Sainte Paule
naquit à Rome le 5 Mai 347. Son père, Grec d'origine, faisait
remonter sa généalogie jusqu'à Agamemnon. Blésile sa mère comptait
parmi ses aïeux, les Scipions, les Gracques et Paul Émile. Aux
avantages
de la naissance la plus illustre, Paule réunissait des biens
immenses, et les plus brillantes qualités de l'esprit. Elle épousa
Toxotius de la famille Julia, qu'on prétendait descendre d'Iule et
d'Énée ; elle en eut quatre filles et un fils. Jamais mariage
ne fut mieux assorti : ces deux époux offraient à la ville de Rome
le spectacle édifiant d'une vie très-chrétienne. Cependant la vertu
de Paule n'avait pas encore tout le degré de perfection que
l'évangile exige ; son cœur se laissa prendre secrètement aux
attraits du monde, dont il est si difficile de se défendre au sein
des honneurs. Son état était d'autant plus à craindre, qu'elle ne
sentait pas le poids de ses chaînes, et que tout contribuait à lui
dérober la connaissance de sa pauvreté spirituelle. Dieu, qui nous
frappe souvent par miséricorde, choisit la voie des afflictions pour
rompre le charme qui séduisait sa servante ; il lui enleva
son mari, lorsqu'elle n'avait encore que vingt-deux ans.
Paule, dont le cœur
était excessivement tendre, fut inconsolable de cette perte, et sa
douleur dura jusqu'au moment où elle résolut de se consacrer à Dieu
sans réserve. Cette généreuse résolution fut le fruit des
exhortations d'une sainte veuve de ses amies, nommée Marcelle, dont
la vie pénitente répandait dans Rome la bonne odeur de Jésus-Christ.
Paule leva donc l'étendard de la croix, et se mit à marcher sur les
traces du Sauveur. Depuis ce moment, on ne la vit jamais manger avec
aucun homme, quelque réputation de vertu qu'il pût avoir, pas même
avec les saints évêques qui la dirigeaient dans les voies de Dieu.
Sa manière de vivre était des plus austères : elle s'interdit
absolument l'usage de la viande, du poisson, des œufs, du miel et du
vin; seulement, les jours de fêtes, elle assaisonnait avec un peu
d'huile ce qui servait à sa nourriture. Elle se condamna, en
punition de son ancienne délicatesse, à coucher sur la terre,
qu'elle couvrait d'un cilice. Elle travaillait sans cesse à
mortifier sa chair par des jeûnes rigoureux. Dieu seul était l'objet
de ses pensées et de ses désirs ; elle s'unissait de plus en plus à
lui par de pieuses lectures, et par l'exercice d'une prière
continuelle. Persuadée que les communications avec le monde
entraînent peu à peu la ruine du recueillement de l'âme, elle
renonça à toutes les visites. Il est vrai qu'elle s'entretenait
quelquefois avec les personnes qui faisaient profession de piété ;
mais la conversation ne roulait jamais que sur des matières
spirituelles. Les amusements et les parures mondaines ne furent plus
à ses yeux que des choses souverainement méprisables, et indignes
d'occuper une chrétienne. Elle employait en aumônes, non-seulement
ce qu'elle retranchait de son ancienne dépense, mais encore toute la
partie de son bien dont il lui était libre de disposer. Les pauvres
n'avaient pas besoin de solliciter sa charité, et elle se fût
reprochée qu'une autre main que la sienne eût soulagé leurs misères.
« La plus riche succession que je puisse laisser à mes enfants,
disait-elle, c'est de leur assurer, par mes aumônes, les
bénédictions du ciel. »
L'assemblée de
plusieurs évêques d'Orient et d’Occident, convoquée à Rome, en 382,
au sujet de quelques dissensions survenues dans l’Église, lui donna
occasion de faire une connaissance particulière avec les plus saints
d'entre eux. Elle vit surtout saint Paulin d'Antioche et saint
Épiphane de Salamine, et ce fut chez elle que ces deux grands
évêques logèrent pendant leur séjour à Rome.
L'aînée des filles de
notre Sainte, nommée Blésile, étant devenue veuve après quelques
mois de mariage, avait formé le dessein de quitter entièrement le
monde ; mais la mort l'empêcha d'exécuter sa résolution.
Paule, vivement touchée de ce coup, s'abandonna à la douleur la plus
amère. Saint Jérôme, qui avait été son directeur pendant les deux
ans et demi qu'il avait passés à Rome, lui écrivit une lettre pour
la consoler, et en même temps pour la reprendre de son excessive
sensibilité. Il lui dit d'abord qu'il a ressenti lui-même
toute la grandeur de la perte qu'elle vient de faire ; puis
il ajoute que Dieu étant le souverain Maître, il faut se soumettre à
sa volonté , toujours sainte et toujours juste, le louer et le
remercier de toutes choses ; qu'il est indigne d'une
chrétienne de pleurer une personne pour qui la mort n'a été qu'un
passage du temps à l'éternité, et que la prolongation de notre exil
est le seul objet vraiment digne de nos larmes. « otre fille,
continue-t-il, est morte dans la ferveur de la résolution qu'elle
avait prise de se consacrer à Dieu : il y avait plus de quatre mois
qu'elle purifiait son âme par la pénitence. N'appréhendez-vous point
que le Sauveur ne vous dise : Paule, pourquoi vous fâchez-vous de ce
que votre fille est devenue la mienne ? Vos larmes sont une révolte
contre ma providence ; elles m'outragent. Je sais qu'une mère peut
donner quelque chose à la nature ; mais une douleur excessive
déshonore la religion, et fait décrier la vie monastique. Blésile
elle-même s'afflige, autant que le peut permettre son heureux état,
de vous voir offenser Jésus-Christ. Ne m'enviez pas ma
gloire, vous crie-t-elle du haut du ciel. Je suis ici avec la Mère
de Dieu, et dans la compagnie des Anges et des Saints. Vous pleurez
de ce que j'ai quitté le monde, et moi j'ai compassion de votre
exil, où vous êtes exposée à de grands dangers. » Paule apprit enfin
à triompher de sa faiblesse, et à retracer en elle le portrait de la
femme forte. Elle perdit encore, en 397, Pauline sa seconde
fille, qui avait épousé saint Pammachius. Pour Eustochie, qui était
la troisième, elle resta vierge, et ne quitta jamais sa mère.
Cependant notre Sainte ne pouvait plus supporter la vie tumultueuse
de Rome, depuis qu'elle avait goûté les douceurs ineffables de la
contemplation ; tout son désir était d'aller vivre dans un désert,
où son cœur ne fût plus occupé que de Dieu. Enfin, son attrait pour
la solitude ne faisant que croître de jour en jour, elle résolut,
pour le suivre, de quitter sa maison, ses biens, ses amis, ses
enfants mêmes, quoiqu'elle fût la plus tendre de toutes les mères :
mais la seule idée de cette séparation réveilla toute sa tendresse,
il lui semblait qu'on lui arrachait les entrailles. Une âme
ordinaire aurait sans doute succombé à une tentation aussi délicate
: notre Sainte s’éleva, par l'héroïsme de sa foi, au-dessus des
sentiments de la nature : et plus son sacrifice lui coûtait plus
elle en désirait la consommation. Elle ne croyait pas que ses
enfants, à l'éducation chrétienne desquels elle avait pourvu,
dussent s'y opposer.
Elle partit donc pour
s’embarquer, étant suivie de son frère, de ses amis et de ses
enfants, qui tous tâchaient, par leurs pleurs, de vaincre sa
constance. Quand elle fut dans le vaisseau, son fils Toxotius,
encore enfant, fondait en larmes, et la conjurait, en lui tendant
les bras de dessus le rivage, de ne le point abandonner. Les autres,
à qui la douleur avait ôté l'usage de la parole, ne s'exprimaient
que par leurs soupirs : mais Paule, toujours inébranlable, lève les
yeux au ciel, et ne regarde plus le rivage, de peur d'y rencontrer
des objets capables de lui déchirer le cœur. Cependant le vaisseau
part, et fait voile vers l'île de Chypre. La Sainte fut retenue dix
jours à Salamine par saint Épiphane. De Chypre, elle passa" en
Syrie. Qu'il était édifiant de voir cette femme, accoutumée à être
portée en litière par des eunuques, faire de longs et pénibles
voyages sans aucun appareil extérieur !
Elle visita avec
beaucoup de dévotion les cellules des plus célèbres solitaires
d'Égypte, de Syrie, et tous les lieux consacrés par
l'accomplissement des mystères de notre salut. Le gouverneur de la
Palestine lui avait fait préparer à Jérusalem un palais
magnifiquement meublé ; mais elle ne voulut point y loger, et
alla se renfermer dans une pauvre cellule. La vue des monuments
sacrés de notre rédemption la fit entrer dans les plus vifs
sentiments de ferveur. Prosternée devant la vraie croix, elle
adorait le Sauveur, comme s'il y eût encore été attaché. Étant
entrée dans le saint sépulcre, elle baisait la pierre qui en avait
fermé l'ouverture, et encore plus le lieu où le corps de
Jésus-Christ avait reposé. A son arrivée à Bethléem, elle visita la
caverne de Bethléem.
Enfin, le moment où la
Sainte devait aller recevoir la récompense de ses vertus, arriva.
Elle répétait souvent dans sa dernière maladie, et surtout dans son
agonie, quelques versets des psaumes qui expriment un ardent
désir d'être uni à Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle mourut le 26
Janvier 404, après avoir fait le signe de la croix sur sa bouche.
Elle était âgée de près de 57 ans, et elle en avait passé vingt à
Bethléem. Des évêques la portèrent à l'église sur leurs épaules;
d'autres suivaient avec des flambeaux et des cierges : d'autres
conduisaient les troupes qui chantaient les psaumes. On
l'enterra au milieu de l'église de la Grotte de Bethléem, le 28
Janvier.
On voit encore son
tombeau auprès de celui de saint Jérôme; mais il est vide.
L'épitaphe envers latins que ce Père y avait fait graver, et que
l'on trouve à la fin de sa lettre, est totalement effacée.
SOURCE : Alban
Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |