CHAPITRE XVIII
Dans la semaine de la passion de 1942 (la cinquième de
Carême) les manifestations de la “Via Crucis” cessèrent et les
extases commencèrent, à trois heures tous les vendredis et les premiers
samedis de chaque mois. Elles durèrent jusqu’à la fin, en 1955.
Le 26 août 1955, peu de temps avant qu’Alexandrina ne
meurt, Jésus vînt lui dire:
— Mes colloques seront dorénavant comme la rencontre
de deux amis qui remémorent leur amitié passée.
La durée de l’extase publique était d’environ une
demi-heure. En état de ravissement Alexandrina parlait d’une façon claire et
parfaite : il était possible d’écrire tout ce qu’elle et Jésus, à travers
ses lèvres, disaient. Quelques fois elle chantait, avec de très beaux
accents de voix, d’extraordinaires musiques inspirées.
Pendant les extases elle obéissait aux ordres, même si
celles-ci n’étaient données que mentalement, que lui adressait le Père
Umberto.
Comme la rosée revigore et rafraîchit le jeune arbuste,
ainsi Alexandrina sortait de ces extases revigorée aussi bien physiquement
que spirituellement.
Elle avait l’habitude de dire :
« — À la fin des extases je me sens
rassasiée... mais dommage que cela dure si peu. »
Sa sortie d’extase ressemblait au réveil d’un enfant
après un sommeil profond. Elle se souvenait exactement de tout ce qu’elle
venait de vivre et pouvait ainsi corriger ce qui avait été écrit par ceux
qui avaient assisté à l’extase.
Pendant ces mêmes colloques elle paraissait comme
subjuguée par la vision de son Seigneur. Elle répétait des phrases enflammés
:
« Aimons Jésus. Oh ! si seulement nous pouvions
vraiment l’aimer !... Comme on est mal sur cette terre !... Je ne puis plus
vivre sur la terre. »
Son visage se colorait d’un rouge enflammé ; les mains
lui brûlaient comme si elle avait de la fièvre.
Les extases se déroulaient sur un unique argument ou “fil
conducteur” : la réparation. Ils parlaient de Jésus souffrant, qui
invite les pécheurs, qui a besoin de victimes, de la sainte Vierge qui la
sollicite à s’immoler, qui veut sauver le monde.
Cependant Alexandrina avait une aversion instinctive aux
extases qui l’arrachaient de force de sa vie humble et cachée.
Elle écrivit à ce sujet :
« Je désirerais t’aimer beaucoup, ô Jésus, ne
jamais plus t’offenser ; mais je ne souhaiterais plus sur la terre entendre
ta douce et suave voix, plus contempler ta face divine, ni souffrante, ni
rayonnante de gloire. J’aurai toute l’éternité pour te contempler et pour
t’écouter... »
Le thème est toujours le même. Dieu demande des âmes et
réparation ; Alexandrina, la victime, répare et offre prières et immolation
pour leur salut.
Jésus lui adresse d’incomparables paroles d’une extrême
délicatesse. On a l’impression de relire le Cantique des Cantiques. Voici
quelques-unes de ces étincelles :
— J’unis Mon Cœur au tien... J’habite en toi et toi en
Moi... Reçois, reçois, Ma toute petite, l’amour de Jésus. Reçois-le, fais-le
fructifier ; c’est pour le distribuer aux âmes... J’ai soif, J’ai soif, Ma
fille, J’ai soif d’amour... Les âmes ne connaissent pas Ma folie, Ma colombe
toute belle !... Je suis toujours prêt à accueillir les âmes ; Je leur donne
et offre mon Cœur ; Je veux les attirer.
Autours d’elle Alexandrina sentait les âmes
« s’accrocher aux fibres de sa chair, affamées ; l’absorber jusqu’à la vider
complètement. »
Le Seigneur, dans les dernières années de la vie de la
servante de Dieu, lui disait :
— Tu es la victime de toutes les catégories de
pécheurs. N’aie pas peur : tes ténèbres sont source de lumière, ta mort est
source de vie ; c’est Moi qui t’ai préparée pour cette grande réparation. Si
seulement tu savais ce que c’est que la vie de Dieu dans les âmes ! Les âmes
humbles et petites Me sont très chères. Je suis leur seule grandeur.
Lors d’une extase, Alexandrina vit Jésus avec un arrosoir
en main, comme un jardinier, arroser des massifs et des fleurs d’une
extraordinaire beauté ; une image invraisemblable. Jésus commenta :
— Ton cœur est un monde. Tu m’aimes pour toute
l’humanité.
Ensuite elle le vit se promener parmi les fleurs.
On pourrait penser à une variante du chapitre six du
Cantique des Cantiques :
« Mon Bien-Aimé est descendu dans son jardin,
dans son parterre embaumé ;
pour paître en mon jardin,
et pour cueillir les lys.
Je suis à mon Bien-Aimé,
mon aimé est à moi.
Il paît parmi les lis. »
Vers la fin, le Seigneur lui expliqua :
— Regarde, observe le divin Jardinier... Il arrose les
fleurs de ton jardin, un terrain par Moi-même cultivé. Je veux qu’à tout
moment, de jour comme de nuit, des fleurs s’épanouissent et répandent un
parfum qui fasse mes délices.
Ensuite Il la rassura :
— Tu es une violette cachée... Les vraies grandeurs,
mon œuvre, le travail divin en toi, toutes ces merveilles seront pleinement
comprises seulement après ta mort et dans la lumière de l’éternité.
En ce temps-là Jésus réalisait d’une certaine façon le
désir secret d’Alexandrina qui lui avait demandé :
« Placez-moi, ô Jésus, comme une grille à la
porte de l’enfer ! »
Ce fut aussi au cours de cette même période
qu’Alexandrina sentait en elle l’enfer et elle-même en enfer. L’enfer des
âmes commença à presser et à écumer contre elle comme l’eau de la mer contre
un écueil. Sous les coups de maillet de cette souffrance, elle écrivit :
« Je ne peux plus souffrir ».
« Que le Ciel soit avec moi —
écrivit-elle en 1945. Je me sens condamnée à l’enfer. Mon âme souffre
d’horribles supplices. Avec les yeux de l’âme je vois les démons qui me
tourmentent. Dans tout le corps il me semble sentir le feu qui me consume.
Mes oreilles entendent les grognements des démons et les hurlements de la
désespérance infernale. Quelques fois je reste comme quelqu’un qui
tressaillit d’épouvante le long de la route. Je ne sais quoi faire. Mon
Dieu, Quelle terrible chose que d’être condamnée à l’enfer ! J’espère de ta
bonté infinie qu’il n’en soit pas ainsi.
Dans cet éternel exil, je sens sur moi le poids de la
justice divine. Désirer Dieu et ne point pouvoir l’avoir, est des millions
de fois plus contraignant que n’importe quel autre tourment. Mon âme tremble
et craint épouvantée. O combien d’indicibles souffrances me tourmentent. »
Plus tard, sur un petit feuillet, elle écrivit sa “lettre
ouverte” à tous les pécheurs. La voici :
« J’ai passé ma vie à souffrir et passerai mon Ciel à
aimer et à prier Jésus pour vous, pécheurs. Convertissez-vous et aimez Jésus
; aimez la Maman du ciel.
Venez, allons tous au ciel.
Si vous connaissiez l’amour de Jésus, vous mourriez de
douleur pour l’avoir offensé.
Ne péchez pas, ne péchez plus ! Jésus vous créés ;
Jésus est Père. »
Ceci, elle l’écrivit en juillet 1947.
Elle terminait — comme toujours — par une signature très
humble :
« Je suis la pauvre Alexandrina Maria da Costa. »
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