CHAPITRE XVI
Le docteur Azevedo, — ainsi que quatre autres médecins
qui déclarèrent
inexplicable le fait du jeune total et de l’anurie de la
malade — appelé à cause de la conclusion matérialiste du médecin athée, ne
tarda pas à écrire au chanoine Molho de Faria, qui avait eut recours à lui
sur un problème qui avait trait au langage technique de la science médicale.
Avec la délicatesse qui lui était propre, le docteur Azevedo lui conseillait
de reprendre l’étude du cas d’Alexandrina « afin de ne pas transmettre à
la postérité son nom tâché chaque fois que les faits de Balasar seraient
publiés. »
Le chanoine ne prêta pas l’oreille à cette sage
invitation ; au contraire, il s’obstina ferment dans sa position. Toutefois,
lors du procès diocésain sur les vertus de la servante de Dieu, il se
déclara « persuadé de la sainteté d’Alexandrina. »
L’opinion favorable qu’il avait maintenant — ainsi
confessa-t-il — il l’avait acquise en lisant tout ce qu’avaient écrit ses
deux directeurs spirituels. Mieux vaut tard que jamais ! En tout cas, la
blessure qui avait tant fait souffrir et verser tant de larmes, était
restée, et restera toujours, même si Alexandrina lui pardonna parce que —
comme elle le faisait habituellement — elle aimait tout le monde, y compris
ses ennemis : « parce que Jésus le voulait ». Bien souvent le
chanoine fut aperçu agenouillé sur la tombe de la servante de Dieu.
Face aux affirmations catégoriques : « Cette
Commission sent le devoir de dire qu’elle n’a rien trouvé qui atteste quoi
que ce soit de surnaturel, extraordinaire ou miraculeux dans le cas
d’Alexandrina Maria da Costa », le Père Umberto se préoccupa de
recueillir le plus de documentation possible pour combattre la grave
sentence formulée sur certaines extases, pendant lesquelles le Seigneur
utilisait envers Alexandrina des titres qui aux ignorants en science
mystique paressent inconvenants pour une personne humaine. Il en fit un long
exposé, en double exemplaire, et demanda au docteur Azevedo d’en transmettre
une à l’archevêque. Il va de soit qu’il n’a pas insisté sur le fait du jeûne
et de l’anurie complète qui durait depuis deux ans, car le jugement de
ceux-ci n’appartient qu’à la seule Église. Entre autres choses, le Père
Umberto souligna :
« Je me demande toujours : “ces théologiens
connaissaient-ils personnellement Alexandrina ?” “Ont-ils interrogé ceux qui
auraient pu leur fournir des données précises avant qu’ils ne prennent une
décision aussi grave et pour une étude d’ensemble de ces faits ?” Je crois
savoir que le directeur spirituel, qui a en sa possession tous les
documents, ne fut jamais interrogé et jamais personne ne lui demanda quoi
que ce soit.
Dans la conclusion des théologiens ne serait-il pas
entré quelque information vénéneuse venue de quelque théologienne ? Cela
serait bien triste.
Si au fruit on reconnaît l’arbre, il serait certes
facile à un observateur attentif et expert, ayant la connaissance totale des
faits, de faire ressortir la vérité... Je me demande encore et toujours sur
quoi s’est appuyé “l’étude” des théologiens. Peut-être sur des extraits
d’extases écrits par n’importe quel étranger ? S’il en est ainsi, nous
savons que l’extase en elle même ne veut rien dire. Les maîtres de la
mystique enseignent que pour une telle étude il est nécessaire de tenir
compte des sentiments qui précèdent et accompagne l’extase. Sans cela rien
ne se fait. »
Le Père Umberto, dans son exposé, choisit d’énumérer tout
ce qu’il avait constaté, et qui dépasse la nature humaine et que par
conséquent démontrait l’intervention divine.
A) Dans tous les écrits d’Alexandrina
apparaît, substantiellement authentique son expérience mystique telle que
l’enseignent les grands maîtres de l’Église catholique — saint Jean de la
Croix, sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne. Que plus encore, dans le
spécifique d’Alexandrina, presque analphabète, le don de la science infuse
est évident vu la précision théologique avec laquelle elle s’exprime et par
les images à l’aide desquelles elle nous présente sa montée vers Dieu.
B) Le charisme prophétique d’Alexandrina
est aussi évident.
Dès l’annonce de la mort de Pie XI, Alexandrina
prophétisa le nom du successeur à sa sœur et à l’institutrice Sãozinha :
« Cardinal Pacelli, cardinal Pacelli !... »
En 1940 la guerre fait rage dans toute l’Europe. Pour
son journal, la servante de Dieu dicta : « Après une brève prière et
l’offrande de moi-même avec toutes les autres âmes victimes, en union avec
la Maman du ciel, afin de demander que Jésus épargne le Portugal du terrible
fléau, j’ai été soudain entendue. Jésus daigna me répondre :
— « Demandez et vous recevrez ; demandez avec foi. Le
Portugal sera épargné. Mais malheur à lui s’il ne correspond pas ! »
Le 6 décembre de la même année Alexandrina suppliait
Jésus de ramener la paix sur le monde et de protéger le Pape. Le Seigneur
lui répondit :
— « La paix reviendra, mais au prix de beaucoup de
sang. Le Saint-Père sera épargné ; le dragon orgueilleux et enragé qu’est le
monde n’osera pas toucher à son corps. Mais son cœur en sera victime. »
Il est aujourd’hui prouvé que Hitler avait donné des
ordres pour la capture de l’auguste personne du Pontife.
Le 11 novembre 1943 Alexandrina écrivit au Saint-Père
pour le réconforter. Elle lui dit entre autres choses : «... Le règne de
votre Sainteté continue de se dérouler au milieu des épines, mais Jésus ne
manquera jamais de vous apporter sa grâce et son amour afin que vous
puissiez marcher joyeux le long de votre calvaire... »
C) Il émanait souvent d’Alexandrine des
effluves de parfum très agréables et indéfinissables. Plusieurs personnes
l’attestent, et ceux-ci furent ressentis par tous les salésiens de
Mogofores, que ce soit à l’intérieur, que ce soit dans la cour. Dans le
journal du 27 septembre 1944 elle dicta : « Dis à mon cher Père Umberto que
le parfum est divin ; c’est le parfum des vertus. Je dis cela parce qu’il en
aura besoin pour son étude. »
D) Divers témoins affirment que
Alexandrina « lisait dans les cœurs ». Une sorte d’intuition surnaturelle
lui faisait comprendre la situation des âmes. Fait singulier, car
Alexandrina passa toute sa vie enfermée dans sa chambre et ne vécut donc
jamais ces expériences et situations racontées par ceux qui la visitaient.
Il y en avait même qui n’osaient pas entrer dans la petite chambre sans
avoir, auparavant, fait la paix avec Dieu, par le moyen du sacrement de la
pénitence.
Le 11 octobre 1944 Alexandrina dicta à sa sœur pour son
journal : « Hier Jésus, apitoyé par ma souffrance, fit venir ici le Père
Umberto, alors que je ne l’attendais pas, et que je n’avais pas osé
l’appelé. J’ai pu lui ouvrir mon âme avec difficulté. J’ai fait un très
grand sacrifice pour lui parler : je l’ai offert au Seigneur en réparation
pour ceux qui cachent leurs fautes avec malice. J’ai pleuré des larmes de
soulagement et de honte ; mais très vite, une grande paix m’envahit, en même
temps que toutes les ténèbres de mon âme se dissipaient, les doutes et tout
ce qui me causait de la peine... »
Le même jour, le Père Umberto se retrouva à Balasar avec
le docteur Azevedo, et lui remit l’exposé qui réfutait la conclusion des
théologiens de Braga. Aussitôt le départ du docteur, le Père Umberto fut
assailli par une grande angoisse et prit de panique, en prévoyant les
conséquences motivées par sa prise publique de position. Il dit à
Alexandrina, qui ignorait tout, qu’il allait s’absenter un moment pour la
lecture de son bréviaire. Il se réfugia dans une pinède toute proche, afin
de pouvoir donner libre cours à ses pleurs et à ses craintes. A genoux, il
dit, avec tristesse, au Seigneur : « Tu connais la raison de ma venue à
Balasar. J’ai droit à un signe qui me confirme que la cause est vraiment
tienne. »
Le lendemain matin, dès la messe terminée dans l’église
paroissiale, le Père Umberto demanda au sacristain l’écrin pour porter la
communion à Alexandrina ; celui-ci lui répondit que le curé l’avait pris
pour porter la communion à une autre malade, et qu’il fallait donc attendre.
Le Père Umberto alors se recueillit dans la prière. Peu après, arriva
Deolinda : « Père, venez ! Jésus est déjà à la maison. Le curé devait se
dépêcher pour arriver à temps à la gare pour prendre le train... Alexandrina
est levée... et il fait si froid ! » Il retourna à la maison au pas de
course. La servante de Dieu se trouvait en extase : agenouillée, elle
chantait d’une belle voix tournée vers la table où le curé avait déposé la
sainte Hostie. Deolinda lui avait posé sur les épaules un châle en laine.
Elle était transfigurée. Lorsque le Père Umberto s’approcha d’elle, elle se
déplaça. Le Père Umberto, d’abord hésitant sur la décision à prendre, lui
ordonna ensuite de se mettre au lit. Elle se leva toute seule et, toujours
seule, elle se coucha sous les couvertures, que Deolinda finit de remettre
en place.
Malgré le fait qu’elle soit condamnée à l’immobilité, à
cause de la myélite, quelques fois, en extase ou en pleine conscience, quand
le Seigneur lui accordait un peu de soulagement — très rarement — à ses
douleurs, elle se remuait parfaitement : ses pieds. Ceux-ci, courbés en arc,
devenaient tout à fait normaux.
Le Père Umberto lui administra la communion, mais il se
rendit comte qu’elle était encore en extase, alors cette pensée lui vînt :
« J’aimerais savoir ce qui se passe entre vous deux » — Jésus et
Alexandrina. A l’instant même, Alexandrina commença à parler : chose qui
n’arrivait que pendant l’extase du vendredi. Mécaniquement, le Père Umberto
avait sorti de sa poche stylo et cahier de notes, afin de pouvoir tout
écrire, malgré le tremblement de sa main, causé par l’émotion.
Mais, rapportons-nous à la page du Journal d’Alexandrina
du 12 octobre 1944 :
« Ce matin, à peine avais-je fait ma préparation pour
recevoir Jésus que monsieur le curé est arrivé. Dès que l’Attendu de mon âme
fut placé sur la petite table et que les bougies ont été allumées, Il m’a
dit :
— Jésus est là, pour te tenir compagnie. C’est le Père
Umberto qui viendra Me donner à toi.
Aussitôt que monsieur le curé est parti, une force
provenant de je ne sais où, m’obligea à me lever : je me suis agenouillée
devant Jésus et me suis penchée vers Lui. Mon visage et mon cœur non jamais
été aussi près. Quelle félicité la mienne ! Je l’ai prié intensément pour
moi, pour tous ceux qui me sont chers et pour le monde entier. Je me sentais
brûler dans cette divine fournaise. En plus, Jésus m’a parlé :
— Aime, aime, Ma fille ; n’aie d’autre préoccupation
sinon celle de M’aimer et de Me donner des âmes. Là où est Dieu, rien ne
manque : la victoire, le triomphe !
J’ai alors demandé aux anges de venir chanter avec moi
des louanges à Jésus.
J’ai chanté jusqu’au moment où le Père Umberto m’a
obligée à me remettre au lit. C’est embrasée par l’amour divin que j’ai fait
ma communion.
Quelques instants après, Jésus m’a dit :
— Ce sont des merveilles, ce sont des preuves que je
donne. Dis, ma fille, à mon cher Père Umberto que c’est bien moi qui ai tout
permis. Rien d’autre ne sera nécessaire de ma part. Maintenant il ne reste
plus qu’à lutter, lutter, combattre ayant le regard fixé sur Moi. La cause
est la mienne, elle est divine ! Pauvres humains qui immolent ainsi Ma
victime ! Pauvres âmes qui blessent ainsi mon Cœur !...
Finesses du Seigneur ! Elle était claire la réponse à
l’impertinente supplique de la veille, dans la pinède, entre prosternation
et larmes.
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