Le monastère de Sainte-Ursule à Pont-Saint-Esprit était en
1790 un des plus florissants. Les grandes dames qui y avaient autrefois fait
profession, et dont les archives du couvent gardaient pieusement le souvenir :
Anne de Luynes, la princesse d'Harcourt, entre autres, lui avaient donné un
lustre tout particulier. Mais il était aussi des plus fervents.
De ce nombre était Sœur Sainte-Sophie. Née le 8 octobre 1740,
à Saint-Laurent-de-Carnols, elle était fille de Gabriel de Berbegie, seigneur d'Albarède
et de Marie Laplace. Originaires de Ganges en Languedoc, ses parents avaient
appartenu jusqu'en 1738 à la religion protestante. Cette année et le 8 avril,
par devant le notaire royal de Cornillon (au diocèse de Nîmes), ils firent leur
abjuration de l'erreur de Calvin, «de leur bon gré et... après toutes les
instructions reçues du curé de Saint Laurent et de messire Philippe de Calvière
sur la vérité de la doctrine catholique». La bienheureuse était le premier
enfant né après la conversion de son père et de sa mère ; elle fut baptisée le
lendemain de sa naissance.
Les Ursulines fondées à Pont-Saint-Esprit en 1610,
possédaient, sous la dépendance et dans les bâtiments du monastère, une maison
d'éducation où affluaient les jeunes filles de la noblesse et de la bourgeoisie
des environs. Elles entretenaient, d'ailleurs, avec le plus louable
désintéressement, des classes gratuites pour les enfants du peuple. Pendant près
de deux cents ans, elles se dévouèrent à cette œuvre si méritoire, et en
voulurent porter exclusivement la charge souvent très lourde et très pénible.
Les Ursulines étaient si édifiantes que la population
espérait, au début de la Révolution, les préserver des mesures de rigueur que la
Convention avait décrétées.
Les parents de Marie Marguerite la confièrent de bonne heure
aux mains pieuses qui devaient former l'esprit et le cœur de leur enfant. Les
soins dont son âme fut, par-dessus tout, entourée, et la patiente formation à la
piété dont elle fut l'objet, favorisèrent puissamment chez la jeune fille
l'éclosion de la vocation religieuse. Elle fit donc profession au couvent de
Sainte-Ursule et elle y vécut une trentaine d'années jusqu'au jour où la
tourmente dispersa les religieuses et détruisit le couvent.
Réfugiée à Bollène, elle y passa les quelques mois qui la
séparaient de son arrestation. Au mois d'octobre 1792, expulsée une seconde fois
du cloître où elle avait fait vœu de vivre et était résolue à mourir, elle ne
consentit point à retourner à Pont-Saint-Esprit. Demeurée à Bollène, elle
partagea la vie pauvre de ses compagnes, et le 2 mai 1794, sur la même
charrette, elle prenait le chemin d'Orange. Incarcérée à la Cure, elle était
jugée le 11 juillet, condamnée à mort et consommait son sacrifice le même jour,
avec les Sœurs Sainte-Pélagie, Sainte-Théotiste, et Saint-Martin, dont nous
avons ci-dessus retracé à grands traits la biographie, comme « religieuse
insermentée du couvent de Bollène, du ci-devant ordre de Sainte Ursule ».
Dans son ignorance, ou dans la hâte avec laquelle il
rédigeait ses actes, l'accusateur public l'avait comptée comme ursuline de
Bollène, alors qu'elle appartenait au couvent de Pont-Saint-Esprit. Dieu qui
permet, parfois, aux gestes des méchants, de rendre hommage à la vérité, avait
voulu sans doute qu'on ne séparât pas, au seuil de la mort, ces filles d'une
même mère, sinon d'un même foyer, dont les âmes avaient été, pendant les
derniers jours, si véritablement et si entièrement sœurs.
Le même jour fut immolé un prêtre de Courthézon, l'abbé
Benoît Marcel, qui après avoir, le 14 juillet 1791, puis le 16 septembre 1792,
prêté le serment exigé par la Constitution, le rétracta courageusement devant
ses juges. Le courage admirable des quatre religieuses martyres ne fut sans
doute pas étranger à sa conversion. Il monta sur l'échafaud sans faiblir, et
renouvela au moment où il allait être exécuté la rétractation de ses erreurs
passées.
Abbé Maritan
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