Des
responsabilités précoces
Anne-Thérèse naquit à
Étables-sur-Mer (Côtes-d’Armor) le 2 octobre 1798, de Laurent Guérin et
Isabelle
Lefèvre.
C’était la deuxième des quatre enfants de cette famille. En raison de
son service, le père, officier marinier, était souvent absent de la
maison et l’éducation des enfants reposait totalement sur la maman. Elle
s’y donnait avec courage. Et du courage il lui en fallut. En effet son
fils aîné Jean-Laurent mourut à deux ans et demi et le cadet à quatre
ans et demi. Quelques mois plus tard le 11 juin 1814, son mari était
assassiné par des brigands près de Toulon, alors qu’il revenait à
Étables en permission. Anne-Thérèse partagea le deuil mais aussi les
responsabilités de sa mère dont la santé déjà fragile se trouva
chancelante.
Heureusement la jeune fille
avait été bien formée au travail de maison. Vive, intelligente,
courageuse, elle avait bien profité des cours de l’école primaire. Et
son cœur et son âme ouverts au spirituel étaient naturellement tournés
vers Dieu et les gens du village. D’autant mieux qu’à l’âge de dix ans
elle avait bénéficié aussi des leçons d’un cousin, séminariste, qui lui
fit découvrir la Sainte Ecriture et la doctrine chrétienne.
Depuis cette dixième année,
Anne-Thérèse avait le désir d’être religieuse et de donner sa vie à
Dieu. Mais la situation familiale devenue difficile, sa mère, se sentant
de plus en plus faible, opposait un refus à chaque demande de départ de
sa fille.
Novice, puis aussitôt Supérieure
C’est seulement en 1823,
âgée de vingt-cinq ans qu’Anne-Thérèse put réaliser son projet bien
mûri. Un temps elle avait pensé au Carmel, mais elle se dirigea vers la
Congrégation des sœurs de la Providence de Ruillé-sur-Loir, dans la
Sarthe. Elle l’avait connue parce qu’une femme de Pléhédel avait apporté
son précieux concours au curéde Ruillé qui l’avait fondée en 1806, pour
le service des malades et l’enseignement des plus pauvres.
Après un court noviciat,
Anne-Thérèse, devenue Sœur Théodore, fut placée à la tête d’une
importante maison d’éducation à Rennes. Tâche ingrate et délicate car
exercée dans un quartier livré à l’ignorance et à la délinquance. Sœur
Théodore va maîtriser la situation et assainir le milieu de vie en se
donnant à l’éducation des enfants et des parents. Aussi la surprise
fut-elle grande quand la Supérieure de Ruillé, sans doute mal informée
sur les sentiments de Théodore à l’égard de la Congrégation, lui ordonna
de quitter Rennes pour Soulaines petite commune près d’Angers. Elle
accepta et vécut ce changement comme une humiliation et une épreuve. A
Soulaines aussi, elle fera un bien considérable. Elle prit même des
leçons près d’un pharmacien et d’un médecin afin d’être plus utile aux
malades.
Ses qualités pédagogiques,
reconnues par l’académie d’Angers, lui permettaient à Soulaines, comme à
Rennes d’embellir l’esprit de ses élèves, tout en veillant spécialement
à leur formation chrétienne. Pour elle, science et vertu devaient aller
de pair.
Son dévouement au service
de l’école, des pauvres et des malades ne l’empêchait pas de trouver du
temps pour intensifier sa vie spirituelle, par la prière, la lecture de
la Bible, de la vie des saints et des maîtres spirituels.
L’aventure missionnaire
Voici qu’en 1840, l’évêque
de Vincennes en Indiana (Amérique) vient en France, dont il est
originaire, chercher des religieuses pour animer son diocèse. La
Congrégation de Ruillédécide de lui accorder six de ses sœurs. Théodore
fut choisie comme responsable en raison de sa force de caractère, de sa
grandeur d’âme et de ses capacités.
Le 23 juillet le petit
groupe quitta la France depuis Le Havre pour l’Amérique, et précisément
l’Indiana. Ce n’est qu’après un difficile voyage de trois mois qu’elles
arrivèrent au lieu de leur mission, Sainte-Marie-des-Bois.
Malgréles promesses de
l’évêque Monseigneur de la Haillandière, pas de maison pour les
accueillir. Une seule pièce et le grenier d’un fermier fut leur première
et seule demeure. Elles réussiront tout de même à y aménager un petit
oratoire.
Pauvreté, dénuement et, de
surcroît en pleine forêt, dans un pays étranger dont les habitants
parlaient une langue inconnue. Sœur Théodore accepta la situation avec
beaucoup d’humilitéet de confiance en Dieu. Elle savait être venue là
pour établir une Communauté sur le modèle de la Providence de Ruillé,
recruter et former des religieuses, se dévouer au service des enfants,
des pauvres et des malades, créer des dispensaires et des écoles. A
cette époque l’Indiana était le dernier des Etats d’Amérique pour
l’instruction.
Dès 1841, à
Sainte-Marie-des-Bois, un noviciat est ouvert pour une dizaine de
postulantes. Une première école aussi. D’autres seront construites ici
et là, à travers l’Indiana. De nouvelles communautés vont s’établir. Le
travail qu’elle s’impose et la rigueur du climat hivernal vont terrasser
celle qui est déjà appelée Mère Théodore. Bien que condamnée par le
médecin, elle guérit et reprend son activité.
Le creuset de l’épreuve
Mais une autre épreuve
l’attend. Les relations se tendent et deviennent ambigües avec la maison
de Ruillé. Il lui faut désormais assurer son indépendance et fonder une
Congrégation autonome « La Providence de Sainte-Marie-des-Bois » .
D’autre part l’évêque de
son diocèse supportait mal l’autorité, la force morale, la généreuse
spiritualité et les succès de Mère Théodore. Il estimait être le seul
Supérieur de cette nouvelle Congrégation et voulait être considéré comme
tel. D’où des frictions et des humiliations pour la sœur Théodore. Elle
souffrait beaucoup de l’attitude rigoureuse et incompréhensible de
l’évêque à son égard, mais portait tout dans la prière et l’offrande.
En 1843, Mère
Théodore prend le risque de venir en France chercher des finances pour
reconstruire sa maison principale de Sainte-Marie-des-Bois détruite par
un incendie volontaire. Les opposants à sa mission sont nombreux et pour
diverses raisons. L’évêque profite de son absence pour la déposer. Il
demande aux sœurs de choisir une nouvelle supérieure et c’est Théodore
qui sera réélue. Mais, la fondatrice de la Congrégation de
Sainte-Marie-des-Bois ne pourra vraiment accomplir sa mission en toute
paix et libertéqu’après la démission de l’évêque, Mgr
de la Hallandière, en 1847.
Le travail incessant et les
épreuves ont sérieusement altéré sa santé. Pendant trois semaines, elle
est à nouveau gravement malade. Dès que l’amélioration se fait sentir,
elle se remet à l’œuvre avec un courage renouvelé.
Par des visites multipliées
et une correspondance appropriée, elle saura stimuler les responsables
mises en place dans les établissements. Entretenir avec toutes les sœurs
des relations empreintes de franchise, de simplicité, de cordialité et
de bienveillante compréhension, de tendresse même. Avec ce désir
constant de les élever spirituellement. « Que deviendraient les âmes de
mes chères sœurs si je ne les conduisais pas à Dieu ? ».
Et, sous la sage direction
de Mère Théodore, c’est une nouvelle période de prospérité pour la
grande famille de Sainte-Marie-des-Bois. Cette prospérité n’est que le
résultat d’un accroissement de travail assuré par la Supérieure.
Désormais sa santé fragile ne résiste plus. Elle a connu tant d’épreuves
physiques et morales.
Le 13 mai 1856, la
pionnière de la Providence entre en agonie et s’éteint le lendemain à
3h45 du matin, au sein d’une communauté désemparée.
Mais celle, qui avait été
la tête et le cœur de la Congrégation, veillera sur sa continuité et son
épanouissement. Au décès de Mère Théodore, elle comptait déjà : 20
postulantes, 12 novices, 80 sœurs réparties en 15 établissements.
Depuis sa mort, les sœurs
de la Providence de Sainte-Marie-des-Bois n’ont cessé de créer des
écoles et des œuvres les plus diverses. Très florissantes. Aujourd’hui
encore, elles exercent une réelle influence religieuse et sociale.
Béatifiée le 25 octobre
1998, Anne-Thérèse Guérin — Mère Théodore — a été canonisée le 15
octobre 2006 par le Saint-Père en la Basilique Saint-Pierre de Rome.
P. Alfred Lévitoux (†)
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