Le bienheureux
Pépin, premier de ce nom, était Teuton de nation, issu d'une très
noble maison, fils de
Carloman, maire du palais en Austrasie sous le
roi Clotaire II. Sa mère s'appelait Emegarde. La jeunesse de notre
Pépin fut accompagnée de toutes les vertus possibles, principalement
à un jeune homme de sa qualité. Il la passa en la cour du roi
Clotaire, qui le reconnaissant homme de bon jugement et d'une vie
sans reproche, lorsqu'il donna le royaume d'Austrasie à son fils
Dagobert, il le lui donna aussi pour le conseiller et le conduire en
ses affaires, et le fit maire de sou palais, ainsi que l'avait été
Carloman son père, auparavant en l'an 628.
Cette qualité de
maire du palais était peu différente de la royale; d'autant que tout
le gouvernement et toute la disposition du royaume était entre les
mains des maires du palais. C'était donc une chose admirable de voir
avec quelle prudence il se comportait en l'administration des
affaires du royaume ; il se montrait courageux et vaillant en temps
de guerre, faisant voir combien sa force et sa puissance étaient
grandes, et rendait en temps de paix
la justice à un chacun, tenant la main à ce qu'elle fût étroitement
gardée par tout le royaume.
L'intégrité de sa
vie était telle qu'il était très fidèle au service du roi, et
nullement dissimulé pour ce qui concernait le bien du peuple;
conservant également le droit de l'un et de l'autre, sans se laisser
corrompre par le peuple, où il y allait de l'intérêt du roi ; ni par
la faveur de sa majesté, à la ruine et à l'oppression du pauvre
peuple. Il avait ton jours devant les yeux le commandement de Dieu,
qui veut que l'on honore la personne du roi, et que l'on rende la
justice au peuple ; aussi conformait-il toutes les sentences qu'il
donnait en jugement au niveau de la justice divine, rendant au
peuple ce qui était au peuple, et au roi ce qui lui appartenait.
Véritablement
c'était un homme juste en toutes choses. Mais aussi s'était-il
associé en ses conseils et en ses affaires un grand homme d'État, et
très vertueux personnage, aimant et craignant Dieu, saint Arnould,
évêque de Metz, que le roi Clotaire avait aussi donné à Dagobert,
son fils, pour la conduite de ses affaires. De sorte que la
communication et la grande équité d'un tel conseiller lui eût même
donné de la retenue, quand il eût voulu négliger de rendre la
justice ou abuser de la puissance royale. Après la mort de saint
Arnould, il eut encore la communication d'un autre non moins
vertueux personnage, saint Combert, archevêque de Cologne, que le
roi avait appelé auprès de lui pour se servir de son conseil, en la
place de saint Arnould. Prenez garde, s'il vous plaît, que ce n'est
pas d'aujourd'hui qu'il y a des prélats dans le gouvernement de
l'État.
Nous pouvons
facilement juger de quel zèle et de quelle affection il se portait à
conserver le droit de tout le monde, et à rendre la justice
promptement et équitablement à ceux qui la demandaient, ayant pour
conseillers des personnes si circonspectes et d'une telle intégrité
de vie. Et en cela le bienheureux Pépin est d'autant plus louable de
s'être servi du conseil de si saints personnages; parce que ses
intentions étaient saintes et honnêtes, ayant en horreur la
corruption, qui se rencontre trop souvent en vœux qui ont le
gouvernement de l'État.
Le bienheureux
Pépin eut pour femme Yduberge, surnommée Itte, princesse vertueuse,
qui pour ses vertus a mérité d'être mise au rang des saints, sous le
nom de la bienheureuse Itte: elle était sœur de saint Modoald,
archevêque de Trêves. De cette femme il eut trois enfants : un fils,
nommé Grimoald, et deux tilles, savoir : Gertrude et Beggue.
Celle-là prit l'habit de religieuse, et vécut en grande sainteté ;
celle-ci se maria, et épousa Ansegise, fils de saint Arnould, qui
fut depuis évêque de Metz : elle vécut aussi saintement, et de ce
mariage est venu Pépin le Jeune, neveu du bienheureux Pépin. Pépin
le Jeune eut ensuite un fils, appelé Charles, surnommé Martel, qui
eut aussi trois fils, Charles, Carloman le Jeune et Pépin, troisième
du nom, qui fut depuis roi de France.
Le bienheureux
Pépin, après avoir longtemps gouverné la maison royale et la
Basse-Austrasie, dont il était duc, l'honneur et la gloire des
Teutons, le miroir et la règle des Brabançons, et le modèle des
saintes mœurs, passa de cette vie en l'autre, au grand regret de
toute l'Austrasie, le 21 février, l'an de Notre-Seigneur 647.
Sa mort fut
grandement regrettée tant par toute l'Austrasie que par nos rois,
qui s'en attristèrent fort. Car il est vrai que sa vie était sans
aucun reproche; c'était le temple de la sagesse, le trésor des
conseils, la défense des lois, l'auteur de la paix, la force et le
boulevard de la patrie, l'honneur de la cour, la joie des ducs, et
la discipline des rois ; et il est vrai que s'il l'eût voulu, il eût
pu s'attribuer à juste titre ce qui est dit dans la Sagesse, et dire
: Les rois règnent et la
justice s'exerce par moi.
Son corps fut
honorablement inhumé en la ville de Landen, mais depuis il a été
transporté à Nivelles pour être plus magnifiquement, et il est dans
une châsse auprès des reliques de sainte Gertrude, sa fille. Tous
les ans, aux Rogations, on le porte en procession par la ville. Une
chose vraiment miraculeuse arriva le jour de sa translation. C'est
que bien que les villes de Landen et de Nivelles soient éloignées
l'une de l'autre, pas un seul cierge, dont il y en avait quantité,
ne s'éteignit par le chemin.
Le cardinal
Baronius rapporte, touchant son insigne piété et sa grande dévotion,
que quand il allait à confesse il se déchaussait, et qu'il y allait
nu-pieds. C'était là vraiment un grand signe de pénitence et une
insigne dévotion d'un bon exemple, et d'autant plus édifiante
qu'elle venait d'une personne si relevée.
Pedro de
Ribadeneyra : Les vies
des saints et fêtes de toute l'année, Volume 2 ; traduction :
Timoléon Vassel de Fautereau. |