Théodote était de
la ville d'Ancyre, capitale de la Galatie. Dès son enfance, il
fut élevé dans les maximes d'une piété solide, par les soins
d'une pieuse vierge, nommée Técuse. S'étant marié, il prit une
hôtellerie, et se mit à vendre du vin. Malgré les dangers que
l'on trouve dans cette profession, il se montra toujours juste,
tempérant, et zélé pour la pratique de tous les devoirs du
christianisme. Quoique à la fleur de l'âge, il méprisait tous
les biens du monde. Le jeûne, la prière et l'aumône faisaient
ses délices. Non seulement il soulageait les pauvres dans leurs
besoins, mais il portait encore les pêcheurs à la pénitence. Il
avait aussi encouragé plusieurs fidèles à souffrir le martyre.
Sa maxime était qu'il était plus glorieux à un Chrétien de vivre
dans la pauvreté, que de posséder des richesses qui ne peuvent
être utiles, quand on ne les emploie pas à secourir les
indigents, ceux surtout qui sont persécutés pour la foi. Il
condamnait une vie molle et oisive, en disant qu'elle énerve un
soldat de Jésus-Christ, et qu'un homme livré au plaisir
ne peut aspirer à la couronne du martyre. Ses exhortations
étaient si efficaces, qu'elles retirèrent plusieurs personnes du
désordre. Dieu l'honora du don des miracles ; on lit dans ses
Actes qu'il guérit plusieurs malades en priant sur eux, ou en
les touchant avec sa main. Il ne s'effraya point de la
persécution allumée par Dioclétien, parce qu'il avait vécu toute
sa vie comme un homme qui se dispose à verser son sang pour
Jésus-Christ.

Vierges et martyres |
L'édit publié à
Nicothédie en 3o3 arriva bientôt dans la Galatie, qui avait
Théôctène pour gouverneur. Citait un homme cruel, qui, pour
faire sa:cour au prince, lui avait promis d'exterminer en peu de
temps le nom chrétien dans l’étendue de sa province. A peine le
bruit de l'arrivée de l'édit se fut-il répandu à Ancyre, que la
plupart des fidèles prirent la fuite. Plusieurs se cachèrent
dans les déserts et sur les montagnes. Ce n'était parmi les
païens que festins «t réjouissances. Ils couraient aux maisons
des Chrétien, et emportaient tout ce qui leur convenait, sans
éprouver d'opposition. Il ei\t été dangereux de faire entendre
la moindre plainte. Si quelque Chrétien se montrait en public,
il fallait qu'il optât entre souffrir pour sa religion, ou
apostasier. On dépouillait de leurs biens les plus
considérables, après quoi on les menait en prison, où ils
étaient chargés de fers. On traînait ignominieusement dans les
rues leurs femmes et leurs filles; on n'épargnait pas même les
petits enfants, dont tout le crime était d'avoir reçu lé jour de
parents chrétiens.
Tandis que la
persécution faisait ainsi sentir ses ravages dans la ville
d'Ancyre, Théodote assistait les confesseurs prisonniers, et
enterrait les corps des martyrs, quoiqu'il fût défendu, sous
peine de mort, de leur rendre ce devoir. Le gouverneur avait
ordonné d'offrir aux idoles toutes les denrées nécessaires à la
nourriture de l'homme, avant de les exposer en vente. Par là les
Chrétiens se voyaient réduits ou à mourir de faim, ou à
participer à l'idolâtrie. Ils se trouvaient même dans
l'impossibilité de faire leur offrande à l'autel. Théodote
s'était heureusement pourvu d'une ample provision de blé et de
vin qui n'avaient point été souillés par les cérémonies
sacrilèges des païens II les vendait aux prix qu'ils lui avaient
coûté; ce qui mettait les fidèles en état de fournir à l'autel
des oblations pures, et de se procurer des vivres dont ils
pouvaient se servir sans blesser leur conscience, et sans porter
ombrage aux idolâtres. C'était ainsi qu'à la faveur d'une
profession autorisée par les lois, le cabaret d'e Théodote
s'était changé en un asile pour tous les Chrétiens de la ville;
que sa maison était devenue un lieu de prières où l'on
s'assemblait pour adorer le vrai Dieu; que les malades
trouvaient chez lui une infirmerie, et les étrangers un hospice
assuré. La crainte d'être découvert ne l'empêchait point de
saisir toutes les occasions de faire éclater son zèle pour la
gloire de Dieu.
Victor, un de
ses amis, fut arrêté vers le même temps. Les prêtres de Diane
l'accusèrent d'avoir dit d'Apollon qu'il avait corrompu sa
propre sœur, et que c'était une honte pour les Grecs d'honorer
comme Dieu celui qui était coupable d'un crime que les plus
effrontés libertins n'osaient commettre. Le juge lui offrit sa
grâce s'il voulait se conformer à l'édit des empereurs.
« Obéissez, lui disait-il, et votre soumission sera récompensée
par des chargea honorables. Sachez qu'en cas d'opiniâtreté, Vous
devez vous attendre à de cruels supplices, et à la mort la plus
douloureuse. Vos biens seront confisqués, toute votre famille
périra, et votre corps, après avoir essuyé toutes sortes de
tortures, sera dévoré par des chiens furieux. » Théodote,
instruit du danger que courait
son ami, courut à
la prison où il était renfermé. Il l'exhorta fortement à
s'élever au-dessus des menaces des persécuteurs, et à mépriser
toutes les promesses que l'on employait pour lui ravir la
couronne due à la persévérance. Victor, fortifié par cette
exhortation, se sentit animé d'un nouveau courage, et il
souffrit patiemment les supplices, tant qu'il se souvint des
instructions que Théodote lui avait données. Déjà il touchait au
bout de sa carrière ; mais sa fermeté l'abandonna tout-à-coup.
Il demanda du temps pour délibérer
sur les
propositions qu'on lui avait faites. On le reconduisit en
prison, où il mourut de ses plaies, sans s'être expliqué
autrement. Il laissa par là les fidèles dans l'incertitude par
rapport à son salut ; c'est ce qui a rendu sa réputation
douteuse dans l'Église,
et ce qui l'a privé de l'honneur que l'on y rend à la mémoire
des martyrs.
Il y avait à quelques milles d'Ancyre un bourg nommé Malus.
Théodote, par une disposition particulière de la Providence, y
arriva précisément au moment où l'on allait jeter dans la
rivière d'Halys les restes du corps du martyr Valens, qui, après
diverses tortures, avait été condamné à être brûlé vif. Il eut
le bonheur de se procurer ces précieuses reliques. Il les
emporta donc avec lui pour les déposer en lieu de sûreté.
Lorsqu'il était à quelque distance du bourg, il rencontra
plusieurs personnes de sa connaissance. C'étaient des Chrétiens
que leurs propres parents avaient livrés aux persécuteurs, pour
avoir renversé un autel de Diane, et auxquels le saint avait
depuis peu fait recouvrer la liberté. l\s furent charmés de le
voir, et ils lui rendirent grâces comme au bienfaiteur commun de
tous les affligés. Théodote de son côte montra une grande joie à
la vue des confesseurs de Jésus-Christ. Il les pria d'accepter
quelques rafraîchissements avant de passer outre. S'étant tous
assis sur l'herbe, il envoya inviter le prêtre du bourg à venir
manger avec eux, afin qu'il récitât les prières qui se disaient
avant le repas, et celles où l'on implorait le secours du ciel
pour les voyageurs.
Ceux qui
avaient été envoyés rencontrèrent le prêtre qui sortait de
l'église après sexte, ou la prière de la sixième heure * ; mais
ils ne le connurent pas d'abord. Il leur raconta un songe qu'il
avait «u, puis les suivit au lieu où étaient les fidèles. Il
leur offrit à tous de venir prendre leur repas dans sa maison.
Théodote s'en excusa en disant que sa présence était nécessaire
à Ancyre, et que les confesseurs de cette ville avaient un pressant besoin de son secours.
On dîna donc sur l'herbe. Le repas fini, Théodote dit au prêtre,
nommé Fronton :
« Ce
lieu me paraît bien propre à mettre des reliques, pourquoi
différez-vous d'y bâtir une chapelle ?
— II
faudrait avant tout, répondit le prêtre, que nous eussions des
reliques.
— Dieu
vous en procurera, reprit Théodote ;
ayez soin seulement de préparer l'édifice pour les recevoir : je
vous assure qu'elles ne tarderont pas à venir. »
II tire en même temps son anneau de son doigt, et le donne à
Fronton, comme un gage de la promesse qu'il lui avait faite.
Après quoi il reprend la route d'Ancyre. La persécution y avait
causé un bouleversement semblable à celui que produit un
tremblement de terre.
Parmi ceux que l'on
avait arrêtés pour la foi, étaient sept vierges, qui, dès
l'enfance, s'étaient exercées à la pratique de la vertu. Le
gouverneur les trouvant inébranlables dans la foi, les livra à
de jeunes libertins pour les outrager, en mépris de leur
religion, et pour leur ravir cette chasteté dont elles avaient
toujours été si jalouses. Elle n'avaient pour se défendre que
les prières et les larmes qu'elles offraient à Jésus-Christ.
Elles protestaient aussi contre la violence qu'on pourrait leur
faire. Un de la troupe des libertins, qui surpassait les autres
en impudence, saisit Técuse, la plus âgée des vierges, et la
tira à part. Celle-ci, fondant en pleurs, se jette à ses pieds,
et lui parle ainsi : « Mon fils, que prétendez-vous faire ?
Considérez que nous sommes consumées de vieillesse, de jeûnes,
de maladies et de tourments. J'ai plus de soixante-dix ans, et
mes compagnes ne sont guère moins âgées. Il vous serait bien
honteux d'approcher de personnes dont les corps, semblables à
des cadavres, seront bientôt la proie des bêtes et des oiseaux,
car le gouverneur a ordonné qu'on nous privât de la sépulture. »
Ayant ensuite ôté son voile pour lui montrer ses cheveux blancs,
elle ajouta : — Laissez-vous attendrir par ce que vous voyez ;
peut-être avez-vous une mère de mon âge. Si cela est, qu'elle
devienne notre avocate auprès de vous. Nous ne demandons que la
permission de verser librement des larmes. Puisse Jésus-Christ
vous récompenser, si, comme je l'espère, vous nous épargnez ! »
Un discours si tour chant éteignit le feu impur dans le cœur des
jeunes libertins; ils mêlèrent même leurs larmes à celles des
sept vierges, et se retirèrent en détestant l'inhumanité du
juge.
Théoctène
ayant appris qu'elles avaient conservé leur pureté, se servit
d'un autre moyen pour vaincre leur constance. Il se proposa de
les faire initier aux mystères de Diane et de Minerve, et de
les, établir prêtresses de ces prétendues divinités. Les païens
d'Ancyre avaient coutume d'aller tous les ans laver dans un
étang voisin les images de leurs déesses. Le jour de la
cérémonie étant alors arrivé, le gouverneur força les vierges à
être de la fête. On devait porter les idoles en pompe, chacune
dans un chariot séparé. Les sept vierges furent aussi placées
dans les chariots découverts, et conduites à l'étang, afin d'y
être lavées de la même manière que les statues de Diane et de
Minerve. Elles étaient debout, toutes nues, et par
là
exposées à l'insolence
de la populace. Elles étaient à la tête de cette fête impie ;
venaient ensuite les chariots qui portaient les idoles, et que
suivait un grand concours de peuple. Théoctène, accompagné de
ses gardes, fermait la marche.
Cependant Théodote était dans de vives inquiétudes au sujet des
sept vierges, et priait Jésus-Christ de les rendre victorieuses
de toutes les épreuves auxquelles elles étaient exposées ; il
attendait l'événement dans une maison voisine de l'église des
patriarches, où il s'était renfermé avec quelques autres
Chrétiens. Tous restèrent prosternés en oraison depuis la pointe
du jour jusqu'à midi, qu'ils apprirent que Técuse et ses six
compagnes avaient été noyées dans l'étang. Alors Théodote,
transporté de joie, se redressa sur ses genoux; puis, les yeux
baignés de larmes, il leva les mains au ciel, et remercia
le Seigneur à haute voix d'avoir exaucé ses prières. Il demanda
ensuite comment la chose s'était passée. Il lui fut répondu, par
un témoin oculaire, que les vierges avaient été insensibles aux
flatteries et aux promesses du gouverneur; qu'elles avaient
repoussé avec indignation les anciennes prêtresses de Diane et
de Minerve, qui leur présentaient la couronne et la rose
blanche, comme une marque du sacerdoce qu'on leur conférait; que
le gouverneur avait ordonné qu'on leur attachât de grosses
pierres au cou, et qu'on les jetât à l'endroit où l'étang avait
le plus de profondeur ; que l'ordre ayant été exécuté, elles
avaient perdu la vie sous les eaux.
Théodote
délibéra avec Polychrone, maître de la maison où il était, sur
les moyens qu'on pourrait prendre pour tirer de l'étang les
corps des saintes martyres; mais on apprit sur le soir que la
difficulté «tait devenue encore plus grande, parce que le
gouverneur avait posté des gardes auprès de l'étang ; cette
nouvelle causa une vive douleur à Théodote. 11 quitta aussitôt
sa compagnie pour aller à l'église des patriarches. Il n'y put
entrer; les païens en avaient muré la porte. S'étant prosterné
en dehors près de la conque où était l'autel, il pria quelque
temps. De là il se rendit à l'église des Pères, dont la porte
était aussi murée. Mais tandis que, prosterné contre terre, il
répandait son âme en la présence de
Dieu, un grand bruit vint frapper ses oreilles. Il s'imagina
qu'on le poursuivait. Il s'enfuit, et retourna dans la maison de
Polychrone, où il passa la nuit. Pendant qu'il dormait, Téouse
lui apparut, et lui parla ainsi :
« Vous
dormez, mon fils, sans penser à
nous. Auriez-vous oublié les instructions que je vous ai données
pendant votre jeunesse, et les soins que j'ai pris pour vous
conduire à la vertu, contre l'attente de vos parents ?
Lorsque je vivais sur la terre, vous m'honoriez comme votre
mère; mais vous me négligez après ma mort, et vous ne me rendez
pas les
derniers
devoirs. Voudriez-vous que nos corps devinssent la proie des
poissons ? Vous devez vous hâter, parce qu'un grand combat vous
attend dans deux jours. Levez-vous donc, et allez à l'étang ;
mais gardez-vous d'un traître. »
Théodote à son
réveil se leva, et raconta la vision qu'il avait eue, à ceux qui
étaient dans la maison. Lorsque le jour fut venu, deux chrétiens
s'approchèrent de l'étang pour reconnaître la garde. On espérait
que les soldats se seraient retirés à cause de la fête de Diane,
mais on s'était trompé. Les fidèles redoublèrent leurs prières,
et furent jusqu'au soir sans manger. Alors ils sortirent,
portant des faux aiguisées pour couper les cordes qui tenaient
les corps saints attachés aux pierres. La nuit était fort
obscure; la lune et les étoiles ne donnaient aucune lumière.
Étant arrivés au lieu où se faisaient les exécutions, et où
personne n'osait aller après le coucher du soleil, ils furent
saisis d'horreur à la rencontre des tètes coupées, que l'on
avait fichées sur des pieux, ainsi que des restes hideux de
corps brûlés. Mais ils entendirent une voix qui appelait
Théodate par son nom, et qui lui disait d'avancer sans rien
craindre. Effrayés de nouveau, ils formèrent le signe de la
croix sur leur front, et ils virent à l'instant une croix
lumineuse de côté de l'Orient. S'étant mis à genoux, ils
adorèrent Dieu, et continuèrent leur route. L'obscurité était si
grande, qu'ils ne s'entrevoyaient pas. Il tombait en même temps
une grosse pluie qui gâtait tellement le chemin, qu'ils
pouvaient à peine se soutenir.
Au milieu de tant
de difficultés, ils eurent encore recours à la prière, et ils
furent exaucés. Ils virent tout-à-coup un flambeau qui leur
montrait la route qu'ils devaient tenir. Dans le même instant
deux hommes vêtus d'habits éclatants leur apparurent et
dirent : « Prenez courage, Théodote, le Seigneur Jésus a écrit
votre nom parmi ceux des martyrs ; il nous envoie pour vous
recevoir. C'est nous que l'on appelle Pères. Vous
trouverez près de l'étang S. Sosandre armé, dont la vue
épouvante les gardes. » Mais vous n'auriez pas dû mener un
traître avec vous.
Cependant l'orage
continuait, et le tonnerre grondait horriblement. La tempête,
accompagnée d'un vent furieux, incommodait beaucoup les gardes,
qui, malgré cela, restaient toujours à leur poste. Mais
lorsqu'ils virent un homme armé de toutes pièces, et environné
de flammes, ils furent tellement effrayés, qu'ils s'enfuirent
dans des cabanes du voisinage. Les fidèles, à la faveur de leur
guide, vinrent sur le bord de l'étang. Le vent soufflait avec
tant de violence, que poussant l'eau vers les bords, il
découvrait le fond où étaient les corps des vierges. Théodote et
ses compagnons les ayant retirés, les emportèrent et les
enterrèrent près de l'église des patriarches. Les noms des sept
vierges étaient, Técuse, Alexandrie, Clavdie, Euphrasie,
Matrone, Julitte et Phaine.
Le lendemain toute
la ville fut en rumeur à l'occasion du bruit qui se répandit
qu'on avait enlevé les corps des sept vierges. Dès qu'un
Chrétien paraissait, on l'arrêtait aussitôt pour l'appliquer à
la question. Théodote, apprenant qu'on en avait déjà saisi un
grand nombre, voulait aller se livrer lui-même, et avouer le
fait; mais il en fut empêché par les frères. Cependant
Polychrone, déguisé en paysan, se rendit à la place publique,
pour mieux s'assurer de tout ce qui se passait dans la ville. Il
fut reconnu malgré son déguisement, et conduit devant le
gouverneur, qui le fit appliquer à la question. Il souffrit
d'abord avec patience, mais il ne put tenir contre l'idée de la
mort dont on le menaçait. Il dit que Théodote avait enlevé les
corps des sept vierges, et indiqua le lieu où ils avaient
été enterrés. Le gouverneur ordonna sur le champ qu'on allât les
exhumer, et qu'on les brûlât. Les Chrétiens reconnurent alors
que Polychrone était le traître dont ils avaient été avertis de
se donner de garde.
Théodote,
informé de la trahison du malheureux Polychrone, vit bien que
son heure était venue. Il dit adieu aux frères, leur demanda le
secours de leurs prières, et ne pensa plus qu'à se préparer au
combat. Il pria lui-même longtemps avec eux, afin d'obtenir de
Dieu la fin de la persécution et la paix de l'Église ; on
s'embrassa ensuite de part et d'autre avec beaucoup de larmes.
Théodote ayant fait le signe de la croix sur tout son corps",
marcha d'un pas intrépide au lieu du combat. Il rencontra deux
bourgeois de ses amis qui l'exhortèrent à pourvoir à sa sûreté
pendant
qu'il en était temps encore : « Les prêtresses de Diane et de Minerve, lui dirent-ils, sont
présentement avec le gouverneur, auprès duquel elles vous
accusent de détourner le peuple d'adorer leurs déesses.
Polychrone est là aussi pour soutenir ce qu il a avancé touchant
l'enlèvement des corps saints.
— Si
vous m'aimez toujours, répondit Théodote, ne faites point
d'efforts pour me détourner de mon dessein. Allez plutôt dire au
gouverneur que celui qu'on accuse d'impiété est à la porte, et
qu'il demande audience. »
Ayant ainsi parlé,
il prit les devants, et parut tout-à-coup en la présence de ses
accusateurs. Lorsqu'il fut entré, il regarda en souriant le feu,
les roues, les chevalets, et les autres instruments de supplice
que l'on avait préparés. Théoctène lui dit qu'il était en son
pouvoir de ne pas souffrir les tortures dont il était menacé. Il
lui offrit son amitié, l'assura de la bienveillance de
l'empereur, et lui promit de le faire gouverneur de la ville et
prêtre d'Apollon, s'il voulait travailler à détromper les
Chrétiens, et à les faire renoncer au culte de ce Jésus qui
avait été crucifié sous Pilate. Théodote, dans sa réponse,
releva la grandeur, la sainteté, les miracles de Jésus-Christ;
en même temps il montra l'impiété et l'extravagance de
l'idolâtrie, surtout par le détail des crimes infames qui
étaient attribués aux dieux par les poètes et les historiens.
Son discours jeta les païens dans une étrange fureur. Les
prêtresses de Diane et de Minerve étaient tellement transportées
de rage, qu'elles s'arrachaient les cheveux, déchiraient leurs
habits, et mettaient en pièces les couronnes qu'elles portaient
sur la tête. Ce n'était que cris confus parmi la populace, qui
demandait justice contre l'ennemi des dieux.
Théodote fut
donc étendu sur le chevalet. Chacun des païens s'empressa de le
tourmenter, afin de signaler son zèle pour ses prétendues
divinités. Plusieurs bourreaux, qui se relevaient tour à tour,
lui déchiraient le corps avec des ongles de fer. On versa
ensuite du vinaigre sur ses plaies, et on y appliqua des torches
ardentes. Le martyr, sentant l'odeur de sa chair brûlée, tourna
un peu la tête. Le gouverneur à ce mouvement crut qu'il cédait à
la violence des tortures. « Vous ne souffrez, lui dit-il, que
pour avoir manqué de respect à l'empereur et méprisé les
dieux. » — Vous vous trompez, lui répondit Théodote, si vous
attribuez à la lâcheté le mouvement de tête que j'ai
fait. Je ne me plains que du peu de courage des ministres de vos
ordres. Faites-vous donc obéir ; inventez de nouveaux supplices
pour voir quelle force Jésus-Christ inspire à ceux qui souffrent
pour lui. Connaissez enfin que quiconque est soutenu par la
grâce du Sauveur, est
supérieur à toute la puissance des hommes. »
Le gouverneur, qui ne se possédait pas de rage, lui fit frapper
les mâchoires et casser les dents avec des pierres. « Vous
pouvez, lui disait le martyr, me faire encore couper la langue,
Dieu entend jusqu'au silence de ses
serviteurs. »
Les bourreaux étaient épuisés de forces, tandis que Théodote
paraissait insensible aux souffrances. Le gouverneur le renvoya
en prison, le réservant toutefois à de nouvelles tortures. Le
martyr, en passant par la place, montrait son corps tout
déchiré, comme une marque de la puissance de Jésus-Christ et de
la force qu'il communique à ceux qui lui demeurent fidèles, de
quelque condition qu'ils soient. « Il est juste, disait-il en
faisant remarquer ses plaies, d'offrir de semblables sacrifices
à celui qui nous a donné l'exemple, et qui a daigné s'immoler
pour nous. »
Cinq jours après,
le gouverneur le fit reparaître devant son tribunal. On
l'étendit de nouveau sur le chevalet, et l'on rouvrit toutes ses
plaies. On le coucha ensuite sur la terre couverte de morceaux
de tuile tout rouges de feu. Cette horrible torture ne pouvant
ébranler sa constance, il souffrit une troisième fois celle du
chevalet. Enfin le gouverneur le condamna à perdre la tête. Il
ordonna en même temps de brûler son corps, de peur que les
Chrétiens ne lui donnassent la sépulture.
Quand Théodote fut
arrivé au lieu de l'exécution, il remercia Jésus-Christ de
l'avoir soutenu par sa grâce au milieu de ses tourments, et de
l'avoir choisi pour être un des citoyens de la Jérusalem
céleste. Il le pria aussi de mettre fin à la persécution,
d'avoir pitié de son Église affligée, de lui rendre enfin la
paix. S'étant ensuite tourné vers les Chrétiens qui
l'accompagnaient, il leur dit : — Ne pleurez pas ma mort, mais
bénissez plutôt notre Seigneur Jésus-Christ, qui m'a fait
terminer heureusement ma course, et remporter la victoire sur
l'ennemi. Lorsque je serai dans le ciel, je m'adresserai à Dieu
avec confiance, et je le prierai pour vous. » Après avoir parlé
ainsi, il reçut avec joie le coup qui consomma son sacrifice. Le
bûcher sur lequel on mit son corps parut environné d'une lumière
si éclatante, que personne n'osait en approcher pour l'allumer.
Le gouverneur l'ayant appris, commanda des soldats pour garder
la tête et le tronc du martyr en cet endroit.
Ce jour-là
même, Fronton, prêtre de Malus, vint à Ancyre pour chercher les
reliques que Théodote lui avait promises ; il apportait aussi
l'anneau que le saint lui avait laissé comme un
gage de sa promesse. Il était venu avec une ânesse chargée do
vin provenant d'une vigne qu'il cultivait de ses propres mains.
Il n'arriva qu'au commencement de la nuit. Son ânesse, épuisée
de fatigue, s'abattit auprès du bûcher, par un effet de la
Providence. Les gardes invitèrent Fronton à demeurer avec eux,
l'assurant qu'il serait mieux que dans toute autre hôtellerie.
Ils avaient fait une hutte avec des branches de saule et des
roseaux, et avaient allumé du feu auprès. Comme leur souper
était prêt, ils proposèrent à Fronton de manger avec eux ;
celui-ci accepta la proposition, et leur fit goûter de son vin,
qu'ils trouvèrent excellent, et dont quelques-uns burent jusqu'à
s'échauffer un peu.
Dans la
conversation, ils racontèrent ce qu'ils avaient souffert au
sujet de l'enlèvement des sept vierges, qu'ils disaient avoir
été fait par un homme de bronze. Ils ajoutèrent qu'ils
gardaient alors le corps de cet homme. Le prêtre les pria de
s'expliquer, et de le mettre au fait de cette aventure. Un de la
troupe lui rapporta en détail ce qui était arrivé aux sept
vierges, et de quelle manière leurs corps avaient été tirés de
l'étang. Il dit ensuite qu'un nommé Théodote, bourgeois
d'Ancyre, avait souffert les plus affreux tourments avec une
insensibilité qui les portait à lui donner le titre d'homme
de bronze, que le gouverneur l'avait condamné à mort ;
qu'ils étaient chargés de garder son corps, et devaient
s'attendre à une rigoureuse punition s'il leur était enlevé.
Fronton remercia
Dieu de cette découverte, et le pria de l'assister dans la
circonstance où il se trouvait. Après le souper, il épia le
moment où les gardes seraient profondément endormis. N'ayant
plus rien à craindre de leur part, il prit le corps du martyr,
lui remit son anneau au doigt, et le chargea avec la tête sur le
dos de son ânesse. Lorsqu'elle fut dans le chemin, il la laissa
aller seule, et elle retourna d'elle-même au bourg de Malus, où
l'on bâtit depuis une église sous l'invocation de S. Théodote.
Ce fut ainsi que s’accomplit la promesse que le saint martyr
avait fuite à Fronton de lui fournir des reliques.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints…
– Traduction : Jean-François Godescard. |