Saint Étienne
était fils du pieux vicomte de Thiers, premier
gentilhomme d'Auvergne. Il montra dès son enfance beaucoup
d'inclination pour la vertu, et laissa entrevoir le germe de
cette éminente sainteté à
laquelle
il parvint dans la suite. Un vertueux prêtre nommé Milon, qui
était alors doyen de l'église de Paris, fut chargé du soin de
son éducation. Ayant été élu évêque de Bénévent en 1074, il
retint le jeune Étienne auprès de lui , et continua de
l'instruire dans la connaissance de l'Écriture sainte, et dans
les voies de la perfection. Touché du rare mérite de son
disciple, il résolut de l'attacher au service des autels, et
l'ordonna diacre. Après la mort de Milon, arrivée en 1076, le
Saint alla finir ses études à Rome, où il demeura quatre ans. Il
lui sembla durant tout ce temps-là qu'une voix intérieure lui
disait de quitter le monde. Les réflexions qu'il fit sur les
dangers qui accompagnent la conduite des âmes, sur la nécessité
de mener une vie pénitente, et sur les avantages que l'on trouve
dans la solitude, achevèrent de le déterminer. Il s'adressa donc
au Pape Grégoire VII, et lui demanda la permission de
se faire ermite, et de suivre la règle d'une congrégation fort
austère qu'il avait vue dans la Calabre.
Le Pape lui ayant
accordé ce qu'il souhaitait, il revint au château de Thiers pour
mettre ordre à ses affaires. Il eut de rudes combats à soutenir
de la part de ses amis, qui s'opposaient fortement à son
dessein. Ses parents, qui l'avaient toujours regardé comme un
enfant de bénédiction que Dieu avait accordé à leurs prières, et
qui, bien loin de mettre obstacle à ses désirs, eussent concouru
à leur accomplissement, ne vivaient plus depuis quelque temps.
Les assauts qu'on lui livra furent inutiles ; il s'enfuit
secrètement, et, après avoir erré de déserts en déserts, il se
retira sur la montagne de Muret, dans le voisinage de
Limoges. Il y régnait un froid excessif, et elle n'était habitée
que par des bêtes féroces. Ce fut en ce lieu que le Saint
résolut de fixer sa demeure , et de se dévouer au service du
Seigneur par un vœu spécial. Il exprima ainsi la consécration
qu'il faisait de sa personne : « Moi, Etienne, je renonce au
démon et à ses pompes ; je m'offre et me consacre sans réserve
au Père, au Fils et au Saint-Esprit, qui sont un seul Dieu en
trois personnes. » Il écrivit de sa propre main l'acte de son
engagement, et le garda toujours avec l'anneau dont il s'était
servi pour sceller sa consécration. Il se fit une espèce de
cabane avec des branches d'arbres entrelacées, pour se mettre a
l'abri des injures de l'air, et il y passa quarante-six ans dans
l'exercice de la prière et de la pénitence. Les austérités qu'il
y pratiquait étaient extraordinaires, et pour la plupart
au-dessus de la faiblesse humaine abandonnée à elle-même. Il ne
se nourrissait d'abord que d'herbes et de racines ; mais des
bergers l'ayant découvert la seconde année de sa retraite, ils
eurent la charité de lui apporter du pain de temps en temps. Des
paysans du voisinage prirent ensuite la
place des bergers, et continuèrent de rendre le même service au
Saint tant qu'il vécut. Non content de mater son corps par une
abstinence très rigoureuse, il portait sur sa chair une haire de
mailles de fer, n'ayant par-dessus qu'un habit d'une étoffe fort
vile, qui était toujours le même en hiver et en été. Lorsqu'il
était forcé de prendre un peu de repos, il se couchait sur des
planches arrangées en forme de cercueil. Le temps qu'il
n'employa point au travail des mains, il le passait prosterné
contre terre, et dans la plus profonde adoration de la Majesté
divine. Les délices qu'il goûtait dans l'exercice de la
contemplation, absorbaient tellement toutes les puissances de
son âme, qu'il était souvent deux ou trois jours de suite sans
songer à manger. Ce ne fut qu'à l'âge de soixante ans qu'il
consentit, à cause de l'extrême faiblesse de son estomac, à
mettre quelques gouttes de vin dans l'eau qui lui servait de
boisson.
Le bruit de sa
sainteté ayant attiré plusieurs personnes dans son désert, il
fut bientôt obligé de recevoir des disciples. Il les aimait
comme ses enfants, et les gouvernait avec une sagesse admirable,
qui proportionnait toujours les mortifications à la force du
tempérament. Dur à lui-même, il n'avait que de la douceur pour
les autres. Il était cependant ferme sur l'accomplissement des
devoirs essentiels à la vie solitaire, tels que le silence, la
pauvreté et le renoncement à soi-même. Les exhortations qu'il
faisait à ses disciples roulaient principalement sur la
nécessité de dégager son cœur de toute affection aux choses
créées. Il avait coutume de dire à ceux qui se présentaient pour
vivre sous sa conduite : « C'est ici une prison où il n'y a ni
porte, ni ouverture, et vous ne pourrez en sortir pour retourner
dans le monde, qu'en y faisant une brèche. Si ce malheur vous
arrivait, il ne me serait pas possible d'envoyer quelqu'un
après vous, n'y ayant ici personne qui ne soit aussi étranger
que moi à l'égard du monde. » Etienne se regardait comme le
dernier de sa communauté, et prenait toujours la dernière place.
Il était ennemi de toutes ces marques d'honneur qui sont
attachées à la supériorité. Pendant que ses religieux étaient à
table , il s'asseyait par terre au milieux d'eux, et leur lisait
les vies des Saints. Dieu récompensa cette humilité, du don de
prophétie et de celui des miracles : mais parmi tous les
prodiges qu'il opéra, il n'en est point de plus surprenant que
la conversion d'un grand nombre de pécheurs endurcis ; on eût
dit qu'il était impossible de résister à la grâce qui
accompagnait toutes ses paroles.
Cependant la
renommée publiait de plus en plus l'éminente sainteté d'Etienne.
Deux cardinaux envoyés en France en qualité de légats,
se rendirent à son désert pour lui faire une visite. Ils lui
demandèrent dans l'entretien qu'ils eurent avec lui, quel était
son genre de vie ? Êtes-vous, lui dirent-ils, chanoine, moine ou
ermite ? Je ne suis rien de tout cela, répondit le Saint. Et
comme on le pressait de s'expliquer clairement, il parla ainsi :
« Nous sommes de pauvres pécheurs que la miséricorde de Dieu a
conduits dans ce désert pour y faire pénitence. C'est le
Souverain-Pontife qui, conformément à la prière que nous lui en
avions faite, nous a lui-même imposé, pour l'expiation de nos
péchés, les divers exercices que nous pratiquons ici. Nous
sommes trop imparfaits et trop fragiles, pour avoir le courage
d'imiter la ferveur de ces saints ermites, que la contemplation
unissait à Dieu d'une manière si intime et si continue, qu'ils
oubliaient les besoins de leurs corps. Vous voyez d'ailleurs que
nous ne portons ni l'habit de moines, ni celui de chanoines ;
nous sommes encore bien plus éloignés d'en prendre les noms,
puisque nous n'avons ni le caractère des uns, ni la sainteté des
autres. Encore une fois, nous ne sommes que de pauvres pécheurs,
qui, effrayés de la rigueur de la justice divine, travaillons
avec crainte et tremblement à nous rendre Jésus-Christ propice
au grand jour de ses vengeances. » Les légats quittèrent le
Saint, pénétrés de vénération pour sa personne, et fort édifiés
de tout ce qu'ils avaient vu et entendu.
Huit jours après
leur départ, Etienne fut averti par le ciel qu'il touchait à la
fin de sa course. Ce fut pour lui un motif de redoubler de
ferveur dans tous ses exercices. Étant tombé quelque temps après
dans la maladie dont il ne devait point relever, il employa le
peu de moments qui lui restaient à fortifier ses disciples dans
leur vocation, et à leur inspirer une tendre confiance en Dieu.
Il leur parla d'une manière si vive et si touchante, qu'il les
délivra de l'inquiétude où ils étaient de ne savoir que devenir
après sa mort. Il se fit ensuite porter à l'église, où il
entendit la messe, et reçut les sacrements de l'extrême-onction
et de l'eucharistie. Il mourut le 8 Février 1124, en répétant
ces paroles : Seigneur, je remets mon âme entre vos mains.
Il était âgé de près de 80 ans. Ses disciples
l'enterrèrent secrètement pour éviter la trop grande affluence
du peuple : mais la nouvelle de sa mort ne se fut pas plus tôt
répandue, qu'on accourut en foule à son tombeau , où il s'opéra
beaucoup de miracles. Quatre mois après sa mort, les moines
d'Ambazac, prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Augustin de
Limoges, de l'ordre de Saint-Benoît, prétendirent que Muret leur
appartenait, et le réclamèrent. Les disciples d'Étienne, qui
avaient hérité de l'esprit et des maximes de leur bienheureux
maître, aimèrent mieux céder le lieu de leur résidence, que de
s'en faire assurer la possession par les voies de la justice.
Ils se retirèrent donc dans le désert de Grandmont, qui est à
une lieue de celui de Muret, emportant avec eux les précieuses
reliques de leur saint fondateur. C'est de là que leur est venu
le nom de Grandmontants. Saint Etienne fut canonisé par
le Pape Clément III en 1189, à la sollicitation de Henri II, Roi
d'Angleterre.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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