La vie de saint Jean
Eudes
Jean Eudes est né dans le petit
village de Ri, près d’Argentan en Normandie, le 14 novembre 1601, trois ans
après l’Édit de Nantes. Son père, d’une famille de paysans, était tout à la
fois laboureur et chirurgien de village. Jean, le futur saint, était
l’aîné de
sept enfants, trois garçons et quatre filles. Vers l’âge de douze ans sa foi
personnelle était déjà mûre. Il “commençait à connaître Dieu et à communier
tous les mois, après avoir fait une confession générale.” Vers l’âge de
treize ou quatorze ans, Jean consacrait son corps à Dieu par le vœu de chasteté.
Il ne commença ses études qu’à partir de 1615, chez les jésuites de Caen.
Le 19 mars 1623 Jean Eudes fut reçu
dans la Congrégation de l’Oratoire par le Père de Bérulle, le fondateur. Il y
restera vingt ans, jusqu’en 1643. Il sera ordonné prêtre le 20 décembre 1625,
mais auparavant, le 20 mai 1624, il avait prononcé, à l’invitation de Bérulle,
le “vœu de servitude à Jésus”. De 1627 à 1631, Jean Eudes résida à l’Oratoire de
Caen et sa charité se manifesta largement pendant l’épidémie de peste de 1631.
Le 2 octobre 1629, Bérulle mourait à l’âge de 53 ans, et cette mort fut, pour
Jean Eudes, une douloureuse épreuve.
Avant de poursuivre, et pour mieux
comprendre ce que fut ensuite la vie de celui qui deviendra saint Jean Eudes, il
convient de se replacer dans le contexte tourmenté et effervescent de son
époque. L’hérésie janséniste, commençait à se répandre en France, et déjà elle
divisait le clergé. De 1649 à 1653 la Fronde fera des ravages en France,
appauvrissant considérablement le pays déjà affaibli par des épidémies de peste.
Il en résultera des révoltes paysannes durement réprimées. Il convient de noter
également que les décisions du Concile de Trente (1545-1563) avaient encore été
insuffisamment appliquées, notamment en ce qui concernait la création des
séminaires pour la formation des jeunes prêtres.
Enfin, il n’est pas inutile
d’indiquer que saint Jean Eudes fut le contemporain de Louis XIII et de
Richelieu, puis de Mazarin et de Louis XIV. Il connut certainement les travaux
de saint François de Sales puisqu’il eut des relations très étroites avec la
Visitation mais il ne connut probablement pas Marguerite-Marie, car les
révélations dont elle fut favorisée restèrent secrètes jusqu’à la publication,
par le Père de la Colombière, du Journal des Retraites, en 1685, soit cinq ans
après la mort de saint Jean Eudes. Parmi d’autres contemporains célèbres, on
peut citer encore Monsieur Vincent, Jean-Jacques Olier, Descartes ou Galilée.
Dès 1632, Jean Eudes fut envoyé en
mission dans le diocèse de Coutances, et il se révéla vite un missionnaire
remarquable et un prédicateur de génie. On le vit en divers lieux du diocèse de
Bayeux, puis dans les diocèses de Saint-Malo et en Bretagne. Afin que les
familles persévèrent après le départ des missionnaires, le Père Eudes institua,
dans les familles, la pratique de la prière en commun; pour en faciliter
l’usage, il publia un petit livre “Exercices de pitié”, contenant les
bases des connaissances nécessaires à la vie chrétienne.
Le 25 mars 1637 Jean Eudes fit le
vœu de martyre qui compléta son vœu de servitude. En octobre 1640, il fut nommé
supérieur de l’Oratoire de Caen. C’est en août 1641 qu’il fut présenté à la
mystique Marie des Vallées, une paysanne qui eut, par la suite, une grande
influence dans sa vie. Sa dévotion à le sainte Vierge Marie était très grande,
et c’est le jour de la Conception Immaculée de Marie, de 1641, qu’il commença
l’établissement de la Maison Notre-Dame de la Charité.
Pour des raisons connues de lui
seul, et jamais expliquées, peut-être des difficultés pour créer le séminaire
tel qu’il le souhaitait, avec les oratoriens, Jean Eudes, après avoir groupé
autour de lui quelques jeunes prêtres, noyau de la future Congrégation du
séminaire de Jésus et Marie, quitta, sans crier gare et clandestinement, la
maison dont il était le supérieur. Il rejoignit les prêtres qui l’attendaient et
qui sont considérés, avec lui, comme les co-fondateurs de la nouvelle
Congrégation, de Jésus et Marie. C’était le 23 mars 1643. Le Père de Condren,
successeur de Bérulle était mort deux ans auparavant le 7 janvier 1641.
L’attitude du Père Eudes peut
paraître surprenante, mais n’oublions pas que les oratoriens n’étaient pas liés
par des vœux, et pouvaient en conséquence partir quand ils le souhaitaient.
On a dit que Jean Eudes, alors supérieur de l’Oratoire de Caen,
rencontrait beaucoup d’obstacles auprès de certains oratoriens pour la création
d’un séminaire à Caen. En fait, l’acte de naissance de la Congrégation de Jésus
et Marie avait déjà été rédigé et signé en décembre 1642, après plusieurs
entretiens, à Paris, avec le Cardinal de Richelieu et sur son ordre. En effet
Richelieu ,
soucieux de redonner de l’honneur au clergé français, souhaitait l’ouverture des
séminaires. C’est également à cette époque que Jean Eudes rencontra des hommes
d’élite, tels Mr de Bernières et Gaston de Renty qui deviendront pour lui de
grands et fidèles amis.
Plus Jean Eudes avançait en âge,
plus les croix se multipliaient. Le 4 mars 1660, il écrivait : “Les croix me
viennent de tous les côtés ; si le bon Dieu ne me soutenait, j’en serais
accablé. Car j’en ai depuis peu, des plus pesantes et des plus sensibles que
j’aie jamais eues.” En effet, plusieurs de ses meilleurs amis ou de ses
premiers fils lui étaient enlevés coup sur coup.
Et pendant que les deuils
s’amoncelaient, un épouvantable orage se préparait: en 1659 et en 1660, Dieu
permit que notre saint fût calomnié, méprisé, outragé, déchiré de toutes les
façons. Et à partir de 1660 les jansénistes livrèrent à leur ennemi juré une
guerre ouverte et impitoyable : “Jean Eudes était l’homme du monde que les
novateurs (les jansénistes) haïssaient le plus.”
“L’Ermitage” de Caen avait été créé
par Mr de Bernières et “quelques personnes de rare vertu qui désiraient se
retirer dans quelque ermitage pour y finir leur vie.” La vie de ces ermites
modernes était entièrement basée sur l’oraison, et, durant toute la journée, ils
s’appliquaient continuellement à Dieu. L’Ermitage fut très vite un sorte de
centre de ralliement vers lequel affluèrent des personnages illustres, dont
saint Jean Eudes. C’est à l’Ermitage que Mr Boudon, Mgr de Laval, Mr de
Bernières, et bien d’autres, devinrent fidèles à la fête du Saint Cœur de Marie.
Mr de Bernières soutint et aida le Père Eudes de toutes les façons.
Malheureusement, immédiatement après la mort de Mr de Bernières, les jansénistes
se livrèrent à de vives attaques contre sa mémoire et déclenchèrent ce que l’on
appela les scandales de Caen, Falaise, Argentant et Séez.
Pourquoi le nom de Jean Eudes
fut-il mêlé à ces événements? Mystère! Mais cela lui coûta très cher... ce qui
ne l’empêcha de continuer ses missions, de poursuivre la fondation de séminaires
et d’écrire de remarquables opuscules de piété: Les Méditations sur
l’humilité, et Les Entretiens de l’âme chrétienne avec son Dieu. Nous
sommes en 1670, et Jean Eudes atteint le sommet de son calvaire. Les calomnies
contre lui se multipliaient, y compris jusqu’à Rome, afin d’empêcher
l’approbation de sa Congrégation. Le saint raconte :
”Sur la fin de cette année 1673,
et sur le commencement de la suivante, 1674, la divine Providence m’a favorisé
de plusieurs grandes tribulations, et plus grande en quelque façon que toutes
les précédentes. Car, premièrement, afin de perdre entièrement notre
Congrégation, on me mit mal dans l’esprit du Roi, en lui persuadant que j’avais
fait des choses notables contre les intérêts de sa Majesté, auxquelles je
n’avais jamais pensé; et ceci m’avait été prédit un an ou environ auparavant.
Secondement, afin d’empêcher que nous n’obtinssions, du Saint-Siège, la
confirmation de notre Congrégation, on envoya un écrit, de Paris à Rome, tout
plein de calomnies et de faussetés contre nous.“
À une religieuse de Montmartre le
Père Eudes écrit : “Je demeurerais accablé sous le faix de mes souffrances si
Notre Seigneur et sa sainte Mère ne me soutenaient...”
Pourtant, au milieu de toutes ces
épreuves, Jean Eudes avait le courage de chanter :
“Vive Jésus, mon seul désir !
“Vive Jésus, tout mon plaisir !
“Vive Jésus, mon doux Sauveur !
“Vive Jésus, Dieu de mon cœur !
“Vive la Reine de mon cœur !
“Vive Marie, Mère d’amour !
“Je veux chanter et nuit et jour
“Les merveilles de son bon cœur.”
Les épreuves continuent. En
septembre 1674, le Père Eudes écrit : “Mes grands bienfaiteurs, Messieurs de la
nouvelle doctrine (les jansénistes) ont fait imprimer un libelle contre moi,
qu’ils ont distribué par toute la France, et dans toutes les communautés de
Paris, sur les écrits que j’ai faits de la Sœur Marie (Marie des Vallées), qui
est plein de faussetés, de calomnies de toutes sortes et de toutes sortes de
marques de leur passion. Ils me chargent de treize hérésies, c’est-à-dire de
l’arianisme, du nestorianisme, du monothélisme, ...”
Ses ennemis semblaient triompher.
Un jeune eudiste, secrétaire du saint, déçu dans ses ambitions, accepta même de
trahir son maître au profit de ses ennemis. C’est grâce à lui que M. du Four
avait pu entrer en possession de documents personnels du Père Eudes. Jean Eudes
se taisait, remettant sa cause entre les mains de Dieu. Ces persécutions se
poursuivirent durant les années 1675 et 1676. Il écrit à M de Bonnefonds, un de
ses amis : “Je puis vous dire, mon cher Frère, que depuis que je suis au monde,
je n’ai point souffert de persécution si sanglante que celle-ci. Ce qui m’a le
plus affligé, c’est qu’un de mes propres enfants, qui était ici... a été mon
plus cruel persécuteur...”
Le missionnaire brisé, malade, âgé
de 74 ans, voulut prêcher une dernière mission à Saint-Lô. Ce fut un triomphe.
Le 17 juin 1679, il eut la grande joie d’être reçu par le Roi, revenu enfin de
ses préventions. Le 28 juin 1680 Jean Eudes convoqua la première assemblée
générale de sa Congrégation. Son successeur fut nommé: M.Blouet. Puis il mit
toutes ses affaires en ordre et mourut le lundi 19 août 1680, “dans les
transports d’une ardente charité.”
Jean Eudes a été béatifié en 1909
par le pape Pie X, et canonisé en 1925 par le pape Pie XI.
L’œuvre de saint Jean Eudes est
considérable. Outre l’organisation de nombreuses missions et la fondation de la
Congrégation de Jésus et Marie (les Eudistes), saint Jean Eudes créa, en 1641,
la Maison de Notre-Dame du Refuge pour les femmes repenties ou les filles en
difficulté. Il participa aussi à la fondation de plusieurs congrégations
féminines dont: l’Institut de N.D. de Charité, la Congrégation de N.D. de
Charité du Bon Pasteur, la Congrégation des Sœurs de la Providence d’Évreux. Il
institua la fête du Cœur de Marie et la fête du Cœur de Jésus et rédigea les
Offices de ces deux fêtes.
Saint Jean Eudes rédigea aussi des
Offices propres à sa Congrégation et de nombreux ouvrages, dont : Le Royaume de
Jésus, Le Catéchisme de la Mission, des Avertissements aux Confesseurs
Missionnaires, le Contrat de l’Homme envers Dieu par le Baptême, l’Enfance
Admirable de la Mère de Dieu, et les douze Livres consacrés au Cœur Admirable de
la Très Sacrée Mère de Dieu. Le douzième volume de ce dernier ouvrage, achevé le
25 juillet 1680, soit quelques jours seulement avant la mort de Jean Eudes, est
entièrement consacré au Cœur de Jésus.
Il semble à peu près certain que
c’est saint Jean Eudes qui inaugura le culte aux sacrés Cœurs de Jésus et de
Marie. Les liens entre Jean Eudes et les Cœurs de Jésus et de Marie furent très
étroits tout au long de sa vie. Il travailla beaucoup à l’institution des fêtes
du Cœur de Marie et du Cœur de Jésus, et, dans son testament rédigé en 1671, il
chargea ses “enfants” de “continuer la mission d’honorer et de faire honorer
ces divins Cœurs, mission qu’il avait reçue le premier et qu’il avait remplie
avec zèle et succès.”
Voici quelques extraits de ce
testament :
“De toute l’étendue de ma
volonté, je me donne à l’amour incompréhensible par lequel mon Jésus et ma toute
bonne Mère m’ont donné leur très aimable Cœur d’une manière spéciale, et, en
union de ce même amour, je donne ce même Cœur, comme une chose qui est à moi et
dont je puis disposer pour la Gloire de mon Dieu. Je le donne à la petite
Congrégation de Jésus et Marie pour être le partage, le trésor, le patron
principal, le cœur, la vie et la règle des vrais enfants de cette
Congrégation...
Je supplie mes bien-aimés
frères... de se donner à Jésus et à Marie dans toutes leurs actions et exercices
pour les faire dans l’amour, dans l’humilité et dans toutes les autres
dispositions de leur Sacré Cœur (au singulier: les Cœurs de Jésus et de
Marie n’en font qu’un)... afin qu’ils soient selon le Cœur de Dieu et les
vrais enfants du Cœur de Jésus et de Marie. Je donne aussi ce Cœur très précieux
à toutes mes chères filles, les Religieuses de Notre-Dame de Charité, aux
carmélites de Caen, à tous mes enfants spirituels...”
Saint Jean Eudes a été le premier
théologien de la dévotion au Sacré Cœur et le premier chantre liturgique,
s’appuyant, pour ce faire, sur la pensée de saint Bernardin de Sienne qui, comme
le fait également sainte Gertrude d’Helfta, compare le Cœur de Jésus à une
fournaise d’amour très ardente pour enflammer et embraser tout l’univers.
Paulette Leblanc
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