« Ces
hommes étaient rayés du livre de la République,
on m'avait dit de les faire mourir sans bruit... »
Capitaine Laly, du ponton “Les deux Associés”.
« Il
s'agit là d'un des épisodes les plus tragiques de
l'histoire religieuse de la Révolution française ».
La
déportation sur les pontons de Rochefort a concerné 829
prêtres, dont 547 ont péri d'avril 1794 aux premières
semaines de 1795.
La
Constitution civile du clergé
L'Assemblée
constituante vote la Constitution civile du clergé le 12
juillet 1790. La Constitution civile du clergé transforme les
ecclésiastiques en fonctionnaires élus par l'assemblée
des citoyens actifs, et évince le Pape de la nomination des
évêques. Ceci n'est pas acceptable par le Saint-Siège.
Les
prêtres constitutionnels, assermentés ou jureurs sont
ceux qui se soumettent à cette constitution, les réfractaires
ou non-jureurs sont ceux qui refusent de prêter serment. Les
assemblées successives condamnent à l'exil, à la
réclusion puis à la déportation les prêtres
réfractaires (mais aussi des assermentés !)
L'Église souffrira lourdement de ces évènements :
les lieux de culte sont fermés, la pratique interdite, des
prêtres sont massacrés.
La
Terreur à Rochefort :
Le
21 septembre 1792, la Convention succède à l'Assemblée
législative, qui elle-même avait déjà
remplacé l'Assemblée constituante. La République
est proclamée le lendemain. La Société populaire
et le Comité de surveillance (institutions révolutionnaires
locales) fraîchement mises en place, font de Rochefort une
ville ultra-jacobine. Lequinio et Laignelot, les représentants
du peuple envoyés par la Convention seront chargés de
faire appliquer à Rochefort le régime de la Terreur,
décrété le 5 septembre 1793. Les prisons se
remplissent, 52 têtes tomberont place Colbert, où est
installée la guillotine.
Les
convois des prêtres déportés :
Un
arrêté du Comité de salut public (25 janvier
1794) organise le départ des prêtres réfractaires
vers les ports de l'Atlantique, où ils doivent être
regroupés avant leur déportation. Ceux qui sont
emprisonnés à Nantes seront noyés par Carrier,
et finalement, seuls Bordeaux et Rochefort mettront en œuvre
les directives du comité.
Les
convois de déportés traversent la France pendant
l'hiver et jusqu'au printemps 1794, parcourant parfois jusqu'à
800 km. Les conditions de voyage (parfois à pied) sont souvent
difficiles, en raison des nuits passées en prison aux étapes,
et des insultes et brutalités endurées à
certaines haltes. Ils sont souvent systématiquement
dépouillés. A leur arrivée à Rochefort,
ils seront incarcérés dans différents lieux
(prison Saint-Maurice, couvent des Capucins...) ou sur des navires
(le Borée, le Bonhomme Richard, la Nourrice).
Les
déportés sont finalement entassés dans deux
anciens navires négriers, les Deux-Associés et le
Washington, réquisitionnés après l'abolition de
l'esclavage par la Convention le 4 février 1794. Destinés
à partir pour la Guyane ou les côtes d'Afrique, les
bâtiments ne quittèrent cependant pas l'estuaire de la
Charente. En état de naviguer, ils n'étaient donc pas
de véritables pontons (navires retirés du service,
déclassés et démâtés pour servir de
magasin ou de prison) mais ils en remplirent les fonctions.
Les
pontons :
Le
commandement des navires fût assuré par Laly pour les
Deux-Associés et Gibert pour le Washington. Ils appliquèrent
avec leurs équipages, les consignes de sévérité
avec rigueur, les aggravant même parfois : pas de prière,
injures, menaces, brimades physiques, nourriture infecte, pas de
conversation. Mais les prisonniers continueront dans le secret une
activité religieuse.
Les
décès dus aux conditions de détention
s'accélèrent, le scorbut, le typhus font des ravages.
L'épidémie est telle qu'enfin les prisonniers valides
sont transférés sur un troisième navire,
l'Indien, tandis que les plus malades sont débarqués
sur l'île citoyenne (l'île Madame) où beaucoup
périront. L'automne 1794 est particulièrement rude, et
en novembre, le vent renverse les tentes de fortune de l'hôpital
installé sur l'île, les survivants sont alors à
nouveau embarqués sur les navires. Les conditions matérielles
de détention s'améliorent quelque peu tandis que la
neige et le gel s'installent. En décembre, trois bâtiments
chargé de prêtres et provenant de Bordeaux, (le Jeanty,
le Dunkerque, et le Républicain) se réfugient dans
l'estuaire (les anglais bloquent les côtes).
La
fin de la Terreur
Lors
du Coup d'État du 9 thermidor an II (27 juillet 1794)
Robespierre, principal instigateur de la Terreur, est exécuté,
et c'est pour la République un nouveau départ. Des
épurateurs écartent les éléments les plus
extrémistes de la dictature révolutionnaire. Les
institutions du régime précédent (Tribunal
révolutionnaire, clubs et associations patriotiques) sont
généralement supprimées. Bien des prisons
commencent à s'ouvrir. Cependant, en cette fin d'année
1794, les pontons gardent toujours leurs prisonniers. Quelques-uns
sont libérés mais aucune mesure collective n'est prise.
Grâce
à quelques initiatives individuelles (notamment des
interventions auprès de la Convention), le transfert à
Saintes des prêtres déportés de Rochefort a lieu
en février 1795. Ils peuvent y célébrer à
nouveau le culte et administrer les sacrements dans les oratoires
privés.
Sur
les 829 prêtres déportés à Rochefort, 274
survécurent. Les déportés de Bordeaux, d'abord
transférés à Brouage, ne furent conduits à
Saintes que plus tard. 250 prêtres sont morts sur les 1494
emmenés initialement à Bordeaux.
La
deuxième déportation
En
octobre 1795, la Convention ordonne cependant, après ce bref
répit, la réclusion ou la déportation des
prêtres réfractaires vers la Guyane. Encore une fois,
ces départs n'eurent pas lieu, et un décret du 4
décembre 1796 prononcera enfin la libération des
prêtres détenus.
Le
18 fructidor de l'an V (4 septembre 1797), un coup d'État des
républicains du Directoire (le Directoire avait remplacé
la Convention dès la fin 1795) contre les modérés
et les royalistes, devenus majoritaires aux élections, fait
resurgir la ligne dure à la tête de la République.
Le pouvoir exécutif s'en trouve renforcé, au détriment
du législatif. Les adversaires politiques sont emprisonnés
ou déportés.
Les
précédentes mesures de détente sont annulées
et les décrets de proscription envers les prêtres sont
renouvelés. Ils ont à nouveau emprisonnés à
Rochefort et quelques-uns sont effectivement envoyés en
Guyane, où la mortalité est effrayante. Mais le
Directoire se voit obligé de suspendre ces départs,
certains navires étant capturés par les anglais, et les
prêtres seront entassés dans les citadelles de
Saint-Martin-de-Ré et du Château d'Oléron
jusqu'en 1802.
La
libération
Le
Coup d'État du 18 brumaire de l'an VIII (9 novembre 1799)
donne le pouvoir à Bonaparte. Le Consulat, nouveau
gouvernement remplaçant le Directoire dote la France d'une
nouvelle constitution (celle de l'an VIII), trois consuls sont
nommés, dont Bonaparte, 1er consul.
Les
persécutions des prêtres prennent fin lorsque le
Saint-Siège conclut un Concordat avec la France (ratifié
le 5 avril 1802). Cet accord, signé par le Pape Pie VII et le
1er consul Bonaparte, réorganise le catholicisme dans le pays.
Cette
hécatombe resta pourtant longtemps ignorée, et même
volontairement tenue cachée, par souci de ne pas réveiller
les querelles de la Révolution. La cause aboutit par la
béatification solennelle d'octobre 1995, par laquelle l'Église
reconnut en soixante-quatre des victimes des pontons (le bienheureux
Jean-Baptiste Souzy et ses compagnons) d'authentiques témoins
de la foi, mis à mort volontairement, en haine de la foi, et
en acceptant consciemment leur sort.
Liste
des soixante-quatre prêtres ou religieux béatifiés
Jean-Baptiste
Étienne Souzy, prêtre du diocèse de La Rochelle.
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 27 août
1794.
Antoine
Bannassat, curé de Saint-Fiel (Creuse). Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 18 août 1794.
Jean-Baptiste
de Bruxelles, chanoine de Saint-Léonard (Haute-Vienne).
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 18
juillet 1794.
Florent
Dumontet de Cardaillac, aumônier de la comtesse de Provence.
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 5
septembre 1794.
Jean-Baptiste
Duverneuil (père Léonard), carme de la maison
d'Angoulême. Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 1er juillet 1794.
Pierre
Gabilhaud, curé de Saint-Christophe (Creuse). Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 13 août 1794.
Louis-Wulphy
Huppy, prêtre du diocèse de Limoges. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 29 août 1794.
Pierre
Jarrige de La Morelie de Puyredon, chanoine de Saint-Yrieix
(Haute-Vienne). Déporté sur les Deux-Associés ;
mort le 12 août 1794.
Barthélemy
Jarrige de La Morelie de Biars, bénédictin de l'abbaye
de Lezat (Ariège). Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 13 juillet 1794.
Jean-François
Jarrige de la Morelie du Breuil, chanoine de Saint-Yrieix
(Haute-Vienne). Déporté sur les Deux-Associés ;
mort le 31 juillet 1794.
Joseph
Juge de Saint-Martin, sulpicien, directeur de séminaire.
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 7
juillet 1794.
Marcel-Gaucher
Labiche de Reignefort, missionnaire à Limoges. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 26 juillet 1794.
Pierre-Yrieix
Labrouhe de Laborderie, chanoine de Saint-Yrieix (Haute-Vienne).
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 1er
juillet 1794.
Claude-Barnabé
Laurent de Mascloux, chanoine du Dorat (Haute-Vienne). Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 7 septembre 1794.
Jacques
Lombardie, curé de Saint-Hilaire-de-Foissac (Corrèze).
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 22
juillet 1794.
Joseph
Marchandon, curé de Marsac (Creuse). Déporté sur
les Deux-Associés ; mort le 22 septembre 1794.
François
d'Oudinot de La Boissière, chanoine du diocèse de
Limoges. Déporté sur les Deux-Associés ; mort le
7 septembre 1794.
Raymond
Petiniaud de Jourgnac, vicaire général de l'évêque
de Limoges. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 26 juin 1794.
Jacques
Retouret, carme de la maison de Limoges. Déporté sur
les Deux-Associés ; mort le 26 août 1794.
Paul-Jean
Charles (frère Paul), moine cistercien de l'abbaye de
Sept-Fons (Allier). Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 25 août 1794.
Augustin-Joseph
Desgardin (frère Élie), moine cistercien de l'abbaye de
Sept-Fons (Allier). Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 6 juillet 1794.
Pierre-Sulpice-Christophe
Favergne (frère Roger), frère des Écoles
chrétiennes à Moulins. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 12 septembre 1794.
Joseph
Imbert, jésuite. Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 9 juin 1794.
Claude-Joseph
Jouffret de Bonnefont, sulpicien, supérieur du petit séminaire
d'Autun. Déporté sur les Deux-Associés ; mort le
10 août 1794.
Claude
Laplace, prêtre à Moulins. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 14 septembre 1794.
Noël-Hilaire
Le Conte, chanoine de la cathédrale de Bourges. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 17 août 1794.
Pierre-Joseph
Le Groing de La Romagère, chanoine à la cathédrale
de Bourges. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 26 juillet 1794.
Jean-Baptiste-Xavier
Loir, capucin au Petit-Forez, à Lyon. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 19 mai 1794.
Jean
Mopinot (frère Léon), frère des Écoles
chrétiennes à Moulins. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 21 mai 1794.
Philippe
Papon, curé de Contigny (Allier). Déporté sur
les Deux-Associés ; mort le 17 juin 1794.
Nicolas
Sauvouret, cordelier à Moulins. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 16 juillet 1794.
Jean-Baptiste
Vernoy de Montjournal, chanoine à Moulins. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 1er juin 1794.
Louis-Armand-Joseph
Adam, cordelier à Rouen. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 13 juillet 1794.
Charles-Antoine-Nicolas
Ancel, eudiste à Lisieux. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 29 juillet 1794.
Claude
Beguignot, chartreux à Saint-Pierre-de-Quevilly, près
de Rouen. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 16 juillet 1794.
Jean
Bourdon (frère Protais), capucin à Sotteville, près
de Rouen. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 23 août 1794.
Louis-François
Lebrun, moine bénédictin de la congrégation de
Saint-Maur. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 20 août 1794.
Michel-Bernard
Marchand, prêtre du diocèse de Rouen. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 15 juillet 1794.
Pierre-Michel
Noël, prêtre du diocèse de Rouen. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 5 août 1794.
Gervais-Protais
Brunel, moine cistercien de Mortagne (Orne). Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 20 août 1794.
François
François (frère Sébastien), capucin. Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 10 août 1794.
Jacques
Gagnot (frère Hubert de Saint-Claude), carme de la maison de
Nancy. Déporté sur les Deux-Associés ; mort le
10 septembre 1794.
Jean-Baptiste
Guillaume (frère Uldaric), frère des Écoles
chrétiennes à Nancy. Déporté sur les
Deux-Associés ; mort le 27 août 1794.
Jean-Georges
Rehm (père Thomas), dominicain au couvent de Schlestadt
(Alsace). Déporté sur les Deux-Associés; mort
le 11 août 1794.
Claude
Richard, bénédictin à Moyen-Moutier (Vosges).
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 9 août
1794.
Jean
Hunot, chanoine à Brienon-l'Archevêque (Yonne). Déporté
sur le Washington ; mort le 7 octobre 1794.
Sébastien-Loup
Hunot, chanoine à Brienon-l'Archevêque (Yonne). Déporté
sur le Washington ; mort le 17 novembre 1794.
François
Hunot, chanoine de Brienon-l'Archevêque (Yonne). Déporté
sur le Washington ; mort le 6 octobre 1794.
Georges-Edme
René, chanoine à Vézelay. Déporté
sur le Washington ; mort le 2 octobre 1794.
Lazare
Tiersot, chartreux à Beaune (Côte-d'or). Déporté
sur le Washington ; mort le 10 août 1794.
Scipion-Jérôme
Brigeat Lambert, doyen du chapitre d'Avranches (Manche). Déporté
sur le Washington ; mort le 4 septembre 1794.
Jean-Nicolas
Cordier, jésuite. Déporté sur le Washington ;
mort le 30 septembre 1794.
Charles-Arnould
Hanus, curé et doyen du chapitre de Ligny (Meuse). Déporté
sur le Washington ; mort le 28 août 1794.
Nicolas
Tabouillot, curé de Méligny-le-Grand (Meuse). Déporté
sur le Washington ; mort le 23 février 1795.
Antoine,
dit Constant, Auriel, vicaire à Calviat et Sainte Mondane
(Lot). Déporté sur les Deux-Associés ; mort le
16 juin 1794.
Elie
Leymarie de Laroche, prieur de Coutras (Gironde). Déporté
sur les Deux-Associés ; mort le 22 août 1794.
François
Mayaudon, chanoine à Saint-Brieuc puis à Soissons.
Déporté sur les Deux-Associés ; mort le 11
septembre 1794.
Claude
Dumonet, professeur au collège de Mâcon
(Saône-et-Loire). Déporté sur le Washington ;
mort le 13 septembre 1794.
Jean-Baptiste
Laborie du Vivier, chanoine de la cathédrale de Mâcon
(Saône-et-Loire). Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 27 septembre 1794.
Gabriel
Pergaud, génovéfain de l'abbaye de Beaulieu
(Côtes-d'Armor). Déporté sur les Deux-Associés
; mort le 21 juillet 1794.
Michel-Louis
Brulard, carme de la maison de Charenton. Déporté sur
les Deux-Associés ; mort le 25 juillet 1794.
Charles-René
Collas du Bignon, sulpicien, supérieur du petit séminaire
de Bourges. Déporté sur les Deux-Associés ; mort
le 3 juin 1794.
Jacques-Morelle
Dupas, vicaire à Ruffec (Charente). Déporté sur
les Deux-Associés ; mort le 21 juin 1794.
Jean-Baptiste
Ménestrel, chanoine à Remiremont (Vosges). Déporté
sur le Washington ; mort le 16 août 1794.
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