Dans
le
pays
des
Sabins,
au
.pied
des
Apennins,
du
côté
du
midi,
on
trouve
une
vallée
charmante
qui
est
comme
le
cœur
de
toute
l'Italie.
Là
s'élève
la
cité
de
Rieti,
au
milieu
d'une
campagne
fertile,
parsemée
de
riches
collines
et
arrosée
de
très belles
eaux.
C'est
dans
cette
ville,
où
l'on
conserve
religieusement
le
corps
de
sainte
Barbe,
où
saint
Dominique
fut
canonisé
par le
pape
Grégoire
IX,
que
naquit,
d'une
famille
honnête
et
de
parents
très chrétiens,
la
bienheureuse
Colombe.
Elle
vint
au
monde
en
1477,
le
jour
même
de
la
Purification
de
la
très sainte
Vierge,
un
peu
avant
le
lever
du
soleil.
Son
père
s'appelait
Ange
Antonio,
et
sa
mère
n'est
connue
que
par
son
nom
de
baptême
qui
était
Jeanne.
Mariée
de
très
bonne
heure,
Jeanne
n'avait
encore
que
quinze
ans
lorsqu'elle
reçut
pour
elle
et
son
époux
ce précieux
don
du
ciel.
Du
reste,
ils
méritaient
tous
deux
d'avoir
une
telle
fille
car
ils
semblaient
ne
vivre
que
pour
faire
du
bien.
Leur
charité
était
si
ardente,
qu'après
avoir
épuisé
leurs
propres
ressources,
ils
allaient
mendier
pour
subvenir
aux
besoins
des
malheureux.
L'enfant
reçut
au
baptême
le
nom
d'Angolella,
petit
ange,
parce
que
des
anges,
tenant
un
cercle
d'or
surmonté
de
sept
flambeaux
lumineux,
avaient
apparu
à
sa
naissance
mais
comme
une
colombe
s'était
reposée
sur
sa
tête
pendant
la
cérémonie
sacrée,
on
la
nommait
plus
familièrement
Colombe.
Le
père
et
la
mère
eurent
beau
s'y
opposer
le
peuple
témoin de
ce
prodige
lui
conserva
ce
nom,
qui
lui
en
rappelait
le
souvenir.
Dès
sa
première
enfance
elle
mena
une
vie
mortifiée,
couchant
sur
la
dure,
se
faisant
de
petits
cilices
des
morceaux
de
crins
qu'elle
trouvait,
fréquentant
les
églises,
où
elle
récitait
les prières
avec
une
piété
si
tendre,
et si
extraordinaire
à
cet
âge,
qu'elle
arrachait
des
larmes
à ceux
qui
en
étaient
témoins.
Elle
apprit
à
lire
avec les
Dominicaines
de la ville,
et
s'étant
procurée
le
petit
office
de
la très sainte
Vierge,
elle le
récitait
chaque
jour.
La
bienheureuse
Colombe
observait
très exactement
les
jeûnes
de
l'Église,
encore
qu'elle
n'eût
guère
plus
de
huit
à
dix
ans.
Elle
jeûnait
pendant
l'Avent,
le
Carême,
les
Quatre-Temps,
aux
vigiles
des
têtes.
Ell
portait
constamment
une
chemise
de
laine
avec
une
ceinture
de
corde
parsemée
de
gros
nœuds.
Où
avait-elle
pris
cet
amour
précoce
des
austérités ?
Dans
la
vie
de
sainte
Catherine
de
Sienne,
qu'elle
lisait
chez
les
Dominicaines,
et
qui
faisait
ses
délices.
Elle
aimait
cette
grande
sainte,
dont
le
souvenir
n'était
pas
éloigné
de
plus
d'un
siècle ;
elle
voulait
l'imiter,
et
comme
aucun
obstacle
ne
venait
s'opposer
à ces
inspirations
de
la
grâce,
elle
parvenait
à
retracer
en
elle
quelques-unes
de
ses
vertus.
Les parents de
Colombe, quoique issus de familles opulentes, n'étaient pas riches;
c'est pourquoi ils faisaient un petit commerce pour vivre, ou du
moins pour se procurer les moyens d'élever et d'établir leurs
enfants. Mais, à défaut de biens temporels, ils en avaient de
beaucoup plus estimables ; nous voulons dire qu'ils avaient de
bonnes mœurs, une religion pratique, et même de la piété ce qui ne
contribua pas peu à la sainteté de leur chère enfant car ce sont
d’ordinaire les parents qui, par leurs façons et leurs exemples,
font naître les vertueuses inclinations ensuite vient la grâce qui
perfectionne les heureux penchants de la nature. Jeanne, en bonne
mère, eut soin d'inspirer de très bonne heure à sa fille l'amour du
travail et de lui apprendre les divers genres d'industries qu!il
importe aux femmes de connaître. Dès l'âge de huit à dix ans, les
soins du ménage lui étaient familiers elle savait remplir tous les
offices domestiques, et faire plusieurs travaux manuels, comme
coudre, filer, et confectionner tout ce qui était nécessaire à sa
parure. Ses talents précoces étaient accompagnés des plus charmantes
qualités elle était belle, sage et modeste nous ne savons quel air
de sainteté reluisait sur son visage, dans sa démarche et tout son
maintien ce qui la rendait extrêmement agréable, et inclinait vers
elle tous les cœurs. On eût difficilement trouvé un caractère aussi
doux et une humeur aussi égale elle ne savait dire que des choses
aimables, et ne se permit jamais la moindre parole qui pût blesser
ou contrister qui que ce fût. Parfaitement obéissante à ses parents,
elle s'acquittait de tout ce qui lui était enjoint avec autant de
promptitude que de prudence, ce qui ne contribuait pas peu à les
rendre joyeux et contents. Aussi l'aimaient-ils de l'amour le plus
tendre, et ne cessaient-ils de remercier la divine Providence du don
qu'elle leur avait fait de cette incomparable enfant.
Lorsqu'on
l'envoyait à la campagne avec les jeunes filles du voisinage, soit
pour travailler à la vendange, soit pour cueillir des herbes de
teinture dont on faisait un assez grand commerce dans ce pays, sa
tenue n'avait rien de commun avec celle de ses compagnes. Au lieu de
prendre part à leurs chants et à leurs vains propos, elle gardait le
silence, s'occupant intérieurement à converser avec Dieu, ce qui,
sans nuire à son travail, contribuait singulièrement à son
avancement spirituel et mettait à couvert la pureté de son âme.
C'est ainsi qu'ennemie de l'oisiveté, la jeune Colombe imitait la
femme forte, que l'Esprit-Saint dépeint au livre des Proverbes,
enchérissant sa maison des fruits de son travail. Elle faisait, en
effet, le métier de journalière pour secourir sa famille; il est
vrai que ses parents n'exigeaient aucun salaire de ceux j~ni
l'employaient à travailler pour eux; mais ils recevaient ce que
ceux-ci leur offraient par reconnaissance et ces petits présents
valaient plus que le salaire accoutumé, parce que sa bonne conduite
~t sa rare dextérité la faisaient rechercher de tout le monde. Du
reste, ces bonnes gens n'étaient pas dominés par la cupidité leur
vêtement était simple, leur nourriture frugale, et, contents de
pourvoir aux besoins du jour, ils laissaient à Dieu le soin du
lendemain. De cette manière, ils pouvaient venir encore au secours
de l'indigence et ce qu'ils mettaient en réserve, ils le versaient
de bien bon cœur dans le sein des malheureux. Non contents de donner
leur argent, ils employaient volontiers leur temps aux œuvres de la
piété et de la miséricorde ainsi Colombe et sa mère lavaient,
cousaient et restauraient par charité les vêtements des religieuses
et des novices de la communauté de Saint-Dominique. Les pauvres
religieux ne se présentaient point dans leur maison sans en emporter
quelques aumônes plus ou moins abondantes. Elles prirent surtout un
soin particulier du Père Jacques de Tiferne, qui fut leur
confesseur, ou du moins celui de la pieuse Colombe, pendant les
treize ans qu'il passa à,Rieti, chargé du gouvernement spirituel du
couvent de Saint-Dominique le Père Ange de Pérouse eut aussi
beaucoup de part à leurs bienfaits. Mais leur charité ne se bornait
pas à faire du bien à ceux qui venaient leur demander l'aumône,
elles allaient à la recherche des vieillards, des infirmes et des
malades, portant avec elles du pain, des œufs, de la viande, du
bouillon et du vin et lorsque leurs ressources étaient épuisées,
elles réclamaient à leur tour la charité d'autrui, pour continuer
leurs bonnes œuvres. A force de donner, il arrivait quelquefois
qu'elles se trouvaient elles-mêmes réduites à la misère et alors la
pieuse mère disait à sa sainte fille, les larmes aux yeux « Colombe,
il faut nous résoudre à jeûner aujourd'hui, car il n'y a plus de
pain à la maison ». Colombe à cette nouvelle allait faire oraison au
pied d'un autel qu'elle avait dans sa chambre; et bientôt arrivaient
ou quelques aumônes envoyées par des femmes riches, ou quelques
pièces de monnaie qui leur étaient dues pour leur travail en sorte
qu'elles pouvaient pourvoir à leurs propres besoins et continuer à
secourir ceux des autres.
La Bienheureuse
avait à peine douze ans, et déjà elle brûlait du désir de consacrer
à Dieu sa virginité. Une nuit qu'elle priait au pied d'un petit
autel élevé dans sa chambre, Notre-Seigneur lui apparut, assis sur
un trône magnifique il avait à ses côtés les apôtres saint Pierre et
saint Paul, saint Jérôme, tenant un livre en main, et saint
Dominique. A cette vue, la Bienheureuse, transportée de joie et
d'admiration, s'écria « Donnez-moi, Seigneur, votre bénédiction ».
Et après que le Seigneur l'eut bénie, elle le pria d'agréer le voeu
qu'elle faisait entre ses mains de garder une virginité perpétuelle.
Notre-Seigneur
accepta l'offrande de sa servante avec la bonté d'un père il lui
remit le livre que tenait saint Jérôme, et qu'elle garda toute la
nuit en la quittant, il laissa sa chambre embaumée d'un parfum du
ciel. La Bienheureuse avait un jeune frère qu'elle aimait
particulièrement et qui tout petit disait d'elle et de lui « Colombe
sera religieuse et moi je serai religieux ». Il fut reçu, en effet,
à l'âge de dix ans, chez les Dominicains. Peu de temps' après, la
Bienheureuse obtint la faveur de pouvoir prononcer au pied des
autels, chez les bonnes religieuses de Saint-Dominique, le vœu
d'entrer en religion. Quelques jours après, elle eut une vision elle
fut conduite en esprit dans l'église de Sainte-Scholastique, où deux
anges lui remirent, à son frère et à elle, devant l'autel j~e la
très sainte Vierge, une ceinture d'une blancheur éclatante que
chacun d'eux tenait à la main. C'était une marque de la pureté
qu'ils avaient promis de garder et un secours contre les assauts du
démon. A deux mois de là, le frère de la Bienheureuse mourut, allant
recevoir au ciel la couronne qu'il avait si promptement acquise.
Cependant la
beauté de la Bienheureuse l'avait fait demander en mariage par un
jeune homme fort riche de Rieti ses parents, éblouis par la grandeur
de cette alliance, y consentirent facilement et essayèrent d'y
gagner leur fille. Ils lui parlèrent de la nécessité de s'établir
dans le monde, sans toutefois lui parler ouvertement de l'engagement
qu'ils avaient pris. Ils prirent jour avec le jeune homme pour la
remise des cadeaux de fiançailles, et le fixèrent au lendemain.
Pendant la nuit, deux religieux de l'Ordre de Saint-Dominique
apparurent à la Bienheureuse et lui dirent « Aussitôt qu'il fera
jour, hâtez-vous d'aller à la montagne de Saint-Maron, vous y
trouverez une religieuse qui vous avertira d'un danger qui vous
menace. Le matin, la Bienheureuse pria sa mère de l'accompagner à
l'église de Saint-Maron sur la montagne. Comme elle la précédait de
quelques pas, elle aperçut une religieuse qui lui dit « Vos parents
vous ont promis en mariage, et vos fiançailles doivent se faire
aujourd'hui. Si vous voulez être fidèle à l'Époux éternel,
armez-vous de courage et coupez vos cheveux ». Après ces paroles, la
religieuse disparut.
La Bienheureuse
entra dans l'église, et, s'y étant confessée, elle demanda conseil à
son directeur sur l'avertissement qui lui avait été donné. Cet homme
de Dieu, qui connaissait sa vocation, approuva le moyen qu'on lui
avait suggéré. « Sainte Catherine de Sienne, lui dit-il, s'est coupé
les cheveux dans une occasion semblable; faites de même et recourez
à la prière ».
Le soir, le jeune
homme se présenta, apportant une riche ceinture pour sa fiancée,
selon l'usage du pays. La Bienheureuse demanda quelques instants
pour réfléchir à l'alliance qu'on lui proposait elle monta sur la
terrasse de la maison, où elle coupa ses cheveux, qu'elle remit
ensuite à sa famille, en disant qu'elle ne voulait point avoir
d'autre époux que Jésus-Christ. On conçoit assez la confusion du
jeune homme et la colère de ses parents. Ils accablèrent la
Bienheureuse de reproches et d'injures, mais pendant la nuit
Notre-Seigneur lui apparut et la' consola. Il était accompagné de
sainte Catherine de Sienne, qui soutint sur son bras la tête
fatiguée de la jeune fille. « Ne crains rien, lui dit-elle, tu seras
religieuse de mon Ordre, ainsi que tu le désires ».
Cette nuit-là
même, le jeune homme qui la recherchait eut une vision. Il la vit
entrer dans sa chambre, magnifiquement parée et couronnée, comme on
l'est au jour de ses noces mais au moment où elle s'approchait, sa
couronne tomba et il la vit défaillir en sorte qu'elle lui semblait
morte. Il alla le matin consulter un théologien célèbre. Cette jeune
fille est promise à Jésus-Christ, lui répondit le théologien, et
Notre-Seigneur n'agrée pas que vous soyez son rival. 11 a voulu vous
prévenir par cette vision que si Colombe manquait à sa promesse,
elle mourrait bientôt ». Le jeune homme alla donc retirer la parole
qu'il avait donnée aux parents de la Bienheureuse. Peu après il
mourut lui-même au retour d'un voyage qu'il avait, fait à Rome.
Cependant les
parents de la Bienheureuse rentrèrent en eux-mêmes et curent honte
de disputer leur fille à Notre-Seigneur; son père lui donna même une
petite chambre où elle pouvait se livrer en paix à ses exercices
religieux. Elle commença donc à mener une vie plus retirée, plus
austère encore qu'elle n'avait fait jusque-là. Elle ne mangeait
guère que des fruits, peu de pain, et encore finit-elle par s'en
abstenir entièrement. La sainte Eucharistie était presque sa seule
nourriture; mais ce Pain divin soutenait ses forces et son courage.
Toutes les nuits elle se flagellait trois fois avec une discipline
formée de cinq chaînettes de fer la première fois pour l'expiation
de ses péchés, la seconde pour la conversion des pécheurs, la
troisième pour les pauvres âmes du purgatoire. Elle passait ses
nuits presque tout entières en oraison. Les anges alors venaient la
visiter et s'entretenir avec elle. Dieu la favorisa en ce temps de
plusieurs extases dont le souvenir nous a été conservé par le Père
Sébastien do Pérouse, son confesseur.
« Un jour qu'elle
était en oraison, Notre-Seigneur lui représenta toutes les
souffrances qu'il avait endurées dans sa passion. Elle le vit an
jardin des Oliviers, chez Anne et Caïphe, puis au tribunal de Pilate
mais quand les bourreaux lui lièrent les mains pour la flagellation,
qu'elle entendit les coups de fouet et vit couler ce sang adorable,
sa douleur devint si vive, qu'elle commença à se flageller elle-même
cruellement pour prendre part au supplice du divin Époux. Sa mère;
qui couchait dans une chambre voisine, réveillée par le bruit des
coups qu'elle se donnait; se leva en pleurant, et, accourant à la
porte de sa chambre; elle lui cria « Ma fille, que faites-vous ?
Pourquoi voulez-vous vous détruire ? » Mais la bienheureuse ravie en
extase, ne pouvait entendre sa voix.
« Une autre fois,
pendant qu'elle assistait au saint sacrifice, ayant aperçu au-dessus
du calice son Jésus attaché à la croix, pâte et défiguré, le côté
ouvert et la tête couronnée d'épines, la compassion qu'elle en eut
la fit tomber par terre et la réduisit à une sorte d'agonie. Cette
défaillance se prolongeant, on avertit son confesseur, qui vint
auprès d'elle. Alors la Bienheureuse lui dit Priez pour moi, mon
père, afin que je ne voie plus ce déchirant spectacle car je suis
persuadée que si je le vois encore, je mourrai de douleur.
Cette sainte
fille avait aussi de fréquentes extases pendant lesquelles son
corps, privé de l'action de son âme, demeurait comme dans un état de
mort. Il y avait déjà longtemps que cela lui arrivait à l'insu de sa
mère, lorsqu'un jour celle-ci, étant entrée dans sa chambre, la
trouva en cet état surnaturel qui lui était ~.out à fait inconnu.
Colombe était couchée sur son autel, comme une personne endormie. Sa
mère l'ayant soulevée, pour la réveiller, elle roula par terre et y
resta étendue sans donner aucun signe de vie. Sa mère la croyant
morte, poussa des cris déchirants qui firent accourir les voisines.
Ces femmes, persuadées, à leur tour qu'elle avait cessé de vivre,
crièrent vengeance contre son confesseur qu'elles accusaient de de
l'avoir tuée à force d'abstinences et d'austérités. L'irritation
devint si vive, qu'elles parlaient d'aller lui faire un mauvais
parti, lorsque Colombe revint fort heureusement à elle-même.
Depuis ce
jour-là, ses extases ne furent plus secrètes, et les parents et les
voisins né tardèrent pas à s'apercevoir que le confesseur n'était
pour rien dans ces états extraordinaires, qui ne pouvaient venir que
d'un principe surnaturel. Le travail assidu auquel cette sainte &Me
se livrait, ne mettait aucun obstacle à sa contemplation habituelle.
Souvent, en tissant sa toile, ses mains tombaient sur le métier, et
elle demeurait immobile pendant plusieurs heures dans un état
extatique. Les femmes du voisinage, prévenues par sa mère,
accouraient à ce spectacle, et ne pouvaient revenir de leur
étonnement, en la voyant aussi dépourvue de mouvement que si elle
eût été changée en pierre. La même chose lui arrivait encore,
lorsque, occupée à coudre ou à filer, quelqu'un venait à parler ou à
la faire parler des choses de Dieu.
Une femme; qui
avait chargé Colombe de lui fabriquer une pièce de toile, venait
méchamment se plaindre à sa mère de la lenteur qu'elle y mettait, et
faisait grand bruit tout exprès pour attirer des reproches à cette
sainte fille. La mère, qui n'apercevait pas le mauvais dessein de
cette femme, pressait la pauvre Colombe, exigeait d'elle un travail
impossible, et, mécontente de ne pas l'obtenir, l'accablait de
reproches, en disant : « Je vous ai offert un époux, et vous l'avez
méprisé. Je vous charge de procurer quelque profit à la maison, et
vous aimez mieux demeurer à ne rien faire. Je vous dis, ma fille,
que vous devez travailler. Faites en sorte de m'obéir.
Ces reproches
étaient on ne peut plus injustes; car elle était continuellement en
action, autant que Dieu lui en laissait le pouvoir. Cependant, elle
ne disait pas un seul mot pour sa défense. Dieu, content de sa
patience, voulut l'en récompenser. Un jour qu'elle venait d'être
ainsi grondée par sa mère, Jésus lui apparut à la fenêtre de sa
chambre qui donnait sur la rue, et lui dit Colombe, suivez-moi.
Transportée de joie et comprenant parfaitement ce que son Bien-imé
voulait d'elle, Colombe dit à sa mère avec autant de douceur que
d'humilité.
« Ma bonne mère,
il est indubitable que Jésus-Christ a droit d'être obéi de
préférence à mes parents. Je le suivrai donc toutes les fois qu'il
m'appellera, sans m'inquiéter du travail que vous m'aurez chargée de
faire. Je vous conjure, ma mère, de prendre en patience ces
résistances apparentes à vos volontés, et de ne point être hostile à
ce Dieu tout aimable. A quoi bon tant de sollicitude pour les choses
de la vie ? Ne vaut-il pas mieux travailler pour le ciel ? » Du
reste, il était fort rare que cette sainte fille se permît de donner
des avis à sa mère. Mais, en revanche, elle le faisait souvent aux
voisins qu'attirait auprès d'elle le charme de ses pieuses
conversations et peut-être plus encore celui de ses bons exemples.
Voici maintenant
une autre merveille que Dieu fit en sa faveur. Après avoir longtemps
désiré de contempler les Lieux-Saints et conjuré le Seigneur de lui
faire cette grâce, elle eut un ravissement qui dura cinq jours,
pendant lesquels elle fut conduite à Jérusalem et dans le reste de
la Palestine, où Notre-Seigneur lui montra tous les lieux consacrés
par sa vie et par sa mort. Elle voyait aussi aux jours de ses fêtes
les mystères dont l'Église célébrait la mémoire ainsi la nuit de
Noël, Notre-Seigneur lui apparaissait couché dans sa crèche entre
l'âne et le bœuf, pendant que la très sainte Vierge et saint Joseph
se tenaient à genoux devant lui, et que les anges chantaient le
Gloria in excelsis. A l'Epiphanie elle vit l'étoile qui guidait
les Mages; son confesseur étonné aperçut un globe de feu sur sa
maison et lui en demanda la cause Ce matin, dit-elle, j'ai prié mon
doux Maître de me faire voir l'étoile qui conduisait les Mages de
leur pays jusqu'à Bethléem tout aussitôt elle m'est apparue,
répandant dans ma chambre une splendeur extraordinaire et en
disparaissant, elle l'a laissée embaumée du parfum le plus
délicieux.
Le dimanche de la
Passion de l'an 1486, la Bienheureuse obtint enfin de ses parents la
permission d'entrer dans le Tiers Ordre de Saint-Dominique. Un
oncle, qui, à cause de ses richesses, avait une grande autorité sur
sa famille, avait encore essayé ce jour-là de lui persuader de
rester dans le monde mais, vaincu par ses raisons et par ses
prières, il s'offrit de faire lui-même la dépense de sa prise
d'habit. Le dimanche suivant, qui était le jour des Rameaux, elle
prit donc ce saint habit de pénitence, avec une joie toute céleste
d'appartenir désormais entièrement à son Époux. Dieu commença en ce
temps à la glorifier par plusieurs miracles. Elle rencontre un jour
dans les rues de Rieti une pauvre femme qui pleurait de n'avoir pu
trouver du pain pour nourrir les vignerons qui travaillaient à sa
vigne; nul n'avait voulu lui en prêter. « Ayez bon courage, lui dit
la Bienheureuse, retournez chez vous et Dieu vous secourra ». Cette
femme, en effet, trouva, en rentrant, sur la table, douze grands et
beaux pains que Dieu lui avait envoyés à l'intercession de la
Bienheureuse.
Un soir qu'elle
faisait oraison, elle vit en esprit une troupe de Gibelins qui
mettaient le feu à une porte de la basse ville elle court aussitôt
dans la rue, en criant que les ennemis brûlaient la porte des Arcis.
Les habitants ne la voulurent point croire mais les flammes qui
s'élevèrent bientôt du faubourg leur firent regretter d'avoir
méprisé ses avertissements. Dans un pèlerinage qu'elle fit au
célèbre sanctuaire de Notre-Dame du Chêne, du della Quercia, près de
Viterbe, elle délivra une femme qui était possédée du démon. Les
magistrats de la ville, qui avaient déjà entendu parler de sa
sainteté, ayant appris ce miracle, résolurent de conserver pour eux
un si rare trésor; ils donnèrent donc l'ordre de placer partout des
gardes pour l'empocher de quitter leur territoire mais la
Bienheureuse, avertie par une inspiration du ciel, dit à ses
compagnes « Retirons-nous bien vite, il n'y a pas de temps à perdre
a. Elles purent s'échapper, en effet, avant que l'ordre des
magistrats n'eût été exécuté.
Au retour, la
Bienheureuse s'embarqua sur le lac de Piédtluco comme on était au
milieu de la traversée, le démon essaya de la faire périr en
suscitant une tempête. Elle en avertit ses compagnes « Nous sommes
menacées d'un grand danger, leur dit-elle, mais ne craignez rien,
Dieu est avec nous ». Cependant les vagues venaient se briser contre
la barque avec fureur, et les passagers tremblaient déjà pour leur
vie, lorsque la Bienheureuse, se levant, d'un regard rendit au lac
sa tranquillité.
Un habitant de
Rieti avait fait assassiner un riche marchand par deux paysans à ses
gages il fut condamné à mort. Sa femme et sa mère vinrent tout en
larmes supplier la Bienheureuse d'obtenir sa grâce par ses prières,
Touchée de pitié, elle alla voir cet homme et l'engagea à se
réconcilier avec Dieu. Quand il se fut confessé, elle lui dit Ayez
bon courage, vous .ne mourrez pas de cette fois. Cependant l'ordre
de l'exécution arriva le soir même et le juge décida qu'elle aurait
lieu le lendemain. La famille désolée revint supplier la
Bienheureuse. Soyez tranquilles, leur répondit-elle, je vous ai dit
qu'il ne mourrait pas. Quelques heures après, un nouveau courrier
apportait la grâce.
Elle reçut
plusieurs fois la sainte communion de la main de Notre-Seigneur et
de ses anges. Un jour que son confesseur disait la messe dans une
autre église que celle où elle l'attendait, elle pria la très sainte
Vierge de satisfaire le désir ardent qu'elle éprouvait de s'unir son
divin fils. Au bout de quelques instants, un prêtre vint à elle
tenant entre ses doigts le corps sacré de Jésus-Christ, et le lui
donna. « Pendant ce temps là, son confesseur, qui célébrait les
saints mystères, éprouvait une peine très vive de ne pas retrouver
dans le calice, au moment de la communion, le fragment de l'hostie
qu'il y avait déposé. Colombe revint à cette église pendant qu'il
achevait la messe, et le Père, après avoir déposé ses habits
sacerdotaux, lui fit part de son chagrin. Ne vous affligez point,
mon Père, lui répondit-elle, ce fragment de !a sainte hostie m'a été
apporté dans la cathédrale, par un ange, et il repose en ce moment
dans mon cœur. En ce cas, reprit le confesseur, je me réjouis de la
perte qui m'a causé tant d'inquiétude, et remercie Dieu de vous
avoir fait participante de ma communion ».
Un jour qu'elle
était en oraison, saint Dominique et sainte Catherine de Sienne lui
apparurent. Ils lui parlèrent d'abord du bonheur du ciel, puis ils
lui montrèrent une route large et droite, qui conduisait à une belle
église de Saint-Dominique. Sortez de Rieti, lui dirent-ils, et venez
à cette église, où vous trouverez tout ce qui est nécessaire à votre
perfection. La Bienheureuse, troublée de cet ordre de quitter sa
patrie pour s'en aller dans une terre lointaine, n'osait répondre.
Soyez sans crainte, ma fille, reprit saint Dominique, c'est au nom
de Jésus, votre Epoux bien-aimé, que je vous donne cet ordre. Il
vous attend lui-même dans l'église que vous voyez ne tardez pas à
vous y rendre. Du reste, nous serons avec vous l'un et l'autre pour
vous secourir dans tous vos dangers. Elle prévint donc ses parents
et ses amies de ce prochain voyage, dont elle ignorait le but. Une
grande tristesse s'empara de sa famille et se répandit dans la ville
de Rieti. Tout le monde lui en parlait en pleurant; mais elle
répondait Il faut qu'il en soit ainsi. Un jour, on aperçut au-dessus
de sa maison une comète étincelante qui se dirigeait vers Pérouse,
et on la regarda comme un présage de la perte dont Rieti était
menacée.
La veille de son
départ, qui était un jeudi du mois de septembre, elle réunit douze
de ses compagnes pour manger avec elle un agneau qu'elle leur avait
accommodé. Après le souper, elle voulut leur laver les pieds en
méditant les paroles du divin Maître après la Cène; puis elle leur
fit ses adieux en se recommandant à leurs prières. Le lendemain
vendredi, sa mère, ne la voyant pas paraître, fit briser la porte de
sa chambre, où elle ne trouva plus que ses habits couchés par terre
en forme de croix. Ses cris de douleur apprirent bientôt la funeste
nouvelle à tous les habitants de Rieti. La maison se remplit en un
moment de personnes qui pleuraient avec ses parents le départ
mystérieux de la Bienheureuse. Nul ne savait où elle était allée. On
avait couru aux portes et on s'était assuré qu'aucune n'avait été
ouverte pendant la nuit.
En ce moment, un
étranger, qui paraissait un mendiant, s'approcha de la pauvre mère
Femme, lui dit-il, votre cœur est en proie à une affliction bien
profonde. Comment le savez-vous, répondit-elle ? Je le sais ; mais
croyez-moi, ce qui est arrivé a été fait par Dieu. Sachez que votre
fille, appuyée comme elle l'est sur ce bâton, ne saurait tomber. Si
vous voulez vous y appuyer à son exemple, votre foi cessera dé
chanceler, comme elle l'a fait jusqu'à présent, et vous verrez la
main de Dieu dans tous ces événements extraordinaires.
Après ces
paroles, ajoute le confesseur de la Bienheureuse, cet homme
disparut, et je soupçonne qu'il n'était rien moins que le Seigneur
Jésus, qui, dans sa compassion, avait voulu fortifier et consoler
cette pauvre mère. Culte conversation adoucit en effet son chagrin
et lui communiqua une force qu'elle n'avait pas auparavant. Aussi
n'oublia-t-elle jamais ce que ce bon Maître avait daigné lui dire.
Qu'était
cependant devenue la Bienheureuse ? Écoutons-la raconter elle-même à
son confesseur les détails de cet événement mystérieux. « Ce
soir-là, lui dit-elle, je m'étais mise en oraison comme à mon
ordinaire, lorsque je me sentis dépouiller de mes vêtements
accoutumés, qui furent tout aussitôt remplacés par d'autres; mais
par qui fut faite cette double opération, c'est ce que j'ignore
entièrement. Je fus ensuite tirée hors de ma chambre, de la maison
et de la ville, mais par qui et de quelle manière, c'est ce que je
ne puis dire davantage, car je ne vis personne, et il ne me reste
aucun souvenir de ce qui se passa dans cet enlèvement. Je me
rappelle seulement que me trouvant tout à coup en vue d'une ville
(c'était Spolète), un homme vint à moi et m'invita à le suivre dans
une maison où sa femme et ses filles me donneraient volontiers
l'hospitalité M. M Ne sachant dans quel pays j'étais, j'acceptai son
offre avec reconnaissance. L'ayant donc suivi, il me mena dans une
maison éloignée de la route où je me trouvai seule avec lui. Un peu
inquiète de cet isolement, je lui demandai où étaient donc sa femme
et ses filles ? Attendez un peu, me dit-il, elles ne tarderont pas à
revenir. Mon inquiétude augmenta, mais que faire ? Cet homme ne me
perdait pas de vue, et il m'était impossible de lui échapper.
D'ailleurs j'espérais encore un peu voir paraître sa femme et ses
filles. C'était du moins pour moi l'objet d'un désir bien vif, mais
qui, hélas! ne devait pas être satisfait. Il n'y avait dans cette
triste maison ni femmes ni filles; c'était un repaire de monstres
plus redoutables que des voleurs et des assassins. Que faisaient-ils
là, c'est ce qu'il est à propos de vous apprendre. Dans ce temps-là,
une fille unique d'un seigneur napolitain, qui avait une charge dans
la province, s'était laissé enlever par un séducteur son père en ut
prévenir tous les magistrats des villes circonvoisines, leur
envoyant son signalement, et promettant à ceux qui l'arrêteraient
une forte récompense. Cette nouvelle étant venue à la connaissance
de quelques jeunes gens, ils résolurent de chercher cette fugitive,
dans l'intention de gagner l'argent promis par son père; et c'était
dans ce dessein qu'ils étaient venus occuper cette maison solitaire.
Jugez, mon Psre, de ma triste situation entre les mains de pareils
scélérats. Ils étaient alors à battre la campagne ; mais le
misérable qui avait abusé de ma confiance, fut à leur recherche,
après avoir pris la précaution de m'enfermer.
Si les conseils
de Dieu ont quelque chose qui étonne, c'est surtout lorsqu'on le
voit exposer à de semblables périls des vierges angéliques, objets
de toutes ses complaisances. La situation de Colombe, en cette
circonstance, rappelle les épreuves semblables auxquelles furent
exposées une sainte Lucie, une sainte Agnès et tant d'autres, que
Dieu n'engagea dans ces tristes combats que pour faire éclater sa
puissance, et les rendre, par leur glorieuse victoire, plus vierges
qu'elles n'étaient auparavant. Que le lecteur soit sans crainte pour
l'innocence de notre Colombe. Ce n'est pas elle qui s'est jetée dans
le danger c'est Dieu lui-même qui l'y a mise. II saura bien la
défendre et lui conserver son innocence.
Cependant les
jeunes insensés arrivèrent, et en la voyant se persuadèrent qu'elle
était cette jeune personne que l'on cherchait de tous côtés. Elle
avait effectivement cette élégance, cet air de noblesse que le
signalement avait attribué à la fugitive, et paraissait avoir l'âge
indiqué. Après l'avoir saluée, avec toutes les recherches de la
politesse, ils s'assirent auprès d'elle, et s'enquirent honnêtement
de son nom, de sa patrie et du lieu où elle allait. Colombe, voyant
bien le danger qu'elle courait, priait Dieu dans son cœur, et
gardait le silence. Alors commencèrent les propositions les plus
criminelles qui furent rejetées avec une sainte indignation. Les
promesses de riches présents vinrent ensuite et furent méprisées. Ce
fut alors que, soumise aux mêmes épreuves que les Lucie, les Agnès
et les Marguerite, comme la première elle devint si pesante, qu'on
essaya en vain de la faire changer de place, tandis qu'elle les
étonnait par la force de ses discours sur la mort, les jugements de
Dieu et l'enfer. Saisis d'effroi à ce spectacle, ses persécuteurs
prirent la fuite.
De là elle vint à
Foligno, ville peu éloignée de Spolète, où elle reçut l'hospitalité
chez les religieuses de Sainte-Claire. Comme tout le pays était en
émoi au sujet de la jeune Napolitaine enlevée, là encore elle fut
exposée à de nouvelles épreuves les magistrats l'interrogèrent, et
lorsqu'ils surent qu'elle était de Rieti, écrivirent en cette ville
pour s'informer de sa vie passée. C'est ainsi que ses parents
apprirent le lieu de sa retraite. Son père vint la voir avec un
religieux de Saint-Dominique ils essayèrent de la ramener à Rieti,
mais les ordres que la Bienheureuse avait reçus du ciel ne lui
permettaient pas de se rendre à leurs désirs.
Cependant sa
sainteté avait ému la ville de Foligno les habitants accouraient
pour la voir, et les magistrats prenaient déjà des mesures pour la
garder de force au milieu d'eux, lorsqu'elle sortit un matin de
Foligno, accompagnée de son père et de ce Dominicain, qui était le
prieur du couvent de Rieti.' Ils se dirigèrent vers Pérouse, et
s'arrêtèrent un instant à l'église de Notre-Dame-des-Anges ou de la
Portioncule. Le lendemain ils entrèrent dans les murs de Pérouse, où
Notre-Seigneur avait fixé la demeure de sa servante. Quand on sut
qu'elle arrivait, toute la population vint au-devant d'elle. On
entendait crier dans les rues « Voici la Sainte qui vient, allons à
sa rencontre ».
On la conduisit
d'abord dans une maison où vivaient quelques sœurs du Tiers Ordre,
puis, les habitants résolurent de lui construire un couvent dont
elle posa la première pierre, le 22 février de l'année 1493. Pendant
la cérémonie, elle tomba en extase et parut s'entretenir avec sainte
Catherine de Sienne et saint Jérôme, auxquels elle recommandait
instamment la ville de Pérouse. En attendant que le couvent fût
achevé, un jurisconsulte fort célèbre et sa femme, que ses grandes
qualités rendaient digne de lui, la reçurent en leur maison, où ils
la traitèrent moins comme une étrangère que comme une fille
tendrement aimée.
« En ce temps-là,
dit le confesseur de la Bienheureuse, il plut au Seigneur
d'illustrer sa servante par de nouveaux miracles. César Borgia,
depuis duc de Valentinois, faisait alors, étant encore enfant, ses
études au collège de Pérouse. Un jour qu'il était venu se récréer
avec nous, dans le jardin du couvent, il nous suivit après la
récréation dans notre église, où nous trouvâmes, au pied de l'autel
de Sainte-Catherine de Sienne, un groupe nombreux de personnes des
deux sexes, dont la pieuse Colombe était entourée. Un noble citoyen,
ayant aperçu le prince, lui dit à haute voix -Seigneur, venez voir
un enfant que la sœur Colombe vient de ressusciter par ses prières.
Le prince, à ces mots, se tournant vers moi, me dit Eh bien Père
Sébastien, nous allons sonner les cloches, afin que tout le monde
vienne voir ce miracle évident. Gardons-nous-en bien, Seigneur,
répondis-je; car cela pourrait nous attirer quelque confusion.
Comment ? reprit-il. Cette sœur, ajoutai-je, n'est encore qu'une
novice, et il y a si peu de temps qu'elle demeure dans cette ville,
que nous ne pouvons la connaître suffisamment. Lorsque nous l'aurons
éprouvée au moins pendant dix ans, nous saurons si elle est une
femme de vraie vertu et de solide sainteté, et alors nous pourrons
croire aux merveilles qu'elle opérera et les proclamer avec
assurance ».
Ces miracles de
la Bienheureuse engagèrent plusieurs personnes de la ville à se
réunir à elle dans le couvent qui venait d'être achevé. Colombe leur
donna une Règle semblable à celle qu'observait sainte Catherine de
Sienne, sous le patronage de laquelle elle mit cette maison. Elle
recommanda à ses filles de ne jamais souffrir qu'on les condamnât à
une clôture exacte, que la Règle du Tiers Ordre ne prescrivait pas
et que sainte Catherine n'avait jamais observée. Colombe, qui avait
à cette époque vingt-trois ans, ne se réserva du reste aucune
autorité, voulant obéir comme les autres à la supérieure. Elle
choisit pour cellule une pauvre chambre sous le toit, et dont les
murs crevassés laissaient passer la fumée de la cuisine, qui était
voisine cette chambre n'avait point de fenêtre et ressemblait plus à
un tombeau qu'à un lieu d'habitation.
Pérouse, qui
avait accueilli la Bienheureuse avec tant de joie et qui pourvoyait
généreusement à tous les besoins de son couvent, ne tarda pas à
ressentir les effets de sa présence. En l'année 1494, la peste
ravagea toute la contrée par le conseil de la Bienheureuse, on fit
de grandes processions qui arrêtèrent ses ravages tous les villages
qui l'invoquèrent en furent préservés. Elle guérit le sous-prieur
des Dominicains, qui en était atteint. Elle demandait instamment à
Dieu de la prendre pour victime et d'épargner son peuple.
Notre-Seigneur agréa sa prière il permit aux démons de la frapper,
et ils le firent avec une rage qui montrait leur haine contre elle.
Toutefois, après sept jours de cruelles souffrances, saint Dominique
et sainte Catherine de Sienne lui apparurent et la guérirent
entièrement. Elle prévint une fois les magistrats d'un grand danger
qui menaçait la ville « J'ai vu », leur fit-elle dire par son
confesseur, « un roi d'une admirable beauté et d'une majesté
incomparable. Il était assis sur un trône éclatant, qu'entourait une
brillante cour. Son aspect était imposant et sévère il tenait dans
sa main gauche trois glaives tranchants, et ses gestes annonçaient
qu'il allait s'en servir pour immoler les habitants de Pérouse, dont
les péchés sollicitaient sa vengeance. J'étais toute tremblante et
toute désolée, lorsque j'ai vu paraître la reine, éblouissante de
beauté et parée d'habits tissus d'or. Elle s'est prosternée trois
fois le visage contre terre, en approchant du trône. Parvenue au
pied des degrés, elle est tombée à genoux, implorant la clémence du
roi, qui d'abord a résisté dans l'intérêt de sa justice mais la
reine insistant, il s'est laissé fléchir et lufa remis deux glaives
sur les trois qu'il tenait à la main. La reine alors s'est retirée,
sans faire aucune instance pour avoir le troisième ».
On sut bientôt
quel était ce troisième glaive dont Pérouse était menacée. Ses
ennemis y pénétrèrent une nuit par trahison, et sans le courage que
la Bienheureuse inspira aux habitants, sans la protection de sainte
Catherine de Sienne qui les assistait dans le combat, la ville eût
été saccagée.
Le pape Alexandre
Yï, dans un voyage qu'il fit à Pérouse, et ses cardinaux lui
témoignèrent un vif intérêt. Le secrétaire de Sa Sainteté et celui
du roi de France vinrent aussi la consulter, dans l'oratoire de son
couvent, sur des affaires d'État.
Le trésorier
apostolique fut chargé de la consulter sur un dessein du pape
Alexandre VI, qui se sentait intérieurement pressé d'abdiquer le
souverain Pontificat. Elle eut à ce sujet une vision terrible, qui
épouvanta le trésorier, mais ne put vaincre les irrésolutions du
Pape aussi vit-on se réaliser les malheurs qu'elle lui avait
annoncés. D'abord, ses États furent envahis par les Vénitiens, qui,
pendant plusieurs années, lui firent une guerre désastreuse. Ensuite
sa vie fut exposée au danger le plus imminent. Le jour d& la fête de
saint Pierre de l'année 1500, une violente tempête, suscitée par un
orage extraordinaire, ayant renversé la cheminée de la chambre où ce
Pontife se trouvait, la toiture fut enfoncée le plancher croula sur
sa tête, et sans une poutre qui tomba de manière à le protéger, il
eût été infailliblement écrasé sous les débris. Il en fut quitte
pour une blessure légère et une frayeur extrême, parce que le temps
de la miséricorde n'était pas épuisé.
L'archevêque de
Carthagène lui demanda deux scapulaires blancs pour le roi Ferdinand
et la reine Isabelle. On ne saurait énumérer les personnes
religieuses et séculières qui recherchèrent la faveur de lui parler
à l'époque dont il s'agit mais cette sainte fille était si humble,
qu'elle ne voulait recevoir aucune visite hors de la présence de son
confesseur, craignant toujours de laisser échapper quelque parole
indiscrète. Bien loin de là, tout était admirable et vraiment divin
dans ses conversations. Avec les personnes les plus qualiSées, son
langage était uni et sans aucune recherche. Avec celles qui
exerçaient sa patience, il ne lui arrivait jamais de laisser
paraître aucune vivacité, aucun ennui. Sa douceur ne se démentait
pas avec ceux qui venaient lui tendre des piéges. Aussi tous se
retiraient contents d'elle, enchantés de sa simplicité, de son
humilité, de sa modestie, et fort édifiés de sa dévotion. Toutes les
paroles qui sortaient de sa bouche avaient quelque chose
d'angélique, et respiraient le doux parfum de la paix et de la
charité. Faut-il s'étonner après cela de l'autorité qu'elle exerçait
sur tous ceux qui avaient le bonheur de la connaître ? L'opinion de
sa sainteté était universelle. Aussi attachait-on le plus grand prix
à posséder quelque chose qui lui eût appartenu, quand ce n'eût été
qu'un fil de son fuseau. Lorsqu'elle n'avait plus rien à donner, on
coupait de petits morceaux de ses vêtements, sans qu'elle résistât
plus qu'une brebis qui se laisse tondre. Ses petits présents les
plus ordinaires étaient des grains de chapelet qu'elle donnait
toujours en nombre mystérieux. Tantôt elle en donnait trois en
l'honneur de la sainte Trinité, tantôt cinq en l'honneur des cinq
plaies de Jésus-Christ, tantôt sept en mémoire des douleurs de la
divine Marie, tantôt neuf en mémoire des neuf chœurs des anges ;
ajoutant toujours une pieuse explication du mystère représenté par
sa petite offrande. Beaucoup de personnes la priaient de toucher les
pieux objets qu'ils avaient achetés, et l'aimable vierge, tout en
rougissant, ne savait point refuser de tels actes de complaisance.
Enfin, sans s'écarter jamais des règles de la prudence, elle se
prêtait à tous les désirs avec la plus touchante simplicité. Si elle
aimait à donner, elle recevait aussi sans difficulté les aumônes qui
lui étaient faites, non pour elle-même, mais pour sa communauté. Il
lui arrivait même quelquefois de demander à certaines personnes,
dont elle connaissait la pieuse générosité, des parures d'autel, des
ornements sacerdotaux et des vases sacrés pour la chapelle du
monastère. On lui donnait assez fréquemment des robes, des voiles et
des manteaux. Elle s'en servait pendant quelques jours, pour faire
plaisir aux personnes qui lui faisaient ces sortes d'aumônes;
ensuite elle les passait à ses sœurs. Élie ne refusait rien, pas
même les friandises qu'on lui apportait en abondance mais ensuite,
au lieu de les manger, elle les distribuait aux prêtres qui
rendaient service à la communauté, aux religieuses infirmes et aux
jeunes filles qu'on lui amenait, les portant elle-même à la bouche
de ces dernières avec une aimable familiarité. « Je m'avisai un
jour, rapporte son confesseur, de l'engager à refuser ces sortes de
délicatesses, de peur qu'on la soupçonnât d'être sensuelle mais elle
me répondit respectueusement Je ne puis refuser ces petits présents,
sans contrister ceux qui me les offrent. Laissez-leur cette
satisfaction et à moi celle de les contenter. Je ne crois pas que la
gloire de Jésus-Christ soit étrangère à ce petit commerce de
charité. Oh ! qu'il soit loué ce divin Sauveur dans ces bagatelles
comme dans tout le reste.
Nommée ,prieure,
on s'aperçut qu'elle n'avait pas tout ce qu'il fallait pour remplir
parfaitement les obligations attachées à cette charge. Elle savait à
merveille exciter les autres au bien par ses exhortations, les
avertir avec douceur, les encourager par ses exemples, les soutenir
par ses prières mais elle était incapable de reprendre avec rigueur,
de corriger avec autorité. Elle le sentait si bien qu'elle chargea
le confesseur de ce dernier ministère. Celui-ci fut assez simple
pour accepter cette mission peu agréable ; mais il ne fut pas
longtemps sans reconnaître qu'un pareil rôle ne pouvait s'allier
avec l'emploi dont le ciel l'avait chargé. Les femmes surtout, quand
elles sont jeunes encore, ne reçoivent pas volontiers les reproches
et les corrections, de quelque part qu'elles leur viennent.
Cependant cette sévérité leur déplaît moins de la part de leur mère
que de la part du confesseur. Il peut être sûr qu'une semblable
commission ne servira qu'à leur resserrer le cœur et diminuer
singulièrement leur confiance. Nous ne voulons pourtant pas dire
qu'il doit approuver leurs erreurs, excuser leurs travers d'esprit
et se taire sur les fautes dont elles se rendent coupables. Dieu
veut qu'il les corrige, mais au saint tribunal et non a l'extérieur.
Encore faut-il qu'il le fasse avec ménagement et mesure autrement
elles se dépitent sans oser lui en faire l'aveu, et leur conscience
troublée ne s'ouvre plus ou du moins ne s'ouvre que d'une manière
fort imparfaite. II. peut même arriver que ce défaut d'ouverture
compromette la validité de leurs confessions. Il est vrai qu'on peut
remédier à cet inconvénient en donnant aux religieuses plusieurs
confesseurs habituels; mais cette multiplication elle-même n'est pas
sans inconvénient dans les monastères.
Le confesseur
comprit tout cela, quoiqu'un peu tard, et s'empressa de remettre
cette commission de gronder et de punir à la mère prieure, en lui
disant qu'elle aurait grâce pour cela comme pour ses autres emplois.
Cette bonne mère prit donc sur elle pour tâcher d'être sévère au
besoin, afin de faire en cela, comme dans tout le reste, la sainte
volonté de Dieu. Or, ce bon Maître se plaisant d'ordinaire à
éprouver ses saints, il arriva que le premier usage qu'elle voulut
faire de cette juste sévérité lui valut une affliction
extraordinaire. Ayant cru devoir un jour reprendre en public une
jeune religieuse, présomptueuse opiniâtre, celle-ci prit fort mal la
correction, et répondit « Quand on a l'humeur triste, on trouve
facilement à redire à la conduite des autres ». Elle fut ensuite se
plaindre au confesseur à qui elle raconta la chose de manière à
donner tort à sa mère. Le père, trompé par ce faux rapport, crut que
la correction n'avait pas été suffisamment discrète. U fut en
conséquence trouver la servante de Dieu, lui lit une longue
instruction sur la charité fraternelle, dans laquelle il lui échappa
de dire qu'une supérieure, en reprenant ses filles, pouvait excéder
dans la mesure jusqu'à se rendre coupable de péché mortel.
A ce nom
effrayant de péché mortel, la Bienheureuse se mit à pleurer si
amèrement que le confesseur eut pitié d'elle. Il sentit le besoin de
la rassurer sur la sentence qu'il venait de prononcer et qui l'avait
si fort effrayée. Mais il eut toutes les peines du monde à tarir la
source de ses larmes. La douleur de cette sainte fille, qui n'avait
fait que son devoir dans la circonstance, et sans sortir des bornes
de la discrétion', nous fournit du moins un bel exemple de l'horreur
que nous devrions avoir de tout ce qui peut offenser grièvement la
Majesté divine.
Le reste de la
vie de la Bienheureuse ne fut pas exempt de douloureuses épreuves;
elle fut calomniée par ses envieux, soupçonnée par ses supérieurs,
soumise à des tribulations qui ne Unirent guère qu'avec sa vie. Le
confesseur de cette sainte fille ne fut pas épargné dans leurs
accusations. Il était, disait-on, de connivence avec elle pour
tromper le public, et la servait merveilleusement par ses
connaissances physiques. Ces calomnies trouvèrent créance, au point
que ce religieux crut devoir entreprendre leur commune
justification.
Dans ce même
temps, quelques-uns des protecteurs du couvent affligèrent la
servante de Dieu d'une manière beaucoup plus sensible. Accoutumés à
juger des choses selon le sens humain, le régime de la maison leur
semblait fort défectueux; et, dans leur zèle mal entendu, ils se
croyaient appelés à remédier aux prétendus abus par une salutaire
réforme. Après en avoir conféré longuement entre eux, ils firent
part de leurs idées à la Bienheureuse, mais sans pouvoir les lui
faire goûter. Cependant ils passèrent outre, et entreprirent, contre
sa volonté, de bouleverser sa Règle.. Le vêtement des religieuses
leur semblait trop simple, leur pauvreté trop rigoureuse, le
cérémonial de leurs professions trop peu solennel ils voulaient que
les plus jeunes apprissent à chanter et fussent instruites dans les
lettres. Ils prétendaient aussi introduire dans le coutumier
quelques dangereuses innovations; et leur folle présomption appelait
tout cela une réforme salutaire. Colombe, profondément affligée
d'une entreprise dont elle prévoyait les fâcheux résultats, s'y
opposait de toute sa force.
Mais Colombe ne
trouva pas dans toutes ses filles la docilité qu'elle avait droit
d'en attendre, et qui aurait dû être la récompense de son
gouvernement si doux et si maternel. Quelques-unes se rangèrent du
côté des imprudents réformateurs, et poussèrent l'ingratitude
jusqu'à se plaindre aux supérieurs d'une si sainte et si bonne mère.
Malheureusement, leurs plaintes furent écoutées et produisirent les
plus fâcheux résultats. Le jour de la fête de saint Vincent, au
retour de l'église, Colombe trouva dans le monastère un religieux
envoyé par le supérieur pour donner gain de cause à ses ennemis.
Elle reçut, en effet, de ce religieux une lettre qui lui signifiait
sa déposition, et lui faisait défense d'avoir désormais aucun
rapport avec les frères de l'Ordre, à l'exception d'un seul qu'on
lui désignait, et qu'elle devait accepter pour son confesseur. La
Bienheureuse, munie de cette lettre, fut à l'église, toute
tremblante, et la flt lire à son père spirituel. Pendant que
celui-ci la lisait tout haut, la sainte fille ayant entendu cette
clause pénale sous peine de privation de grâces, dit en gémissant
Hélas! me priver de la grâce que vais-je donc devenir, dans cet état
d'abandon? u et là-dessus elle se mit à fondre en larmes.
Telle est la
faiblesse humaine, que les plus grandes âmes se laissent quelquefois
troubler par de graves adversités, et ne peuvent se défendre d'un
certain sentiment de tristesse. Or, on ne peut pas nier qu'à parler
naturellement, Colombe se trouvât alors dans une triste position,
condamnée par ses supérieurs sans avoir pu se défendre, déposée de
sa charge sans l'avoir mérité, et obligée à recevoir un confesseur
qu'elle ne connaissait pas, à la place de celui qui avait sa
confiance. Etait-elle moins à plaindre en cet état qu'un enfant
privé de sa mère, qu'une brebis sans pasteur, qu'un pauvre vieillard
impotent à qui l'on ôte son dernier appui ? La veille de cette
désolation, elle en avait eu comme un pressentiment, car ces paroles
de Jésus mourant l'occupèrent d'une manière tout extraordinaire «Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? ') La divine
Providence a coutume d'avertir ceux qu'elle veut éprouver, afin
qu'ils se préparent à porter saintement les croix qu'elle leur
destine.
Une lettre que la
servante de Dieu reçut alors de Rieti, lui apprit des choses qui
ajoutèrent beaucoup à son affliction. Elle avait dans cette ville
une ancienne amie nommée Cécile, à qui elle avait donné, avant son
départ, plusieurs objets qu'elle conservait comme des reliques
précieuses. Parmi ces objets était une image de la divine Marie sur
laquelle cette pieuse femme portait fréquemment ses regards. S'étant
un jour aperçue que cette image versait des larmes, elle crut que
cette merveille était un signe évident de quelque calamité qui
menaçait Colombe et peut-être aussi la ville de Rieti. Le pronostic,
d'après ce que nous venons de dire, n'était que trop vrai, pour ce
qui concernait la Bienheureuse. Quant a la ville, il ne tarda pas
aussi à obtenir son accomplissement. Pour en revenir à Cécile, elle
fut épouvantée de ce miracle, et, dans son trouble, elle porta au
monastère de Saint-Dominique l'image et tout ce qui avait appartenu
à la servante de Dieu. Cependant une grave sédition ayant éclaté
dans la ville, cette pieuse femme fut raconter aux magistrats la
merveille dont nous venons de parler, et leur conseilla de demander,
sur ce qui se passait, l'avis de la Bienheureuse. Jamais conseil ne
fut peut-être plus mal adressé que celui-là. Ce n'étaient plus ces
anciens magistrats qui, témoins des vertus de Colombe, l'écoutaient
comme un Ange du ciel. Ceux-ci, déjà peu croyants de leur naturel,
étaient en outre imbus de toutes les calomnies que l'on publiait
contre cette sainte fille. Aussi se moquèrent-ils de la vision, du
conseil de Cécile, des révélations et des miracles de la servante de
Dieu, traitant tout cela de momeries, de songes creux, de
superstitions et d'extravagances. Or, voilà ce que Cécile racontait
naïvement dans sa lettre à la servante de Dieu.
Cet état de
choses dura plusieurs années. A la fin, son ancien confesseur
parvint à lui faire rendre sa liberté d'action.
Quand le jour
approcha où Dieu avait résolu de récompenser sa servante de tous les
travaux qu'elle avait endurés pour lui, il permit que saint
Dominique lui annonçât cette bonne nouvelle. Le saint Patriarche lui
apparut donc d'un air joyeux et lui dit ces consolantes paroles
« Réjouissez-vous, ma fille, car le temps approche où vous serez
appelée à célébrer vos noces .avec votre Époux bien-aimé ».
Le jour de
l'Épiphanie, elle eut une extase pendant laquelle on la crut morte ;
en reprenant ses sens elle dit : « Seigneur, puisqu'il plaît à Votre
Majesté de différer mon départ, jusqu'à l'Ascension, que votre
sainte volonté s'accomplisse.
Elle se préparait
cependant à quitter ce monde; elle fit ses adieux à ses chères
sœurs, en les suppliant de lui pardonner les mauvais exemples
qu'elle leur avait donnés. Elle réunit aussi les principaux citoyens
de Pérouse, pour leur parler une dernière fois des joies du royaume
des cieux, où elle espérait les revoir. Pendant le Carême, elle
redoubla ses austérités, s'offrant en holocauste pour cette ville de
Pérouse qu'elle aimait tant et que de grands malheurs menaçaient
alors. On l'entendit une fois s'écrier au pied de l'autel de sainte
Catherine de Sienne ; « Ô mon bon maître, ô mon Seigneur
Jésus-Christ, exaucez les prières que nous vous adressons pour votre
peuple de Pérouse, faites-nous grâce, faites-nous miséricorde.
Soyez-nous propice, 6 Jésus S'il vous faut une victime, je m'offre à
votre justice, mais de grâce épargnez les pauvres pécheurs ».
Dans la nuit du
samedi saint au jour de Pâques, elle eut un vomissement de sang si
considérable, que l'on ne pouvait comprendre qu'il y en eût autant
dans un corps si maigre et si exténué. La fièvre la prit ensuite
avec de violentes douleurs de tête, dont elle souffrit pendant
trente-trois jours. Elle n'avait d'autre soulagement que la vue de
son crucifix, qu'elle baisait amoureusement en lui disant : « Ô mon
Jésus ! mon doux Maître ! Ô mon refuge salutaire ! mon Époux
bien-aimé ! »
Elle eut encore
plusieurs visions qui la consolèrent dans ses souffrances.
Notre-Seigneur lui apparut au milieu de ses anges et lui dit :
« Préparez-vous, ô ma Colombe, car je veux que vous veniez bientôt
demeurer avec moi. Sainte Catherine de Sienne, entourée d'un
brillant cortége de vierges, saint Pierre de Vérone, avec une
glorieuse escorte de martyrs, lui apportèrent également de douces
paroles de paix et de bonheur.
La vigile de
l'Ascension, à l'issue des Vêpres, le Père Sébastien lui donna
l'Extrême Onction et récita les prières de la recommandation de
l'âme, au milieu des larmes et des sanglots des sœurs et des autres
personnes qui étaient présentes. On lui lut ensuite la Passion de
Notre-Seigneur. Les démons essayèrent de lui livrer un dernier
assaut, mais elle les vainquit en leur montrant le crucifix et en
répétant sans cesse Je crois en Dieu! On lui lut une seconde et une
troisième fois la Passion de notre Sauveur. Peu après, elle s'écria,
les yeux fixés au ciel « 0 Reine des Anges, très douce Mère de Dieu,
ô mon Père saint Dominique, ô ma Mère sainte Catherine ; je vous
recommande mon âme je vous recommande tous les chrétiens, la sainte
Église de Dieu, mon Ordre, mes sœurs, les amis et les bienfaiteurs
de ce monastère.
« Vers le milieu
de la nuit, dit le Père Sébastien, tandis que le confesseur et les
religieuses priaient pour elle, l'Époux vint. Colombe, s’en aperçut
et s'écria tout hors d'elle-même : « Ô mon Époux, ô mon Époux, soyez
le bienvenu ! Oui le temps est venu ; recevez votre humble
servante ». En disant recevez, son âme bénie s'envola et suivit
Jésus-Christ dans les cieux, laissant son corps les yeux ouverts et
le visage vermeil. Elle avait vécu trente-trois ans, trois mois et
dix-huit jours: Ce fut le 20 mai de l'année 1501, que le ciel ravit
cet ange à la terre ».
La bienheureuse
Osanna de Mantoue la vit, au lever de l'aurore, s'approcher d'elle,
la tête ornée de deux couronnes resplendissantes elle la salua d'un
air angélique et plein de bonté ; puis elle lui dit :
« Disposez-vous, ma très chère soeur, et tenez-vous prête. Vous ne
tarderez pas à me suivre, et viendrez recevoir la couronne,
immortelle que vous a préparée Jésus-Christ, notre très fidèle
Époux ».
Il y avait en ce
temps-là, à Ferrare, une autre religieuse de Saint-Dominique, qui
était la bienheureuse Lucie de Narni. Le duc de Ferrare, étant venu
entendre la messe dans son monastère, ce même jour de l'Ascension,
voulut la voir après l'office. La trouvant plus joyeuse que de
coutume, il désira savoir d'où lui venait cette grande joie.
« Sachez, prince, lui répondit la bienheureuse Lucie, que notre
illustre sœur Colombe est montée au ciel aujourd'hui même avec
Jésus-Christ ». Le duc fit aussitôt partir un courrier pour Pérouse
et acquit la preuve que la Bienheureuse était morte en effet le jour
de l'Ascension.
Les anges qui
apparurent à sa naissance, la colombe qui se reposa sur sa tête au
moment du baptême, Notre-Seigneur qui se montra à elle tel qu'il
était après sa flagellation, l'étoile qui brilla au-dessus d'elle en
plusieurs circonstances, et notamment le jour de l'Épiphanie, tels
sont les faits qui servent à caractériser sainte Colombe dans les
arts on a pu les lire dans la vie de la Sainte. On place encore près
d'elle un ciboire ou une hostie, parce que souvent la sainte
communion lui tint lieu de toute nourriture. On l'invoque contre les
maléfices; elle est particulièrement secourable dans les tentations.
Le culte de la
bienheureuse Colombe de Rieti, approuvé d'abord en 1571, par saint
Pie V, l'a été de nouveau en 1627, par Urbain VIII.
SOURCE : P. Giry : Les
petits Bollandistes : vies des saints. T. VI. Source :
http://gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France. |