S. Vincent,
né dans les Gaules, fut élevé dans la connaissance des
belles-lettres, et y fit de grands progrès. Il embrassa d'abord
la profession des armes, et vécut dans le monde avec éclat. Nous
apprenons de lui-même
qu'après
avoir été battu quelque temps par les flots de la mer orageuse
du siècle, il réfléchit sérieusement sur les dangers dont il
était environné, ainsi que sur le vide de toutes les choses
créées. Il ajoute que, pour se mettre à l'abri des écueils, il
se jeta dans le port de la religion, où se trouve le refuge le
plus assuré ". Son but était de pouvoir travailler plus
facilement à s'affranchir du joug de l'orgueil et de la vanité,
d'offrir à Dieu le sacrifice de l'humilité chrétienne, de se
garantir des naufrages de la vie présente, et des flammes
éternelles de l'autre monde. Dans ces saintes dispositions, il
abandonna le tumulte des villes, et ne pensa plus qu'aux moyens
de se procurer la possession du ciel.
Une petite île
écartée fut le lieu qu'il choisit pour sa retraite. Gennade
assure que ce fut dans le célèbre monastère de Lérins. Vincent
s'y cacha pour s'appliquer à connaître ce que Dieu demandait de
lui. Il se disait souvent à lui-même que le temps nous dérobe
toujours quelque chose. Il en envisageait les moments fugitifs
qui s'écoulent pour ne plus revenir, comme un ruisseau qui,
étant parti de sa source, n'y remonte jamais. De là il concluait
la nécessité de racheter le temps, de saisir ces moments
qui nous échappent sans cesse, de les mettre à profit pour
mériter de recevoir au dernier jour un jugement favorable.
D'un autre
côté, il considérait qu'il ne suffit pas de bien vivre ; mais
qu'il faut aussi avoir la foi, qui est le fondement de toute
vertu chrétienne. Il ressentait une vive douleur en voyant le
sein de l'Église déchiré par un grand nombre d'hérétiques, qui
tendaient partout des pièges de séduction, et qui, pour tromper
plus facilement
les simples, cherchaient à accréditer leurs erreurs par
l'autorité de
l'Écriture
qui les condamnait. Son obéissance à l'Église,
et la connaissance qu'il avait de la religion, le garantissait
du venin de tout dogme impie. Mais il n'en était pas ainsi de
beaucoup de fidèles chancelants
ou peu instruits. Pour
les prémunir contre les sophismes de l'hérésie, et pour ouvrir
les yeux aux
personnes faibles qui
avaient déjà eu
le malheur de se laisser séduire, il écrivit, avec autant
de clarté et de précision que de l'orée
et
d'éloquence, un livre qu’il
intitula. Commonitorium
ou
Avertissement contre
les hérétiques.
Cet ouvrage
fut composé en 434, trois ans après le concile général d'Éphèse,
qui proscrivit le
nestorianisme. Vincent de Lérins avait en vue les hérétiques de
son temps, mais surtout les Nestoriens
et les Apollinaristes. Il les réfute par des principes généraux
et lumineux, qui s'appliqueront à
tous ceux qui oseront dogmatiser jusqu'à la
lin du monde. A cet avantage se trouvent réunis ceux du style,
de l'érudition et du génie. On
remarque encore à chaque page un certain ton de piété qui gagna
et intéresse le lecteur.
Le saint, par
humilité, déguise son vrai nom, et prend celui de Peregrinus
ou de Pèlerin. C'est qu'il se regardait comme pèlerin et
étranger sur la terre, et particulièrement séquestré du monde
par la profession de la vie monastique. Il s'appelle le
dernier de tout les serviteurs de Dieu, et se met au-dessous
du dernier de tous les saints. A l'entendre, il ne mérite
pas de porter le nom de chrétien,
Dans cet ouvrage,
il établit cette règle fondamentale, adoptée par tous les
anciens Pères, qui “doit regarder comme dogme infaillible, ce
qui a été cru dans tous les lieux, dans tous les temps,et par
tous les fidèles”. C'est d'après cette règle qu'il veut que
l'on décide les points controversés en matière de foi. Nous
avons, selon lui, un moyen facile de nous prémunir contre les
explications arbitraires des livres saints, que donnent
Novatien, Photin, Sabellius, Donat, Arius, Jovinien, Pelage,
Nestorius, etc. c'est d'interpréter toujours l'Écriture par la
tradition de l'Église, qui, comme un fil, nous conduit à la
connaissance de la vérité. Par là nous sommes sûrs de ne jamais
nous égarer. En effet, la tradition venue des apôtres manifeste
le vrai sens des divins oracles, et toute nouveauté dans la foi
est une marque certaine d'hérésie. En fait de religion, rien
n'est plus à craindre que de prêter l'oreille à ceux qui
enseignent une doctrine inconnue jusqu'alors. « Ceux, dit-il,
qui ont une fois osé attaquer un article de foi, ne tarderont
pas à en attaquer d'autres. Que s'ensuivra-t-il de cette
prétendue réforme dans la religion ? A force d'innover, on en
viendra jusqu'à changer entièrement, ou plutôt à détruire la
doctrine catholique. » Il s'étend avec beaucoup de solidité et
d'élégance sur le divin emploi que l'Église a reçu de conserver
pur et sans tache le sacré dépôt de la foi.
Revenant aux
hérétiques : ils affectent, dit-il, de citer partout l'Écriture
; il n'y a presque point de pages dans leurs écrits où l'on n'en
trouve des textes. Mais en cela ils ressemblent aux charlatans,
qui, pour se défaire de leurs drogues, leur attribuent la vertu
d'opérer des guérisons infaillibles ; et aux empoisonneurs, qui
déguisent sous des noms imposants leurs breuvages meurtriers.
Ils imitent le père du mensonge, qui, en tentant le Fils de
Dieu, cita l'Écriture.
S'il s'élève,
continue-t-il, quelque doute sur le vrai sens d'un passage dans
un point qui intéresse la foi, il faut avoir recours aux Pères
qui ont vécu et qui sont morts dans la communion de
l'Église catholique. A l'aide de leur doctrine, on découvrira
bientôt la nouveauté. Nous ne devons cependant recevoir comme
absolument certain et indubitable, que ce qui a été cru par
tous, ou par presque tous les Pères ; et alors l'unanimité de
leur consentement équivaut à l'autorité d'un concile général. Si
quelqu'un d'entre eux a tenu une doctrine contraire à celle du
plus grand nombre, quelque saint, quelque habile qu'il ait été,
on doit regarder son sentiment comme celui d'un particulier, et
non point comme la créance universelle de l'Église. Lorsqu'un
article controversé a été décidé dans un concile général, cette
décision devient irréfragable, et elle a tous les caractères
requis pour fixer notre foi. Tels sont les principes généraux
que S. Vincent de Lérins établit dans son ouvragé. Il n'y a
point de livre de controverse qui renferme tant de choses en si
peu de mots. Les raisonnements solides qui y sont développés ont
fourni et fourniront toujours des armes puissantes contre tous
les hérétiques. Les mêmes principes se trouvent aussi dans le
livre des Prescriptions par
Tertullien, dans S.
Irènée de Lyon, et dans d'autres anciens Pères.
S. Vincent mourut
sous les règnes de Théodose II et de Valentinien III, et
conséquemment vers 445-450.
Ses reliques se gardaient à Lérins. On lit son nom dans le
Martyrologe romain.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |