Le lieu de la présentation (S. Luc,2,
21-35)
Sur le pavé de la voie
qui mène au Temple, les causeurs s'attardent...
Et
voici : comme des ombres se profilant dans l'aube diaphane qui
s'accentue sur les monts de Moab... Une jeune femme portant son
enfant dans les bras, montée sur un âne... puis le guide, un homme
au visage émacié, précède l'équipage de son pas mesuré de
montagnard.
Encore un tournant, et
apparaît Jérusalem, masse blanchâtre au panache de fumée, gisant
entre le Gareb et le Moriah. Sur la droite, le Temple se dresse,
colossal mais splendide, dans la teinte douce de ses marbres blancs
où le soleil allumera bientôt l'incendie de ses rayons de feu.
D'un geste instinctif,
les voyageurs s'arrêtent dans l'admiration. Et l'homme rompt le
silence d'extase pour entonner le chant d'amour du pèlerin:
«Quelle joie, lorsqu'on est venu me dire:
"Nous allons monter à la maison du Seigneur".
Voici que nos pas s'arrêtent
Devant tes portes, ô Jérusalem». (Psaume 121, 1-2)
Ce temple qu'Hérode
venait de construire était le triomphe du marbre. Il n'était pas
besoin du flair exercé des rabbins pour constater que l'Iduméen
vaniteux y avait sacrifié d'immenses trésors, mû beaucoup plus par
ses prétentions d'helléniste que par la piété envers le Dieu
d'Israël.
Quoiqu'il en soit,
cette corniche majestueuse renfermait dans l'embrassement
gigantesque des colonnes de marbre la «Maison de Yahweh» à laquelle
les fils d'Israël s'étaient attachés de temps immémorial comme au
gage de leurs espérances indéfectibles.
Et, en ce matin, le
Temple ouvrait ses portes au «Roi de gloire»: l'attente des siècles
était comblée...
Les trois pèlerins y
pénétraient au lever du soleil. Ils accomplissaient ainsi un acte de
profonde obéissance et d'humilité inégalable: le Fils de Dieu devait
être racheté! Marie qui avait expérimenté l'extase de la maternité
virginale, venait comme la plus humble des filles d'Israël se
soumettre à la Loi de l'expiation.
Ce mystère
n'apparaîtrait pas dans sa plénitude si l'on oubliait que, selon la
Loi, les deux rites - le rachat et la purification - auraient pu
être accomplis par procuration. Ils avaient choisi l'abaissement
volontaire dans l'obéissance parfaite à la Loi.
Le rite de la présentation au temple
En souvenir de son
intervention décisive pour délivrer le peuple élu de la servitude
d'Egypte, Dieu avait réservé à son service les premiers-nés des fils
d'Israël. Quand, dans la suite, presque tout le peuple fut tombé
dans l'idolâtrie, le Seigneur avait confié le 'service du Temple aux
fils de la tribu de Lévi demeurée plus fidèle; cependant tous les
premiers-nés devaient être rachetés contre l'offrande de cinq sicles
d'argent.
Les rites d'oblation
s'accomplissaient selon les prescriptions de la Loi, soit au Temple
soit à la synagogue. Cependant depuis des temps anciens cette
rigueur avait été tempérée par le privilège de l'halaka (loi
religieuse juive) de sorte que le père pouvait verser le prix du
rachat à tout prêtre de sa région.
Le temps utile pour
l'accomplissement de ce devoir fixé à un mois et un jour pouvait
facilement être prolongé.
Une autre prescription
de la loi déclarait impure toute femme israélite après un
enfantement; la durée de son exclusion était fixée à sept jours si
le nouveau-né était un fils ou à quatorze jours dans le cas d'une
fille.
A cette période
succédait celle de la purification de trente-trois ou de
soixante-six jours. La mère devait alors offrir à Dieu, si elle
était riche, un jeune agneau en holocauste et une tourterelle ou une
colombe en expiation; des pauvres, la Loi exigeait deux tourterelles
ou deux colombes.
Ce sacrifice rituel ne
s'accomplissait que dans le Temple. L'éloignement de Jérusalem
justifiait le retard et la mère pouvait aussi recourir à une
intermédiaire pour s'acquitter de ce devoir. Cependant Marie et
Joseph avaient décidé d'accomplir la Loi dans sa plénitude.
La Présentation de la Sainte
Famille :... mystère d'obéissance et d'abaissement volontaire
La Famille sainte, dans
le recueillement de la prière, franchit la majestueuse porte de Suse
et traversa en grande humilité tout le parvis des Gentils dallé de
marbre blanc puis le parvis des femmes; au fond resplendissait la
porte Belle avec ses ornements ruisselants d'or et d'argent.
Les trois pèlerins se
fondirent dans la foule des fidèles massés devant la porte de
Nicanor et se dressant sur la pointe des pieds pour apercevoir
l'autel des holocaustes sur lequel se consumaient les restes du
sacrifice du matin.
Il fallait attendre car
les rites du rachat et de la purification suivaient l'offrande de
l'encens, dernier geste de la cérémonie en cours.
La porte de Nicanor,
pièce énorme coulée en bronze, mesurait vingt deux mètres et demi
par dix-huit; elle dépassait en magnificence toutes les autres
portes du Temple. C'était «la porte du Temple» et le battant de
droite était marqué de la mezusah, signe de la présence de Yahweh
(Deutéronome 9, 9).
Devant elle
s'exécutaient tous les rites anciens qui, selon la Loi, devaient
s'accomplir «en présence du Seigneur»(Deutéronome 17, 1). Ainsi, la
mère et le père qui venaient racheter leur premier-né, gravissaient
le large escalier demi circulaire pour y parvenir. Joseph et Marie
portant son Enfant prirent les dernières places de la longue file.
Les riches venaient les
premiers, mettant bien en évidence l'agneau gras porté par un
serviteur. Mais eux qu'on devinait être venus de la campagne, se
devaient de céder le pas aux plus pauvres de Jérusalem.
Quand son tour fut
venu, Marie souleva la corbeille aux deux tourterelles. La rougeur
qui empourpra alors son beau visage n'exprimait pas le sentiment de
l'humiliation de présenter l'offrande des pauvres, le qorban'ani,
mais la vive émotion qu'elle ressentait dans la prière.
Le prêtre de service
prit une tourterelle, l'immola selon le geste rituel et la lança
dans les flammes. Ayant égorgé la seconde en victime d'expiation, il
en versa le sang devant l'autel que, de son doigt empourpré, il
marqua aux quatre coins; il réserva la chair pour les lévites.
Puis, il se dirigea
vers Marie qu'il proclama désormais pure devant la Loi. Ce fut à ce
moment que Joseph déclara au prêtre que Jésus était son premier-né.
Il le remit donc entre les bras du ministre du Seigneur qui, dans un
geste symbolique, le dédia au service divin.
Quand ensuite le prêtre
lui demanda s'il désirait le racheter selon la prescription de la
Loi, Joseph présenta six sicles d'argent neufs en récitant une
invocation. Le prêtre lui rendit l'Enfant en disant:
«Cet argent est reçu
pour son rachat. Sois béni, Seigneur, Roi de l'univers, qui nous a
sanctifiés par tes commandements et qui nous a prescrit le rachat du
premier-né».
Humbles et réservés,
Marie et Joseph se retiraient quand un vieillard les aborda les
suppliant de pouvoir porter l'Enfant dans ses bras. Siméon, noble
figure patriarcale qui semble ressusciter des ombres du passé,
apparaît au moment marqué par Dieu, et une érudition présomptueuse
ne saurait diminuer l'éclat de sa puissante personnalité.
En Siméon s'incarnent tous les saints
du véritable Israël
D'une voix frémissante,
chargée de toutes les attentes et de tous les espoirs, il entonne le
chant de la prière inspirée. En lui s'incarnent tous les saints du
véritable Israël car ils ont contemplé en esprit le bel Enfant
qu'ils appelaient de leurs vœux ardents et que lui Siméon presse sur
son cœur. Il ferme le cycle quand il chante:
«Maintenant,
Seigneur, laissez votre serviteur s'endormir dans la paix, selon
votre promesse, car mes yeux on contemplé le Sauveur du monde...».
Ce message du ciel qui
s'inspire de la vision du prophète Isaïe (Isaïe 42, 6 et 49, 6), le
Voyant le complète en s'adressant à la Mère du Sauveur. Ses yeux se
voilèrent alors de tristesse et sa voix trembla, sans doute sous
l'effet d'une vive commotion:
«Cet enfant doit
causer la chute et le relèvement pour beaucoup d'hommes en Israël et
devenir un signe qui provoquera la contradiction; et vous-même, un
glaive vous transpercera l'âme».
Le dernier des
prophètes avait parlé, dépeignant la vraie figure du Messie et
décrivant le drame divin; il avait contemplé la Rédemption de
l'humanité à travers un voile de douleurs et de sang!
Marie reprit son enfant
des bras tremblants de Siméon et le pressa sur son cœur dans un
geste d'amour douloureux. Elle commençait à réaliser maintenant
l'étendue de son Fiat mais en même temps elle sentait naître en elle
une nouvelle maternité, celle du plus grand amour d'un cœur de mère.
Destin maléfique du temple de
Jérusalem
De tous les lieux chers
au peuple d'Israël, aucun n'est mêlé aussi intimement aux récits de
l'Evangile que le Temple de Jérusalem et cependant un destin
maléfique devait l'accabler.
Détruit en l'an 70, il
fut profané sous l'empereur Adrien et sous Julien l'Apostat, pour
être frappé d'interdit par la superstition populaire. Il semble
logique qu'on n'y retrouve aucun souvenir chrétien au cours des
premiers siècles de notre ère. La période byzantine se heurta
ensuite à l'intransigente concurrence islamique.
Lors des fouilles de
1939, effectuées sous la mosquée el-Aqsa, des archéologues
espéraient trouver l'emplacement de l'église Sainte-Marie la Neuve
mais les recherches ont démontré l'absence de tout vestige de
construction byzantine.
Cette église construite
par ordre de l'empereur Justinien, entre 531 et 543, faisait partie
d'un ensemble imposant de bâtiments d'hospitalisation dont il ne
reste aucune trace.
Les palestinologues
inclinent à situer cette œuvre, admirée par l'anonyme de Plaisance,
sur la colline qui au-delà du Tyropeion domine le Temple lui-même;
c'est précisément l'emplacement de la synagogue détruite pendant la
guerre de 1948.
Selon Cyrille de
Scythopolis, Sainte-Marie-la-Neuve était une Basilique splendide
tandis que saint Grégoire de Tours assure qu'elle était très
fréquentée et qu'il s'y opérait des prodiges éclatants.
Qu'elle fût un centre
de piété mariale intense, les nombreuses célébrations liturgiques
qui s'y déroulaient chaque année en font foi. Le Calendrier de
Jérusalem du VIIè au IXè siècle énumère le mercredi de la Pentecôte,
le 26 juin, le 3 août, le 12 septembre et le 15 novembre. Le
calendrier géorgien du IXe siècle contient un détail qui détermine
la destination de la basilique quand il fixe au 16 novembre la fête
de la Présentation de la Mère de Dieu au Temple.
Ce fut sans doute en se
fondant sur cette donnée que l'on a cru à tort que cette église
s'élevait sur l'emplacement du Temple.
Mais il est certain
qu'aucun sanctuaire marial n'y fut construit avant la conquête des
Croisés.
Naissance de la fête de la
Purification
Les faits racontés par
saint Luc ont été fixés dans la liturgie de l'église de Jérusalem
depuis l'antiquité. La fête instituée selon l'esprit des premiers
chrétiens donnait une importance plus grande à l'Enfant qu'à la
Mère. En effet, elle est appelée «fête de la rencontre» (du grec
Ipapante) de Jésus et de Siméon.
Elle marquait en outre
un cycle liturgique - c'est encore la pratique de nos jours - comme
semble le prouver l'institution du «carême de l'Epiphanie» mentionné
au IVe siècle par Egérie et confirmé par le lectionnaire arménien.
Il convient de rappeler
que le jour où la fête de Noël fut fixée au 25 décembre, cette fête,
célébrée le 14 février, fut anticipée au 2 février afin de lui
assurer la place déterminée par le cycle liturgique.
La fête était célébrée
avec éclat, assure Egérie, dans l'Anastasis ou plus exactement dans
le Martyrium, église paroissiale de Jérusalem. La patrologie a
conservé le texte d'une homélie prononcée à l'occasion de cette
solennité par Esichius de Jérusalem en 450 (PG, 93, 1467-1478).
Il reste difficile de
préciser l'origine de la bénédiction des cierges. Si Egérie
l'ignore, Cyrille de Scythopolis la reporte à Jérusalem et
l'attribue à une noble romaine du nom de Icelia qui vivait au temps
de l'empereur Marcien (450-457) (PG, 114, 469).
Comme cette fête était
célébrée au mois de februa c'est-à-dire de la purification, des
auteurs en ont conclu qu'elle avait été instituée par le pape Gélase
(492-496) en opposition de la fête païenne des purifications (en
grec lupercali).
Cette opinion suspecte
en elle-même est rejetée par, anachronisme. Nous ne savons pas quand
la fête fut transformée au point de devenir essentiellement dédiée à
la Mère de Dieu. Quoiqu'il en soit, l'empereur Justinien la retient
comme telle car, en 542, il fait voeu de l'étendre à tout l'empire
si la très Sainte Vierge fait cesser la peste qui, après avoir
décimé la population de l'Egypte, menaçait les autres provinces
orientales.
Dès ce moment, elle
apparaît solidement établie en Orient et est inscrite comme l'une
des principales fêtes de la très Sainte Vierge (PG 96, 1474).
En Occident elle est
appelée «jour de Siméon» sans doute sous l'influence de la
terminologie grecque, puis, au temps du pape Serge I (687-701), elle
est célébrée à Rome par une procession qui va de Saint-Adrien à
Sainte-Marie-Majeure, avec la même solennité que les autres fêtes
mariales. D'ailleurs, le sacramentaire de Gélase accentue encore ce
caractère marial quand il l'appelle la fête de la purification.
Tradition consolidée à l'époque des
Croisés
Lors de la conquête de
Jérusalem par les croisés, la mosquée d'Omar devint le Temple du
Seigneur et le souvenir de la présentation de Jésus y fut célébré
avec une solennité qui éclipsa peut-être les autres épisodes de
l'Evangile.
Cette préférence semble
être mise en évidence dans une fresque de la présentation de Jésus
au Temple découverte dans le tambour de la coupole; elle est
commentée par ces vers:
«Hic fuit oblatus Rex
regum virgine natus, Quapropter sanctus locus est hic jure vocatus».
«C'est ici que le Roi des rois, fils de la Vierge-Mère, a été
présenté; aussi ce lieu est-il saint de plein droit».
Dans leur ardeur à
faire revivre les récits de l'Evangile, les croisés montraient,
adossée aux murailles orientales du Temple, une chapelle érigée sur
la maison de Siméon.
C'est là aussi que la
Mère de Dieu aurait été maintes fois hébergée et qu'elle aurait
passé la nuit qui précéda la cérémonie de sa purification. Puis ce
fut la conquête musulmane (1187) et, avec elle, le silence.
Jusqu’au XIXème siècle,
il n’était même pas permis aux chrétiens de franchir la porte de la
mosquée élevée par le conquérant Omer sur l’esplanade du Temple.
Aujourd’hui, le pèlerin qui se paie le luxe d’entrer dans le Haram
esch-Schérif se sent étranger dans le Temple qui fut la Maison de
Dieu.
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