Saint Pie V,
un berger devenu pape
Voici l’histoire d’un petit berger devenu un grand
pape.
Dans la ville de Bosco, située dans
le diocèse de Tortona, au nord de l’Italie, naît le15 janvier 1504 Antoine
Ghislieri. Sa famille noble et très ancienne, a été ruinée par la guerre. Chez
les Ghislieri, on vit donc
pauvrement.
Antoine est berger. Tout petit, il est déjà attiré par les choses de Dieu.
Un jour où il garde son troupeau,
il aperçoit deux dominicains qui cheminaient de paroisse en paroisse pour
prêcher l’Évangile. Il se met à courir au devant d’eux pour leur parler. Les
deux religieux sont autant frappés par l’intelligence de l’enfant que par sa
maturité. Nul doute que Dieu l’a mis sur leur chemin pour qu’ils aient soin de
lui. Ils proposent donc à l’enfant de les suivre pour faire les études qui lui
permettraient de prendre l’habit des Frères prêcheurs. Antoine bondit de joie à
cette idée. Il se rend à toute vitesse chez ses parents pour les supplier de le
laisser partir avec les deux dominicains, ce qu’ils acceptent volontiers. Après
avoir reçu leur bénédiction, voici donc l’enfant en chemin pour sa nouvelle vie.
Un religieux de 14 ans
Au monastère, le postulant fait
l’unanimité. Sa gentillesse est si grande et si vive son intelligence ! Sa
nature assez colérique et son caractère facilement impressionnable sont
compensés par une charité exemplaire. Il a aussi une tendre dévotion pour la
Sainte Vierge qu’il sait honorer par mille petites attentions. L’enfant accepte
la dure vie monastique et reçoit docilement l’enseignement de ses maîtres. Il
est adopté par toute la communauté qui décide de lui donner l’habit des
dominicains et le nom de frère Michel Alexandrin (Bosco était en effet proche
d’Alexandrie en Piémont).
Le novice débute ses études
scolastiques à Vigevano, où il prononce ses vœux solennels en 1519,- à 15 ans !
- puis il est envoyé à Bologne, berceau du fondateur de l’Ordre, réputé pour la
solidité de la formation dispensée. Les progrès de frère Michel Alexandrin en
théologie sont si rapides qu’il est bientôt capable d’enseigner à son tour. Il
connaît certainement l’ivresse que donne le plaisir intellectuel, car le jeune
professeur met en garde ses élèves : « il faut toujours assaisonner la science
avec le sel de la piété ! » Lui-même donne autant l’exemple par son assiduité
aux exercices de la communauté et le temps qu’il passe en oraison devant le
tabernacle, que par son zèle à l’étude. Pour lui « la liturgie et l’étude sont
les deux mamelles fournissant le lait spirituel sans lequel l’âme reste stérile
».
Lorsqu’il atteint 24 ans révolus,
ses supérieurs jugent qu’il est suffisamment préparé pour devenir prêtre. Le
jeune frère, lui, s’en trouve pourtant bien indigne. Michel Alexandrin est donc
ordonné prêtre et célèbre sa première messe à Bosco, berceau de sa famille. Sa
ville natale est alors dans une grande désolation : la contrée vient d’être
dévastée par les armées françaises de François 1er marchant sur Pavie, et le
jeune prêtre s’emploie à réconforter ses compatriotes.
Il retourne ensuite à Bologne où il
reprend l’enseignement de la théologie, puis durant seize ans, il sera
successivement le prieur des monastères de Vigevano, de Soncino et d’Alba. Il y
laisse le souvenir d’un supérieur juste, plein d’affection pour ses frères qu’il
soigne comme aurait fait une maman, tout en réclamant d’eux une stricte pratique
de l’obéissance. Exigeant pour ses frères, il l’est aussi pour lui même.
Inquisiteur en Lombardie
Tandis que les armées françaises
ravagent la Lombardie, les protestants de Suisse, disciples de Calvin, en
profitent pour introduire en fraude de mauvais livres, ce qui constitue un réel
danger pour le peuple, curieux de ces écrits qui ont l’attrait de la nouveauté
et de la contestation.
Cette grave affaire préoccupe
beaucoup le pape. Après en avoir mûrement délibéré, le Saint-Office romain
décide de nommer le père Michel Alexandrin Inquisiteur, car sa rigueur
théologique lui permettra facilement de démontrer la fausseté des livres
hérétiques. Le voici donc envoyé à Côme dans le nord de l’Italie. A peine nommé
en 1545, il part visiter le territoire qu’on lui a désigné. Là, au lieu de
rechercher ses aises, comme le voudrait sa nouvelle et importante fonction, il
va à pied, préférant l’inconfort d’une mauvaise paillasse à un bon lit et
s’imposant de mortifiantes privations. En chemin, il égrène son rosaire ou
récite à haute voix des prières. Autant de manières de sanctifier sa mission et
de montrer l’exemple.
Or il advient qu’à Côme, un
marchand a convenu avec les Protestants genevois de l’envoi d’un grand nombre de
livres de propagande calviniste qu’il pourra vendre à bon prix en faisant de
gros bénéfices. Le bonhomme trouve moyen de corrompre tous chanoines du Chapitre
pour qu’ils ferment les yeux sur son trafic. Lorsque le Père inquisiteur apprend
l’affaire, il décide d’excommunier tous les responsables de ce mauvais commerce,
à commencer par tous les chanoines. Mais ces derniers ne se démontent pas. Ils
font courir dans la ville toutes sortes de bruits pour monter le peuple contre
l’inquisiteur. Le chanoine le plus compromis a même l’audace de porter plainte
auprès du gouverneur de Milan, en lui présentant les choses à sa manière, c’est
à dire en cachant le trafic de livres et en imputant toute la responsabilité des
troubles à l’intransigeance du père Michel Alexandrin. Le mauvais prêtre est
beau parleur et le gouverneur se laisse convaincre. Il convoque l’inquisiteur
pour le remettre à sa place de manière outrageante.
Devant cette infamie, il en va de
l’honneur de l’Église. Ghislieri part sur le champ à Rome pour retracer ce qui
s’est passé. Il arrive le 24 décembre 1550. Lorsqu’il frappe à la porte du
couvent de son ordre, le prieur le prend pour un de ces ambitieux venu mendier
des faveurs à la cour du pape : « Que venez vous chercher ici, mon père ? Venez
vous voir si le collège des cardinaux est disposé à vous faire pape ? » dit-il,
railleur, et bien loin d’imaginer que ce celui dont il se moquait monterait
bientôt sur le trône de saint Pierre ! Qu’importe, l’inquisiteur peut
s’expliquer auprès de la Curie qui approuve entièrement sa conduite. Les
réclamations injustes des chanoines de Côme sont rejetées, pour leur plus grande
confusion.
Ardent défenseur de la foi, le père
Michel Alexandrin déploie tout son zèle de prédicateur pour ramener des âmes à
Dieu. Nombreux sont ceux qui se convertissent, comme Sixte de Sienne. Ce juif
d’origine avait adopté la foi catholique et était entré chez les franciscains,
puis il avait tout renié et avait été condamné comme relaps. Avec humilité et
douceur, le père inquisiteur lui avait expliqué ses erreurs et était parvenu à
le faire revenir à l’Evangile. Sixte entra chez les dominicain et vécut jusqu’à
sa mort comme un frère exemplaire de l’ordre.
Évêque et bientôt cardinal
Pendant son séjour à Rome, le père
Michel Alexandrin s’est lié d’amitié avec le cardinal Carafa, préfet de la
congrégation du Saint-Office. Celui-ci est émerveillé par les qualités d’âme du
dominicain. Nul doute que la Providence a choisi ce missionnaire ardent et
généreux pour lutter contre l’hérésie protestante qui ne cesse de gagner du
terrain. Au lieu de le laisser retourner en Lombardie, Carafa appelle le père
Michel Alexandrin qui a 47 ans comme commissaire général du Saint-Office. En
1555 Carafa, élu pape sous le nom de Paul IV, confirme le père Michel Alexandrin
dans sa commission au Saint-Office et le nomme évêque de deux diocèses
importants situés près de Rome. Le dominicain de 51 ans, ne veut accepter un tel
honneur. Il supplie le pape de le laisser mourir sous l’habit de moine, mais
celui-ci le rappelle à l’obéissance et le consacre évêque. Le pape lui avait dit
: « je vous attacherai au pied une chaîne si forte qu’après ma mort même vous ne
pourrez plus songer au cloître ». Cette chaîne est le cardinalat auquel
Ghislieri est promu le 15 mars 1557. Quelques mois après, le 14 décembre 1558,
Paul IV l’institue à 54 ans Grand Inquisiteur souverain de la Chrétienté (et nul
ne portera ce titre après lui).
Les exigences sociales liées à
toutes ces charges répugnent à son austérité de dominicain. Le cardinal
Ghislieri ne tolère que ce qui est strictement nécessaire à l’étiquette et vit
de manière austère. Son palais ressemble à un couvent. Il engage des domestiques
disposés à accepter ce mode de vie ascétique, mais les traite avec une
délicatesse impensable pour l’époque. Matin et soir, il préside à leur prière,
et lorsque l’un d’eux tombe malade, il le fait porter dans une des plus belles
pièces du palais pour le soigner comme un prince. Et il ne manque pas, malgré
ses nombreuses occupations, de lui rendre visite plusieurs fois dans la journée
!
A la mort de Paul IV, est élu
l’oncle de Charles Borromée, le pape Pie IV qui pratique le népotisme. Le
cardinal grand inquisiteur ne mâche pas ses mots pour le lui reprocher. Ce qui
provoque grande colère du pape qui, pour le disgracier, le nomme évêque de
Mondovi, petite ville du Piémont. L’inquisiteur obéit, mais il tombe gravement
malade. Au moment où son état s’améliore, il apprend la mort de Pie IV (9
décembre 1565) et doit donc retourner à Rome pour l’élection du nouveau pape.
Élu pape
Comme aucune unanimité ne parvenait
à se faire sur les noms proposés, le cardinal Charles Borromée proposa celui du
grand inquisiteur qui emporta l’élection. A l’annonce de cette décision, le
cardinal Ghislieri décida de prendre le nom de Pie V pour bien marquer qu’il
oubliait le passé.
Mais quelle sera la réaction du
peuple de Rome ? Le cardinal est connu pour sa sévérité. Le nouveau pape met une
telle ardeur à faire cesser tous les abus en particulier l’ivrognerie et
l’immoralité, qu’il n’est pas très populaire. Il est pourtant attentif aux
réclamations des romains. Il met en chantier de grands travaux pour amener l’eau
potable en ville et améliorer leur existence. Dans les couvents il s’emploie à
restaurer la règle. Il lutte sans trêve contre l’immoralité et l’ignorance des
prêtres. Certains ne se confessent jamais. Ils s’en croient dispensés parce
qu’ils ont pouvoir de confesser et vivent en état de péché mortel. D’autres sont
incapables de dire correctement la messe. Le clergé est dans un bien triste état
!
Pour l’intérêt de l’Église
Or ce qui est le plus important
pour lutter contre l’hérésie protestante est d’avoir de bons et saints prêtres
ayant une solide formation. Il établit donc des séminaires et favorise la
diffusion des écrits du Docteur angélique, saint Thomas d’Aquin, dont il finance
la publication des œuvres. Nulle meilleure arme pour combattre les erreurs du
temps que la Somme théologique ! Mais la formation intellectuelle ne suffit pas.
Pour que l’Église retrouve son beau visage, il faut que ses ministres montrent
l’exemple dans la conduite de leur vie et dans leurs mœurs. Pie V est un
défenseur absolu des réformes décrétées par le concile de Trente.
Pie V qui avait constaté l’état
lamentable du culte divin, engage une grande réforme liturgique qui va aider au
renouveau de l’Église. Une bulle de 1568 réforme le bréviaire romain, et
l’applique à toute la chrétienté.
Puis
une bulle de 1570, impose l’usage du missel romain aux églises d’Occident dont
la tradition liturgique a moins de 200 ans d’existence (c’est pourquoi on
parlera de la « messe de saint Pie V »). Pour lutter contre les hérésies, Pie V
réforme les services de la Curie (1569), crée la congrégation des évêques et
celle de l’Index (1571). Enfin, il ravive le recours à la miséricorde de l’Eglise
par les indulgences.
La victoire de Lépante contre les Turcs
Un autre danger menace la
chrétienté occidentale : les princes se jalousent et s’opposent entre eux.
Certains sont devenus protestants. Les Turcs profitent des oppositions qui
divisent l’Europe pour étendre leur domination. En 1566 L’empereur Maximilien II
tente de reprendre la Hongrie mais échoue, tandis que le Sultan Soliman II
cherchant à s’emparer de l’île de Malte achoppe devant la résistance des
chevaliers. Sélim II son successeur, conquiert l’île de Chypre en 1570 dont il
décime la population. Il faut à tout prix bloquer l’avance musulmane et le pape
écrit aux princes chrétiens pour qu’ils fassent alliance. Seuls répondent Venise
et l’Espagne. Le pape suscite un grand élan de prière dans toute la chrétienté
et mobilise les confréries du Rosaire.
Les 200 galères de l’armée
catholique arrivent le 7 octobre 1571 dans le golfe de Lépante en vue des 300
galères turques. La bataille est terrible. Ordre est donné de libérer les
galériens de la ligue chrétienne. Ils renforcent l’assaut des soldats et se
battent comme des lions. Quand les turcs font de même, leurs rameurs, en
majorité des chrétiens, se retournent contre eux. Trente mille turcs périssent.
La marine chrétienne qui a perdu huit mille hommes a stoppé l’expansion
musulmane. Pour rendre grâces de cette magnifique victoire, le pape qui, dans le
jeûne et la prière, avait confié le sort du monde chrétien à Notre Dame,
institue au jour anniversaire de cette belle victoire une fête en son honneur :
Notre Dame de la Victoire, aujourd’hui Notre-Dame du Saint Rosaire.
Mais le pape, rongé par la maladie
de la pierre, tombe bien malade au début de l’an 1572. Le mal, qu’il supporte
avec patience s’aggrave et finalement l’emporte le 1er mai. Cent ans jour pour
jour après sa mort, Pie V est béatifié, 69 miracles figurent à son procès de
canonisation. Il est canonisé par Clément XI le 22 mai 1712.
Catherine Bousquet
Article publié
dans la revue
TRANSMETTRE, n°60 daté d'avril 2004
diffusé ici avec l'aimable autorisation de M. Denis
SUREAU, directeur de la publication
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