite qui empêchait Dom Barthélemy d’être pris par un simple religieux
voyageant vers un autre couvent de son Ordre. Il lui arriva même une aventure
assez rocambolesque pendant ce long voyage qui dura tout de même 56 jours.
À Palencia, en Espagne, un soir où il cherchait où passer
la nuit, il alla frapper à la porte du convent des dominicains de cette ville.
Le Prieur vint les accueillir — Dom Barthélemy et son secrétaire — et exigea
qu’ils lui montrent le document justifiant leur éloignement de leur couvent.
L’archevêque trouva mille excuses et ne s’identifia pas. Le Prieur alors,
peut-être un peu vexé par le comportement de ses hôtes, les enferma, chacun dans
une cellule, en attendant qu’il décide ce qu’il ferait d’eux.
L’archevêque voyant qu’il ne pouvait pas faire autrement,
s’identifia. Il reçut alors les honneurs dus à son rang, chose qu’il détestait
et qu’il fuyait toujours.
Une autre fois encore, il fut reçut, comme un simple
religieux, dans un couvent de son Ordre. Alors qu’il conversait avec le Prieur
et quelques autres religieux, un messager arriva au couvent ; il se disait
porteur d’une lettre du Roi du Portugal. Conduit devant le Prieur, le courrier
royal reconnu l’archevêque de Braga et, avant de lui remettre la lettre, se mit
à genoux et demanda la bénédiction de Dom Barthélemy. Il est facile d’imaginer
la surprise du Prieur et de ses religieux, qui ignoraient, bien entendu le titre
de leur hôte. Et une fois encore, malgré son humilité, l’archevêque dû recevoir
ces honneurs qu’il abhorrait.
En France, il utilisa cette même conduite, aussi bien à
Bayonne qu’à Toulouse et Montpellier. Il n’en fut pas de même à Avignon, où il
participa à de grandes et somptueuses cérémonies religieuses.
Il arriva à Trente le 18 mai 1561. Il était le premier
évêque à se présenter aux Légats du Pape, malgré qu’il soit celui qui venait du
plus lointain pays d’Europe, là “où la terre finit et la mer commence”,
le Portugal.
Le Concile de Trente avait été convoqué pour la fête de
Pâque 1561. Pour des raisons diverses, mais particulièrement à cause du retard
des évêques Français, il ne s’est ouvert que le 18 janvier de l’année suivante,
1562.
Que faire pendant ce temps ? Retourner au Portugal lui
était impossible, car il ne savait pas quand reprendrait le Concile. Il décida
d’attendre et profita pour faire quelques pèlerinages qui lui tenaient à cœur.
Il pensa visiter Rome et le Pape, mais il ne le fit pas.
D’autres évêques l’en dissuadèrent, comme il l’explique dans une lettre envoyée
à Jean de Leiria, son bras droit resté à Braga :
“J’ai pensé que j’aurais pu aller, maintenant, à Rome,
avant que le Concile ne commence, mais je ne le ferai pas car il m’a été affirmé
— et je le vois — que m’absenter en une telle période cela refroidirait le
Concile. En effet, rien que le fait d’annoncer qu’un archevêque Primat venu du
plus lointain occident, se trouve à Trente, cela réchauffe et anime les autres.”
Il visita tout d’abord Venise, puis alla à Padoue où se
trouve la châsse de saint Antoine de Lisbonne, plus connu sous le nom de saint
Antoine de Padoue.
Il y arriva pour le 12 juin et assista, le 13, aux
somptueuses cérémonies organisées à l’occasion de la fête de son Saint
compatriote. Quinze jours plus tard il revint à Trente.
En attendant l’ouverture du Concile et l’arrivée des
autres évêques, « quelques réunions préparatoires furent organisées, et les
évêques présents assistèrent, les jours de fête, aux solennités liturgiques sous
la présidence des Légats pontificaux ».
Dom Barthélemy profita également de ces moments de loisir
pour revoir, arranger et augmenter des notes que depuis un certain temps déjà il
avait colligées sur les devoirs des évêques, et qui deviendront par la suite
seront publiées sous le titre de “Stimulus Pastorum”.
Le Concile débuta enfin le 18 janvier 1562.
Dom Frei Barthélemy, malgré sa jeunesse — il avait alors
47 ans — occupait, de part sa « qualité de Primat, titre dont son église était
dotée depuis un temps immémorial, occupait dans lesdites réunions une place plus
élevée que d’autres archevêques, plus anciens que lui, dans la promotion ».
Cela posa problème, surtout vis-à-vis des évêques espagnols qui se plaignirent
aux Légats pontificaux, lesquels en avertirent le Pape. Celui-ci, après
consultation et âpres tractations avec les ambassadeurs des deux pays, décida,
par Décret, qu’il n’y aurait plus désormais de rang proéminent pour les Primats,
et ceci sans préjudice pour leurs dignités. Cette décision, afin que nul ne
n’ignore, fut lue à tous les participants lors de la 2e session qui
se réalisa le 26 février 1562.
A plusieurs reprises, après cette 2e session,
la question du droit divin de résidence des évêques en leurs diocèses — question
qui retenait également tout l’intérêt d’un autre archevêque éminent, Charles de
Lorraine — allait être évoquée. Pour des raisons diverses, et ce fut un bien,
car l’archevêque de Reims n’était pas encore arrivé à Trente, cette question fut
ajournée à la session où l’on traiterait du Sacrement de l’Ordre.
Le 14 mars et le 4 juin il eut deux sessions de peu
d’intérêt.
Le 16 juillet se réalisa la 5e session où l’on
débattit sur la Communion — question ajournée à la 6e session — et de
la Concession du Calice, demandée par l’Empereur d’Allemagne. Sur cette
affaire, Dom Barthélemy fit un discours très remarqué et qui ne fut probablement
pas du goût de l’Empereur, car l’archevêque de Braga opposa à cette question des
arguments
qui firent loi par la suite.
Pendant ce temps-là, Charles de Lorraine, retenu en
France, n’était toujours pas arrivé au Concile, ce qui peinait un grand nombre
de Prélats, parmi lesquels, bien entendu, Dom Barthélemy. Tous étaient
conscients de sa valeur et de son savoir.
Il fut retenu tout d’abord par la mort de François II,
puis par la défense de la foi catholique au colloque de Poissy où il brilla par
sa compétence et ses connaissances théologiques, face aux ministres protestants
parmi lesquels le célèbre Théodore de Bèze.
Malgré son absence regrettée, le Concile poursuivait ses
travaux, mais il était probable, pour ne pas dire certain, que plusieurs
questions, ajournées régulièrement, attendaient son arrivée, pour être
débattues.
En effet, le 17 septembre 1562, eut lieu la 6e
session, pendant laquelle fut abordé le sujet du Sacrifice de la Messe et
formulé le Décret de la Concession du Calice.
“Au mois d’octobre survint la question concernant
l’origine divine immédiate de la juridiction des évêques,
qui devait être traitée avec celle du droit divin de résidence de ces mêmes
évêques, lors de la 7e session, fixée au 12 novembre, mais remise au
3 février de l’année suivante, 1563.”
Entretemps, Charles de Lorraine, « prélat de grand
talent, très énergique, et pourvu d'une très grande autorité sur son clergé et
ses diocésains »,
arrivât dans la cité conciliaire, entouré de tout l’éclat et de tout le faste
digne de son rang et de ses fonctions éminentes, religieuses et politiques.
Il était accompagné par une commission de théologiens
français, dont on peut citer — soyons un peu chauvins ! — Claude Despence et
Gentian Hervet, de l’Université de Reims, sans oublier, bien entendu quelques
autres chanoines de l’Église de Reims, tels que Richard Dupré, Jacques Archadet,
Nicolas Breton et Antoine Godart.
D’autres sommités religieuses accompagnaient encore notre
Archevêque. Citons-les, pour mémoire : Jean
Pelletier, Antoine Démochares Simon
Vigor et Claude de Sainctes, tous théologiens de la Faculté de Paris.
“Les Pères du Concile — raconte l’abbé Michel
Dricot — étaient alors plongés dans l’étude du Sacrement de l’Ordre et le
difficile problème de l’investiture des évêques. Sur l’injonction du cardinal,
qui fit savoir que toute décision prise avant son arrivée serait considérée
comme une mortification infligée non seulement à sa personne mais à l’Église de
France elle-même, les Pères se le tinrent pour dit et décidèrent de surseoir à
toute conclusion des débats. Le pape en fut fort irrité, ce dont témoigne une
lettre de l’évêque d’Orléans à son neveu l’évêque de Rennes. Mais, avec une
habileté toute italienne, les Pères décidèrent d’amadouer et peut-être de
circonvenir le cardinal. À cet effet, ils lui réservèrent un accueil somptueux :
c’est au milieu d’un cortège magnifique que Charles de Lorraine fit son entrée à
Trente le 13 novembre 1562. Il avait lui-même annoncé son intention d’être
présent au milieu de l’assemblée dès le lendemain matin mais, comble de
malchance, il fut terrassé par une “fièvre catarrhale”. Ce n’est que le 22
novembre qu’il put pénétrer dans l’enceinte du Concile pour y prononcer son
discours.”
Le
Cardinal de Lorraine, Archevêque de Reims |
Dès lors, son action fut immédiate, voir même éclatante.
En effet, comme le souligne Mgr Auguste Ferreira,
“le 22 novembre 1562, le
cardinal de Lorraine fit un discours admirable sur l’état ecclésiastique, pour
lequel il demanda une réforme sérieuse”.
À partir de ce moment-là, une connivence très amicale
s’établit entre les deux archevêques, car ils partageaient tous deux ce même
souci de la réorganisation des diocèses et de la formation des prêtres et des
fidèles. Le jeune Cardinal de Lorraine — de dix ans le cadet de l’archevêque de
Braga — n’avait-il pas déjà montré le chemin, en créant l’Université de Reims ?
“À cette occasion, poursuit Mgr Ferreira,
Dom
Frei Barthélemy des Martyrs parla au sujet de l’affectation des églises, qui
étaient accordées sans le moindre souci du salut des âmes, et il suggéra que
toutes les fonctions ecclésiastiques fussent accordés par concours, comme cela
se faisait dans l’Église de Burgos”,
en Espagne.
Arrivé le jour fixé pour la 7e session — 3
février 1563 — où devait être traité le problème du droit divin de résidence des
évêques, les Légats pontificaux, sans motif apparent, demandèrent l’ajournement
de celle-ci au 22 avril suivant. L’archevêque de Braga
“souleva une vive
opposition, étant suivi en cela par de nombreux autres évêques espagnols et
français, ainsi que par quelques italiens”.
Mais rien n’y fit ; la session fut reportée et ne fut finalement réalisée que le
15 juillet de cette même année 1563.
Entre-temps, Charles de Lorraine avait accompli, pour la
réussite du Concile, un acte courageux, voir même téméraire : En effet, il
accepta ou suggéra lui-même de rencontrer à Insbrück l’empereur Ferdinand qui
avait pris la décision de convoquer un concile parallèle réunissant les évêques
Allemand et Tchèques, car il n’était pas tout à fait d’accord avec les décisions
que l’on prenait à Trente.
L’archevêque de Reims partit pour Insbrück et y rencontra
l’empereur. Cette mission, comme le fait remarquer l’abbé Michel Dricot,
s’avérait “pleine de périls : il pouvait en sortir totalement déconsidéré ou,
au contraire, conforté aux yeux des Pères. On sait que le pape en éprouva une
grande inquiétude. Charles de Lorraine était accompagné de neuf évêques français
et de plusieurs théologiens. La rencontre débuta le 12 février”
. Ce fut un succès qui eut des
suites très favorables, non seulement pour la renommée de l’archevêque de Reims,
mais pour la suite même du Concile de Trente.
Lors de l’interruption momentanée du Concile et, avant que
Charles de Lorraine ne partent pour Insbrück, celui-ci et Dom Barthélemy de
Braga décidèrent de se rendre à Rome.
Il nous paraît opportun, ici, d’ouvrir une parenthèse, et
de parler un peu de ce
Prélat extraordinaire que fut Charles de Lorraine et de
Guise.
Issu de l’une des plus nobles familles de France,
apparentée aux rois de France, et aux rois de l’Europe, il hérita de son oncle,
Jean de Lorraine, l’archidiocèse de Reims, alors qu’il n’avait que 14 ans, en
1538.
« Ce Jean de Lorraine — nous dit Georges Boussinesq
— était un puissant personnage. Tout en acceptant le siège de Reims, il
restait évêque de Toul, de Narbonne et d'Albi, abbé de Fécamp, de Cluny et de
Marmoutier. À tous ces titres, s’ajoutait le chapeau de cardinal. Mais ce prélat
fut toujours trop occupé des affaires du royaume et de la Lorraine et des
difficultés de la guerre entre François Ier et Charles-Quint pour
pouvoir administrer lui-même son nouveau diocèse. »
Accaparé par tant de titres, il ne lui était pas possible
d’administrer convenablement son nouveau diocèse, qu’il confia alors aux soins
des vicaires épiscopaux, qui en son nom l’administraient.
Le
Cardinal de Lorraine, Archevêque de Reims |
“Le jeune Charles de Lorraine — continue Georges
Boussinesq — passait déjà pour un enfant prodige. Élève au collège Navarre, à
Paris, il avait surmonté avec une telle aisance les obscurités de la
scolastique, il avait fait preuve d'une telle intelligence, qu'il s'annonçait
déjà comme destiné à devenir un des plus fermes défenseurs de la foi. Il était
cependant encore bien jeune pour recevoir la consécration définitive. Aussi, de
1538 à 1545, resta-t-il chargé d'une partie de l'administration temporelle et
spirituelle de son diocèse, sans avoir encore bénéficié de l'investiture
définitive. Cette cérémonie ne fut célébrée qu'en février 1545. L'entrée
solennelle eut lieu, en grande pompe, le 6 décembre 1546” ;
il avait alors 22 ans.
Et notre malheureux collègue — disparu du côté de Vailly
pendant la première guerre mondiale, et qui n’était pourtant pas d’un
cléricalisme notoire —, de classer Charles de Lorraine comme l’un des
théologiens les plus réputés et de renchérir ensuite
“qu’un tel
personnage devait fatalement occuper, dans l’histoire, une place de premier
plan”.
Et cela est vrai.
Ayant pris son diocèse à une époque fort troublée par la
guerre, il sut luter contre un autre fléau qui prenait les chrétiens à la gorge,
les désorientait même : l’arrivée des doctrines de Luther.
Charles de Lorraine fut un ardent défenseur de
l’orthodoxie catholique, témoin, comme déjà dit, sa prestation lors du colloque
de Passy où ses connaissances théologiques et son ardeur furent retentissants.
Le 26 juillet 1547, dans sa cathédrale toute ornée pour la
circonstance, et avec une pompe encore plus magnifique que de coutume, il
sacra le jeune Henri II roi de France.
Peu de temps après, en septembre 1547, il se rendit à Rome
pour y recevoir le cardinalat des mains du Pape, alors qu’il n’avait que 23 ans.
Ayant déjà entretenu le roi de son projet de fonder, à
Reims, une Université, et ayant reçu de celui-ci un avis favorable, il
s’entretint, avec le Souverain Pontife, de cette même affaire. Il reçut l’appui
remarqué de Paul III, et les encouragements et bénédictions pour le succès de la
future Université, signifiés par une lettre que les Archives de Reims conservent
toujours,
et qui est datée du 5 janvier 1548.
Personnage d’une immense culture, il favorisa les arts et
fut, selon toute probabilité, l’inspirateur de la venue à Reims des premiers
imprimeurs, tels Nicolas Bacquenois, imprimeur de Monseigneur le Cardinal de
Lorraine, et Claude Chaudière.
Mais l’action de Charles de Lorraine, fut encore plus
importante, plus marquée, du point de vue spirituel, après le Concile de Trente,
où nous allons le retrouver.
Nous avions laissé le Cardinal de Lorraine alors qu’il
s’apprêtait à quitter Trente, accompagné de Dom Barthélemy, archevêque de Braga,
pour se rendre à Rome.
Ils partirent vers la Ville Éternelle le 17 septembre
1563, suivis par leurs escortes respectives, quoi que bien disparates.
En effet, le Cardinal de Lorraine était suivi de trois
autres évêques français, et d’une grande foule de serviteurs ainsi que d’hommes
en armes, étant donné sa condition noble et de parent de la famille royale de
France.
La première journée ce “se déroula de façon joyeuse
— raconte le biographe de Dom Barthélemy — vu le bon esprit des Prélats
français, qui semblait alléger les difficultés et les fatigues du voyage”.
Toutefois, par la suite, quand tout ce cortège arrivait
dans une ville importante et que l’archevêque de Reims était reçu comme un
prince, vu sa parenté, cela posait problème au bon et humble Dom Barthélemy, lui
qui fuyait obstinément les honneurs et les démonstrations tapageuses.
Arrivés à Ferrara, Charles de Lorraine fut reçu, une fois
de plus avec grande pompe par le Duc, qui l’emmena dans son Palais. S’en était
trop pour l’archevêque de Braga qui, malgré les instances de son hôte, préféra
continuer tout seul le voyage et aller passer la nuit, incognito, chez les
Dominicains de la ville. Mais l’archevêque de Reims, qui aimait beaucoup Dom
Barthélemy et connaissait sa grande humilité, ne put s’empêcher d’envoyer l’un
de ses serviteurs avertir le Prieur dudit couvent, le renseignant ainsi sur
l’identité du personnage qu’il hébergeait.
Et, bien malgré lui, le “saint Archevêque” dut recevoir
les honneurs dus à sa qualité dans la hiérarchie ecclésiastique.
Les deux archevêques poursuivirent chacun sa route, mais
jamais trop éloignés l’un de l’autre, ce qui donna occasion à d’autres farces
amicales subies par l’archevêque de Braga, de la part de son ami de Reims.
Ainsi, à Sienne, où Dom Barthélemy s’était arrêté pour
visiter les reliques de sainte Catherine, conservées dans le couvent des
Dominicains, il fut de nouveau “dénoncé” par le Cardinal de Lorraine, qui vînt
lui-même, dans ledit couvent et révéla au Prieur l’identité de son hôte.
Cela prouve que l’illustre Cardinal-archevêque de Reims,
ami sincère et dévoué, avait aussi un esprit frondeur, franchement gaulois.
Arrivés à Rome, ils furent, chacun à son tour, reçus par
le Pape Pie IV, pouvant ainsi parler librement et exposer leurs problèmes
respectifs.
Le premier à être reçu par le Souverain Pontife, fut
Charles de Lorraine qui, fit au Pape un éloge accentué de son ami portugais, ce
qui eut pour résultat de déclencher chez le Pape, soit par curiosité, soit par
un vrai intérêt, une grande envie de rencontrer ce pauvre moine qui fuyait
obstinément les honneurs et les démonstrations honorifiques.
Alors, Pie IV envoya à Dom Barthélemy une invitation, le
priant de venir le rencontrer et le félicita pour son action relevée au Concile
de Trente. A la fin de cet entretien, le Pape l’invita à participer à une
réunion qui se tiendrait à Rome et où il serait question de régler quelques
affaires inhérentes au Concile. Dom Barthélemy accepta, bien entendu, cette
invitation et, une fois de plus il se distingua par sa sagesse et ses
connaissances théologiques et canoniques.
Toujours dans la Ville Éternelle, Dom Barthélemy fut
victime des farces de Charles de Lorraine, toujours pour ce qui concerne
l’hébergement. Mais, jamais l’archevêque de Braga le prit mal, jamais il ne
protesta contre les actions facétieuses de l’archevêque de Reims, car leur
amitié était grande et Dom Barthélemy aimait vraiment fraternellement
l’archevêque de Reims.
Toujours accompagné de son farceur de collègue rémois,
l’archevêque de Braga visita les sept églises de Rome, spécialement celles
auxquelles étaient attachées des indulgences. Puis, toujours ensemble, ils
visitèrent, sur le chemin de retour, la sépulture de saint François, à Assise et
enfin Notre-Dame de Lorette, où tous les deux, ils terminèrent leur pèlerinage.
Ensuite, ce fut l’arrivée à Trente, le 31 octobre, pour la reprise du Concile.
Plus tard, en parlant de l’archevêque de Braga, Charles de
Lorraine dira, comme en hommage : « L’archevêque de Braga, toujours brûlant
du zèle du Seigneur, transforma ma tiédeur en vive flamme ». Bel hommage !
Revenu au Concile, Dom Barthélemy y parla de ses
entretiens avec le Pape, ne tarissant pas d’éloges à son égard, ainsi que sur le
neveu de celui-ci, Charles Borromée, qui deviendra son imitateur, et que
l’Église universelle plaça depuis sur les autels.
Le Concile reprit ses travaux. On y rediscuta des divers
problèmes en suspens, et bien entendu la Réforme de l’Église, en commençant par
la réforme des ecclésiastiques. Ces réformes n’étaient pas du goût de tous, et
ils le faisaient entendre. Il fut même demandé si lesdites réformes concernaient
les Cardinaux, à quoi, Dom Barthélemy répondit avec un humour tout particulier,
par cette tirade désormais célèbre dans l’histoire de ce Concile :
“M’est avis que leurs
Illustrissimes Seigneuries ont grand besoin d’une illustrissime réforme !”
Lors de la 8e et avant-dernière session, qui
dura dix heures, on y parla du Sacrement de Mariage.
La 9e et dernière session eut lieu le 3
décembre et se termina le 4 du même mois, l’année 1563.
Ce fut pendant l’une de ces dernières sessions que le
Cardinal de Lorraine, touché certes par la grâce, s’exclama hardiment :
“Qui accuserons-nous, mes frères
évêques ? Qui dirons-nous avoir été auteurs d’un si grand mal ? Il ne nous le
faut, et ne le pourrons dire et confesser sans notre propre honte et vergogne,
et avec grande repentance de notre vie passée. À cause de nous, la tempête et
l’orage sont venus, mes frères, et pour ce jetez-nous à la mer. Que le jugement
commence à la Maison de Dieu, et que ceux qui portèrent les vases du Seigneur
soient purgés et réformés !”
Ainsi prenait fin le Concile de Trente — important s’il en
fut ! — qui avait duré, à cause de toutes les interruptions qu’il souffrit,
dix-huit ans.
Le 26 janvier 1564, Pie IV publia la Bulle Benedictus
Deus, qui confirmait tous les Actes dudit Concile.
Il ne restait plus, maintenant, aux Pères conciliaires
qu’à mettre en œuvre toutes les décisions prises et promulguées, dont, par
exemple, la création de séminaires et la résidence des évêques dans leurs
diocèses respectifs, ce qui n’était pas toujours le cas, aussi bien au Portugal
qu’en France, et dans les autres pays catholiques.
Dans notre diocèse de Reims, ces cas furent très
fréquents, même après le Concile tridentin — quoi que moindres !
Deux ans après le Concile de Trente, Pie IV rejoignit la
Maison du Père. Son successeur, Pie V, un saint Pape, élu en 1566, sera le vrai
héraut de la mise en œuvre des décisions conciliaires. Du Catéchisme au
Missel, en passant par le Bréviaire, il mit en place des règles et
des instruments qui permirent une vraie Réforme catholique, lesquelles
persistèrent, pendant quatre siècles, jusqu’au récent Concile du Vatican II.
Le Concile terminé, tous les Pères conciliaires
regagnèrent leurs pays d’origine.
Il y avait ceux qui, comme Charles de Lorraine et Dom
Barthélemy de Braga, étaient décidés à tout mettre en œuvre afin que les
décisions prises à Trente soient mises en pratique. Il y avait d’autres, comme
les évêques espagnols qui étaient plutôt réticents envers toute cette
réformation, particulièrement ce qui touchait l’état ecclésiastique.
Dom Barthélemy repris le chemin de Braga, toujours à pied,
comme à son habitude. Il était accompagné par un autre évêque portugais, celui
de Leiria. L’ambassadeur du Portugal les accompagna pendant la traversée de
l’Italie et de la France. Ils se quittèrent à Narbonne.
Le "saint" archevêque continua sa route, accompagné de sa
petite escorte et décida de visiter quelques lieux célèbres, dont Barcelone et
Monserrat. Il dut même rencontrer Philippe II d’Espagne qui avait envoyé
au-devant de lui l’un de ses représentants, pour le saluer.
Il arriva à Saragosse le 1er février et y
visita l’église dédiée à Notre-Dame du Pilar, connue par une colonne qui s’y
trouve et qui, selon la tradition aurait servi de piédestal à la Vierge, lorsque
Celle-ci apparut à l’Apôtre Jacques, évangélisateur de l’Espagne.
Après ces quelques visites, il entra au Portugal, où il
arriva le 23 février, aux limites même de son archidiocèse. Il profita pour
visiter un certain nombre de paroisses qui étaient sur son chemin. Il y était
reçu par de grandes manifestations de foule, heureuse de voir revenir “de si
loin” leur bien-aimé Pasteur.
Lorsque les habitants de Braga eurent connaissance de la
prochaine arrivée de leur archevêque, ils lui préparèrent une immense
manifestation, comme les gens du Nord du Portugal seuls savent faire. Dom
Barthélemy l’ayant appris, pressa son pas et arriva plutôt que prévu et de nuit,
pour éviter, une fois encore ces honneurs et ces fêtes qui allaient à l’encontre
de son humilité et de son caractère.
Il y arriva lors de la quatrième semaine de Carême. Le
dimanche qui suivit son arrivée, la cathédrale se remplit, ainsi que son parvis
et les rues adjacentes. Tous voulaient voir leur archevêque, arrivé tout auréolé
de ses succès conciliaires.
Le Jeudi-Saint, à douze pauvres qu’il avait invités à sa
table, après leur avoir fourni les habits dont ils manquaient, il leur lava les
pieds, avec beaucoup de solennité, répétant ainsi le geste que le Christ avait
fait la veille de sa crucifixion.
Il fallait donc, maintenant mettre en pratique les
consignes conciliaires. Pour ce faire, Dom Barthélemy convoqua un Synode
diocésain et, ayant avec lui tout le clergé, il fit lire lesdits Décrets, afin
que tous en prennent connaissance. Il était urgent, selon lui, de passer de la
parole aux actions, comme il l’écrivait à son ami, le cardinal Charles
Borromée :
“Maintenant il ne nous reste plus
qu’à nous employer, avec le plus grand zèle, à mettre en pratique ce qui a été
décrété.”
Malgré son activité débordante, malgré son zèle
incomparable, les Décrets tridentins, comme dans d’autres diocèses et d’autres
pays, ne furent pas toujours bien acceptés, car ils privaient un certain nombre
d’ecclésiastiques, particulièrement les chanoines, de quelques bénéfices
auxquels ils étaient habitués, et dont ils ne voulaient pas s’en départir.
Certains de ses chanoines firent même appel au Pape et au Régent du Portugal, le
cardinal Prince Dom Henrique. Mais cela ne servit à rien : les Décrets devaient
être respectés et exécutés conformément aux directives conciliaires.
À la fin, la paix revint et tous — ou presque — suivirent
leur archevêque dans cette grande œuvre qu’il fallait mener à bien.
L’activité de l’archevêque était constante. Il s’informait
de l’état des orphelines et des veuves ses protégés ; il visitait l’hôpital, la
maison des prêtres âgés ; de la marche du Collège Saint-Paul qu’il avait donné
aux Pères Jésuites avant son départ pour le Concile.
Il s’intéressait aux travaux du Couvent de Viana, mais
aussi et surtout aux résultats déjà obtenus dans cette ville, du point de vue
religieux.
Les églises de sa ville archiépiscopale, qui étaient fort
nombreuses, furent visitées, l'une après l'autre. Ensuite, il reprit ses visites
pastorales dans le diocèse. Les fruits de ces visites furent nombreux et
retentissants, car de nombreuses conversions s’opérèrent alors parmi le peuple.
Après avoir convoqué le Synode diocésain, et afin de
suivre les consignes de Trente, il convoqua un Concile Provincial où se
rendirent tous les dignitaires des diocèses concernés. On y parla du Concile et
de ses Décrets, dont l’application devait devenir le souci constant de chaque
évêque. Cela ne se passa pas sans heurts, mais tous, finalement y souscrirent et
cherchèrent à les mettre en pratique.
Une autre consigne tridentine demandait aux évêques de
créer dans leurs diocèses un séminaire, pour la formation des candidats à la
prêtrise. Dom Barthélemy y réfléchit et décida de donner suite à cette
instruction. Le Séminaire de Braga, l’un des plus florissants du Portugal,
pendant des siècles — on appelait Braga la Rome du Portugal ! — fut inauguré en
1572.
Mais le bon archevêque commençait à se sentir fatigué.
L’austérité de sa vie, les travaux entrepris avaient atteint sa robustesse et sa
santé. Il pensa alors pouvoir bénéficier d’une retraite bien méritée. Un
événement politique vint précipiter cette aspiration bien légitime.
Le Régent du Royaume, le cardinal Prince Dom Henrique –
ancien archevêque de Braga – décéda le 31 janvier 1580, sans avoir de
successeur, léguant le gouvernement du Portugal à une junte qu’il avait lui-même
nommée un an auparavant.
Philippe II d’Espagne qui depuis bien longtemps déjà avait
des vues sur le pays voisin, profita pour l’envahir et le
conquérir. Il y eut
bien de la résistance, mais que peuvent faire quelques milliers de soldats mal
armés et indisciplinés contre 20.000 hommes disciplinés, bien entraînés et,
commandés par le duc d’Albe ?
Le Portugal devint — pour soixante longues et douloureuses
années — province espagnole.
Pour asseoir son autorité, le Roi espagnol convoqua les
Cortes à Tomar, au Portugal, pour s’y faire reconnaître. Elles s’y réunirent le
16 avril 1581. Le monarque prêta serment sur le Missel que tenait entre les
mains Dom Barthélemy.
À la fin des Cortes, l’archevêque de Braga se présenta au
Roi et lui demanda d’être relevé de ses fonctions, ce qui fut accepté. Il envoya
ensuite à Sa Sainteté Grégoire XIII, une lettre, datée du 5 mai de la même
année, où il lui demandait à être relevé de sa charge épiscopale. Le Pape accéda
à sa demande et Dom Barthélemy, dès l’arrivée de son successeur, se retira dans
le Couvent de Viana do Castelo, qu’il avait fait construire, et y décéda le 16
juillet 1590, âgé de 76 ans.
La
sépulture du Bx Barthélemy des Martyrs, à Viana do Castelo, église du
couvent des dominicains. |
Inhumé devant le maître-autel de l’église du couvent, il
continua son évangélisation mouette auprès des nombreux pèlerins qui, de toutes
les régions du Portugal affluaient auprès de sa tombe.
“Dom Frei Barthélemy des Martyrs, qui gouverna pendant
vingt-deux ans le plus grand diocèse, qui participa au Concile de Trente,
était, à l’âge de soixante-sept ans, épuisé, fatigué, vieux et malade, et de
surcroît manquant de mémoire. Ce fut, basé sur toutes ces raisons, qu’il demanda
à être relevé de ses fonctions, et que cette requête fut acceptée.
On ne peut pas nier — affirme Mgr Ferreira —
qu’il ait été un Archevêque laborieux, un travailleur infatigable quant à
l’instruction et à la réforme du clergé. Il fut un apôtre fervent, brûlant de
zèle pour le salut des âmes, suivant sa devise : Ardére et Lucére.”
Quant à Charles de Lorraine, notre illustre archevêque,
après avoir fondé le séminaire de Reims, et accompli dans son diocèse plusieurs
et éminentes réformes, il décéda à la fin de l’année 1574, âgé, lui, de 50 ans.
Son corps fut déposé à la Cathédrale Notre-Dame de Reims, qu’il avait beaucoup
aimée et extraordinairement bien servi.
Alphonse ROCHA
● ● ●
NOTES
|