S. Dunstan,
issu d'une famille illustre, naquit à Glastenbury. Il eut pour
maîtres dans les sciences certains moines irlandais qui avaient
beaucoup de réputation, et qui s'étaient établis dans le lieu de
sa naissance. La
ville
de Glastenbury se trouvait alors,
par une suite des ravages de la guerre, dans un état de
désolation.
Dunstan se
distingua de tous ses compagnons d'étude par la rapidité de ses
progrès; Athelnie, son oncle, archevêque de Cantorbéry, avec
lequel il vécut quelque temps, le mena à la cour avec lui, et le
fit connaître au roi Athelstan. Ce prince, qui aimait la vertu
et qui protégeait les talents, conçut pour lui une grande
estime, le retint auprès de lui, et lui donna plus de marques de
bienveillance qu'à tous ceux qui approchaient de sa personne.
Mais l'envie, qui ne peut souffrir les distinctions du mérite,
chercha les moyens de le mettre mal dans l'esprit du roi, et
elle vint à bout d'y réussir. Dunstan comprit alors mieux que
jamais combien peu l'on doit compter sur la faveur des grands.
Il avait reçu dans sa jeunesse la tonsure et les ordres mineurs;
toujours il avait vécu d'une manière conforme à l'Evangile ; et
quoiqu'il eût pratiqué toutes les vertus chrétiennes, il s'était
spécialement rendu recommandable par son humilité, sa modestie
et la pureté de ses mœurs.
Lorsqu'il eut
quitté la cour, il prit l'habit monastique, de l'avis d'Elphège,
son oncle, évêque de Winchester, qui peu de temps après l'éleva
au sacerdoce. S'étant parfaitement affermi dans la connaissance
et la pratique des devoirs de sa profession, il fut envoyé à
Glastenbury pour en desservir l'église. Il s'y bâtit une petite
cellule qui n'avait que cinq pieds de long sur deux pieds et
demi de large. Il s'y bâtit aussi un oratoire attenant à la
muraille de la grande église dédiée sous l'invocation de la Mère
de Dieu. Dans cet ermitage, il joignait le jeûne à la prière. Il
avait aussi des heures marquées pour le travail des mains. Par
là il se proposait d'éviter l'oisiveté, et de s'entretenir dans
l'esprit de pénitence. Son travail consistait à faire des croix,
des vases, des encensoirs et autres choses destinées au culte
divin. D'autres fois, il s'occupait à peindre ou à copier des
livres,
Le roi Athelstan
étant mort en 900, après avoir régné seize ans avec beaucoup de
gloire, Edmond, son frère, monta sur le trône. Comme ce prince
allait souvent par dévotion à l'église de Glastenbury , qui
n'était qu'à neuf milles de son palais de Chedder, il eut
occasion de connaître par lui-même la sainteté de Dunstan. Il
i crut ne pouvoir mieux faire que de lui donner le
gouvernement du monastère. Dunstan fut le dix-neuvième abbé de
Glastenbury, à compter de S. Brithwald, le premier Anglais qui
avait eu la même dignité deux cent soixante-dix ans auparavant.
Edmond fut massacré après un règne de six ans et demi. On
enterra son corps à Glastenbury. Ses fils Edwi et Edgar étant
trop jeunes pour gouverner, on plaça sur le trône Edred, leur
oncle. Ce prince religieux se conduisit toujours par les
conseils de S. Dunstan. Il mourut en 955, et la couronne
retourna à Edwi dont les mœurs étaient fort déréglées. En voici
un exemple : le jour de son sacre, il quitta brusquement la
table où était rassemblée toute la noblesse, pour aller se
livrer à d'infâmes plaisirs. S. Dunstan le suivit et lui
représenta avec une généreuse liberté ce qu'il devait à Dieu et
aux hommes. L'exil fut la récompense de son zèle. Edwi persécuta
les moines de son royaume, et ruina toutes les abbayes qui
avaient échappé aux déprédations des Danois. Il n'épargna que
celles de Glastenbury et d'Abbington.
S. Dunstan, exilé,
se retira en Flandre, où il passa un an. Il y répandit de
toutes parts la bonne odeur de Jésus-Christ, par l'exemple de
ses vertus et par la force de ses discours.
Cependant les
Merciens et les peuples du nord de l'Angleterre accablés sous la
pesanteur du joug qu'ils portaient, ôtèrent la couronne à Edwi,
pour la mettre sur la tête d'Edgar, son frère. Le nouveau roi
rappela S. Dunstan, et lui donna une place distinguée parmi ceux
qui composaient son conseil. En 957, il le nomma évêque de
Worcester. La cérémonie de son sacre fut faite par S. Odon,
archevêque de Cantorbéry. Le siège de Loudvet étant venu à
vaquer peu de temps après, Dunstan fut obligé d'en prendre le
gouvernement malgré lui. C'était l'homme qui paraissait le plus
en état de rétablir dans cette église et la discipline et la
pureté des mœurs.
Edwi, qui s'était
toujours maintenu dans la souveraineté des provinces du midi,
termina, en 958, une vie souillée de crimes, par une mort
malheureuse. Edgar réunit alors en sa personne toute la
monarchie anglaise, qu'il gouverna toujours avec beaucoup de
sagesse et de gloire, il continua de donner à notre saint des
marques de son estime et de sa confiance.
S. Odon,
archevêque de Cantorbéry, étant mort en 961, Duns tan fut élu
pour lui succéder. Il employa toutes sortes de moyens pour ne
pas accepter cette dignité; mais il lui fut impossible de
réussir. Le pape Jean XII, qui l'estimait singulièrement, le fit
légat du saint Siège. Dunstan, revêtu de cette autorité, ne
pensa plus qu'à rétablir partout la discipline ecclésiastique,
qui avait beaucoup souffert des incursions des Danois et des
troubles occasionnés par la tyrannie d'Edwi. Il avait la
consolation de se voir puissamment protégé par le roi Edgar. Il
recevait aussi de grands secours de deux de ses disciples, de S.
Ethelwold, évêque de Winchester, et de S. Oswald, évêque de
Worcester et archevêque d'Yorck. Les trois prélats commencèrent
par la réformation des monastères; et afin d'entretenir partout
l'uniformité de discipline, S. Dunstan publia la Concorde des
règles, qui était un recueil des anciennes constitutions
monastiques, combinées avec celles de l'ordre de Saint-Benoît.
La réformation des moines fut suivie de celle des clercs. Le
saint fit aussi, pour l'usage de ces derniers, de sages
règlements connus sous le titre de Canons publiés sous le roi
Edgar.
Quelques clercs étaient tombés par le malheur du temps dans
plusieurs désordres; ils avaient même osé se marier, contre Va
disposition des anciens canons. Le saint les chassa des églises
et des monastères dont ils s'étaient emparés, et mit en leur
place des religieux fervents.
C'était une espèce de restitution que l'on faisait à ceux-ci,
puisque, avant les guerres des Danois, ils avaient été en
possession des églises et des monastères dont il s'agissait.
S. Ethelwoid,
voyant que les chanoines de sa cathédrale menaient une vie
scandaleuse, leur substitua aussi des moines. Les coupables
appelèrent de la sentence rendue contre eux. Il se tint pour cet
effet un synode à Winchester, en 968. On rapporte qu'une voix,
paraissant sortir d'un crucifix qui était dans le lieu de
l'assemblée, fit entendre ces paroles : « Dieu défend de
réformer ce qui a été fait. On a bien jugé, ce serait un mal que
de juger autrement. » Le synode confirma la sentence de S.
Ethelwold, et le roi Edouard, le Martyr, fit de ce décret
une loi de l'État.
L'archevêque de
Cantorbéry montra aussi beaucoup de zèle contre les laïques,
violateurs de la discipline ecclésiastique. Il n'y avait point
de considération qui pût le faire mollir, lorsqu'il s'agissait
de maintenir le bon ordre. Les pécheurs scandaleux surtout, de
quelque rang qu'ils fussent, redoutaient sa fermeté, et étaient
obligés de se soumettre aux règles de la pénitence canonique.
Nous allons en citer un exemple.
Le roi Edgard,
maîtrisé par une passion honteuse, abusa d'une vierge qui
résistait depuis longtemps à ses désirs, et qui, pour mettre son
honneur en sûreté, avait pris le voile de religieuse, sans
toutefois faire profession. Cette dernière circonstance ajoutait
un nouveau degré d'énormité au crime du roi. S. Dunstan fut
informé de ce qui s'était passé. Il se rendit aussitôt à la
cour, et comme un autre Nathan, il dit au prince, avec un zèle
mêlé de 'respect, qu'il avait offensé le Seigneur. Edgar, agité
de salutaires remords, s'avoua coupable, témoigna son repentir
par ses larmes, et demanda une pénitence proportionnée à son
crime. Le saint lui en imposa une de sept ans, qui consistait à
ne point porter la couronne durant tout ce temps-là, à jeûner
deux fois la semaine, et à faire d'abondantes aumônes. Il lui
enjoignit en outre, pour expier son crime d'une manière plus
spéciale, de fonder un monastère où plusieurs vierges pussent se
consacrer à Jésus-Christ. Edgar accomplit fidèlement tous les
articles de sa pénitence, et
fonda le monastère de Shaftsbury. Les sept ans écoulés, c'est-à-dire
en 973, le saint archevêque lui remit la couronne sur la tête,
dans une assemblée composée des évêques
et des seigneurs de la nation.
Edgar étant mort
dans la seizième année de son règne, et la trente-deuxième de
son âge, Édouard, son fils aîné, lui succéda. Ce prince avait
beaucoup de piété, et donnait de grandes espérances. Mais il
périt bientôt par la trahison d'Elfride, sa belle-mère. C'est
lui que l'on appelle Edouard le Martyr. Sa mort tragique
causa une vive douleur à S. Dunstan ; et lorsqu'il couronna son
jeune frère, en 979, il lui prédit tous les malheurs qui
devaient arriver sous son règne.
Le saint sacra
Gaeon, évêque de Landaff, vers l'an 983. Les évêques du pays de
Galles avaient été soumis jusque là à l'archevêque de
Saint-David. Ce prélat perdit alors la juridiction de
métropolitain, sans qu'on puisse précisément en assigner la
raison. S. Dunstan faisait souvent la visite des différentes
églises du royaume. Partout il prêchait et instruisait les
fidèles. Ses discours étaient si touchants et si persuasifs, que
les cœurs les plus insensibles ne pouvaient s'empêcher de se
rendre. Ses revenus étaient employés au soulagement des pauvres.
Il conciliait les différends, réfutait les erreurs, et
s'appliquait continuellement à extirper les vices et à corriger
les abus. Malgré les soins qu'il était obligé de donner à son
diocèse, aux églises du royaume, et souvent aux affaires de
l'État, il trouvait encore du temps pour vaquer aux exercices de
piété ; il consacrait à la prière une bonne partie de la nuit.
Quelquefois il se retirait à Glastenbury, afin de converser avec
Dieu plus librement. Étant à Cantorbéry, il visitait, dans la
saison même la plus rigoureuse, l'église de Saint-Augustin,
située hors les murs, et celle de la Mère de Dieu, qui était
attenante.
Ce fut dans cette
ville qu'il tomba malade. Il se prépara à sa dernière heure par
un redoublement de ferveur dans tous ses exercices. Le jour de
l'Ascension, il prêcha trois fois sur la fête, pour exhorter les
fidèles à suivre leur chef en esprit, et par la k vivacité de
leurs désirs. Pendant qu'il parlait, son visage paraissait tout
rayonnant de gloire. A la fin de son troisième discours, il se
recommanda aux prières de son auditoire, et dit à son troupeau
qu'il ne tarderait pas à être séparé de lui. A ces dernières
paroles, tout le monde fondit en larmes. Après midi, le saint
retourna à l'église, et indiqua le lieu où il voulait être
enterré. Il se mit ensuite au lit; puis, ayant reçu le saint
viatique le samedi suivant,
II est assez
probable que ce fut par un effet de la grande puissance d'Edgar,
qui par là voulait commencer à unir les Gallois avec les
Anglais.
Dunstan passa de cette vie à l'immortalité bienheureuse. Sa mort
arriva le 19 mai 988. Il vécut soixante-quatre ans, et en
gouverna dix-sept l'église de Cantorbéry. Son corps fut enterré
dans la cathédrale, à l'endroit qu'il avait lui-même marqué.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |