L’Eglise nous invite en ce moment à
nous tourner vers la Croix du Sauveur pour exprimer à Dieu notre reconnaissance
pour l’œuvre rédemptrice du Sauveur. Mais pourquoi ce mois-ci ?
La liturgie de la Semaine Sainte
nous a fait participer à la souffrance et à la mort du Sauveur : en relisant le
texte de la Passion, en méditant sur le Sacrifice de la Croix, perpétué à chaque
célébration eucharistique, nous nous sommes unis à ce Sacrifice qui nous a
apporté la libération du péché et la Vie en Christ ressuscité.
Ce mois-ci, la fête de la Croix
veut commémorer plusieurs événements historiques importants qui ont été
l’occasion de grandes réjouissances. En voici un petit résumé.
Il y eut au IVe siècle
la découverte (ou “invention”) de la Croix du Sauveur, grâce aux recherches
effectuées par la mère de l’empereur Constantin, sainte Hélène, sur le lieu du
Saint Sépulcre à Jérusalem. Un miracle retentissant aurait amené à
l’identification de la Croix, parmi les trois retrouvées. Il y a quelques
incertitudes historiques à ce sujet, tandis que l’on connaît la date de la
dédicace de la basilique de la Résurrection (Anastasis) que fit construire
sainte Hélène sur ce lieu (335).
Mais cette dédicace fut un peu
laissée dans l’oubli, lorsqu’en 628 l’empereur Héraclius rapporta à
Constantinople la Croix presque intacte, que les Perses avaient dérobée lors de
leur incursion. L’Eglise d’Orient célébra alors très solennellement l’Exaltation
de la Sainte Croix.
L’Eglise romaine avait aussi une
fête en l’honneur de la Croix, dont elle possédait une importante parcelle dans
la basilique Sainte Croix : cette basilique fut construite sur de la terre
rapportée de Jérusalem par la même sainte Hélène, d’où le nom étonnant de cette
basilique : Sainte Croix en Jérusalem. La relique s’y trouve toujours, on peut
la voir et la vénérer : c’est un fragment du haut de la Croix, portant une
partie de l’inscription “Jésus de Nazareth, Roi des Juifs”. Il est fort
regrettable que cette basilique, bien plus sobre que les autres de Rome dans son
architecture, mais bien plus riche quant à ce Trésor sacré, soit si peu
fréquentée par les pèlerins.
La vénération de ce Bois Sacré
remonte donc à des faits anciens. On retiendra bien que cette vénération
s’adresse bien évidemment à notre Sauveur, et qu’en vénérant cette Croix, en y
exprimant même des signes de réelle adoration, c’est à la Personne Humaine et
Divine que vont ces honneurs, parce que la Sainte Croix se trouve en quelque
sorte assimilée à Celui qui y fut attaché.
D’autres dates ont été
retenues pour ces commémoraisons, au cours des siècles ; mais celle-ci s’est
imposée en raison d’une autre coïncidence. On trouve en effet dans le Lévitique
cette injonction de Yahwé : “Le dixième jour du septième mois {donc en
septembre, car dans l’Ancien Testament, la nouvelle année correspondait à notre
mois de mars}, c’est le jour des Expiations” (Lev 23:27), le fameux Yom
Kippour célébré chez les Juifs.
“Le quinzième jour de ce septième mois, il y aura pendant
sept jours la fête des Tentes pour le Seigneur”
(Lev 23:34). Cette fête s’achève d’ailleurs par un rite bien significatif : les
Juifs se rassemblent par famille ou entre amis sous un même voile, rappelant les
huttes de leurs ancêtres, car, dit aussi Yahwé, “j’ai fait habiter sous des
huttes les enfants d’Israël quand je les ai fait sortir du pays d’Egypte”
(ibid. 43). C’est cette même fête que choisit Salomon pour célébrer la dédicace
du Temple (1Rois 8).
C’est aussi cette même fête que
l’auteur de l’épître aux Hébreux prend comme référence pour interpréter le
sacrifice du Christ (He 9:6-12), et c’est aussi en la fête des Tentes que Jésus
déclara : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi” (Jn 7:37). Notre fête
actuelle s’insère donc aussi dans un contexte éminemment biblique.
La Croix, instrument d’un supplice
ignominieux, devient un signe de force et de fierté depuis qu’elle a porté sur
elle notre Sauveur. Signe honteux, elle est devenue signe de victoire sur la
mort, de Vie, de Résurrection, de Foi.
La croiser à un carrefour, la
contempler dans un sanctuaire, la marquer sur soi-même comme prière, est
toujours un réconfort : le Christ mort et ressuscité est là, avec nous.
Le Signe de la Croix synthétise
l’essentiel de notre Foi : par le mouvement vertical, nous rappelons que Dieu
s’est incarné parmi nous, par le mouvement horizontal, nous rappelons que Christ
est mort pour nous.
Un mot encore, à propos de nos
chers frères dans l’Orthodoxie, dont on dit qu’ils font le signe de la Croix “à
l’envers” ; le mot n’est pas exact, leur tradition est simplement un peu
différente : lorsque le prêtre ou l’évêque donne la bénédiction, il fait le même
signe que chez les catholiques (de gauche à droite), mais les fidèles font un
geste de droite à gauche pour recevoir ce signe exactement dans le même sens
qu’ils le voient faire en face d’eux par le ministre, d’où la différence. A cela
s’ajoute que les orthodoxes ont coutume de se signer en joignant les trois
premiers doigts de la main, en signe d’unité trinitaire : très beau geste qu’il
ne serait pas difficile d’accepter aussi dans nos régions.
La Croix ! Que d’usages on en fait,
jusque dans certaines modes de pendentifs ou de tatouages à caractère
malheureusement pas vraiment chrétien. On dirait que, malgré l’athéisme et
l’indifférence de notre époque, on n’arrive pas à se passer de la Croix.
Vraiment, on ne peut pas vivre sans Croix : la vie humaine est semée de croix à
porter, parfois douloureuses et même très pénibles ; mais surtout, comme les
épines du rosier, ces croix nous préparent à la Résurrection finale, dans la
joie de la Vie retrouvée.
O Crux, ave, spes unica :
Salut, ô Croix ! notre unique espérance !
P. Bruno Kiefer
|