La spiritualité d'Alexandrina - Préface

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La spiritualité d'Alexandrina
1904-1955

PREFACE

PRÉFACE

par l'abbé François Seigneur
 

Le livre de madame Paulette Leblanc sur la « spiritualité d’Alexandrina Maria da Costa » nous ouvre des horizons nouveaux sur cette âme mystique portugaise et nous invite à méditer et à considérer avec la plus grande attention l’état des  « âmes victimes » dans le monde, paratonnerres de la justice divine et contrepoids aux châtiments qui devraient fondre sur notre pauvre humanité déchristianisée.

Il n’existe en ce monde qu’un seul vrai Sacrifice opérant la Rédemption des âmes : celui de Jésus sur la Croix.

Le sacrifice des victimes de l’Ancien Testament, en effet, ne fut agréé de Yahvé que parce qu’il était virtuellement rattaché à celui du Sauveur; et le sacrifice eucharistique de la Messe qui, depuis la Cène et le Calvaire se perpétue à travers les siècles sur nos autels, n’est que le renouvellement et la représentation mystique du sacrifice du Golgotha.

Mais si le Christ Jésus glorieusement ressuscité ne souffre plus personnellement, comme le dit saint Paul, il peut encore ressentir la douleur dans tous les membres de son corps mystique. L’apôtre des Nations, au Ier siècle de l’Église, le proclamait en employant la forme personnelle en s’adressant aux Colossiens (I, Col., I, 24) :

 

« Je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus Christ en faveur de son Corps qui est l’Église. »

 

C’est là un enseignement difficile à saisir : essayons de l’exposer brièvement et d’en montrer toute la fécondité.

L’Église, comme le dit saint Paul, est le Corps mystique du Christ : Jésus en est la tête et nous les membres. C’est un être vivant, un organisme spirituel, un tout unique qui vit, se développe, grandit en vue de l’épanouissement de la vie surnaturelle, la vie divine dans les âmes des fidèles appelés à une sainteté toujours plus haute. Le Sauveur l’a affirmé lui-même catégoriquement : « Je suis la vigne et vous les sarments. »

En effet, comme nous l’enseigne le catéchisme de saint Pie X :

 

« Le 9ème article du Credo propose à notre foi que Jésus-Christ a fondé sur la terre une société visible qui s’appelle l’Église catholique et que tous ceux qui en font partie sont en communion entre eux. L’Église catholique est donc la société ou réunion de tous les baptisés qui, vivant sur la terre, professent la même foi et la même loi de Jésus-Christ, participent aux mêmes sacrements et obéissent aux pasteurs légitimes, les évêques, principalement au Pontife romain. Les membres de l’Église catholique se trouvent :

– partie au ciel où ils forment l’Église triomphante

– partie au purgatoire où ils forment l’Église souffrante

– partie sur la terre où ils forment l’Église militante.

Ces diverses parties de l’Église constituent une seule Église et un seul corps, parce qu’elles ont le même chef qui est Jésus-Christ, le même esprit qui les anime et les unit, le Saint-Esprit, et la même fin surnaturelle qui est la félicité éternelle dont les uns jouissent déjà et que les autres attendent. »

 

Ainsi envisagée sous cet aspect, l’Église n’est autre que le Christ lui-même, se prolongeant et se perpétuant dans l’âme des fidèles à travers les siècles. Parce qu’elle vit, elle lutte sans cesse contre les influences contraires : les persécuteurs de l’extérieur, les hérésiarques et les pécheurs de l’intérieur qui s’efforcent de l’étouffer ou de retarder sa croissance. Parce qu’elle s’étend et devient conquérante : « Allez enseigner toutes les nations », elle souffre comme son Maître, prolongeant de la sorte, dans le temps, la Passion du Sauveur.

N’est-ce pas là l’enseignement des auteurs chrétiens ? Pascal ne disait-il pas : « Le Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde. »

Le Padre Pio reprendra à son compte cette formule. Cette pensée n’est d’ailleurs que l’écho de la parole du pape et père de l’Église saint Léon : « La Passion du Seigneur se prolongera jusqu’à la fin des temps. »

Au cours de la Passion de Notre Seigneur aucun des membres de son corps physique n’a été épargné. Trois heures d’agonie, trois longues heures qui n’en finissaient pas, des crampes affreuses s’étendant à tous ses membres ; sa respiration était courte et haletante ; la sueur et le sang ruisselaient sur son corps pantelant ; son auguste Visage, dans une souffrance inouïe, gardait une majesté incroyable, incomparable. Un Dieu souffrait et mourait.

De même au cours des siècles aucun membre du corps mystique du « Christ total » ne sera sans souffrance. Il faut en conséquence que chacun de nous unisse ses douleurs à celles de Jésus et collabore en quelque sorte à son œuvre rédemptrice.

Quand saint Paul affirme qu’il « complète en sa chair ce qu’il manque aux souffrances du Christ » il ne veut pas faire entendre par là que la Rédemption n’a pas été efficace et qu’après la mort du Christ nous devons souffrir pour achever son œuvre et la parfaire ; l’apôtre ne veut pas dire que la Passion a été insuffisante pour payer la rançon du péché et opérer le salut du monde, ni qu’il faille surajouter à ses souffrances l’appoint de nos douleurs pour consommer la coupe amère des châtiments à expier. Non, le comprendre ainsi serait une erreur.

Par son immolation Jésus a satisfait pleinement et d’une façon surabondante à la justice divine ; mais si, innocente victime, il s’est substitué à nous pour nous sauver, il n’entend pas cependant nous dispenser de tout effort. Il veut, qu’incorporés à lui, nous soyons crucifiés avec lui ; car si lui en est la tête, rien ne manque à la somme des souffrances expiatrices et sanctificatrices, il manque cependant quelque chose en nous, qui sommes ses membres et nous devons souffrir avec lui. Aussi, unis à lui, nous devons porter notre croix, gravir la montée du Calvaire, participer à ses souffrances du Golgotha.

Et c’est ici que nous rejoignons la belle doctrine des « âmes victimes ». Non seulement en effet, Jésus désire que nous souffrions avec lui pour l’achèvement de notre propre rédemption ― rédemption personnelle ― mais il réclame encore des volontaires de la souffrance qui, à sa suite, montent au Calvaire pour y sauver les pécheurs ; en d’autres termes il veut des « âmes expiatrices », des « âmes réparatrices », des « âmes hosties », des « âmes victimes ». Alors nous comprendrons pleinement, avec une véritable hauteur de vue surnaturelle, l’invitation personnelle que Jésus a faite le Ier novembre 1934 à Alexandrina Maria, âme élue de toute éternité, prédestinée à cette grandiose mission de collaborer étroitement à la rédemption des âmes :

 

« Viens dans mes tabernacles ; viens me consoler ; viens réparer. Ne cesse pas de réparer. Donne-moi ton corps pour que je le crucifie. J’ai besoin de beaucoup de VICTIMES pour soutenir le bras de ma justice et j’en ai si peu ! Viens les remplacer. O ma fille, écoute ton Jésus, écoute mes demandes. Me donnes-tu ton corps afin que je le crucifie ? J’exige de toi de très grandes souffrances : la crucifixion est douloureuse. Par amour pour moi, ne le refuse pas ; c’est pour sauver les pécheurs, tes frères, ces aveugles, non pas de naissance, mais aveuglés par les passions. J’espère que par toi, par la croix dont je t’ai chargée et que tu as acceptée, beaucoup reviendront à moi. »

 

Cette imploration de Jésus à son élue faisait suite à une autre révélation que Notre Seigneur lui avait faite quelques jours auparavant :

 

« Donne-moi tes mains : je veux les clouer avec les miennes ;

Donne-moi tes pieds : je veux les clouer avec les miens ;

Donne-moi ta tête : je veux la couronner d’épines, comme ils l’ont fait pour moi.

Donne-moi ton cœur : je veux le transpercer avec la lance, comme ils ont transpercé le mien.

Consacre-moi tout ton corps ; offre-toi toute à moi ; je veux te posséder entièrement. »

 

Nous n’avons pas à discuter les décisions de la Volonté divine, mais à les accepter et à nous incliner pour essayer de les comprendre et en saisir toute la fécondité.

L’histoire de l’Église d’ailleurs nous révèle qu’au cours des siècles, ces volontaires de la souffrance se sont toujours présentés en vue de travailler au rétablissement de l’équilibre surnaturel détruit par une surabondance de péchés et de crimes. Dans la balance des vertus et des vices, quand le plateau des crimes et des péchés l’emporte sur celui des bonnes œuvres, ces victimes immolées jettent dans ce dernier le contrepoids de leurs tortures physiques et morales et la stabilisation se rétablit.

Si, à certaines époques ― et nous y sommes ― le poids du mal se précipite avec tant de violence que tout menace d’être renversé, les victimes se multiplient. Cette loi de solidarité étroite, foncièrement chrétienne, fut admirablement comprise et pratiquée par tant de saintes âmes pendant le XXème siècle ! Ce sont les Gemma Galgani, Thérèse de l’Enfant Jésus, Elisabeth de la Trinité, Francisco, Jacinta et Lucia de Fatima, Claire Ferchaud, Josepha Menendez, Marthe Robin, Faustine Kowalska, Padre Pio, Alexandrina Maria da Costa, Rosalie Put, Thérèse Neumann, Marie Julie Jahenny, Consolata Ferrero, etc.

A l’exemple de Jésus, ces âmes s’interposent entre le ciel et la terre, et, endossant pour ainsi dire les crimes des pécheurs avec le dessein de les expier, elles acceptent de la sorte des responsabilités parfois épouvantables, puisque ces fautes crient vengeance vers l’Eternel. De cette manière elles complètent la Rédemption et continuent, dans le temps, le mystère du salut.

Jésus, innocent, l’agneau sans tache, n’avait pas à expier ; ses satisfactions ne pouvaient lui servir mais elles se déversaient sur les âmes coupables. De la même façon, les « âmes victimes », innocentes comme lui, demandent à Dieu de ne voir en elles que les crimes des pécheurs, trouvant dans leur amour un secret que l’amour seul peut inventer ; elles se clouent à la croix à l’endroit laissé vide par Jésus et offrent ainsi à Dieu ce qui lui manque depuis la Résurrection du Sauveur, c'est-à-dire la possibilité de souffrir et d’expier.

Comme Jésus, elles veulent être châtiées et se présentent pour réparer, parfois par des souffrances atroces, des fautes qu’elles n’ont pas commises. Plus elles souffrent, plus elles veulent souffrir, tant leur amour est grand et suit de près l’amour de Jésus pour son Père et les âmes. C’est un mystère de charité immense que saint Paul appelait « la folie de la Croix. »

Ainsi se comprend cette page de la petite carmélite de Lisieux, morte à 24 ans, sainte Thérèse :

 

« Considérant le corps mystique de l’Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul ou plutôt je voulais me reconnaître en tous. Je compris que l’Église avait un cœur et je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux et qu’il est éternel. Oui ! J’ai trouvé ma place : dans le cœur de l’Église, je serai l’Amour, ainsi je serai tout. »

 

Dès lors, elle se sent responsable de millions d’âmes et continue :

 

« Rien ne me tient aux mains, tout ce que j’ai, tout ce que je gagne, c’est pour les âmes. Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’il veut que nous ayons part avec lui au salut des âmes. Il ne veut rien faire sans nous. Le Créateur de l’univers attend la prière d’une pauvre âme pour sauver les autres âmes rachetées comme elle au prix de son Sang. Jésus veut bien faire dépendre le salut des âmes d’un soupir de notre cœur. Quel mystère ! Si un soupir peut sauver une âme, que ne peuvent faire des souffrances comme les nôtres ? Ne refusons rien à Jésus ! »

 

C’est pourquoi elle écrit à Céline, sa sœur chérie :

 

« J’ai besoin d’oublier la terre ; ici bas tout me fatigue, je ne trouve qu’une seule joie, celle de souffrir et cette joie non sentie est au-dessus de toute joie. Quand on pense que si le Bon Dieu nous donnait l’univers tout entier avec tous ses trésors, cela ne serait pas comparable à la plus légère souffrance. Oh ! Ne perdons pas l’épreuve que Jésus nous envoie, ne manquons pas l’occasion d’exploiter cette mine d’or. J’appelle une journée sans croix une journée perdue. »

 

En conséquence, son carmel n’a été qu’un long chemin de croix ; elle nous l’affirme expressément à la fin de sa vie :

 

« La Croix n’a cessé de m’accompagner depuis le berceau. Je n’ai pas été un seul jour sans souffrir, pas un seul. Ma Mère, le calice est plein jusqu’au bord. C’est bien facile d’écrire de belles choses sur la souffrance mais d’écrire ce n’est rien ! Il faut y être pour savoir. Jamais, jamais, je n’aurais cru qu’il était possible de tant souffrir ! Jamais ! Jamais ! Je ne puis m’expliquer cela que par le désir ardent que j’ai eu de sauver les âmes. J’ai trouvé le bonheur et la joie sur la terre, mais uniquement dans la souffrance, car j’ai beaucoup souffert ici-bas. Il faudra le faire savoir aux âmes. »

 

Il fallait que Jésus souffre pour opérer le salut du monde ; il faut aussi qu’au sein de la société se présentent des volontaires de la souffrance pour boire le calice. Heureuses les âmes que le divin Maître a désignées pour cette mission sublime ! Leur vocation est sainte, leur fonction est sacrée, leur ministère porte des traces d’éternité. Si leur vie ici-bas paraît frappée par la contradiction et le malheur, elle se révèlera plus tard dans l’autre monde illuminée des feux étincelants du sacrifice et de la souffrance rédemptrices.

Ainsi faut-il comprendre la vie d’Alexandrina Maria, telle que nous l’explique avec tant de justesse et d’équilibre madame Paulette Leblanc. Elle sait nous faire découvrir, à travers ce livre, combien une âme peut s’immoler dans l’ombre et s’abandonner avec générosité aux rigueurs de la pénitence, brûlant intérieurement du feu du pur amour.

Combien il est réconfortant qu’une laïque puisse, à la suite du révérend père Pinho dans son ouvrage : Une victime de l’Eucharistie, nous ouvrir des horizons nouveaux sur la spiritualité d’Alexandrina. Les différents thèmes développés nous familiarisent avec cette épouse de Jésus, et il en est plus que temps puisque selon l’aveu même de Jésus :

 

« Dis à ton père spirituel : je veux qu’il comprenne bien de quel amour tu m’aimes, afin qu’il le fasse connaître au monde, car ma gloire et le salut des âmes y sont liés. »

 

La vie de la bienheureuse Alexandrina se résume en une vie d’holocauste où, touchée par ce désir d’amour, elle ne voulut jamais rien refuser à son Sauveur ; elle accepta tout pour lui prouver son amour. Dans son sillage exprimé par ces trois mots : « souffrir – aimer – réparer », le lecteur pourra trouver un encouragement et une motivation à grandir dans la vie spirituelle en suivant l’exemple du Sauveur crucifié.

C’est l’Amour qui a tracé notre chemin. C’est l’Amour qui marque l’empreinte de nos pas. Âmes nées du Cœur blessé de Jésus, mettons nos pas dans ses pas et suivons-le.

O Jésus, malgré notre faiblesse, notre frayeur en face de la souffrance, nous voulons embrasser notre croix de chaque jour et avoir l’honneur de devenir d’humbles co-rédempteurs à l’image d’Alexandrina Maria !

« L’Amour ne se paie que par l’Amour. »

                                   Saint Jean de la Croix.

 

M. l’abbé François Seigneur

   

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