Avant de développer la vie et
l’œuvre de saint Filippo Néri, il est intéressant de rappeler ce que Jean-Paul
II a dit de lui. Florentin, Filippo Néri fut un romain par le cœur. Il arriva à
Rome en 1534 et y resta jusqu’à sa mort. “Il éprouva un profond amour pour
cette ville. C’est pour Rome qu’il vécut, travailla, étudia, souffrit, pria,
aima et mourut. C’est Rome qui était au centre de son esprit, de son cœur, de
ses soucis, de ses projets, de ses institutions, de ses joies et aussi de ses
souffrances... C’est pour Rome qu’il fut un saint prêtre, un infatigable
confesseur et un subtil éducateur....
Les papes et les cardinaux,
les évêques et les prêtres, les princes et les hommes d’état, les religieux et
les artistes avaient recours à lui. D’illustres personnalités, tels l’historien
Cesare Baronio et le célèbre compositeur Palestrina. Saint Charles Borromée,
saint Ignace de Loyola et le cardinal Federico Borromeo se confièrent à lui,
comme à un ami et à un père...
Saint Filippo a vécu dans un
siècle agité de dramatiques événements, dans une époque passionnée par les
découvertes de l’esprit humain, séduite par l’art classique et païen, mais
tourmentée par une grave crise due au changement des mentalités. Âme d’une foi
profonde, prêtre d’une grande ferveur, doué d’une pénétration hors du commun et
d’un charisme exceptionnel, il sut garder intacte la vérité qui lui avait été
confiée et la transmettre dans son intégrité et dans sa pureté...”
1
La vie de Saint Philippe Neri
Filippo Néri, 2e
enfant d’une famille de 4, naquit à Florence le 21 juillet 1515. Son père était
notaire. Sa maman
mourut en 1520, en donnant naissance à son 4ème bébé qui ne
survécut pas. Le papa se remaria afin de donner à ses petits, une “seconde
mère”. C’était l’époque où Savonarole prêchait à Florence. Le 6 mai 1527, le sac
de Rome par l’armée impériale de Charles Quint commençait. Au sac de Rome
succéda l’insurrection de Florence contre les Médicis : la république fut
instaurée. Entre temps Charles Quint qui avait été informé de ce qui se passait
dans son armée, voulut, sans trop se presser, délivrer le pape. Ce fut fait en
juillet 1530. Mais Rome et Florence n’étaient plus que des tas de ruines...
Filippo avait juste quinze ans.
Filippo avait un oncle, Romolo
Néri qui avait fait fortune dans le commerce. Sans enfant, il demanda à adopter
Filippo. C’était une chance inouïe pour Filippo qui commença une vie faite de
calculs et de rentabilité sur le commerce des tissus et des laines. Dans ce
genre d’activité seul le gain comptait...
Mais Filippo, troublé, se
demandait comment on pouvait amasser tant d’argent alors qu’il y avait tellement
de pauvres... Finalement Filippo quitta son oncle et, de nouveau pauvre, sans
argent, inconnu, il marcha vers Rome, à pieds... Nous sommes entre 1534 et 1535.
À Rome, Filippo trouva à se loger
chez un florentin, directeur de la douane, Galeotto del Caccia. Filippo devint
le précepteur des deux garçons de Caccia. Rome se reconstruisait, mais elle
donnait l’image d’une ville mal famée: et partout le besoin de réformes se
faisait sentir. Pourtant, tandis que les ordres religieux anciens tombaient dans
la décadence spirituelle, de nouvelles fondations voyaient le jour, dont
l’Oratoire de l’amour divin fondé en 1517, sous la bienveillante protection du
futur pape Clément VII, alors cardinal.
À Rome, chez Galeotto del Caccia,
Filippo suivait les cours de philosophie de deux grands maîtres: Cesare
Giacomelli et Alfonso Ferro. Il approfondit saint Augustin et se passionna pour
saint Thomas d’Aquin. Mais ce qui dominait chez Filippo, c’était l’amour du
prochain, charité qu’il puisait dans ses longues heures de contemplation des
mystères de Dieu, en particulier la nuit, dans les Catacombes. C‘est d’ailleurs
dans les Catacombes que Filippo, une nuit de 1544, vécut une expérience étrange.
Filippo priait, plongé dans la
contemplation de Dieu. Soudain, il sentit que le feu de l’amour l’embrasait, et
il vit une flamme en forme de globe franchir ses lèvres et parvenir jusqu’à son
cœur qu’elle fit vibrer intensément. C’était une sorte d’immense palpitation, un
immense bonheur, sublime et immatériel.
Filippo connut cette grâce
pendant toute sa vie mais plus particulièrement lorsqu’il donnait l’absolution
ou lorsqu’il parlait de Dieu: “C’était comme un cantique intérieur, sans
expression verbale. Son cœur de chair démultipliait alors son rythme,
vertigineusement, et ce surcroît de force semblait stimuler Filippo à aimer Dieu
davantage, à l’aimer plus profondément; et il s’y sentait porté par une
allégresse indéfinissable.” C’est grâce à cette intime union avec Dieu qu’il
trouva sa vocation propre: participer au destin spirituel de ceux qui
l’entouraient.
Mais Filippo était pauvre et ne
disposait d’aucun appui.
Filippo s’employa d’abord dans
les hôpitaux de Rome, notamment ceux de Saint Jean et du Saint-Esprit, où il
acquit une solide compétence d’infirmier. Mais à côté de ceux qui souffraient
dans leur corps, Filippo découvrit ceux qui souffraient dans leur cœur, et il
comprit que leur véritable mal, c’était surtout l’oubli de Dieu. Aussi
décida-t-il d’aller vers ces malades. Il s’associa également à la confrérie de
la Charité instituée par Clément VII lorsqu’il était encore cardinal, et à
l’Oratoire de l’Amour divin.
Durant toutes ces années, en
Allemagne, Charles Quint était de plus en plus fréquemment affronté aux
exigences des princes protestants. Il fallait trouver les solutions doctrinales
indispensables, il fallait un concile. C’est ainsi que le pape Paul III, élu en
octobre 1534, décida d’ouvrir le concile souhaité depuis des années, le 13
décembre 1545, à Trente. Un grand espoir naissait...
Filippo intensifiait son
apostolat. Avec le concours de son confesseur, Persiano Rosa, il institua une
confrérie vouée à la Sainte Trinité. Pendant l’année sainte 1550, en raison de
l’afflux des pèlerins, la confrérie de la Très sainte Trinité qui accueillait
chaque jour des centaines de personnes s’appela peu à peu la Confrérie des
Pèlerins. Puis, elle devint la Confrérie des Pèlerins et des Convalescents .
Nous sommes en 1550. Filippo a
trente cinq ans; c’est encore un laïc pauvre et dépourvu de tout. Le 10 novembre
précédent, le pape Paul III qui avait convoqué le Concile de Trente s’éteignait.
Il fut remplacé par Jules III. Sous l’influence de son confesseur, Persiano
Rosa, Filippo accepta enfin de devenir prêtre: il fut ordonné le 21 mai 1551.
Pour Filippo la célébration de la messe était l’acte le plus élevé qu’un être
humain pouvait accomplir. C’est le plus souvent quand il célébrait la messe que
l’amour de Filippo pour son Dieu se manifestait le plus.
Quand il n’était encore que laïc,
Filippo était déjà sujet à de fréquentes extases et manifestait des dons
surnaturels exceptionnels. Après son ordination, ces dons mystiques, qui
n’étaient auparavant que passagers, devinrent presque permanents, surtout
pendant la messe, mais également à d’autres moments où ses lévitations étaient
prolongées sinon continues.
1-5-1 – Le surnaturel devenu
naturel
La prêtrise apporta à Filippo
d’autres possibilités de communication et d’apostolat, notamment par la
confession, la direction spirituelle et les autres sacrements.
Par ailleurs ses miracles se
multipliaient. Filippo devenait un véritable thaumaturge. Pour lui le surnaturel
se faisait réalité. Qu’on le croie ou non, Filippo évoluait dans un monde qui
frôlait le mystère en permanence. Les miracles étaient autant physiques que
spirituels. Ainsi, dès que Filippo arrivait chez un malade auprès duquel il
avait été appelé, le malade guérissait ou mourait dans la paix.
Filippo devenu prêtre s’installa
dans la communauté de San-Girolamo où
il restera longtemps. Là il bouleversa la tranquillité de tous ses frères et les
convertit à sa joie et à son enthousiasme.
Pendant six heures, de six heures
du matin jusqu’à midi, Filippo était dans son confessionnal qui ne désemplissait
pas. Là Filippo ne faisait plus qu’un avec le Christ pour pardonner et apporter
aux âmes tout ce dont elles avaient besoin sur le plan spirituel. Ensuite il
montait dans sa chambre et continuait à recevoir tous ceux qui demandaient à se
former...
1-5-3 – Les persécutions
Filippo Néri n’échappa pas à la
règle qui veut que tous ceux qui font le bien et ramènent à Dieu d’innombrables
âmes soient persécutés. Filippo conseillait la communion fréquente, ce qui
n’était pas dans les habitudes de l’époque. Quelques personnes, dont deux moines
qui avaient quitté leur monastère et qui habitaient la même maison que lui,
lancèrent une véritable campagne de calomnies et s’efforcèrent de le faire
passer pour un fou... Ils allaient jusqu’à le tourmenter même dans la sacristie
quand il se préparait pour la messe quotidienne. Filippo faisait semblant de ne
s’apercevoir de rien...
1-6-1 – Filippo malade
En novembre 1592, Filippo Néri
fut atteint d’une grave bronchite. Les médecins le croyaient perdu, mais, au
grand étonnement de tout le monde, il se remit. Ce n’était qu’un avertissement,
et Filippo, âgé de 78 ans, comprit qu’il devait penser à sa succession.
L’Oratoire avait besoin d’une direction assurée par des jeunes en pleine forme.
Le 23 juillet 1593, les pères de l’Oratoire élirent à l’unanimité, Baronio, si
cher au cœur de Filippo.
À sa grande satisfaction Filippo
pouvait se retirer ; il déclara: “Je vais pouvoir commencer à faire le bien
et à m‘occuper de mon âme!” Car Filippo était convaincu “qu’il n’avait,
jusqu’ici, fait aucun bien autour de lui, non, vraiment, aucun!”
Filippo fut très malade durant
l’hiver 1593-1594. Ses hémoptysies étaient de plus en plus nombreuses. Il
semblait au plus mal... Cependant au printemps suivant, le malade se leva
soudain et s’écria: “Ô ma Madone, ô ma Madone!” Puis Filippo continua:
“Je suis guéri! Je suis guéri!” Une année se passa sans rechute...
1-6-2 – La mort
Filippo a 80 ans, ce qui était
exceptionnel à cette époque. À la fin du mois de mars 1595, il se rend au
Vatican pour guérir le pape malade. En mai les hémoptysies de Filippo
recommencent. Son état est critique, et le cardinal Federogo Borromeo lui porte
le viatique. À la vue de la sainte hostie, l’agonisant reprend connaissance et
s’écrie: “Voici Celui que j’aime! Voici Celui que j’aime! Donnez-le-moi
vite!”
Le lendemain le malade retrouvait
des forces et pouvait célébrer la messe. Cependant Filippo sentait que la mort
approchait bien qu’il menât une vie presque normale. Le 25 mai 1595 au matin,
Filippo était plein de vie: c’était la fête du Très Saint Sacrement... Pourtant,
à deux heures du matin, le jour suivant, 26 mai, Filippo rendait son dernier
soupir.
La foule commença à défiler pour
prier devant le corps du saint.
1-6-3 – Après la mort de
Filippo Néri
Les pères prirent immédiatement
les mesures nécessaires pour assurer la survie de l’Oratoire tel que l’avait
voulu leur père fondateur. L’œuvre spirituelle de Filippo Neri demeurerait
intacte, consacrant, en quelque sorte, ce qui fut toute la vie du fondateur:
réussir la réforme de l’Église catholique, parfois appelée Contre-Réforme.
L’Église redevenait jeune, à la manière de Filippo Néri...
La réputation de sainteté de
Filippo Néri était telle que son procès de canonisation s’ouvrit le 2 août 1595,
soit deux mois après sa mort. Pourtant, il fallut suivre toutes les contraintes
imposées, et ce n’est que le 25 mai 1615 que Paul V le proclama bienheureux.
Grégoire XV eut l’honneur de le canoniser le 12 mars 1622.
Nota : En 1639, pour
extraire des reliques, les pères oratoriens ouvrirent le cercueil. Le corps de
Filippo apparut intact !
Quatre ans plus tard, François de
Sales se rendait à Rome pour y subir, le 22 mars 1599, l’examen qui lui
permettrait de devenir évêque. Deux oratoriens: Cesare Baronio, successeur de
Filippo, et Ancina assistaient à l’examen. À partir de ce moment, François de
Sales commença à fréquenter l’Oratoire et à s’inspirer de ses vertus
principales:
– l’élévation au
plus haut degré de la condition du prêtre et de sa formation,
– La joie dont
l’origine et la finalité résident dans l’au-delà,
– La jeunesse
spirituelle.
Rentré à Genève, François de
Sales fonda à Thonon une communauté de sept ou huit membres qui reçurent comme
règle, de vivre selon le modèle des oratoriens de Rome.
2
L’Oratoire
De nombreux jeunes gens se
réunissaient autour de Filippo, dans sa chambre pour parler de Dieu. De féconds
dialogues naissaient. Le groupe s’accroissait, les conversions se multipliaient,
et tous, à l’exemple de leur maître s’en allaient s’occuper des pauvres et des
malades. Et tous apprenaient à se connaître... et de là naquit l’Oratoire.
Filippo parlait à chacun de ceux qui assistaient aux réunions, il lisait dans
leurs cœurs, il transformait les âmes. Même les plus nobles personnages
fréquentaient l’Oratoire, et beaucoup devenaient des hommes (ou des femmes) de
prière.
Peu à peu l’Oratoire se
structura. Filippo institua deux temps de prière et de réflexion par jour. De
nouveaux membres se présentaient dont Cesare Baronio qui arriva en 1557 et sera,
à la demande expresse de Filippo, l’auteur des Annales de l’Église, un
ouvrage monumental. Baronio ne quittait plus son père spirituel dont il sera
plus tard, le successeur.
2-2-1 – La Réforme de l’Église
26 mars 1555, mort du pape
Jules III. Marcel II lui succéda mais ne régna que vingt deux jours. Vint
ensuite Paul IV (1555-1559) qui, avec Gaetano di Thiene, avait fondé les
Théatins, un Ordre religieux rigoureux. Sous l’impulsion de Paul IV,
l’atmosphère romaine se transforma: on comprit l’importance de l’oraison et de
la prière. Beaucoup de grands personnages, jusqu’ici mondains et frivoles,
changèrent de vie et se mirent à fréquenter assidûment l’Oratoire qui prenait de
plus en plus d’importance.
2-2-2 – Filippo Néri et le
Concile de Trente
On sait que Filippo seconda
l’œuvre de réforme de l’Église entreprise par Paul IV. Après la mort de ce
dernier, c’est Pie IV (élu le 26 décembre 1559) qui lui succéda.
Paul IV avait eu le mérite de
réunir le Concile de Trente et de le clore le 3 décembre 1563, le Concile de
Trente. Par ailleurs il rétablissait le port du costume ecclésiastique, il
fondait les écoles de catéchisme et incitait les ordres religieux, dont le
Carmel et les Cisterciens à se réformer. Pour appliquer les réformes décidées
par le concile de Trente, Paul IV fut fortement épaulé par un jeune neveu
Charles Borromée qui deviendra le saint patron des évêques.
Au centre de tous ces grands
courants de réforme, Filippo Néri apparaissait comme un précurseur: en effet, il
avait préparé la voie à Charles Borromée. Dès qu’ils se connurent suffisamment,
les deux hommes se lièrent d’amitié confiante, tout en conservant leur totale
liberté de jugement.
2-2-3 – Filippo Néri et les
papes
Pie V
Pie V succéda à Pie IV en janvier
1566. C’était une âme assoiffée de Dieu, qui poursuivit avec succès l’œuvre de
Pie IV. Mal informé par des gens “bien intentionnés”, Pie V faillit supprimer
l’Oratoire. C’est Charles Borromée qui, ayant appris sa décision, sut l’en
dissuader.
Pie V s’éteignit le 1er mai 1572.
Grégoire XIII lui succéda. Les problèmes auxquels les papes, à cette époque,
étaient affrontés étaient multiples, à la fois temporels (le pape était un
souverain) et spirituels. Ils durent s’occuper, entre autres:
– de la réforme de
l’Église et de l’application des décisions du Concile de Trente,
– de la sécession des
protestants dans la moitié de l’Europe,
– de l’administration
des états de l’Église,
– du péril turc
toujours présent.
En effet, à cette époque les
Turcs se faisaient de plus en plus dangereux. Une alliance des puissances
chrétiennes européennes permit la victoire de la flotte chrétienne à Lépante, le
5 octobre 1571. Un coup d’arrêt était porté à la progression des Turcs en
méditerranée.
Grégoire XIII
Grégoire XIII avait bien connu
l’Oratoire quand il était cardinal; aussi établit-il des relations directes avec
Filippo, ce qui facilita grandement le travail d’apostolat de l’Oratoire.
D’ailleurs, les miracles et les grâces semblaient naître sous les pas de
Filippo, et grâce à ses prières. Dans tous les accouchements difficiles où la
mère et l’enfant étaient en danger, on faisait appel à lui: et tout se passait
bien... Les malades étaient guéris. Même des morts ressuscitaient ! De partout
on faisait appel à lui.
C’est que la prière de Filippo
était un acte de foi qui déplaçait les montagnes.
Sixte Quint
Avril 1585. Sixte Quint,
homme d’origine modeste, succéda à Grégoire XIII. D’emblée le nouveau pape prit
des mesures sévères pour faire cesser le banditisme qui avait envahi Rome suite
à la mansuétude de Grégoire XIII, et s’astreignit à poursuivre l’œuvre
réformatrice de ses prédécesseurs. Il réorganisa le Sacré Collège et créa les
congrégations vaticanes chargées de gérer les divers secteurs d’activité de
l’Église. Il multiplia également les grands travaux qui donnèrent à Rome
l’aspect qu’on lui connaît. Sixte Quint appréciait Filippo Neri et ses
disciples. Il nomma à la tête des Congrégations romaines des hommes de
l’Oratoire. Les membres de la Curie devinrent moins ambitieux, plus ouverts à
l’apostolat que Filippo avait enseigné à quelques-uns d’entre eux. L’influence
de Filippo Neri assainissait et purifiait tous ceux qui l’approchaient...
Grégoire XIV
Grégoire XIV succéda à Sixte
Quint en 1590. La situation à Rome était critique: banditisme, famine,
épidémies, inondation. C’est à cette époque que l’on vit apparaître le
dévouement inlassable de Camille de Leslis pour les malades. Parallèlement
l’Oratoire poursuivait son œuvre avec la bienveillante protection de Grégoire
XIV qui, après son décès fut remplacé, le 29 octobre 1591 par Innocent IX lequel
s’éteignit également quelques mois plus tard. Clément VIII, qui avait été formé
à l’Oratoire, le remplaça...
Clément VIII
Un douloureux problème se posait
alors en France: le roi Henri IV, protestant, était excommunié. La France
pouvait tomber dans l’hérésie et de nouveau dans la guerre civile dont elle
sortait à peine. Fallait-il lever l’excommunication majeure qui frappait Henri
IV ? À Rome, les avis étaient contradictoires et surtout orientés vers la
fermeté. Mais Filippo avait compris la nécessité de faire admettre le roi de
France dans l’Église catholique. Le pape réfléchit longtemps sur cette épineuse
question; enfin le 30 août 1595, l’absolution de Henri IV fut prononcée par le
pontife et annoncée solennellement au consistoire. Filippo ne vit pas cette
heureuse conclusion: il était mort trois mois plus tôt: le 25 mars 1595.
3
La vie spirituelle de Filippo Neri
Filippo Néri estimait que
l’humilité devait avoir la première place dans toute direction spirituelle.
Cependant, contrairement à tant d’autres, il donnait la priorité aux
mortifications intérieures. Filippo, en effet, était entouré de personnes
souvent favorisées sur le plan social, et qui se trouvaient plus que d’autres,
menacées par l’orgueil. Mais la direction de Filippo était pleine de tendresse
et d’attention aux autres qu’il savait écouter et comprendre. Il était un vrai
père pour ses dirigés. Aux âmes mortes, Filippo apportait chaleur et simplicité,
ce qui était la manifestation de l’amour qui brûlait en lui.
Les recrues, souvent très
précieuses et de très haut niveau spirituel et intellectuel, affluaient à
l’Oratoire. Une maison et une église lui appartenant devenaient indispensables.
En 1575, le pape Grégoire XIII émit une bulle qui assignait un siège à
l’Oratoire dans l’église de Santa Maria in Vallicella, située au centre de Rome.
De plus, la bulle érigeait à perpétuité, “une congrégation de prêtres et de
clercs séculiers, nommée Oratoire.” C’était l’acte de naissance officielle
de l’Oratoire de Filippo Néri. C’était une grande nouveauté que l’introduction,
dans l’Église, d’une congrégation masculine fondée sur l’exercice de la charité,
sans imposer l’obligation des vœux.
Nous sommes en 1575. À l’époque,
Filippo ne désirait pas voir l’Oratoire essaimer hors de Rome ; il voulait
laisser faire le Seigneur et laisser libres les voies de Dieu...
Le 4 février de la même année
1575, naissait en France Pierre de Bérulle, le futur fondateur de l’Oratoire de
France, lequel s’inspirera fortement des méthodes de Filippo. Entre temps,
François de Sales avait suivi une voie comparable à celle de l’Oratoire de Rome,
en rassemblant à Thonon, en Savoie, un groupe de prêtres, dans l’intention de
s’opposer à l’hérésie calviniste. Curieusement, par l’intermédiaire de François
de Sales et de Bérulle, Filippo Néri se trouve être à l’origine de l’École
Française de spiritualité.
En 1578 l’Oratoire romain
comptait 33 membres, mais seulement quatre piliers solides. Filippo hésitait à
fonder d’autres oratoires quoique celui de Naples, fondé malgré lui, semblât
être un succès.
Filippo demandait à ses
oratoriens une grande fidélité. Pourtant aucun vœu n’était imposé; en effet, aux
vœux qu’il refusait, Filippo préférait la fidélité réfléchie et constamment
renouvelée. Dans la fidélité, et le respect qu’elle sous-entend, résidait toute
la doctrine de ce saint original dont la seule certitude qu’il voulait à tout
prix partager était: Dieu existe, Dieu nous aime.
Le trait principal de la
personnalité de Filippo Néri est sa bonne humeur et sa gaieté. Cela était bien
nécessaire à celui qui devait s’attaquer d’abord à l’orgueil de ceux qui
venaient à lui. La joie et l’humilité... Et l’on voyait autour de Filippo les
caractères les plus orgueilleux changer de nature et, grâce à l’exemple et à
l’humble générosité du maître, se transformer en oubliant leur amour-propre et
en désirant accueillir pleinement l’amour que Dieu leur offrait. Les plus
grands, les plus riches, renonçaient soudain à leurs fastes, si bien que Filippo
devait les ramener à un juste équilibre compatible avec leur situation sociale.
En effet, pour Filippo, “mortifier une passion quelque modeste qu’elle soit,
est bien plus profitable que la multiplication des jeûnes ou des disciplines.”
Filippo était toujours joyeux,
car il savait que ce qui est enseigné dans la joie marque les cœurs profondément
et devient ferment de vie, même chez les religieux les plus élevés dans la
hiérarchie ecclésiale. L’esprit original de Filippo sut ainsi atteindre les
esprits souvent austères de ceux qui devaient mettre en œuvre la contre réforme
catholique. Beaucoup comprirent la valeur de sa méthode. Cela est vrai, à tel
point que le doux François de Sales institua à Thonon, en Savoie, un groupe de
prêtre séculiers, vivant en communauté, sur le modèle même des oratoriens de
Rome.
Ainsi, discrètement, la joie
communicative d’un saint et sa prière qui soutenait sa communauté, conduisait à
l’esprit de sacrifice et à l’oraison. Car l’union de Filippo avec Dieu était si
totale et si constante que même dans ses activités qui demandaient toute sa
concentration, sa pensée et son cœur demeuraient toujours en Dieu et en son
amour. Filippo vivait en Dieu et au service des autres.
– D’abord l’humilité
de l’intelligence.
Au siècle ou vivait Filippo, se
développait un danger fondamental: l’orgueil de l’intelligence. Pour y remédier,
Filippo insistait beaucoup sur la pénitence intérieure qui doit accepter la loi
de Dieu.
– Puis la joie
intérieure.
L’humour de Filippo, bien connu,
lui valu le qualificatif de “saint de la joie”, et sa maison, “la
maison de l’allégresse.”
– Enfin, la
pédagogie de la grâce.
Filippo qui fut éducateur et
désirait respecter pleinement la personnalité des enfants et des jeunes, bâtit
son projet d’éducation sur les cinq piliers suivants : connaissance approfondie
de chaque enfant ou de chaque jeune; lumière apportée à l’esprit par les vérités
de la foi, par les lectures et les méditations; la dévotion eucharistique et
mariale; la charité pour le prochain; et enfin le jeu sous ses multiples
aspects.
Le cardinal Newman qui cherchait
à se convertir au catholicisme étudia la vie et la spiritualité de Filippo Néri.
Il voulut devenir prêtre oratorien et fonda le premier oratoire en Angleterre.
On a dit que Filippo Néri avait
été l’homme du XVIe siècle. Le Cardinal Cusani a dit de lui, lors du
procès de béatification : “Je n’ai jamais connu un homme qui fût vénéré par
des évêques, des archevêques, des cardinaux et des papes, aussi bien que par des
foules innombrables, à l’égal du bienheureux Filippo.” Tous ceux qui l’ont
connu ont loué sa gaieté. Filippo, en effet, estimait “qu’il est bien plus
facile de guider vers le bien les natures joyeuses que les âmes mélancoliques.”
Filippo Néri naît en 1515 ; il
arrive à Rome au moment où l’influence de la Renaissance commence à s’estomper.
Il connaît la Réforme protestante. Il suit les travaux du Concile de trente et
s’efforce de mettre en œuvre ses décisions. Enfin il meurt avec le siècle, en
1595.
Paulette Leblanc
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