La nuit du 8 au 9
Juin 1572, les dix-neuf
martyrs
de
Gorkum,
qui étaient tous ou religieux ou prêtres séculiers, furent
pendus
à une poutre du couvent, alors en ruines, de sainte Elisabeth, près
de La Brille.
Parmi les nombreux
confesseurs , qui , durant la déplorable hérésie du seizième siècle
, laquelle s'étendit aussi jusque dans les Pays-Bas, restèrent
fidèlement attachés à la foi de leurs pères , qui supportèrent ,
pour la foi catholique , toutes sortes d'outrages , d'insultes et de
tourments , et souffrirent courageusement la mort la plus cruelle,
ces héros de la foi méritent une place particulière, à cause de leur
fermeté, de leur patience , de leur douceur et de leur charité en
pardonnant à leurs ennemis.
Ce n'est pas dans
une émeute qu'ils furent massacrés, ni dans un moment
d'effervescence populaire. Après avoir supporté une longue captivité
et des tourments affreux, ils furent envoyés, malgré les ordres du
prince d'Orange, de
Gorkum
à La Brille pour repaître la
haine que le comte de Lumey avait jurée au catholicisme. Ce perfide
fit de tant d’efforts pour leur faire abandonner la religion
catholique, ce fut en vain qu'il leur promit à cette condition la
liberté et la vie. Il les envoya à la mort, après les avoir fait
tourmenter cruellement, et par des supplices qu'on n'ose même
rapporter, afin qu'ils reniassent la présence réelle du corps de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie et la primauté du Pape. C'est avec
une sainte vénération que nous citons ici les noms de ces illustres
martyrs,
parmi lesquels on compte onze Récollets.
I
Le Père
Nicolas Pieck, gardien du couvent des Récollets de
Gorkum,
issu d'une famille très-ancienne et très-considérable de cette
ville, naquit le 29 Août 1534. Ses parents Jean et Henriette Calue
étaient de bons et fidèles catholiques, et leur fils marcha de bonne
heure sur leurs traces, méprisa les vanités du monde et se rendit à
Bois-le-Duc, pour y entrer dans l'ordre de saint François. Comme il
inspirait de grandes espérances, ses supérieurs l'envoyèrent à
Louvain, pour se perfectionner sons la direction du savant P. Adam
Sasbout. Ordonné
prêtre, il fut envoyé en divers endroits, où il se rendit célèbre
par les fruits de ses prédications.
L'humilité, qui est le
fondement et le soutien de toutes les vertus, brillait dans toutes
ses paroles et ses actions. Le curé Léonard Vechelius, qui a
souffert avec lui, lui ayant représenté que les novateurs, qui
avaient le dessus en beaucoup d'endroits et qui mettaient à mort
beaucoup de prêtres et de religieux, finiraient par les pendre
aussi, il répondit : « Je n'en suis pas encore digne ; la grâce du »
martyre n'est accordée qu'à ceux qui la méritent. »
On admirait surtout en
lui l'amour de la pauvreté et de la mortification. Il craignait
excessivement la superfluité en toutes choses, et principalement
dans la nourriture, u Je crains, disait-il souvent, que si S.
François revenait » sur la terre, il n'approuvât pas telle ou telle
chose. » Son obéissance était sans bornes, et sa chasteté sans
tache. Ces vertus ne pouvaient aller sans la charité. Même où il
avait le droit de commander, il ajoutait les mots : par charité.
Il faisait taire souvent la sévérité des lois en faveur des
apostats qui désiraient sincèrement se convertir.
Il blâmait sévèrement
tous les abus et tout relâchement de la discipline monastique. Il
bannit de son couvent plusieurs mauvaises habitudes qui s'y étaient
glissées, non sans avoir à combattre la résistance de quelques-uns
de ses subordonnés; et il est digne de remarque qu'aucun de ceux qui
ont contrarié ses pieux desseins, n'a obtenu la palme du martyre.
Sévère envers lui-même, mais amical et affable envers les autres, sa
maxime était : « Nous devons servir Dieu avec joie. »
Dans ses derniers
sermons il exhorta les fidèles avec ardeur et énergie à ne pas se
départir, dans leurs instructions, de la voie de la vérité, et il
leur en donnait lui- même un courageux exemple. Il ne tarda pas à
être arrêté, horriblement torturé, pendu deux fois, et reçut ainsi
la couronne du martyre, n'ayant pas encore atteint l'âge de
trente-huit ans.
II
Le Père Jérôme,
vicaire, né à Weerd, près de Ruremonde. Après s'être fait Récollet,
il parcourut la Terre-Sainte et s'arrêta quelque temps au couvent de
Jérusalem. De retour dans sa patrie, on le vit plein de zèle pour le
salut des âmes; il se livra sans crainte à ces saintes fonctions. En
prison, il encouragea continuellement ses compagnons à terminer
glorieusement la lutte qu'ils avaient commencée, afin d'obtenir la
brillante couronne, qu'il conquit en effet, à l'âge de cinquante
ans.
III
Le Père
Thierbi d’Emden, homme de beaucoup de piété et de savoir,
né à Amersfort, d'une famille catholique, riche et très-nombreuse.
En vain ses
amis cherchèrent à le déterminer à accepter un bénéfice avantageux
et commode d'une riche abbaye ;
il aima mieux
suivre la pauvreté évangélique de S. François, et se fit recevoir
dans son ordre. Ses supérieurs l'avaient nommé confesseur des
religieuses du couvent de Sainte-Agnès. Il s'acquitta avec zèle de
ces fonctions, jusqu'à un âge très avancé, où Dieu le trouva digne
de partager le sort de ses frères, et d'orner ses cheveux blancs de
la couronne du martyre.
IV
Le Père
Nicaise d’Heeze, ainsi nommé du village d'Heeze, où il est né.
Il fit ses études théologiques à Louvain, au collège du Pape Adrien
VI, et fut fait bachelier en théologie. Il était très-versé dans
l'Ecriture, qu'il savait presque toute par cœur. Cette connaissance
éveilla en lui le désir d'arriver à la perfection évangélique, c'est
pourquoi il entra dans l'ordre des Franciscains. Il paraissait avoir
l'esprit de prophétie; car lorsque les catholiques, après les
premiers troubles de 1566, croyaient pouvoir se livrer en paix à
l'exercice de leur religion, il prédit que l'orage ne tarderait pas
à éclater de nouveau, et qu'on ne saurait où se cacher ; ce
qui se réalisa en 1572, Nicaise se trouvant dans le couvent de son
ordre à
Gorkum,
lors de la prise de cette ville, fut aussitôt emprisonné ; il
consola ses amis affligés, par ces paroles : « Que la volonté de
Dieu soit faite ! »
Sa tranquillité d'âme
et sa résignation ne le quittèrent pas un moment durant les
souffrances qu'il endura avec ses compagnons. Il avait au-delà de
cinquante-six ans lorsqu'il reçut le martyre.
V
Le Père
Wilhade, né dans le royaume de Danemarck, avait quitté sa
patrie, pour se soustraire aux persécutions des novateurs. A peine
avait-il été reçu comme religieux au couvent de
Gorkum,
qu'il se vit arraché à son asile et traîné en prison. On le trouvait
toujours à genoux, ainsi que le P. Nicaise, priant pour la paix de
l'Eglise, et ne paraissant pas sentir les misères des cachots, et
c'est en oraison qu'il a rendu l'âme pour sa foi. Il avait presque
atteint sa quatre-vingt-dixième année.
VI
Le Père Godefroi,
né à Mervel, village près de Saint-Trond avait, en qualité de
sacristain, la surveillance des choses sacrées. Il n'en possédait
pas moins de talents, et rendit surtout de grands services dans le
tribunal de la pénitence. Il consacrait ses loisirs à imprimer et à
colorier des images en l'honneur de Jésus-Christ et des Saints,
qu'il distribuait pour rien, jusqu'à ce que par le martyre il
participât à la béatitude des Saints.
VII
Le Père Antoine,
compatriote du Père Jérôme, était un prédicateur très-zélé. Ses
supérieurs l'envoyaient souvent d'un
village à l'autre prêcher l'Évangile. Il exerçait la plus grande
sévérité envers lui-même, quoiqu'il fût très-affable et d'un
caractère très-gai. Dans son dernier sermon il exhorta ses auditeurs
de la manière la plus énergique à persévérer dans la foi, prédisant,
comme par inspiration divine, la prochaine persécution de l'Eglise,
dans laquelle il reçut la palme des
martyrs.
VIII
Le Père
Antoine d’Hornaer, ainsi nommé de son village natal, situé près
de
Gorkum.
Ses parents étaient pauvres, mais
craignant Dieu et bons catholiques, de sorte que le Seigneur les
trouva dignes d'avoir un fils martyr.
IX
Le Père
François de Roy, né a. Bruxelles, venait de se faire
recevoir dans l'ordre, lorsqu'il fut envoyé au couvent de
Gorkum,
pour prendre part, à la fleur de son âge, au triomphe de ses frères.
X
Le frère
Pierre d’Assche, village célèbre situé entre Bruxelles et Alost.
Frère lai de l'ordre de Saint-François, il était très-exact à
remplir ses devoirs. Dans les derniers temps ses supérieurs
l'envoyèrent à
Gorkum,
où la Providence lui destinait la récompense la plus insigne des
fidèles confesseurs.
XI
Le frère
Corneille van Wyk,
né à Duurstede, près d'Utrecht, fut reçu chez les Franciscains comme
familier
(celui qui sort au service du couvent). Il était extrêmement humble
et avait la simplicité d'un enfant, de même qu'il en avait
l'obéissance. Le Seigneur, qui a dit que c'est à eux qu'appartient
le royaume des cieux, l'y a élevé au haut rang de martyr.
XII
Léonard
Vechelius, le plus
ancien curé de
Gorkum,
naquit, en 1527, à Bois-le-Duc, de
parents distingués. Après avoir fait ses humanités, il fut envoyé à
Louvain, où il fut reçu au collège du Pape Adrien VI : il y étudia
pendant neuf ans la théologie et se plaça au rang des premiers
théologiens.
Nommé curé de
Gorkum,
il se rendit à son poste, non seulement avec crainte, mais ses amis
durent le forcer de l'accepter. Ruard Tapper, le professeur le plus
distingué de son temps, et chancelier de l'université, influa aussi
sur sa détermination. Il avait dit plusieurs fois dans ses leçons
publiques, auxquelles Vechelius assistait : « Il y en a parmi vous,
qui donneront leur vie pour Jésus-Christ et la foi catholique. »
Cette prédiction s'accomplit par le martyre de son digne disciple.
Il brilla comme
curé, par ses connaissances théologiques et par son éloquence, tant
en chaire que dans la vie sociale, et sa réputation était si grande,
que beaucoup de chrétiens faibles se rendirent à
Gorkum
pour être
fortifiés par lui dans la foi. La conduite qu'il tenait dans les
circonstances difficiles, servait de règle aux curés du pays, et ses
décisions étaient regardées comme des oracles.
Sa profonde humilité et
sa prévenante affabilité ne lui firent pas négliger la dignité de
son caractère. Sa charité envers les pauvres était très grande, il
les nourrissait de ses revenus et donna ainsi un exemple aux riches.
Il aimait tant la chasteté, que même la médisante envie ne sut
soupçonner la sévérité de ses mœurs.
Quand ses fonctions
l'exigeaient, que son amour pour Jésus-Christ l'y forçaient, il ne
craignait personne et censurait les défauts avec la plus grande
franchise. Il était malgré cela la douceur même, et ne se démentait
pas vis- à-vis des novateurs, qui l'offensèrent souvent de paroles
ou d'actions, au point qu'ils brisèrent plus d'une fois ses vitres
pendant la nuit. Il les faisait réparer aussitôt pour que le fait ne
fût pas connu. Ses ennemis en furent souvent touchés, vinrent
implorer son pardon et rentrèrent ' dans le sein de l'Eglise. Il
instruisait avec zèle ses paroissiens dans la science du salut, il
fortifiait ceux qui chancelaient, et cherchait à ramener les brebis
égarées dans le véritable bercail.
Lorsque les
prédicateurs des nouvelles doctrines vinrent à
Gorkum,
le curé Vechelius leur demanda aussitôt quelle était leur mission,
ce qui leur causa le plus grand embarras. La populace, qu'on avait
excitée, loin de s'en laisser émouvoir, n'en devint que plus
furieuse et voulut forcer le curé de prêcher comme les autres
l'entendaient. Elle se rendit à main armée à l’église, et menaça
d'en venir à des voies de fait. Le fidèle pasteur n'en fut pas
ébranlé, et après avoir prié, il monta en chaire, annonça la
doctrine chrétienne et démontra la faiblesse des objections des
novateurs, et le Tout-Puissant protégea son serviteur, qui retourna
en paix chez lui.
Lorsqu'on vit la
nouvelle secte s'accroître de plus en plus, lorsqu'on vit la haine
que ses partisans avaient conçue contre le clergé , devenir de plus
en plus violente , et qu'ils eurent déjà trempé leurs mains dans le
sang des prêtres et des religieuses, les amis et surtout la sœur de
Vechelius le sollicitèrent de se soustraire au danger, mais toutes
leurs prières furent inutiles. Il savait qu'un bon pasteur donne sa
vie pour ses brebis et il consacra la sienne à son troupeau. Il
avait 45 ans lorsque,
après une lutte héroïque, il remporta la palme d'un triomphe
immortel.
XIII
Nicolas Poppel,
second curé de
Gorkum,
était ne à Welde, village de la Campine, de parents pauvres mais
vertueux. Il avait fait ses études à Louvain au collège de Saint
Andonck, et avait été déjà depuis quelque temps curé à
Gorkum,
lorsque la cure de Vechelius ayant été divisée, il devint son
collègue. Il était presque toujours en méditation, et remplissait
avec une ardeur infatigable ses devoirs pastoraux. Sa solide piété
le faisait soupirer après un plus haut degré de perfection, et il
forma le projet de se faire recevoir dans la société de Jésus, qui
se propageait à cette époque. Mais le curé Vechelius ayant jugé que
son ministère était indispensable a
Gorkum
et en même temps
agréable à Dieu, il renonça à son projet.
Ce fut en vain que son
père vint le prier de se retirer pour quelque temps du danger. Il
aurait cru irriter par là son Père céleste, et ni les prières ni les
larmes de ses parents ne purent l'y déterminer. Dans son dernier
sermon, qu'il tint le jour de saint Jean, il exhorta vivement le
peuple à rester fidèle à Dieu et au Roi, quoique les confédérés
fussent déjà aux portes de la ville.
Le lendemain il
dit la messe de grand matin, s'offrant lui-même à son Seigneur,
jusqu'à la mort. Après s'être revêtu de ses meilleurs habits, il fut
conduit au château avec les autres. On lui demanda s'il allait à la
noce. «C'est » comme si j'y allais, répondit-il, oh ! si je pouvais
répandre
mon sang pour la foi catholique! » Le Seigneur, qui lui inspirait ce
désir généreux l'accomplit, lui donna des forces pour
combattre,
lui accorda la grâce de la persévérance,
et orna sa tête de la couronne des
martyrs.
Il avait environ
quarante ans.
XIV
Godefroi Van
Duynen,
était né à
Gorkum.
Après avoir fait ses humanités dans
cette ville, il fut envoyé à Paris, où il avait un oncle maternel.
Il s'y appliqua aux arts libéraux, mais sa plus grande étude fut
celle de la vertu. Il ne choisissait ses amis que parmi les
personnes pieuses, et leur manière de vivre ressemblait plus à celle
de reclus que d'étudiants. On avait une si haute idée de sa vertu et
de ses talents, qu'on le nomma recteur de l'université de Paris où
il avait été reçu docteur en théologie et donné des leçons
publiques.
Son humilité
l'avait éloigné pendant longtemps de la dignité du sacerdoce ; il
finit cependant par recevoir les ordres et fut nommé curé d'une
ville située sur les frontières des Pays-Bas. Méditant sans cesse
sur l'élévation de l'état de prêtre, il était devenu si scrupuleux,
qu'il fut obligé de quitter les fonctions pastorales. Il résigna sa
cure et retourna à
Gorkum,
où il se contenta d'un petit bénéfice.
Il y mena, comme
ci-devant, une vie irréprochable. Il avait l'habitude de jeûner les
mercredis et les vendredis. Il passa presque toujours une grande
partie de la journée à l’église, priant ou se livrant à d'autres
exercices de piété.
Le Seigneur finit
par lui accorder la grâce de devoir supporter avec courage et
patience les outrages des novateurs,
les horreurs des cachots et même une mort cruelle. ii souffrit à
l'âge de soixante-dix ans.
XV
Jean d’Oosterwyck,
né dans le village de ce nom près de Bois-le-Duc, était chanoine
régulier de l'ordre de Saint-Augustin, et passa du couvent dit
Ten Rugge, près de La Brille, à
Gorkum,
pour y diriger un couvent de religieuses du même ordre, lequel était
très-déchu par la négligence et la profusion de quelques
supérieures. Cette pauvreté cependant fut cause qu'on y introduisit
une discipline régulière, et les religieuses, encouragées parles
admonitions paternelles de Jean, y restèrent fidèles jusqu'à la fin
de leurs jours.
Cependant les soldats
de Lumey, nommés les gueux de mer, avaient pris La Brille et
pillé et dévasté le couvent de Ten Rugge, Jean ayant appris
qu'un de ses frères était mort en martyr, s'écria : « Si Dieu
voulait m'accorder la grâce de mourir de même ! » Une vieille
religieuse qui Valait entendu, dit tout effrayée : « Que Dieu vous
en garde mon père, de perdre la vie par la corde ! Cette mort est si
honteuse ! » Mais comme il ne craignait pas plus la honte que la
mort, il répéta plusieurs fois : « Oh, si Dieu voulait m'accorder
cette faveur ! » Dieu exauça sa sainte prière. Le bon
vieillard avait mérité le martyre par la ferveur de ses vœux, et il
reçut la couronne triomphale sur les ruines de son couvent.
Les quinze
martyrs
que nous venons de citer se trouvaient déjà
réunis depuis quelque temps au château de
Gorkum,
lorsque le Seigneur augmenta leur nombre des quatre suivants.
XVI
Le Père Jean,
de l'ordre des Dominicains, de la province de Cologne, fut envoyé
par ses supérieurs à Hornaer, pour y desservir la paroisse. Il
exerçait ses fonctions portant le costume d'un prêtre séculier,
parce qu'il craignait la fureur des hérétiques. Lorsque ces derniers
se furent emparés de
Gorkum
et eurent fait prisonnier le clergé de
cette ville, ce zélé serviteur de Dieu s'y rendit plusieurs fois,
pour administrer les saints Sacrements aux catholiques. Ayant été
appelé un soir pour baptiser un enfant, il fut arrêté et enfermé
avec les autres, dont il partagea le sort.
XVII
Adrien Becait
de l'ordre de Saint-Norbert, né à Hilvarenbeék vers l'an
1532, prit l'habit en 1547 dans l'abbaye de Middelbourg, où il vécut
en paix pendant vingt-cinq ans. En 1572, il fut envoyé en Hollande,
en qualité de curé de Munster, non loin de La Haye. Une forte
tempête s'éleva pendant son voyage, mais Dieu l'y fit échapper, pour
le glorifier, trois mois plus tard, de la couronne des
martyrs.
Le 7 Juillet, les
vagabonds de La Brille l'attaquèrent dans son presbytère, et
l'emmenèrent prisonnier, ainsi que son vicaire Jacques Lacops. Ils
furent mis dans la prison où se trouvaient les ecclésiastiques de
Gorkum,
et pendus avec eux. .
XVIII
Jacques Lacops,
né en 1541 à Audenarde en Flandre, était, dès sa jeunesse,
très-versé dans plusieurs langues, et se fit religieux dans l'abbaye
de Middelbourg, dont nous venons de parler. Lié avec quelques
novateurs, il se laissa prendre dans leurs filets lors des premières
fureurs des iconoclastes, en 1566. Il quitta son couvent, renonça à
sa foi, et se fit même prédicant de la prétendue réforme. Mais il
déplora bientôt sa chute, revint au couvent, demanda pardon à ses
frères affligés, détesta ses erreurs, livra aux flammes un petit
livre envenimé qu'il avait écrit, et se montra prêt à se soumettre à
la plus rigoureuse pénitence.
Peu de temps après il
fut envoyé, comme pénitent, à l'abbaye de Marienweerd en Gueldre, où
il consacra une grande partie de son temps à écrire contre les
hérésies, pour réparer autant qu'il était en lui le scandale qu'il
avait causé par son apostasie. Lorsqu'on eut suffisamment éprouvé sa
constance, on l'envoya à Munster, où son frère, Adrien Lacops, était
curé pour le seconder dans l'exercice de ses fonctions. Après la
mort de son frère, il y demeura comme vicaire d'Adrien Bécan.
Quelques brigands du parti du comte de Lumey allèrent prendre le
curé de Munster dans sa maison pastorale le 5 ou 6 juillet de
l'année 1572, et se saisirent en même temps de son vicaire. Conduits
à La Brille, ils y furent examinés sur leur croyance et en
particulier sur la Présence réelle. Jacques Lacops ayant confondu
sur ce point les deux ministres contre qui il disputait, le comte de
Lumey, frappé de son savoir, de son éloquence, de sa jeunesse et de
sa bonne mine, entreprit de le séduire par des caresses, et lui
reprocha d'être retourné dans son monastère après l'avoir abandonné.
Le digne religieux lui répliqua qu'il avait reconnu sa faute, et que
les plus cruels supplices ne l'y feraient pas retomber. Ayant
persévéré jusqu'au bout dans la confession de la foi catholique, il
fut pendu à une échelle, et étranglé par ses bourreaux à l'âge de
trente ans.
XIX
André Wouters,
dont on ne connaît pas le lieu de naissance, était curé de
Heynort, près de Dortrecht. Il fut enlevé par les novateurs et
conduit à La Brille. On prétend que sa conduite n'était pas des plus
édifiantes, et qu'il remplissait d'abord avec beaucoup de négligence
les devoirs de sa place ; mais la miséricorde infinie de Dieu lui
accorda la grâce spéciale d'effacer toutes les taches de sa conduite
antérieure et de gagner la couronne impérissable des
martyrs
par la courageuse
fermeté qu'il montra dans sa confession de foi et par le sacrifice
de sa vie.
Jésus-Christ était hier, il est aujourd'hui et il sera le même dans
tous les siècles. Il Couvrit de gloire nos
martyrs,
comme il avait honoré ceux du premier siècle, par les miracles qui
s'opérèrent sur leurs tombeaux.
Leurs reliques,
plus précieuses que l'or elles joyaux, auraient sans doute été
respectueusement enlevées par les catholiques, et placées dans un
lieu convenable, pour célébrer le jour de leur bienheureuse
naissance, c'est-à- dire celui de leur martyre, si la vigilance des
novateurs et les guerres continuelles n'y eussent mis obstacle.
Cependant beaucoup de catholiques célébrèrent ce jour mémorable, en
jeûnant la veille et en priant humblement Je Seigneur pendant ces
deux jours, de protéger la religion catholique et de la rétablir
dans leur patrie. Us implorèrent à cet effet l'intercession des
nouveaux
martyrs,
et leur prière fut exaucée. Une partie des Pays-Bas fut purgée des
erreurs, et dans l'autre la religion catholique se conserva dans
toute sa pureté au milieu d'une oppression qui dura plus de deux
siècles.
Beaucoup de
fidèles visitaient secrètement le tombeau des
martyrs,
quelques-uns s'y rendaient plusieurs fois par an, et s'en revenaient
toujours fortifiés et consolés. Enfin le pieux archiduc Albert et
son épouse Isabelle, conçurent le désir de faire transférer en un
lieu convenable les reliques de nos
martyrs.
Quelques
personnes de confiance furent envoyées, en Septembre 1615, de
Bruxelles à La Brille. Elles se rendirent à l'endroit où avait été
le couvent de Ten Rugge, et prirent une grande partie de
leurs ossements, et les apportèrent, au milieu de grands dangers, à
Bruxelles. Elles y furent placées dans des châsses précieuses et
exposées à la vénération publique dans l'église des révérends pères
Récollets, après avoir été solennellement levées de terre, ce qui
arriva le 18 Octobre 1618. L'enquête au sujet de leur authenticité
avait duré jusqu'à ce jour. Le même jour, l'archevêque de Malines,
Matthias Hovius, célébra une messe solennelle, les reliques furent
processionnellement promenées dans la ville, et une maladie
contagieuse, qui régnait alors à Bruxelles et y causait beaucoup de
ravages, fut soudain arrêté dans ses progrès.
Des parties de
ces saintes reliques furent envoyées aux Récollets de Louvain, de
Malines, d'Anvers, de Tirlemont, de Saint-Trond, de Cambrai, d'Ath,
de Binche, de Tournai, de Lille, de Douai, de Valenciennes, de Mons,
de Nivelles , de Namur , de Cologne et en plusieurs autres endroits
, où l'anniversaire de la mort des
martyrs
de
Gorkum
fut célébré avec
pompe tous les ans.
En 1772, le second
jubilé séculaire de leur mort fut solennellement célébré dans toutes
les églises des Récollets des Pays-Bas catholiques. A Louvain, ce
jubilé fut célébré par une fête de quinze jours.
Ils furent tous
déclarés
martyrs
par Clément X, et le décret solennel
de leur béatification fut publié le 24 Novembre 1675. La célébration
de leur fête dans tout le diocèse de Malines a été accordée en 1721,
par le Pape Innocent XIII. Les Bollandistes ont publié plusieurs
miracles opérés par leur intercession : cette relation avait été
envoyée à Rome pour travailler au procès de leur béatification. |