Née à Sienne, Anna-Maria Gianetti suivit son père à Rome
où des revers de fortune l'avait contraint d'aller se fixer. La petite passa à
peine deux ans à l'école où elle n'apprit qu'à lire. Ses parents faisaient
retomber leur amertume sur leur fillette, mais l'angélique pauvrette redoublait
de douceur envers eux.
Anna-Maria entra très tôt en service afin d'aider ses
parents. Elle grandissait, pieuse, travailleuse et coquette, prenant plaisir à
se parer. Domenico, qui travaillait au jour le jour au palais Chigi, homme
honnête, rude et prompt à la colère, offrit de l'épouser; Anna-Maria accepta sa
proposition de mariage.
Dans les premiers temps de son ménage, elle conserva ses
habitudes mondaines, aimant à fréquenter le théâtre des marionnettes et à porter
des colliers de verroterie. Après trois ans de cette vie ainsi partagée entre
l'amour de Dieu et l'amour du monde, Anna-Maria se confessa au Père Angelo de
l'Ordre des Servites, se convertit totalement et, avec l'assentiment de son
mari, elle se fit recevoir dans le Tiers-Ordre des Trinitaires. Domenico ne
demandait qu'une chose: que la maison soit bien tenue et paisible !
Or, les parents d'Anna-Maria vinrent partager la vie du jeune
foyer. Depuis leur arrivée, les scènes de criailleries qu'elle apaise de son
mieux se répètent tous les jours, car sa mère acariâtre cherche sans cesse
querelle à son gendre qui s'emporte facilement. Atténuant les heurts le mieux
possible, elle s'empresse auprès de son époux trop vif qui jette le dîner par
terre avec la table quand un plat lui déplaît. Après la mort de sa mère, son
père vit aux dépens de sa fille et multiplie disputes sur disputes. Lorsque la
lèpre l'atteint, la bienheureuse Anna-Maria le soigne tendrement et l'aide à
mourir chrétiennement.
Pour leurs sept enfants, la maison risquait de devenir un
enfer, mais la bienheureuse demeurait si surnaturellement douce, que Domenico
affirmera que c'était un vrai paradis chez lui, et que l'ordre et la propreté
régnaient partout dans son pauvre gîte. Anna-Maria se levait de grand matin pour
se rendre à l'église, et communiait tous les jours. Lorsqu'un membre de la
famille était malade, pour ne donner à personne l'occasion de se plaindre et de
murmurer, elle se privait de la messe et de la communion. Pour suppléer à cette
privation involontaire, elle se recueillait pendant les moments libres de la
journée.
La bienheureuse Anna-Maria Taïgi tenait ses enfants toujours
occupés. Après le souper, la famille récitait le rosaire et lisait une courte
vie du Saint du jour, puis les enfants se mettaient au lit après avoir reçu la
bénédiction. Le dimanche, ils visitaient les malades à l'hôpital. Sa tendresse
maternelle ne l'empêchait pas d'appliquer fermement les sanctions méritées,
telles la verge ou le jeûne. Ses enfants profitèrent avantageusement de cette
éducation si équilibrée et devinrent vite l'honneur de leur vertueuse mère et le
modèle de leurs camarades.
Sa délicatesse envers les humbles était exquise. Elle
nourrissait sa servante mieux qu'elle-même; à une qui cassait la vaisselle par
maladresse, elle disait gentiment : « l faut bien faire gagner la vie aux
fabricants de faïence ».
Lors de sa réception comme membre du Tiers-Ordre de la Sainte
Trinité, la bienheureuse s'était offerte comme victime expiatrice pour les
péchés du monde. En retour de cette généreuse offrande, Dieu lui accorda la
vision permanente d'un globe ou soleil lumineux dans lequel elle lisait les
besoins des âmes, l'état des pécheurs et les périls de l'Église.
Ce phénomène extraordinaire dura quarante-sept-ans. Surprise
au milieu de ses occupations domestiques par les ravissements et les extases,
Anna-Maria s'efforçait vainement de s'y soustraire. Grâce à elle, les malades
avertis de leur fin prochaine mouraient saintement. Comme le sort des défunts
lui était révélé, sa compassion pour eux lui inspirait de multiplier ses
pénitences afin de libérer au plus tôt ces pauvres âmes qui venaient la
remercier de leur délivrance.
Bien que la bienheureuse Anna-Maria Taïgi souhaitait
ardemment rester ignorée de tous, une foule de visiteurs composée de pauvres, de
princes, de prêtres, d'évêques, du pape même, accourait pour demander conseil à
sa sagesse inspirée. Simple et humble, elle répondait tout bonnement en se
dérobant aux louanges, refusant toujours le plus petit cadeau.
Or, celle qui répandait ainsi la sérénité et la lumière
autour d'elle, fut privée de consolation spirituelle pendant vingt ans, et
éprouvait le sentiment très net d'être reléguée en enfer. Pendant sept mois, les
angoisses et les ténèbres de son âme s'étant accrues, Anna-Maria Taïgi
expérimenta une véritable agonie, n'en continuant pas moins à diriger sa maison
comme si de rien n'était.
Malgré ses doigts devenus si douloureux, elle cousait
beaucoup afin d'assurer le pain quotidien de la maisonnée. La femme du
gouverneur de Savoie qui avait obtenu tant de grâces par les prières de la
servante de Dieu, voulut lui donner une forte somme d'argent, mais la
bienheureuse la refusa catégoriquement.
Le Lundi-Saint, dans une extase, Anna-Maria apprit qu'elle
mourrait le Vendredi-Saint. Après avoir béni tous les siens, et les avoir
remercié, elle rendit l'âme dans un cri de bonheur et de délivrance. Il semble
que Dieu ait voulu montrer dans la personne de cette admirable bienheureuse, la
possibilité d'allier des vertus éminentes et des dons surnaturels exceptionnels
à la fidélité aux devoirs les plus humbles et les plus matériels de la vie
commune. Le pape Benoît XV béatifia Anna-Maria Taïgi, le 30 mai 1920.
Tiré de Marteau de Langle de
Cary, 1959, tome II, p. 338-342 F. E. C. Édition 1932, pp. 201 - Résumé O. D. M.
|