|
Dieu est patient avec chacun de nous...
"Oculi
mei semper ad Dominum", chante l'antienne de l'entrée : ce verset du psaume 24 - ainsi que la
mélodie grégorienne correspondante - évoque le regard
confiant du croyant vers Dieu, dont il attend tout le
soutien. "Mes yeux sont sans cesse tournés vers le Seigneur,
car c'est Lui qui sortira mon pied du piège. Regarde-moi, et
prends pitié de moi, car je suis tout seul et sans
ressource".
Ces mots
semblent s'appliquer au Seigneur, abandonné de tous au
moment de la Passion. Mais aujourd'hui, les yeux dont il
s'agit sont ceux de Moïse, qui contemple cet étrange buisson
en flammes, sans se consumer, image d'une Présence
constante. Moïse se trouve en présence de Dieu, de cette
Flamme d'Amour qui se manifestera plus tard encore dans la
colonne de Feu pour guider le peuple d'Israël à travers le
désert, et sur ce même Mont Horeb (le Sinaï) quand Dieu lui
remettra les Tables de la Loi. Comment ne pas voir ici aussi
l'explication de la Lampe allumée de tous nos sanctuaires
chrétiens, indiquant la Présence Réelle Eucharistique du
Corps du Christ.
On
imagine l'étonnement de Moïse à cette vue. Mais voilà qui va
encore plus l'étonner, en s'entendant appeler, et donner une
mission vraiment inouïe : libérer le peuple d'Israël ! Lui,
le suspect qui s'est enfui de la cour d'Égypte après avoir
assassiné un Égyptien qui maltraitait un Israélite : lui un
pauvre berger inconnu de tous ; lui, un vieillard de
quatre-vingt ans...
Quand
Dieu choisit, Il ne se trompe pas. La vocation est une
simple manifestation de Dieu, que l'homme peut ou non
accepter. Si Moïse accepte sa vocation, c'est parce qu'il
est convaincu de la présence de Dieu ; d'abord Dieu se
révèle comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, et donc
cette manifestation se situe dans la continuité de
l'histoire du Peuple de Dieu, dont Moïse va être un maillon
important. Ensuite, Dieu révèle son Nom : Je suis celui qui
suis, comme on a contume de traduire cette expression
hébraïque intraduisible.
"Yahwé".
Ce nom sacré a suscité, malheureusement, des polémiques.
Affirmons avec force et conviction que cette prononciation a
été celle-là même que la plus ancienne tradition
judéo-chrétienne nous a léguée depuis des siècles et des
siècles. Une récente tendance a prétendu interpréter et
prononcer différemment ce saint Nom, montrant ainsi une
évidente absence d'instruction sommaire de la langue
hébraïque. On ne saura que trop inviter les adeptes de cette
tendance à s'initier sincèrement à l'hébreux, comme aussi au
grec et au latin, pour comprendre dans quelle erreur les a
poussés leur fondateur il y a deux siècles environ. Unissant
ainsi à leur zèle et à leur conviction tout à fait
exemplaires une science éprouvée, ils trouveront alors pour
eux-mêmes une grande lumière.
Ayant
donc reçu la mission de libérer son peuple, Moïse devra le
faire passer de l'esclavage à la liberté en traversant la
Mer Rouge, du désert à la Terre Promise en traversant le
Jourdain. Il devient ainsi un précurseur de Jésus-Christ
notre Sauveur. Quand Jésus aura accompli totalement sa
Mission rédemptrice, Il nous fera passer avec lui de la mort
à la Vie par les eaux du Baptême, dans lesquelles nous
seront comme ensevelis momentanément.
Précisons
ici que, initialement les Chrétiens étaient baptisés par
triple immersion totale, symbolisant ainsi les trois jours
où Jésus demeura au tombeau. D'évidentes raisons pratiques
ont conduit l'Église à simplifier ce rite, qui toutefois se
pratique dans l'Église orthodoxe et parfois aussi dans
l'Occident.
On sait
que durant la traversée du désert, le peuple israélite reçut
la Manne céleste et les Cailles pour se nourrir, l'Eau
miraculeuse du Rocher pour se désaltérer ; cela aussi
annonçait l'Eucharistie que Jésus nous laisserait. Mais Dieu
ne fait pas que d'accorder des signes et des bienfaits, Il
attend de nous une réponse, une adhésion de Foi, une
conversion réelle. Or, dit saint Paul aux Corinthiens,
beaucoup parmi les Israélites, "ont murmuré", et se sont
trouvés indignes de la Terre Promise.
Ont-ils
été "punis" par Dieu ? Ne pouvaient-ils pas être pardonnés,
comme tant d'autres pécheurs, comme David, comme Jonas,
comme Job ? Dieu est toujours "riche en miséricorde" – le
psaume le rappelle, comme saint Paul ainsi que l'encyclique
"Dives in Misericordia" – , mais le cœur de l'homme est
hélas souvent endurci et ne reçoit pas cette miséricorde.
Dans le désert, beaucoup eurent le cœur endurci, se
fermèrent à la miséricorde divine, et se maintinrent dans
cette attitude de "murmure". Oh, le murmure, ce péché
sournois qui critique l'autorité, qui critique même ceux qui
nous aiment en famille, en communauté ! Comme le diable est
puissant à allumer en nos cœurs ce détestable esprit de
critique qui détruit parfois même les amitiés les plus
fortes ! Le disciple du Christ, comme Lui, ne murmure pas ;
il accepte l'épreuve comme venant de Dieu, et s'unit à la
souffrance du Christ.
Le
murmure est une attitude orgueilleuse de rébellion,
incompatible avec l'amour de Dieu pour nous. Ceux qui
moururent dans le désert avaient le cœur endurci, et Jésus
invite ses auditeurs à ne pas leur ressembler. En même
temps, Il nous explique que tout accident, technique ou
naturel, n'est pas en soi une punition : ces Galiléens –
nous pourrions dire : ces Haïtiens, toutes les victimes de
catastrophes, n'ont pas été "punis" au sens d'une sentence
judiciaire incontournable et méritée. Peut-être que parmi
eux s'en trouvaient-ils au cœur endurci, mais il y en a
certainement beaucoup d'autres aussi dans le reste du monde.
Du reste nous sommes tous "condamnés à mort", et seul Dieu
connaît l'heure de notre mort.
Dieu est
patient avec chacun de nous. Il attend que nous produisions
du fruit. Même si ce fruit tarde, Il attend et patiente ;
nous ne savons pas combien de temps durera cette "patience"
divine, mais n'en abusons pas, parce que Dieu, le Maître de
la vie et de la mort, peut nous appeler plus tôt que nous ne
le croyons : moins notre cœur sera endurci, moins nous
aurons murmuré et critiqué, et plus nous produirons de bons
fruits que le Maître cueillera avec satisfaction à l'heure
voulue.
Si notre
conscience nous reproche ces "murmures", si nous avons des
difficultés à les éviter, recourons aux pratiques évoquées
par la Prière du jour : prières, jeûnes, aumônes. Ces
saintes pratiques, dont il ne faut pas non plus abuser, sont
très salutaires pour le progrès intérieur. Le Carême est là
pour nous le rappeler et nous y aider. Que Dieu accepte
ainsi nos petits efforts, et nous aide à nous purifier, dans
la joie de connaître bientôt la Libération pascale.
Abbé
Charles Marie de Roussy
|