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Aux Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques
et Évêques et autres Ordinaires locaux en paix et communion avec le Siège
Apostolique
Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.
102. Par sa mort sur l’autel de la Croix, Jésus-Christ avait
consommé la rédemption du genre humain; et, voulant amener les hommes à acquérir
la vie éternelle par l’obéissance à ses préceptes, il n’usa que d’un seul moyen
la voix de ses prédicateurs chargés d’annoncer au monde tout entier ce qu’il
faut croire et faire pour être sauvé. Il plut à Dieu, par la folie de la
prédication, de sauver ceux qui croyaient (1 Cor 1, 21). Il choisit donc
les Apôtres et, après les avoir remplis, par le ministère de l’Esprit Saint, des
dons proportionnés à une fonction aussi importante: Allez, leur dit-il, prêcher
l’Évangile dans le monde entier (Mc 16, 15). Et cette prédication
renouvela la face du globe. Car, si les esprits des hommes, se détachant de
leurs multiples erreurs, ont fait retour à la vérité; si leurs cœurs, souillés
de vices, se sont convertis à l’excellence de toutes les vertus, cette
conversion, qui est l’effet de la foi chrétienne, est véritablement l’œuvre de
la prédication elle-même: La foi est le fruit de l’audition, mais celle-ci
s’opère par la parole du Christ (Rm 10, 17). C’est pourquoi – puisque par
la volonté de Dieu les choses se conservent par les mêmes causes qui les ont
produites – il est évident que la prédication de la sagesse chrétienne est
destinée, d’une manière divine, à continuer l’œuvre du salut éternel et qu’elle
est comptée à bon droit parmi les choses les plus importantes et les plus
graves. Aussi devons-Nous y appliquer de préférence Nos sollicitudes et Nos
pensées, surtout si elle semble perdre quelque chose de son intégrité première,
au détriment de son efficacité.
Voilà, en effet, Vénérables Frères, ce qui s’ajoute aux
autres misères de ces temps, dont, plus que tout autre, Nous avons le souci.
Car, si Nous considérons combien sont nombreux ceux qui s’adonnent à la
prédication de la parole divine, Nous constatons que leur abondance est telle
qu’elle dépasse peut-être tout ce qu’on avait connu auparavant. Cependant, si
Nous observons à quel point en sont les mœurs publiques et privées, ainsi que
les institutions des peuples, Nous voyons, de jour en jour, croître partout le
dédain et l’oubli des choses surnaturelles : insensiblement l’on s’écarte de la
vertu chrétienne qui est austère, et chaque jour on rétrograde vers la vie
infâme des païens.
103. De ces maux, les causes sont multiples et variées
cependant, l’on doit déplorer, et personne ne pourrait le nier, que les
prédicateurs n’y apportent point de remèdes suffisants. La parole de Dieu
a-t-elle donc cessé d’être telle que la décrivait l’Apôtre, c’est-à-dire animée
et efficace, et plus pénétrante qu’aucun glaive à deux tranchants (He 4,
12) ? Un long usage en a-t-il émoussé l’acier ? Si ce glaive ne manifeste point
partout sa puissance, la faute en est certainement à ceux qui ne l’emploient pas
comme il convient. On ne peut dire, en effet, que les Apôtres ont eu affaire à
une époque meilleure que la nôtre, comme s’il y avait eu alors plus de docilité
à l’Évangile, ou moins de révolte contre la loi divine !
Aussi comprenons-Nous à quel point il Nous incombe de
rappeler partout, et avec le zèle très grand que requiert la gravité du sujet,
la règle vers laquelle doit être dirigée la prédication de la parole divine
selon l’ordre du Christ Notre Seigneur et les décrets de l’Église; la conscience
de Notre devoir apostolique Nous en avertit, et Nous y sommes pleinement exhorté
par l’exemple de Nos deux Prédécesseurs les plus proches.
104. Tout d’abord, Vénérables Frères, il nous faut rechercher
les causes pour lesquelles on s’est, dans l’espèce, écarté du droit chemin.
Elles semblent, à première vue, se ramener à trois: ou le ministère de la
prédication est assumé par qui n’est pas autorisé à l’exercer, ou le prédicateur
s’en fait une fausse conception, ou il ne s’acquitte pas de cette fonction de la
manière qu’il faudrait.
Celle-ci, d’après la doctrine du Concile de Trente (sess.
XXIV, De ref., c. IV), est avant tout personnelle aux évêques. Et vraiment, les
Apôtres, qu’ont remplacés les évêques en leur succédant, estimaient que cette
charge surtout faisait partie de leur devoir pastoral. Ainsi saint Paul dira: Le
Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher (1 Co 1, 17).
Voici, de même, la pensée des autres Apôtres: Il ne convient pas que nous
laissions la parole de Dieu pour servir aux tables (Ac 6, 2). Pourtant,
les évêques se doivent à toutes sortes d’affaires intéressant l’administration
de leurs diocèses; dès lors, bien que la prédication soit pour eux l’objet d’un
devoir personnel, il leur est nécessaire de recourir à autrui pour les remplacer
dans un ministère auquel ils ne peuvent, ni toujours ni en toute occasion,
satisfaire par eux-mêmes.
C’est pourquoi ceux qui l’exercent sans l’autorisation des
évêques remplissent, à n’en pas douter, une charge épiscopale. – Est donc
établie cette première loi : personne ne peut, de son propre chef, s’adjuger la
fonction de prêcher ; à qui la désire, il faut une mission légitime, et seul
l’évêque peut l’accorder: Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont envoyés ? (Rm
10, 15).
105. Envoyés, les apôtres le furent, en effet, et par Celui
qui est le suprême Pasteur et Évêque de nos âmes (cf. 1 P 2, 25); les
soixante-douze disciples l’étaient aussi. Et – bien que le Christ l’eût déjà
constitué un vase d’élection afin qu’il portât son nom devant les nations et les
rois (cf. Ac 9, 15) – Paul, à son tour, entra dans l’apostolat quand les
anciens, obéissant au commandement de l’Esprit-Saint, le laissèrent partir après
lui avoir imposé les mains (cf. Ac 13, 2.3). L’on en a toujours usé de la
sorte aux premiers temps de l’Église. Tous ceux qui, comme Origène, brillaient
dans les rangs du clergé ou furent dans la suite élevés à l’épiscopat,
s’adonnèrent à la prédication avec l’autorisation de l’évêque dont ils
dépendaient: ainsi firent Cyrille de Jérusalem, Jean Chrysostome, Augustin et
tous les anciens Docteurs de l’Église.
106. Mais maintenant, Vénérables Frères, une autre manière
d’agir semble, depuis longtemps, passée en usage. Nombreux sont les orateurs à
qui s’appliquerait justement cette plainte du Seigneur, dans Jérémie: Je n’ai
pas envoyé de prophètes, et ils courent d’eux-mêmes (Jr 23, 21). D’un
esprit heureusement doué, ou pour tout autre motif, quelqu’un trouve-t-il bon
d’entreprendre le ministère de la parole (Ac 6, 2) ? La chaire des
églises lui est d’un accès facile, comme si le premier venu pouvait, selon son
bon plaisir, se livrer aux joutes oratoires ! C’est pourquoi, Vénérables Frères,
il vous appartient de mettre fin, dès maintenant, à un tel dérèglement, et,
puisque vous avez à rendre compte à Dieu et à l’Église du pâturage que vous
fournissez à vos troupeaux, ne laissez pas quelqu’un s’introduire sans votre
ordre dans la bergerie, et paître à sa guise les brebis du Christ. Et que, dès
maintenant, personne, dans vos diocèses, n’ait le pouvoir de prêcher si vous ne
l’avez tout d’abord appelé et approuvé.
107. Aussi, donnez une très vigilante attention à ceux à qui
vous confiez une aussi sainte fonction. En cette matière, le décret du Concile
de Trente ne donne aux évêques qu’une seule permission: celle de choisir des
sujets " idoines, c’est-à-dire capables de s’acquitter avec avantage du
ministère de la prédication (Sess. V, c. 2. Mansi XXXIII, 30) ". Avec
avantage, est-il dit – notez ce mot: il est la quintessence de la règle – et non
avec éloquence, applaudissements des auditeurs; mais bien avec fruit pour les
âmes, ce à quoi doit tendre – comme à sa fin – l’exercice de la parole divine.
108. Et si vous désirez de Nous une définition plus précise,
Nous vous dirons que sont réellement capables ceux en qui vous aurez discerné
les signes de l’appel divin. Nul ne s’arroge cette dignité, il faut y être
appelé par Dieu (He 5, 4), telle est la condition de l’admission au
sacerdoce, et qui demeure la même pour juger de l’habileté et de l’aptitude d’un
sujet en vue de la prédication. Et cette vocation n’est point difficile à
reconnaître. En effet, le Christ, notre Seigneur et Maître, alors qu’il
s’apprêtait à monter au ciel, ne dit pas du tout aux Apôtres de s’en aller, à
l’instant même et chacun de son côté, pour commencer de prêcher: Restez dans la
ville, leur dit-il, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut (Lc
24, 49).
Si donc quelqu’un est revêtu de la force d’en haut, cela fera
voir qu’il est appelé à cette fonction. Quel que soit d’ailleurs le mode de
cette manifestation, on peut en constater les effets sur la personne des Apôtres
aussitôt qu’ils eurent reçu cette vertu d’en haut. En effet, dès que l’Esprit
Saint fut descendu en eux – et nous ne nous occupons pas des merveilleux
charismes dont ils furent enrichis – de rudes et ignorants qu’ils étaient, ils
furent transformés en hommes doctes et parfaits.
109. Sera donc à bon droit considéré comme appelé à la
prédication le prêtre qui possède et la science et la vertu qui conviennent,
pourvu qu’il ait également les dons naturels dont il est besoin pour ne pas
tenter Dieu ; et rien ne s’opposera alors à ce que l’évêque l’accepte en vue de
ce ministère. C’est cela même que veut le Concile de Trente, quand il décrète
que les évêques ne doivent pas permettre de prêcher à " ceux dont les mœurs et
la doctrine ne sont pas approuvées (sess. V, c. 2. Mansi XXXIII, 31) ".
Aussi l’évêque se doit-il de mettre très longtemps à l’épreuve ceux qu’il pense
charger de cet office; par ce moyen, il connaîtra la richesse de leur doctrine,
la sainteté de leur vie, et il en appréciera la valeur. Agir, au contraire, avec
mollesse et négligence serait assurément pour lui se mettre dans un cas très
grave: sur sa tête retomberait la responsabilité des erreurs répandues par le
prédicateur ignorant, ainsi que du mauvais exemple et du scandale causé par le
coupable.
110. C’est pourquoi, afin de rendre votre tâche plus facile,
Nous voulons, Vénérables Frères, que désormais soit institué un double examen,
portant d’une manière sérieuse sur la conduite et la science de ceux qui
sollicitent le pouvoir de prêcher, comme cela existe pour ceux qui demandent à
entendre les confessions. Si donc un candidat a été dans l’un ou l’autre cas
reconnu manchot et boiteux, il ne faut avoir égard à aucune considération et
écarter de cette charge celui qui n’en aura pas été jugé digne. Votre dignité, à
vous dont les prédicateurs remplissent la charge, exige qu’il en soit ainsi,
comme nous l’avons dit la Sainte Église le demande instamment, dans son intérêt
même, puisque, si quelqu’un doit être le sel de la terre et la lumière du monde
(Mt 5, 13-14), c’est bien celui qui est employé au ministère de la
parole.
111. Après avoir bien considéré ces choses, il peut paraître
superflu d’aller plus avant dans l’explication de ce qui a trait à la fin de la
prédication et à son mode d’être. Si, en effet, l’on exige que le choix des
orateurs sacrés soit en conformité avec la règle que Nous avons rappelée,
pourquoi douter qu’ornés des qualités qui conviennent, ils ne se proposent, dans
leur prédication, une fin juste, et n’observent une bonne méthode ? Il est
cependant utile de mettre en lumière ces deux points essentiels, afin
qu’apparaisse davantage le motif qui Nous fait parfois souhaiter chez
quelques-uns cette forme qui caractérise les bons prédicateurs.
112. Ce que doivent se proposer les prédicateurs en recevant
leur charge, il est aisé de le comprendre par cette affirmation que saint Paul
donnait de lui-même et qui peut et doit être la leur : Pour le Christ nous
faisons les fonctions d’ambassadeurs (2 Co 5, 20). Or, s’ils sont légats
du Christ, ils doivent vouloir dans l’accomplissement de leur mission cela même
qu’a voulu le Christ en la leur donnant; ce que lui-même, en vérité, se proposa
tant qu’il vécut ici-bas. Les Apôtres, en effet, et après eux les prédicateurs,
n’ont pas été envoyés d’une autre façon que le Christ : Comme mon Père m’a
envoyé, moi aussi je vous envoie ! (Jn 20, 21) C’est le motif, nous le
savons, pour lequel le Christ est descendu du ciel; il l’a d’ailleurs déclaré
ouvertement : Je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn
18, 37) et donner la vie (Jn 10, 10) aux hommes.
113. Les prédicateurs doivent donc viser ce double objectif :
répandre la lumière de la vérité, exciter et développer en leurs auditeurs la
vie surnaturelle ; bref, en cherchant le salut des âmes, promouvoir la gloire de
Dieu. C’est pourquoi, de même qu’on décerne à faux le titre de médecin à qui
n’en exerce pas la profession, et que n’est point docteur celui qui n’enseigne
pas l’art qu’il prétend connaître, de même doit-on traiter aussi comme un
déclamateur futile – et non comme un prédicateur de l’Évangile – celui dont le
souci n’est pas d’amener les hommes à une connaissance plus étendue de Dieu et
sur la voie du salut éternel. Et vraiment, plût au Ciel qu’il n’y eût point de
tels déclamateurs ! Par quels mobiles sont-ils donc surtout guidés ?
Quelques-uns par le désir de la vaine gloire; et voici comment ils le contentent
: " Ils s’étudient à traiter des sujets plus élevés que proportionnés à leur
auditoire; aux faibles intelligences ils font montre d’eux-mêmes et ne
s’occupent pas de leur salut. Ils rougissent d’avoir à exprimer des choses
humbles et faciles à saisir, dans leur peur de paraître n’en pas savoir
davantage... ils rougissent de donner le lait aux petits-enfants (Gillebertus
Abbé, In Cant. Cantic., sermo
XXVII, 2 : PL 184, 140). " Alors que le Seigneur Jésus montrait, par
l’humble condition de son auditoire, qu’il était bien celui qu’on attendait :
Les pauvres reçoivent la bonne nouvelle (Mt 11, 5), pourquoi ces
orgueilleux ne se préoccupent-ils pas de mériter l’estime par leurs sermons
plutôt que par la célébrité des villes et l’éclat des chaires renommées ?
114. Mais, parce que certaines choses révélées par Dieu
glacent d’épouvante la nature humaine débile et corrompue, et ne sont pas de
nature à attirer la foule, ils s’abstiennent prudemment d’en parler et traitent
des sujets dans lesquels – si l’on fait abstraction du lieu il n’entre rien de
sacré. Et il n’est pas rare de les voir, au milieu d’un exposé des choses
éternelles, passer aux questions politiques, surtout si quelque affaire de ce
genre passionne les esprits de ceux qui les écoutent. En un mot, leur
application semble n’avoir d’autre but que celui de plaire aux auditeurs et
contenter le désir de ceux qui, selon saint Paul, sont avides de tout ce qui
peut chatouiller leurs oreilles (2 Tm 4, 3). De là ce geste qui n’est ni
calme ni grave, mais tel qu’on l’emploie habituellement sur la scène d’un
théâtre ou dans une réunion populaire; de là ce mol abandon dans le ton de la
voix et les effets tragiques; de là ce genre de style propre aux journaux; de là
cette abondance de pensées empruntées, non aux Livres saints ou aux Pères de
l’Église, mais aux écrits des impies et de ceux qui ne sont pas catholiques; de
là, enfin, cette grande volubilité dans laquelle tombent la plupart de ces
prédicateurs, et dont ils rebattent les oreilles tout en soulevant l’admiration
de leurs auditeurs, sans leur offrir rien de bon qu’ils puissent remporter chez
eux. Il est, en outre, fort étonnant à quel point de pareils prédicateurs sont
trompés par l’opinion du vulgaire. Qu’ils obtiennent des ignorants les
applaudissements qu’ils recherchent par un tel labeur et non sans sacrilège,
c’est fort possible; est-ce là, pourtant, un juste salaire de leur effort, alors
qu’ils s’exposent à la fois au blâme de toutes les personnes avisées et, ce qui
est plus grave, au sévère et redoutable jugement du Christ ?
Néanmoins, Vénérables Frères, rechercher uniquement les
applaudissements n’est pas le fait de tous ceux qui, dans leur prédication,
s’écartent de la règle et du modèle à suivre.
115. Ordinairement, ceux qui convoitent de telles
démonstrations poursuivent un autre but qui est, en outre, beaucoup moins
louable. Le prêtre, dit saint Grégoire, ne prêche pas pour manger, mais il doit
manger pour prêcher (cf. In 1 Regnum, l. III, PL 79, 126). Or, ceux qui
oublient cette parole sont loin d’être rares; comprenant que leurs aptitudes ne
les dirigeaient pas vers d’autres emplois devant décemment servir à leur
entretien, ils se sont adonnés à la prédication, non pas avec le motif d’exercer
le très saint ministère selon la règle, mais bien avec celui de réaliser un
gain. Il est donc visible que leur souci ne tend point à chercher là où l’on
peut espérer un plus grand fruit pour les âmes, mais là où la prédication est
d’un rapport plus lucratif.
Dès lors, comme l’Église n’a rien à attendre d’eux, sinon
détriment et déshonneur, il vous faut, Vénérables Frères, veiller avec grand
soin: si vous trouvez quelqu’un qui ait abusé de la prédication dans la
préoccupation de sa renommée ou d’un gain à percevoir, retirez-lui, sans délai,
la fonction de prêcher. Car celui qui ne craint pas de souiller une chose aussi
sainte par un motif aussi pervers n’hésitera pas à descendre à toutes les
indignités, étendant la tache de sa propre ignominie jusqu’à cettecharge
elle-même qu’il administre si honteusement.
116. La même sévérité devra être employée envers ceux qui ne
prêchent pas de la manière qui convient, attendu qu’ils négligent les
dispositions requises pour l’accomplissement de ce ministère : dispositions que
l’Apôtre Paul, dénommé par l’Église le " Prédicateur de la vérité ", enseigne
par son exemple. Plaise à Dieu que, dans sa bienfaisante pitié, nous ayons de
semblables prédicateurs et en nombre beaucoup plus grand !
En premier lieu, ce que nous apprend saint Paul, c’est
l’excellente préparation et instruction qu’il apporta en entreprenant de
prêcher. Et nous n’entendons point parler ici des études soigneuses qu’il fit de
la Loi sous le magistère de Gamaliel. Car la science en lui infusée par la
révélation rendait obscure et anéantissait presque celle que pour lui-même il
avait acquise, quoique cette dernière, nous le voyons par ses Lettres, lui fut
aussi d’une très grande utilité. C’est une nécessité absolue pour le prédicateur
d’avoir la science, ainsi que nous l’avons dit, et celui à qui sa lumière fait
défaut tombe facilement, comme l’expose avec beaucoup de vérité cette sentence
du IVe Concile du Latran: " L’ignorance est mère de toutes les erreurs ". Nous
ne voulons pas, cependant, que cela s’entende de toute espèce de science: il
s’agit ici de celle que le prêtre doit posséder comme un bien propre et qui –
pour dire la chose en peu de mots – comprend la connaissance de soi-même, de
Dieu et de ses devoirs. De soi, disons-Nous, afin que chaque prêtre renonce à
ses intérêts personnels; de Dieu, pour qu’il amène tous les fidèles à le
connaître et à l’aimer; de ses devoirs, afin qu’il les remplisse lui-même
fidèlement et veille à ce que chacun fasse de même. Si cette connaissance fait
défaut, celle des autres choses inspire de l’orgueil et n’est d’aucune utilité.
117. Voyons plutôt comment l’Apôtre prépara son cœur en vue
de la prédication. Ici, trois choses surtout demandent à être considérées. Tout
d’abord le total abandon de saint Paul à la volonté divine. En effet, alors
qu’il faisait route vers Damas, à peine fut-il touché de la force du Seigneur
Jésus qu’il poussa ce cri digne de l’Apôtre : Seigneur, que voulez-vous que je
fasse ? (Ac 9, 6) Aussitôt il commença de tout faire pour le Christ, et
toujours dans la suite il agit de même : travaillant et prenant son repos au
milieu de la gêne comme de l’abondance, acceptant louange et mépris, vivant et
mourant pour Lui. A n’en pas douter, son apostolat ne fut si profitable que
parce qu’il s’abandonna avec une entière soumission à la volonté de Dieu. C’est
pourquoi, tout prédicateur qui dirige ses efforts en vue de sauver les âmes doit
avant tout pratiquer semblable soumission afin de ne point désirer plus
d’auditeurs, de succès et de fruits qu’il n’en doit avoir : enfin, que Dieu seul
soit son but, et non lui-même.
118. Aussi, cette application à ne servir que Dieu demande
une âme qui se trouve si bien préparée à la souffrance qu’elle ne fuit aucun
genre de peine et de travail. Saint Paul eut cette seconde qualité à un degré
tout à fait remarquable. Car, après que le Seigneur eut dit à son sujet : Je lui
montrerai combien il faut souffrir pour moi (Ac 9, 16), il embrassa par
la suite toutes les fatigues avec une telle volonté qu’il écrivait : Je
surabonde de joie au milieu de toutes nos tribulations (2 Co 7, 4). On ne
croirait jamais quelle valeur acquiert, auprès du peuple chrétien, l’œuvre du
prédicateur qui, possédant une telle endurance, détruit en lui tout ce qu’il y a
d’humain et se concilie la grâce de Dieu, afin que son labeur porte des fruits.
Par contre, il en est qui, en quelque endroit qu’ils puissent
aller, y recherchent, plus qu’il ne faut, les commodités de la vie et, du fait
de leurs prédications, ne s’occupent presque pas des autres fonctions du saint
ministère, en sorte qu’ils paraissent avoir plus égard à leur santé qu’à
l’utilité des âmes.
119. En troisième et dernier lieu, l’Apôtre nous fait
comprendre qu’il est nécessaire au prédicateur d’avoir ce qu’on nomme l’esprit
d’oraison. Appelé à l’apostolat, son premier acte fut de prier : Il est en
prière (Ac 9, 11), disent de lui les Actes des Apôtres. En effet, on ne
cherche le salut des âmes ni par des paroles abondantes, ni par de subtils
discours, ni en pérorant avec fougue: le prédicateur qui s’en tient à cela n’est
rien autre qu’un airain sonnant ou une cymbale retentissante (1 Co 13,
1). Ce qui donne aux paroles humaines leur vigueur et leur valeur merveilleuse
pour le salut, c’est la grâce divine: Dieu, dit l’Apôtre, a donné
l’accroissement (1 Co 3, 6). Aussi la grâce de Dieu ne s’obtient-elle
point par l’étude et l’art, mais par les prières. C’est pourquoi celui qui
s’adonne peu ou point à l’oraison dépense-t-il en vain et son travail et sa
peine, puisque devant Dieu rien n’est profitable ni à lui ni à ses auditeurs.
120. Et pour conclure en peu de mots ce que Nous avons dit
jusqu’à présent, Nous Nous servirons de ces paroles de saint Pierre Damien : "
Au prédicateur, deux choses sont, par-dessus tout, nécessaires: il faut qu’il
regorge véritablement des pensées de la doctrine spirituelle et qu’il brille de
la splendeur de la vie religieuse. Si le prêtre ne peut avoir les deux ensemble,
en sorte que sa vie soit resplendissante et remplie par la richesse de sa
doctrine, la vie, sans aucun doute, est alors préférable à la doctrine...
L’éclat de la vie vaut plus pour l’exemple que l’éloquence et l’élégance des
discours... Il est nécessaire que le prêtre chargé de prêcher ruisselle des
pluies de la doctrine spirituelle et étincelle des rayons de la vie religieuse,
à l’instar de cet ange qui, annonçant aux bergers la naissance du Seigneur,
brilla d’une éclatante splendeur et exprima par des paroles la bonne nouvelle
qu’il était venu leur annoncer (Epp. l. I, Ep. I, ad
Cinthium Urbis praef. PL 144, 462) ".
121. Mais, pour en revenir à saint Paul, si nous recherchons
quels sujets il avait été accoutumé de traiter en prêchant, nous voyons que
lui-même les fait tous rentrer dans ces paroles: Je n’ai pas jugé que je dusse
savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1
Co 2, 2). Faire en sorte que les hommes connaissent de plus en plus
Jésus-Christ et que par là ils sachent non seulement ce qu’il faut croire, mais
encore comment il faut vivre, voilà ce à quoi saint Paul travailla avec toute
l’ardeur de son cœur apostolique. C’est pourquoi il traitait des dogmes du
Christ et de tous les préceptes, même des plus sévères, et il n’apportait ni
réticence, ni adoucissements en parlant de l’humilité, de l’abnégation de
soi-même, de la chasteté, du mépris des choses humaines, de l’obéissance, du
pardon aux ennemis et autres sujets semblables. Il n’éprouvait aucune timidité à
déclarer qu’entre Dieu et Bélial il faut choisir à qui l’on veut obéir, et qu’il
n’est pas possible d’avoir l’un et l’autre pour maîtres ; qu’un jugement
redoutable attend ceux qui doivent passer de vie à trépas; qu’il n’est pas
loisible de transiger avec Dieu; qu’on doit espérer la vie éternelle si l’on
accomplit toute la loi, et que le feu éternel attend ceux qui manquent à leurs
devoirs en favorisant leurs convoitises. En effet, jamais le Prédicateur de la
vérité n’eut l’idée de s’abstenir de traiter ces sortes de sujets, sous le
prétexte que, vu la corruption de l’époque, de telles considérations auraient
semblé trop dures à ceux à qui il s’adressait. Il apparaît donc qu’on ne doit
pas approuver ces prédicateurs qui, de crainte d’ennuyer leurs auditeurs,
n’osent traiter certains points de la doctrine chrétienne. Un médecin
prescrit-il à son malade des remèdes inutiles parce que celui-ci a l’horreur de
ce qui lui serait salutaire ? Au reste, l’orateur donnera la preuve de sa force
et de son pouvoir si sa parole rend agréable ce qui ne l’est pas.
122. Et de quelle façon l’Apôtre donnait-il ses explications
? Certes, pas avec le langage persuasif de la sagesse humaine (1 Co 2,
4). Combien il importe, Vénérables Frères, que, plus que toutes les autres,
cette parole soit approfondie ! Ne voyons-nous pas nombre d’orateurs sacrés
passer sous silence les Saintes Ecritures, les Pères et les Docteurs de
l’Église, les arguments de la théologie sacrée ? Ils ne parlent presque de rien,
sinon de la raison. Assurément, c’est un travers car rien ne peut être
profitable dans l’ordre surnaturel par le seul secours humain.
A cela l’on objecte: il ne peut être fait créance aux paroles
d’un prédicateur insistant sur les choses qui ont été révélées par Dieu. Est-ce
vrai ? Soit, nous l’admettons pour ceux qui ne sont pas catholiques; bien que,
lorsque les Grecs cherchaient la sagesse – évidemment celle du siècle – l’Apôtre
cependant leur prêchait Jésus crucifié (cf. 1 Co 1, 22-23). Et si nous
tournons les yeux vers les nations catholiques, que voyons-nous ? Ceux qui nous
sont hostiles conservent presque la racine de la foi car si leur esprit est
aveuglé, c’est que leur cœur est corrompu.
123. Enfin, avec quel esprit saint Paul prêchait-il ? Non
pour plaire aux hommes, mais au Christ : Si, dit-il, je plaisais aux hommes, je
ne serais pas serviteur du Christ (Ga 1, 10). Comme il portait un cœur
brûlant de la charité divine, il ne recherchait rien en dehors de la gloire du
Christ. Oh ! plaise à Dieu que tous ceux qui travaillent au ministère de la
parole aiment Jésus-Christ; plaise à Dieu qu’ils puissent s’approprier cette
parole de saint Paul: Pour son amour, j’ai voulu tout perdre (Ph 3, 8) et
cette autre: Le Christ est ma vie (Ph 1, 21). Ceux dont l’amour est si
ardent savent enflammer les autres. C’est pourquoi saint Bernard donne aux
prédicateurs le conseil suivant: " Si vous avez du goût, montrez que vous êtes
comme le bassin et non comme le canal d’une fontaine (In Cant., sermo
XVIII, PL 183, 1321) ". Ce qui signifie: Soyez rempli de ce que vous dites, et
ne vous contentez pas de le faire passer dans les autres. " Vraiment, ajoute le
même docteur, nous avons aujourd’hui, dans l’Église, beaucoup de canaux, mais
bien peu de fontaines (ibid.) ".
124. Pour qu’il n’en soit pas ainsi dans l’avenir, que vos
efforts tendent, Vénérables Frères, à mettre tout en œuvre pour que les
prédicateurs qui sont selon le cœur de Dieu existent bientôt en très grand
nombre. Ecartez notamment les indignes, choisissez ceux qui sont capables, en
ayant recours à des règlements appropriés. Qu’à la prière de la Vierge très
sainte, Mère auguste du Verbe incarné et Reine des Apôtres, Jésus-Christ, le
Pasteur éternel, abaisse sur son troupeau un regard de miséricorde; et que,
réchauffant au sein du clergé l’esprit de l’apostolat, il multiplie ceux qui
s’étudient à se montrer agréables à Dieu, ouvriers irréprochables, et traitant
d’une façon digne d’elle la parole de vérité (cf. 2 Tm 2, 15).
Comme gage des faveurs divines et de Notre bienveillance
envers vous, Nous accordons très affectueusement, Vénérables Frères, à vous, à
votre clergé, à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près St-Pierre, en la fête du Sacré Cœur de
Jésus, le 15 juin 1917, la troisième année de Notre Pontificat.
BENOÎT XV
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