Jean de Gerson

Alexandrina
de Balasar

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Jean de Gerson
dominicain et auteur mystique
1363-1429

Jean Charlier de Gerson, doctor christianissimus, chancelier de l'université de Paris, né au hameau de Gerson, près de Rethel (diocèse de Reims), en 1363, mort en 1429. Son père s'appelait Arnulphe Charlier; sa mère, Elisabeth de La Chardenière. C'étaient des paysans très pieux, qui eurent douze enfants, dont neuf se vouèrent à l'état ecclésiastique ou religieux. Pour constater quels étaient les sentiments des filles en cette famille, il suffit de noter les titres de deux écrits que Gerson rédigea pour ses sœurs : la Montagne de la contemplation et la Mendicité spirituelle. Dès l'âge de quatorze ans, il fut envoyé au collège de Navarre, cinq ans après, il était licencié ès arts et il commençait l'étude de la théologie. En 1384, il fut reçu bachelier en théologie. Son maître en cette science était Pierre d'Ailly, qui se fit son protecteur et resta toujours son ami. Gerson reçut de lui la doctrine du nominalisme et le goût d'un mysticisme pondéré. En 1392, il obtint le grade de docteur. Ce fut vraisemblablement alors que, suivant un usage alors commun dans l'École ; le nom de sa famille fut remplacé par celui du lieu de sa naissance.

En 1395, Pierre d'Ailly, nommé évêque du Puy, obtint d'être remplacé par lui comme chancelier de l'Université; et presque aussitôt, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, donna à Gerson la prébende de doyen de l'église de Bruges ; pour lui assurer des moyens d'existence convenables à sa dignité.

Dans l'Université, Gerson travailla à réformer les moeurs et les études. Il s'efforça de supprimer les fêtes de fous et autres divertissements fort profanes cultivés par les étudiants, et de restreindre les privilèges ou les usages qui incitaient à la licence; il osa même conspuer les sensualités du Roman de la Rose.

Sans attaquer la scolastique, qu'il pratiquait très sincèrement, il entreprit, sinon de la renouveler, au moins de lui donner une direction plus sérieuse et plus religieuse; il proposa d'interdire la tractation des matières inutiles, qui n'excitent qu'une vaine curiosité, et qui font négliger les doctrines nécessaires; elles exposent les docteurs à être raillés comme fantastiques, courant après des ombres et ne sachant rien ni de la vérité morale, ni de la vérité religieuse (Epistola de reformatione theologiae, adressée à P. d'Ailly le 1er avril 1400 ; – Lectiones duae contra curiositatem in negotio fidei (1402) ; – Epistola ad studientes collegii Navarrae : Quid et qualiter studere debeat novus theologiae auditor, et contra curiositatem studientium).

Hanté par l'idée de la mort et habitué aux procédés de la scolastique, il les utilisa pour ramener la théologie à son objet pratique : Discamus non tam disputare quam vivere, rnemores finis nostri. Il introduisit un certain mysticisme dans la théologie et tâcha d'en faire une science de l'expérience intime, dont la forme devait être la logique et le fond un ensemble de faits psychologiques et religieux.

Les ouvrages qu'il a composés sur ce sujet sont un mélange de formules et de classifications empruntées à l'Ecole, d'observations profondes sur les états de l'âme, et d'éjaculations vers le bonheur de l'humain qui s'élève jusqu'à Dieu. Pour lui, la vraie théologie est la théologie affective, qui enseigne comment la volonté humaine renonce à elle-même pour s'identifier, par l'amour, au vouloir divin (De Mystica theologia speculativa ; – De Mystica theologia pratic ; – De Monte contemplationis). Pour s'unir à Dieu, il propose l'observance de certains préceptes : les uns ascétiques, les autres simplement moraux. Il promet à ceux qui s'y conforment qu'ils s'élèveront sur les hauteurs de la contemplation; mais il recommande de ne point confondre la contemplation avec les visions et les extases très souvent elles ne sont que des illusions décevantes (De Probatione spirituum ; De Distinctione verarum visionum a falsis).

Au concile de Constance, il demanda, et si Torquemada ne s'y était pas péremptoirement opposé, il aurait obtenu la condamnation des visions de sainte Brigitte. Dans ses écrits, il combattit énergiquement la doctrine de l'union passive de l'âme absorbée en Dieu, ressemblant tant aux mysticités hystériques de l'amour pur de Mme Guyon, qui séduisirent Fénelon (Admonitio de vita Christi ; – Epistola de libro Vitae contemplativae). Contre Mathieu Grabon, dominicain de Weimar, il défendit les Frères de la vie commune, des mystiques, mais qui vivaient du produit de leur travail, tout en se vouant à l'instruction des clercs et à l'éducation du peuple. Le moine mendiant les avait attaqués dans son livre De Vera religione, précisément à cause de cette activité utile. Ennemi des excès et des abus de l'ascétisme comme de ceux du mysticisme, il mena contre Vincent Ferrer une vigoureuse campagne.

Dans un ordre d'idées presque, voisin, nous devons constater que, tout en restant imbu des croyances sur les relations entre la conjonction des astres et les événements de l'histoire terrestre qu'implique la foi à l'étoile qui mena les mages à Bethléem (Evangiles), et appartenant à une Eglise qui brûlait les sorciers, Gerson critiqua les prétentions de l'astrologie judiciaire et les aberrations de l'art magique (De Sigillis et observatione dierum ; – De Astrologia reformata ;– De Erroribus circa artem magicam).

Il convient de rappeler sommairement ici la part que Gerson prit personnellement aux mesures arrêtées ou proposées au moment du Schisme d'Occident. Avant de recourir à la contrainte et de procéder à la convocation d'un concile qui exigerait l'abdication des papes rivaux et, en cas de refus, les déposerait, on avait fait diverses tentatives pour les amener à accepter volontairement les moyens propres à rétablir la paix dans l'Eglise : démission simultanée (via cessionis), compromis instituant un arbitrage pour résoudre la question (via compromissionis), convocation d'un concile général et engagement de se soumettre à ses décisions. Gerson fut un des derniers qui gardèrent espoir dans le succès de la persuasion; alors que l'Université, un concile national et le roi organisaient déjà la résistance et la pression contre le pape d'Avignon, en lui retirant solennellement l'obédience du royaume et en le menaçant de l'accuser de schisme et d'hérésie, Gerson, retenu par des scrupules respectueux devant la dignité d'un pape qu'il estimait légitimement élu, s'efforçait encore de calmer les esprits irrités et de ranimer le sentiment de l'unité de l'Église et de la communauté des fidèles (Trialogus). Mais il fut contraint de reconnaître enfin que tout accommodement était impossible. Lorsque le concile général fut convoqué, il s'associa à cette convocation, par son traité De Unitate ecclesiastica, affirmant l'autorité suprême des conciles, même à l'égard des papes (1409).

Autrefois, il était généralement admis que Gerson assista au concile de Pise; aujourd'hui, il semble démontré qu'il ne s'y trouva pas en personne ; mais il prêta une grande force aux décisions de cette assemblée, en publiant un traité De Auferibilitate papae ab Ecclesia. Il y exposait que le véritable chef de l'Eglise, c'est Jésus, et que l'Eglise ne peut jamais être séparée de ce chef. Le pape est le représentant de Jésus sur la terre, mais seulement tant qu'il est personnellement digne de cet office. Si un pape nuit à l'Église, celle-ci doit se défendre contre lui : alors un concile général est en droit de déposer le pape.

Gerson assista au concile de Constance (1414-1418) ; il en fut incontestablement un des membres les plus influents; mais il nous semble qu'on a fort exagéré sa prépondérance en cette assemblée, car elle a maintes fois repoussé ses propositions sur des objets très importants. Même du côté des Français, elles rencontrèrent des adversaires écoutés, parmi lesquels Pierre d'Ailly, devenu évêque de Cambrai et cardinal. L'action de Gerson ne fut réellement décisive que dans les premières séances, lorsque ses discours rassurèrent les membres du concile effrayés par l'évasion du pape, et qu'il leur fit voter une décision déclarant que, « étant un concile général, légitimement assemblé au nom du Saint-Esprit, ils représentaient l'Eglise militante, qui a reçu immédiatement de Jésus-Christ une puissance à laquelle toute personne, de quelque état et de quelque condition que ce fût, même papale, était obligée d'obéir, en toutes les choses concernant la foi, l'extirpation du schisme et la réformation de l'Église dans son chef et dans ses membres ».

Le 14 novembre 1407, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, fils de Philippe le Hardi, avait fait assassiner le duc d'Orléans, frère du roi, et s'était hautement avoué auteur de ce meurtre, déclarant avoir agi pour le bien du royaume. Il avait été applaudi par le peuple, dont il s'était institué le défenseur et qui détestait le duc d'Orléans, à cause de ses exactions et de ses cruautés. Le 8 mars 1408, Jean Petit, cordelier, docteur en théologie, fit à l'hôtel Saint-Paul, en présence du dauphin, des princes du sang, comtes, barons, docteurs, clercs, etc., l'apologie du tyrannicide ; il soutint que le duc d'Orléans avait été tyran, criminel de lèse majesté, traître au roi, et conclut que celui qui l'avait tué méritait éloge et récompense. Le roi lui-même déclara au duc de Bourgogne qu'il ne conservait « aucune déplaisante contre lui de la mort de son frère ».

En ce temps-là, Gerson venait d'être pourvu de la cure de Saint-Jean-en-Grève. Malgré les obligations qu'il avait envers la maison de Bourgogne, il fit dans sa paroisse l'oraison funèbre du duc d'Orléans et flétrit énergiquement ses assassins : ce qui excita chez le peuple une fureur à laquelle il n'échappa qu'en se réfugiant et en se tenant pendant quelque temps caché dans les caves ou les tours de Notre-Dame. Plus tard, il poursuivit, devant l'évêque de Paris et obtint la condamnation de Jean Petit et de sa doctrine. Jean Petit appela de cette sentence au pape, qui la cassa. L'évêque de Paris porta la cause devant le concile de Constance. On y discuta pour savoir si la question concernait ou non la foi chrétienne. Martin Porrée, évêque d'Arras, demanda que la question restât ouverte jusqu'à ce que l'Église en eût décidé autrement. Gerson n'obtint du concile ni la condamnation du fait, ni celle de l'auteur de l'apologie ; on réprouva seulement, en termes généraux, le meurtre des tyrans.

Quand le concile de Constance fut dissous, Jean sans Peur était redevenu maître de Paris, après le massacre des Armagnacs (1418). Y rentrer eut été trop dangereux pour Gerson : il se retira dans le Tyrol, où le duc Albert de Bavière lui offrit un asile au château de Battenberg ; il y écrivit plusieurs ouvrages, parmi lesquels une Apologie de sa conduite et de ses opinions au concile de Constance, et quatre livres De Consolation theologiae, composés de dialogues en vers et en prose, comme le De Consolatione philosophiae de Boëce. Appelé à Vienne, par le duc Frédéric d'Autriche, qui désirait l'attacher à son université, il séjourna pendant quelque temps dans cette ville. En 1419, il rentra en France et résida à Lyon, où un de ses frères était prieur du couvent des Célestins. Ce fut là qu'il passa les dix dernières années de sa vie, s'occupant tous les jours de l'instruction religieuse des enfants : car, disait-il, c'est par eux que la réforme doit commencer; écrivant aussi beaucoup : la plupart de ses traités mystiques datent de cette époque. Sur sa tombe, on grava ces mots, qu'il avait si souvent répétés : Faites pénitence et croyez à l'Évangile. (E.-H. Vollet).

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En bibliothèque – Parmi les ouvrages qui ont été imprimés aussitôt après la découverte de Gutenberg, ceux de Gerson sont les plus nombreux. On les réunit dans une édition qui parut à Cologne (1483, 4 vol. in-fol.) ; peu après, Geiler de Kaiserberg et Wimpheling en firent une seconde (Strasbourg, 1502, 5 vol. in-fol) ; d'autres suivirent à courts intervalles (Strasbourg, Bâle, Paris) ; la plus complète est celle de L.-E. Dupin (Anvers, 1706, 5 vol. infol, accompagnés d'une biographie).

Leguy, Essai sur la vie de Jean Gerson; Paris, 1835, 2 vol. in-8. – Faugère, Éloge de J. Gerson; Paris, 1838, in-8. – Ch. Schmidt, Essai sur J. Gerson; Strasbourg, 1839, in-8. – Schwab, Johannes Gerson ; Wurzbourg, 1858, in-8. – Winckelmann, Gerson Wiclefus, Hussus inter se et cum reformatoribus comparati ; Göttingen, 1857, in-8. – Ch. Schmidt, Histoire de l'Église d'Occident au Moyen âge; Paris, 1885, in-8. – Jodart, Jean de Gerson, recherches sur son origine, son village natal et sa famille ; Paris, 1881, in-8. – Engelhardt, De Gersonio mystico ; Erlangen, 1822, 2 p. in-4. – Hundeshagen, Die mystiscke Theologie Gersons ; Leipzig, 1834, in-8. - Jourdain, Doctrina J. Gersonii de theologia mystica ; Paris, 1838, in-8. – Ch. Schmidt, Uber Gerson Predigtweise, Strasbourg, 1838. – Bourret, Essai historique et critique sur les sermons français de Gerson ; Paris, 1858, in-8.

J. Gerson, Initiation à la vie mystique, Gallimard, 1999.

En librairie – Christine de Pisan, Jean Gerson, Jean de Montreuil, Le débat sur le roman de la rose, Slatkine, 1996.

Danièle Calvot et Gilbert Ouy, L'œuvre de Gerson à Saint-Victor de Paris, catalogue des manuscrits, CNRS, 1999. – Gilbert Ouy, Gerson bilingue, les deux rédactions, latine et française, de quelques oeuvres du chancelier parisien, Honoré Champion, 1998. – André Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson, Vrin, 1996.

source : http://www.cosmovisions.com/Gerson.htm

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