Albert, dit de Louvain,
était fils de Godefroid III, duc de Basse-Lotharingie et de
Marguerite de Limbourg. A la mort de Godefroid III, son fils aîné,
Henri Ier prit,
en lui succédant, le titre de duc de Brabant, et Albert
entra
au chapitre de Saint-Lambert à Liège. Il était archidiacre de cet
illustre chapitre quand mourut, en 1191, Rodolphe de Zæhringen,
évêque de Liège. Les chanoines de Saint-Lambert, voulant lui donner
un successeur également puissant, mais plus pieux et plus instruit,
jetèrent les yeux sur Albert de Louvain, qui fut canoniquement élu,
le 8 septembre 1191, malgré l’opposition du comte Baudouin V de
Hainaut, qui fit donner quelques voix à son neveu, Albert de Rethel.
(Voir ce nom.) Albert de Louvain envoya peu après une députation du
chapitre de Liège à l’empereur Henri VI, qui se trouvait alors en
Italie, pour lui notifier son élection et demander l’investiture;
mais une ambassade de Baudouin de Hainaut l’avait déjà précédé près
de l’Empereur, sollicitant également l’appui du suzerain pour Albert
de Rethel. Henri VI fit des promesses aux deux partis, et fixa, pour
l’année suivante, une diète à Worms, afin d’y décider l’affaire.
Dans l’entre-temps, Thierri, comte de
Hostade et favori de l’Empereur, avait profité de son crédit à la
cour pour préparer la candidature de son frère Lothaire, alors
prévôt à Bonn. Celui-ci, connaissant le faible de Henri VI, eut
l’adresse d’y ajouter l’influence d’une somme de 1500 livres
d’argent, et l’Empereur se déclara pour lui. A la diète de Worms, il
écarta, en effet, sous un vain prétexte, les prétentions des deux
Albert et donna l’investiture de la principauté de Liège à Lothaire
de Hostade. Malgré les réclamations du chapitre de Liège, qui voyait
ses droits méconnus, et la générosité d’Albert de Rethel, qui
renonça en pleine diète en faveur d’Albert de Louvain, l’Empereur
tint bon, et Lothaire, soutenu par une armée du comte du Hainaut,
prit possession de l’évêché de Liège. Albert de Louvain résolut de
soumettre cette compétition au souverain pontife. Caché sous le
déguisement d’un domestique, il parvint à se rendre secrètement à
Rome, où le pape Célestin III, ayant reconnu ses droits, confirma
son élection et le nomma même cardinal. Il revint ensuite en
Brabant, par des voies détournées, afin d’éviter les émissaires de
l’Empereur qui gardaient toutes les grandes routes. A la nouvelle de
son arrivée, l’Empereur ordonna, sous les plus terribles menaces, à
Henri Ier d’expulser son frère du Brabant; mais Albert,
prévoyant les maux qui allaient fondre sur le duc, le prévint et se
retira dans le Limbourg, puis à Reims en Champagne. Ce fut là qu’il
reçut la consécration épiscopale, le 19 septembre 1192, des mains de
l’archevêque. Cette persistance d’Albert irrita Henri VI au plus
haut degré; il accourut lui-même à Liège et cita Henri de Brabant
devant son tribunal suzerain. Ce prince connaissait les violences de
Henri VI; il s’agissait pour lui de perdre ses États et probablement
la vie ou de se détacher de son frère. Il n’était pas assez fort
pour résister par la voie des armes au puissant Empereur; il fallut
donc céder et reconnaître Lothaire de Hostade. Abandonné de tous,
Albert de Louvain continua de mener, à Reims, une vie simple et
retirée, cherchant sa consolation dans la prière et la pratique des
bonnes œuvres. Bientôt pressé par le besoin, il y fut obligé de
mettre en gage le seul cheval qu’il possédât, afin de se procurer le
strict nécessaire.
Ses vertus et sa misère ne devaient
cependant pas l’abriter contre le ressentiment des partisans de
l’évêque de Liège. Trois seigneurs allemands, pour complaire à
l’Empereur, se réunirent à Maestricht et résolurent de se défaire
d’Albert de Louvain. A cet effet, ils vinrent s’établir à Reims,
feignant avoir encouru eux-mêmes la disgrâce de l’Empereur,
parvinrent à gagner la confiance de l’évêque exilé et à se faire
recevoir dans son intimité. Cette manœuvre cachait leurs projets
homicides. Une occasion propice pour les accomplir se présenta le 24
novembre 1192. Profitant d’une promenade solitaire qu’ils faisaient
avec l’infortuné prélat aux environs de Reims, ils se jetèrent sur
lui, l’assassinèrent cruellement et s’enfuirent en Allemagne près de
l’empereur Henri VI.
La nouvelle de cet attentat souleva une
si violente indignation dans le Brabant, le Limbourg, les provinces
du bas Rhin et même dans le pays de Liège, que l’évêque Lothaire, ne
se croyant plus en sûreté dans sa forteresse de Huy, la quitta
secrètement et se réfugia près de l’Empereur en Allemagne.
D’après les coutumes du temps, le sang
versé demandait non-seulement justice, mais encore vengeance. Le duc
de Brabant, celui de Limbourg, leurs amis, leurs alliés et presque
tous les grands vassaux du bas Rhin se réunirent donc à Cologne, au
commencement de l’année 1193, et résolurent de tirer une éclatante
vengeance du meurtre d’Albert de Louvain. On commença par ravager le
comté d’Hostade, pour se tourner ensuite contre l’Empereur. Henri
VI, craignant pour sa couronne, envoya plusieurs ambassades aux
princes confédérés, leur demanda une entrevue à Coblence et promit
de réparer tous ses torts. Il tint, en effet, parole: s’étant rendu
lui-même à Coblence, il y lit humblement réparation d’honneur au duc
de Brabant, combla de présents tous les princes alliés, exila ceux
qui avaient trempé dans le meurtre et fonda, dans l’église de
Saint-Lambert à Liège, deux autels expiatoires. La paix fut ainsi
établie. Quant à Lothaire de Hostade, il mourut repentant, en 1194,
à Rome, où il était allé implorer la clémence de Célestin III. Les
reliques de saint Albert de Louvain reposaient à Bruxelles, au
couvent des Carmélites, couvent qui n’existe plus depuis la fin du
siècle dernier.
Eugène Coemans.
Geschiedenis van sint
Albertus van Leuven,
door J. David. Antwerpen, 1845. — Fisen,Hist.
Eccles. Leod.,
1696. — Foullon, Historia Leodiensis, 1735. — De Villenfagne,Recherches
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du Limbourg, 1837-1848. |