Edmond
Campion naquit à Londres en 1540. Il étudia à Oxford, où il prit ses degrés et
fit concevoir les plus hautes espérances ; il fut reçu en qualité de diacre dans
l'Église anglicane. Quelque temps après il se convertit, fit son abjuration et
vint au séminaire anglais de Douai. De là il se rendit à Rome et prononça ses
vœux dans la Compagnie de Jésus, en 1573.
Il se
montra successivement à Vienne et à Prague, puis rentra à Rome, où il reçut
mission de pénétrer en Angleterre pour y travailler au soutien des catholiques
persécutés. En 1580, Campion débarqua, et tout aussitôt son ministère fut
signalé par un très grand nombre de conversions Le gouvernement de la reine
Élisabeth le fit rechercher, et Campion fut livré par un traître nommé Elliot
qui avait assisté, avec tous les dehors de la piété, à la messe dite au château
de Lyford.
*****
LE MARTYRE D'EDMOND CAMPION
ET DE SES COMPAGNONS.
Les
documents relatifs au procès de Campion montrent clairement combien le Conseil
était peu fixé sur le choix des
chefs d'accusation à faire valoir contre lui. Le
premier acte d'accusation qui devait servir de base au procès porte simplement
que « en juin, dans la 23e année du gouvernement de la reine, il
prétendit criminellement avoir le pouvoir de délier les sujets de ladite reine
de leur obéissance naturelle à Sa Majesté, et cela avec l'intention de détacher
lesdits sujets de ladite reine de la religion établie pat- son autorité suprême
dans ce royaume d'Angleterre, pour les faire entrer dans la religion romaine, et
d'engager les mêmes sujets de ladite reine à promettre obéissance à la prétendue
autorité du Siège de Rome et à la mettre en pratique dans les Etats de ladite
reine ; — Que de plus le même Campion, dans l'intention de détacher de
l'obéissance légitime un sujet de ladite reine né dans ce royaume, s'est efforcé
en mainte rencontre, par des moyens pervers, faux et traîtres, de l'amener à
renoncer à la religion établie et à promettre obéissance à la prétendue
autorité, etc., malgré les prescriptions d'un statut fait et stipulé pour ce
cas, et au risque d'induire tous les autres sujets à suivre ce mauvais
exemple. »
Une
condamnation obtenue dans ces conditions aurait évidemment été considérée comme
motivée par la religion, et non par un acte de trahison. En conséquence, on
supposa un complot et on rédigea le nouvel acte d'accusation suivant :
« Le jury
représente au nom de la reine que William Allen D. D., Nicholas Marton D. D.,
Robert Parsons, clerc, et Edmond Campion, clerc — (ils furent d'abord seuls à
être accusés, mais après réflexion on trouva que le complot était assez vaste
pour que l'on y pût faire entrer tous les prêtres alors en prison, si bien que
l'on ajouta en marge — Jacque Bosgrave, William Filby, Thomas Ford, Thomas
Cottam, Laurence Richardson, Jean Collyton, Ralph Sherwin, Luc Kirby, Robert
Johnson, Edouard Rushton, Alexandre Briant, Henry Orton, bourgeois, et Shert ;
que les susnommés étant traîtres à leur reine, dépourvus de toute crainte de
Dieu, infidèles à leurs devoirs d'allégeance, égarés par le démon, résolus à
éteindre, à faire disparaître l'amour et l'obéissance que de vrais et fidèles
sujets doivent avoir pour leur reine, recourant à des moyens perfides et
criminels, ont conspiré, comploté, soit le dernier jour de mai, dans la 22e
année du règne actuel, à Rome en Italie, soit le dernier jour d'avril de la même
année, à Reims en Champagne, et à d'autres jours et dans d'autres occasions
avant ou après, également à Rome et à Reims et dans d'autres lieux sis au delà
de la mer, non seulement pour priver et dépouiller ladite reine de ses États,
titres et pouvoirs royaux, du gouvernement de son royaume d'Angleterre, mais
encore pour mettre la même reine à mort, pour exciter, soulever des séditions
dans ledit royaume, et aussi pour organiser un massacre des sujets de ladite
reine dans tout le royaume, pour fomenter la révolte contre ladite reine, leur
première et légitime souveraine, pour changer, d'après leur bon plaisir, le
gouvernement dudit royaume avec la religion qui y a été légitimement établie,
pour bouleverser et renverser complètement la fortune publique de ce royaume,
pour engager, exciter divers étrangers non soumis à ladite reine à envahir le
royaume, à faire des armements et à combattre contre ladite Leine, et dans le
but de mettre à exécution ces projets criminels, lesdits Allen, Morton, Parsons
et Campion ont conféré, comploté, conspiré entre eux le dernier jour d'avril à
Reims, et en d'autres jours, relativement aux moyens d'assurer la mort de ladite
reine, et de soulever une sédition dans le royaume ; et dans ces desseins,
lesdits Allen, Morton, Parsons et Campion, le 20 mai 1580 à Rome, et à d'autres
jours soit avant, soit après, se sont efforcés par discours et par lettres
d'engager divers étrangers à envahir le royaume et à faire la guerre à la reine.
« Que, de
plus, les mêmes Allen, Morton, Parsons et Campion ont résolu d'un commun accord,
le 20 mai à Rome, et le dernier jour du même mois à Reims, que lesdits mêmes
Parsons et Campion passeraient en Angleterre et y recruteraient parmi les sujets
de la reine des soutiens et des auxiliaires pour les étrangers qu'ils y
introduiraient, afin d'exciter la révolte et la guerre contre la reine, et d'y
changer la religion établie.
« Que, dans
la suite, c'est-à-dire le let juin 1580, grâce à la trahison, aux secours et aux
encouragements d'Allen et de Morton à Reims, lesdits Parsons et Campion se
mirent en route pour l'Angleterre, afin d'y mettre à exécution Peurs criminels
et déloyaux projets contre la paix de ladite reine, contre sa couronne, contre
sa dignité, au mépris manifeste des lois du royaume et contrairement aux
prescriptions de divers statuts relatifs à ce cas. »
D'après cet
acte, les accusés auraient été réunis à Rome le 31 mars 1580, puis à Reims le 30
avril suivant, et de nouveau à Rome le 20 mai et à Reims le 31 mai. Parsons et
Campion seraient partis de Reims le let juin. Il était évidemment impossible de
prouver la vérité d'une histoire si mal bâtie ; mais les officiers de la
Couronne avaient reçu ordre d'arriver au but par n'importe quels moyens.
Le mardi 14
novembre, Campion, Sherwin, Kirby, Bosgrave, Cottatn, Johnson, Orton et Rushton
comparurent devant le grand jury à Westminster-Hall. Après la lecture de l'acte
d'accusation, Campion s'exprima ainsi : « Je proteste devant Dieu et ses saints
anges, devant le ciel et devant la terre, devant le monde et devant ce tribunal,
faible nuage du redoutable tribunal de l'autre vie, que je ne suis coupable
d'aucun des chefs d'accusation mentionnés dans l'acte, pas plus que d'aucune
sorte de trahison. » Puis, pendant que l'on formait la liste du jury pour le
lundi suivant, il éleva la voix et ajouta : « Est-il possible de trouver dans
cette ville et clans ce pays douze hommes assez pervers et assez dépourvus de
conscience pour nous juger tous complices et coupables de ce même crime, alors
que plusieurs d'entre nous ne se sont jamais rencontrés ni vus avant d'être
traduits devant cette barre ? »
Sherwin
ajouta : « La vraie raison de notre présence ici est la religion et non une
trahison. »
Sur ce, Sir
Christophe Wray, président du Banc du roi, dit : « L'heure de votre procès n'est
pas encore arrivée ; vous pouvez jusque-là garder vos discours en réserve. Alors
vous aurez pleine liberté de vous défendre pendant que je siégerai impartial
entre Sa Majesté et vous; pour le moment, contentez-vous de déclarer si vous
vous reconnaissez coupables ou non. » — Ou leur demande lors, conformément à la
coutume, de lever la main. Mais Campion avait les bras comme paralysés après
avoir été plusieurs fois mis cruellement à la question, et il les tenait
enveloppés dans des morceaux de fourrure ; il ne pouvait lever la main aussi
haut que les autres le faisaient, et qu'il le fallait. Grâce à un de ses
compagnons qui lui enleva ses bandages et lui baisa la main si maltraitée pour
la foi du Christ, il leva le bras aussi haut qu'il le put, et, comme les autres,
se déclara « non coupable ». On les ramena alors en prison.
Le
lendemain, on agit de même pour les autres accusés.
Le 20
novembre suivant, Campion fut de nouveau mis dans un bateau sous bonne garde et
conduit de la Tour à Westminster-Hall pour y être jugé. Malgré les précautions
prises, la foule y était énorme. Les uns voulaient assister à la fin d'une
tragédie émouvante ; d'autres voulaient voir si les vieilles traditions
nationales d'honneur et de justice l'emporteraient sur la violence. Mais la
journée montra que l'équité, les lois, la conscience et la justice avaient
succombé en même temps que la foi catholique.
La
constitution du jury marquait l'espèce de jugement que l'on devait attendre. Le
mercredi précédent, la liste qui fut publiée renfermait les noms de trois
gentilshommes qui firent défaut le jour du procès, persuadés que les règles de
la justice n'y seraient point observées. Les accusés ne récusèrent aucun des
autres jurés, car ils ne les connaissaient pas. A la tête du jury était un nommé
William Lee, homme riche mais délateur et fanatique, et bien pénétré du genre de
devoir qu'il avait à remplir.
Le tribunal
se composait du premier président Wray, qui, par son apparente impartialité,
réussissait à obtenir des verdicts de culpabilité. Il y avait deux autres juges,
sans doute Thomas Gawdy et William Ayloff. L'accusation était soutenue par
l'avocat général de la reine, Edmond Anderson, assisté de John Pophane,
procureur général, et de Thomas Egerton.
Quand les
prisonniers eurent comparu, le secrétaire de la Couronne lut l'acte
d'accusation, puis exposa leur rôle aux jurés. S'ils trouvaient que les inculpés
étaient coupables des trahisons mentionnées ou avaient pris la fuite à
l'occasion de quelques-unes d'entre elles, ils devaient chercher quels biens,
quelles propriétés, les coupables possédaient alors ou avaient acquis depuis ;
s'ils ne les trouvaient pas coupables, ils devaient se contenter de le déclarer.
Campion fut
le premier à parler.
« Milord,
dit-il, puisque les charges pesant sur nous sont distinctes et que, la faute de
l'un n'étant pas la faute de tous, un ne doit pas avoir à répondre du crime d'un
autre, j'aurais voulu que, pour éviter toute confusion, il y eût eu un acte
d'accusation pour chacun de nous en particulier. De plus. les accusations
mettant notre vie en jeu, il serait à désirer qu'un jour entier fût consacré au
procès de chacun, car bien que je regarde les jurés! comme des hommes sages et
très expérimentés dans des cas semblables, dès lors que les témoignages seront
présentés simultanément, cela ne pourra manquer d'engendrer de la confusion dans
leur esprit, en sorte qu'ils pourront appliquer à l'un le crime de l'autre,
enfin absoudre le coupable et condamner l'innocent. Je demande donc que les
actes d'accusation soient individuels et que plusieurs jours soient consacrés
aux débats.
HUDSON :
« II paraît bien, Campion, que vous avez conféré avec votre avocat.
CAMPION :
« Avec nul avocat, si ce n'est avec une conscience pure.
LE PREMIER
PRÉSIDENT : « Bien que l'acte d'accusation soit dressé contre plusieurs
individus à la fois, il sera regardé comme personnel pendant les débats, en
sorte que chacun d'eux devra être convaincu séparément et répondra
personnellement aux charges portées contre lui. En conséquence, le jury
examinera tout avec ordre. Cependant, si le temps l'avait permis, j'aurais
désiré moi-même qu'un jour entier eût été consacré au procès de chaque inculpé,
mais nous devons prendre les choses telles qu'elles sont, puisque nous n'y
pouvons rien changer. »
Sur ce,
l'avocat général Anderson, Pophane et Egerton se préparèrent à soutenir
l'accusation. Le premier, Anderson, prit la parole en ces fermes :
ANDERSON :
« Pour comprendre la bonté et les mérites de la souveraine dont cette île est
redevable au Tout-Puissant depuis vingt-trois ans, il suffit de considérer la
paix, la tranquillité, la richesse et l'abondance, mais tout particulièrement la
connaissance et les progrès de l'Évangile dont ce royaume a joui plus que tout
autre depuis l'avènement de Sa Majesté. Tant d'avantages auraient dû développer
dans tous les cœurs une affection loyale et dévouée pour celle à qui, après
Dieu, nous les devons. Cependant nous n'avons pas manqué de voir, de temps en
temps, des ennemis de son bonheur qui, soit par des déclarations de guerre
insolentes et ouvertes, soit par des machinations perfides et . secrètes, se
sont efforcés de la dépouiller de ses droits et de nous priver de ces avantages.
Cependant, grâce à la puissance incomparable de Dieu contre les hommes, à sa
tendre sollicitude pour elle, à sa miséricorde pour nous, ces criminels n'ont
point réussi ; notre souveraine n'a rien perdu de ses États ni nous de notre
tranquillité. En effet, qui ignore les rébellions et les soulèvements du Nord ?
qui a oublié les démonstrations tragiques de Storie ? qui ne voit encore les
menées perfides de Felton ? Ont-ils prévalu ? Leur force n'a-t-elle pas été
brisée ? Leurs cabales n'ont-elles pas échoué? Dieu ne les a-t-il pas livrés
pendant qu'il protégeait la reine ? Ces souvenirs sont encore tout frais. Leurs
corps partagés en quartiers sont à peine décomposés. Ils ont été découverts ;
ils ont été convaincus ; ils ont été châtiés : c'est ce que nous avons vu. Si
vous me demandez à quelle source ces trahisons et ces conspirations ont pris
naissance, je vous demanderai à quelle autre, sinon le pape. En effet, si nous
considérons les séditions du Nord, c'est lui qui non seulement encouragea les
coupables, mais encore leur donna un refuge lors de leur fuite. Si nous
examinons le cas de Storie, c'était lui le maître et seigneur d'un si perfide
sujet. Si nous passons à Felton, ce fut lui qui excommunia la reine et tous ses
fidèles sujets En résumé, si nous passons en revue toutes les trahisons, toutes
les rébellions qui ont eu lieu depuis le premier jour du règne actuel, c'est
encore lui qui en a été le principal instigateur. Allons-nous donc nous imaginer
que les récentes conspirations se sont ourdies à l'insu et sans l'assentiment du
pape ? Pouvons-nous croire que Campion et ses compagnons aient formé leurs
complots au delà des mers sans l'assentiment du pape ? Quoi ? ne recevaient-ils
pas de lui leurs moyens d'existence ? N'existait-il pas un motif pour la
réciprocité de services mutuels : eux, papistes, et lui. pape ; eux, s'enfuyant
de leur patrie, et lui, leur donnant asile ; eux, jésuites, lui, leur fondateur
; lui, la tête, eux, les membres ; lui, le chef, et eux, les sujets
dévoués ? — Comment admettre qu'il a été simple confident, lui, l'organisateur
et l'auteur? Ennemi de la Couronne, fléau de l'Évangile, envieux de l'une,
opposé aux progrès de l'autre, il voulait ruiner les deux. Toujours conséquent
avec lui-même, il ne l'a jamais été plus que dans le cas actuel. Il savait bien
que sa haine ne pouvait recourir à des étrangers. L'Espagnol eût été découvert ;
le Français, suspecté ; le Romain, sans créance. Quoi donc ? Des hommes nés et
élevés dans notre propre nation, connaissant parfaitement notre langue et nos
idiomes, instruits dans nos Universités, voilà ceux qui doivent seuls travailler
à notre ruine ? Comment ? Ils viendront secrètement dans ce royaume ; ils
changeront de costume et de nom ; ils cacheront leur caractère ; ils voyageront
inconnus. — Pourquoi cela ? Pour détacher les habitants de leur obéissance à la
raine, les réconcilier
avec le
pape, implanter la religion romaine et renverser le gouvernement. Par quels
moyens ? En disant la messe, en administrant les sacrements, en écoutant des
confessions. Avec ces projets, ces efforts, ces pratiques, sont-ils, oui ou non,
coupables de trahison ? S'ils ne le sont pas, ajoutez qu'ils furent confidents
et complices des révoltes du Nord, qu'ils furent les instruments des
machinations de Storie, qu'ils furent ministres chargés d'appliquer la bulle
envoyée par Pie V contre Sa Majesté. Comment le prouver ? Comment? Comment le
prouver mieux que par vos propres paroles ? Ils encouragèrent hautement la
rébellion dans le Nord ils se réjouirent grandement de la constance de Storie
ils contribuèrent à la bulle par leurs conseils et leurs conférences. Oui, et
chose qui nous tient vivement au cœur, ils prodiguèrent tellement leurs
encouragements à Sanders, louant sa manière d'agir récemment en Irlande, qu'on
ne peut le comprendre s'ils n'ont pas été ses complices.
Pour
conclure, quelle loyauté espérer du pape ? quelle confiance mettre en ceux qui
ont fui et abandonné leur patrie ? Comment leur retour serait-il sans danger
quand leur départ a été plein de périls pour nous ? Notez toutes les
circonstances, toutes les probabilités il n'en est pas une qui ne dénote des
traîtres en eux. Puisqu'il en est ainsi, il est juste qu'ils subissent le
châtiment réservé aux traîtres ; nous le demandons au nom de fa reine, et nous
espérons que le jury sera d'un avis conforme à nos allégations. »
Après ce
discours prononcé avec véhémence et force gestes, les accusés protestèrent de
leur innocence, et Campion demanda à Anderson s'il était un orateur chargé de
lçs accuser ou un avocat chargé de prouver les faits.
LE PREMIER
PRÉSIDENT : « Vous devez avoir de la patience à son égard. Des membres du
Conseil de la reine n'ont en vue que les devoirs envers Sa Majesté. Je ne puis
assez m'étonner de voir des personnes de votre profession s'oublier tellement en
pareille occasion. Quant aux allégations de mon frère Anderson, elles sont
seulement des préliminaires, et chacun de vous répondra personnellement. »
Alors
Campion, en son nom et au nom de ses compagnons, répondit au discours d'Anderson
en ces termes :
CAMPION :
« Les lois sages et prévoyantes de l'Angleterre ont réglé que l'on ne mettrait
point en jeu dans un procès la vie ou la mort d'un homme quelconque s'il n'y
avait point de crime suffisamment établi et des témoins réels. Autrement rien
n'empêcherait la vie d'un homme d'être mise en danger par les périodes et les
ornements d'un discours recherché ; rien n'empêcherait une faute ordinaire de
paraître mériter la mort, grâce à la persuasion d'un orateur ou d'un avocat
passionné en l'absence de tout témoin capable d'attester la même chose de vive
voix. Aussi je ne vois pas à quel but tendait le discours de M. Anderson, ou, si
j'en vois un, je vois qu'il est manqué. Car, quand même la faute n'est qu'une
bagatelle, la loi a son application. Quand il n'y aurait qu'un vol d'un sou, des
témoins doivent être produits ; en sorte que des suppositions, des exagérations,
des inventions, ne sont pas la balance où doit être pesée la justice, mais bien
des témoins, des serments et une apparence de culpabilité. Que signifient alors
ces allégations de trahison ? Il se contente d'affirmer ; nous nions, purement
et simplement. Mais examinons-les : quelle force ont-elles contre nous ? — Nous
nous sommes enfuis de notre patrie : quelle conséquence en tirer ? — Le pape
nous a donné des moyens de subsistance : comment cela ? — Nous avons persuadé
les gens : que s'ensuit-il? Que nous sommes des traîtres. — Nous nions la
conséquence. Il n'y a là pas plus de logique que si dans le cas de vol d'un
mouton vous teniez ce raisonnement pour m'accuser : Mes parents sont des voleurs
; mes compagnons sont des gens suspects ; moi-même je suis un méchant sujet, et
j'aime le mouton, donc je dois avoir volé le mouton en question. Qui ne le voit
? Il est odieux de diffamer quelqu'un devant le jury et de conclure sans motif à
sa culpabilité. — Oui, mais nous avons par la séduction détaché les sujets de la
reine de leur soumission à Sa Majesté ! Quoi de plus invraisemblable !
« Nous
sommes des hommes morts au monde ; nous ne voyagions que pour le bien des âmes ;
nous ne nous occupions ni de gouvernement ni de politique : telle n'était point
notre mission. Quelle séduction avons-nous donc exercée ? — Mais nous avons
réconcilié les gens avec le pape... Comment cela, puisque l'on ne doit être
réconcilié qu'avec Dieu ? Ces expressions ne semblent pas appartenir au
vocabulaire des gens de loi, et on en force le sens contre nous. La
réconciliation que nous nous efforcions d'effectuer était seulement avec Dieu,
conformément à la parole de Pierre : Reconciliamini Domino. — Quelles
charges restent donc contre nous ? Que nous étions confidents des révoltés du
Nord, des instruments de Storie, des ministres de Felton, des complices de
Sanders. Comment cela? Vraiment ce sont de simples présomptions. — Oui, mais
nous avons complimenté certains individus ; nous nous sommes réjouis avec
d'autres ; à l'égard d'autres nous avons donné des avis ou tenu des
conférences. — Comment l'établir ? Rien moins que par nos propres discours. Dieu
nous est témoin que nous n'avons jamais rien imaginé, rien rêvé de semblable.
Des faits de cette nature doivent être prouvés et non pas supposés ; établis
d'une manière évidente et non pas conjecturés par l'imagination... Quand même il
en serait ainsi, cependant toutes les circonstances dénotent en nous des
traîtres. En vérité, tout ce qu'on allègue contre nous se réduit à quelques
détails, et ne constitue pas des arguments capables de prouver que nous sommes
des traîtres, et réellement nous sommes traités durement si nous devons répondre
à des points de détail et non à des preuves... En conséquence, au nom de Dieu,
nous demandons que l'on apporte de meilleures preuves, et que nos vies ne soient
pas mises en danger par de simples conjectures. »
Au
témoignage d'Anthony Munday, cette réponse de Campion, son ton, ses gestes,
montrèrent qu'on avait raison de le regarder comme un orateur sans rival pour
l'éloquence à la fois simple et familière.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « C'est la coutume de tous les séminaristes, quand ils entrent pour la
première fois dans leur séminaire, de faire personnellement deux serments : l'un
de se conformer à toutes les prescriptions contenues dans le livre intitulé
Motifs de Bristow, l’autre d’être fidèles au pape et à ses successeurs. Or
ces deux serments constituent des actes de trahison. Comment un homme, en effet,
peut-il être fidèle à notre Etat et jurer de se conformer à l'ouvrage indiqué,
être un loyal serviteur de son souverain et jurer obéissance au pape, alors que
l'un est tout à fait contraire à nos lois et à notre constitution, et que
l'autre est l'ennemi le plus acharné de Sa Majesté ?
CAMPION :
« Quels que soient les serments prêtés à l’entrée au séminaire, que les Motifs
de Bristow soient contraires ou non à nos lois, cela ne fait rien à notre cause,
car nous ne sommes pas des gens de séminaire, et nous n'avons point prêté de
serment semblable. Mais quand même il y aurait des séminaristes parmi nous, ces
affirmations ne nous regarderaient pas, car personne n'est obligé de prêter
serment aux articles de Bristow, à part des adolescents en cours d'études ; les
hommes d'âge mûr et de connaissance suffisamment approfondie en religion, comme
le sont la plupart des Anglais qui passent la mer, n'ont jamais à prêter ce
serment, et les études sont assez florissantes à Rome pour que séminaristes et
autres puissent mieux y employer leur temps qu'à lire des pamphlets anglais.
KIRBIE :
« Je crois en conscience qu'il n'y a pas dans tous les séminaires quatre
exemplaires de l'ouvrage de Bristow. »
Sur ce,
tous s'écrièrent que s'ils étaient cités pour la cause de trahison, ils avaient
lieu de craindre d'être condamnés à cause de leur religion. C'est ce que Campion
prouva de la manière suivante :
CAMPION :
« On nous a proposé de nous mettre en liberté si nous consentions à aller
écouter des sermons au temple ; c'est en acceptant ces conditions que Pascoll et
Nicolls, chargés des mêmes accusations que nous, ont été remis en liberté,
tandis que s'ils avaient eu le bonheur de persévérer jusqu'au bout, ils auraient
partagé nos malheurs. Par conséquent, si la liberté nous était offerte à
condition d'aller écouter des sermons au temple, chose que nous ne pouvons faire
d'après nos principes religieux, — le fait de changer de religion et de devenir
protestants nous vaudrait la liberté. Notre religion est donc la cause de notre
emprisonnement ; à elle, par conséquent, il faudra attribuer notre condamnation.
LE
PROCUREUR GÉNÉRAL POPHAM : « Ces cas n'étaient pas connus ; ils n'étaient même
pas soupçonnés lorsque Nicolls fut remis en liberté ; nous ne pouvons supposer
qu'il fût capable de pareilles tendances ou de pareils projets, car il n'était
pas, comme vous, attaché d'une manière opiniâtre à une religion qui peut bien
être un moyen de colorer et de couvrir des trahisons.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Tous, en commun ou en particulier, vous avez reçu du pape de
l'argent à dépenser dans vos voyages, les uns deux cents couronnes, d'autres
plus, d'autres moins, chacun selon son rang ou sa condition. — Est-ce que cette
libéralité du pape était sans motif ? Non, elle avait un but, et lequel, sinon
de faire appliquer ses maximes et exécuter ses projets perfides par le moyen de
vos invectives et de vos déclamations dans ces conciliabules secrets ?
CAMPION :
« Nous avons reçu des dons de lui dans la proportion qu'il trouvait convenable.
Nous ne voyons pas qu'il y eût des raisons de les refuser ou des moyens de venir
ici sans un sou. Il a été libéral; il a pourvu à nos besoins ; que voulez-vous
que nous eussions fait ? Nous avons accepté : où y a-t-il trahison ? Mais
c'était pour un but. Je l'admets, car s'il n'y avait pas eu de but, la chose eût
été inutile. Et quel but pouvait être en vue? Assurément celui de prêcher
l'Evangile : il ne s'agissait point de trahison ; on ne se proposait rien de
semblable. »
On fit
alors paraître un témoin, nommé H. Caddy ou Caddoche, qui déposa d'une façon
générale contre tous les inculpés. Il déclara qu'étant outre-mer, il entendit
parler d'un voeu religieux fait en commun par le pape et les prêtres anglais
pour la restauration et le rétablissement de la religion en Angleterre. Dans ce
dessein, deux cents prêtres devaient venir dans ce royaume. On le fit savoir à
Sir Ralph Shelley, chevalier anglais et capitaine au service du pape, en lui
disant qu'il conduirait une armée en Angleterre, afin de soumettre ce royaume au
pape et d'exterminer les hérétiques, ce à quoi Sir Ralph répondit que plutôt que
de voir la ruine de sa patrie, il boirait du poison, comme Thémistocle, ajoutant
que les catholiques anglais, au lieu de prêter leur concours à cette entreprise,
seraient les premiers à prendre les armes contre le pape.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Le cas est bien clair : le vœu a été fait ; deux cents prêtres ont
reçu des charges ; le capitaine général a été nommé ; notre ruine a été décidée.
Si maintenant nous réunissons toutes les apparences, quoi de plus clair que vous
ayez fait partie de ces deux cents prêtres, et que, par conséquent, vous soyez
confidents et complices de la trahison ?
CAMPION :
« Deux cents prêtres ont pris l'engagement sacré de travailler au rétablissement
de la religion. Il semble, d'après toutes les apparences, que nous étions de ce
nombre, et que, par suite, nous sommes confidents et complices de la trahison.
Voici une conclusion qui n'a pas un point de rapport avec les
prémisses. — D'abord un vœu, puis l'établissement de la religion.
« Quelle
apparence de trahison voyez-vous là ? Toute cette affaire de trahison dont on
parle sans cesse ne concernait que Sir Ralph Shelley ; il n'en fut pas dit une
syllabe aux prêtres. Mais admettons, chose non affirmée par les témoins, que
nous faisons partie de ces deux cents prêtres : vous voyez sir Ralph Shelley,
catholique, capitaine du pape et simple laïque, affirmer qu'il aimerait mieux
boire du poison que de prendre part à une telle trahison ; est-il vraisemblable
que des prêtres, hommes de piété, morts au monde, puissent le moins du monde y
consentir? Cette déposition est bien plutôt pour nous que contre nous. »
Alors on
décida de lire à chacun son acte d'accusation, afin que chacun pût répondre en
personne. Le premier tour fut celui de Campion.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Il y a environ dix ans, Campion, vous avez été appelé en conférence
par le cardinal de Sainte-Cécile au sujet de la bulle où Pie V a excommunié la
reine, la noblesse, les citoyens, déchargeant les catholiques de toute,
soumission à Sa Majesté. Cette conférence ne pouvait avoir trait qu'à
l'application de cette bulle. Or cette bulle constituant un acte manifeste de
trahison, dont vous avez eu connaissance, vous êtes par là même convaincu de
trahison.
CAMPION :
« Vous, jurés, je vous en prie, écoutez-moi. Les paroles que vous venez
d'entendre me concernent : je vais y répondre. Il est vrai que lors de ma
première arrivée à Rome, il y a environ dix ans, j'eus le bonheur d'être reçu
par ledit cardinal. Celui-ci, s'étant pris de quelque intérêt pour moi, aurait
pu me donner les moyens de parvenir au poste qui m'aurait plu. Mais comme ma
vocation était décidée, je lui répondis que je ne désirais me mettre au service
de personne, et que mon intention était d'entrer dans la Société de Jésus, où je
prononcerais mes vœux et ferais profession. Ayant été interrogé sur l'opinion
que j'avais de la bulle, je dis qu'elle avait donné lieu à de grandes rigueurs
en Angleterre et appesanti la main de Sa Majesté sur les catholiques. Alors le
capitaine répliqua que, sans aucun doute, cette bulle serait adoucie de façon à
permettre aux catholiques de reconnaître Son Altesse comme leur reine, sans
encourir la peine d'excommunication. Voilà quelle fut ma conversation avec le
cardinal. On n'y peut rien trouver à critiquer, et encore moins à donner comme
preuve de trahison.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « D'après vos paroles, il ne s'agissait que d'une mitigation de la
bulle à l'égard des catholiques seulement. Par conséquent le point principal,
c'est-à-dire l'excommunication de Sa Majesté, restait dans toute sa force sans
que vous la fissiez connaître. Vous étiez donc par là même confident, et dès
lors traître.
CAMPION :
« La connaissance que j'avais de la bulle ne prouve pas que j'y donnais tout mon
assentiment : j'y ai montré plutôt de l'opposition en disant qu'elle avait donné
lieu à beaucoup de rigueurs. De plus, comme elle avait été publiée ici avant que
je pusse la faire connaître (personne, en effet, n'ignorait que la reine
d'Angleterre avait été excommuniée), la connaissance que j'en ai eue est
excusable et ne peut m'être imputée à trahison.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous avez eu une conférence avec l'évêque de Ross, un papiste avéré
et un ennemi mortel du gouvernement et de la couronne d'Angleterre. Or à quoi
pouvait tendre une pareille conférence, sinon à l'exécution des projets de
trahison formés par les conspirateurs ?
CAMPION :
« Ce qu'est l'évêque de Ross au point de vue religieux ou dans ses sympathies
regarde peu, il me semble, ma personne et encore moins le cas en question : mais
quant à une conférence entre lui et moi, je nie absolument qu'il y en ait eu, et
en tout cas qu'on le prouve.
Le
secrétaire de la Couronne lut alors une lettre du Dr Allen au Dr Sanders en
Irlande. Le Dr Allen y donnait deux raisons de l'insuccès de l'insurrection dans
le Nord : ou bien Dieu réservait de plus grands châtiments à l'Angleterre, ou
bien les catholiques des autres contrées ne comprenaient pas l'entreprise. On
marquait encore dans cette lettre que X. craignait la guerre comme un enfant
craint la verge, et que X. serait prêt à n'importe quel jour avec 2.000 hommes
pour l'aider.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous ne pouvez avoir ignoré que le pape avait levé cette armée avec
le concours du roi, d'Espagne et du duc de Florence pour ruiner ce pays,
renverser la reine et placer la reine d'Écosse à la tête du gouvernement de
l'Angleterre. En effet, ayant été envoyé de Prague, alors votre lieu de
résidence, à Rome, puis chargé actuellement par le pape d'une mission en
Angleterre, quel objet pouvez-vous avoir eu en vue dans cette ambassade si
précipitée, sinon l'accomplissement de ces projets de trahison ?
« Vous êtes
d'autant plus suspect que, au cours de votre voyage de Rome en Angleterre, vous
avez eu à Reims un entretien secret avec le Dr Allen, dont vous avez dû
connaître les lettres sur ce pays que nous avons déjà mentionnées. Vous êtes
venu comme représentant du pape et du Dr Allen, pour communiquer ces projets aux
papistes anglais, détacher les gens de leur soumission légitime et les préparer
à recevoir ces pouvoirs étrangers.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Qu'est-ce qui sent plus la trahison que cette lettre ? Il a regret
d'avoir trahi ses appuis catholiques, et il pense avoir par là porté préjudice à
la religion. Que pouvons-nous donc penser de ce qu'il cache ? Ce doit être
quelque chose de bien grave et de bien criminel pour que ni la torture ni la
pendaison ne puissent le lui arracher. Car, comme il ne s'agit point de
questions de conscience ou de religion, assurément s'il n'y avait point eu
d'autres projets plus étendus, des entreprises contre l'État et le gouvernement,
nous aurions découvert l'affaire aussi bien que la personne. Il serait donc à
désirer que ces secrets cachés fussent révélés, et alors on verrait toutes ces
trahisons au grand jour.
CAMPION :
« Étant prêtre par état et profession, je me suis engagé par vœu à toutes les
obligations attachées à cette vocation. J'ai ainsi à remplir un devoir
sacerdotal qui consiste à écouter les confessions et donner l'absolution. A ce
sujet, lors de mon ordination, je dus, comme tous les autres prêtres, promettre
solennellement à Dieu de ne jamais révéler les secrets entendus en confession.
La force et les effets de ce vœu sont tels que tout prêtre est tenu, sous peine
de damnation éternelle, à ne jamais dévoiler les fautes et misères dont il a
ainsi reçu la confidence. En vertu de ma profession, dans l'exercice de mon
sacerdoce, j'ai eu l'occasion de recevoir en confidence les secrets de
différentes personnes, non pas des secrets concernant l'État ou le gouvernement
sur lesquels je n'ai pas autorité, mais des secrets qui troublaient une âme
repentante, et que j'avais le pouvoir d'absoudre en confession. Voilà les
mystères, les secrets que je me réjouis d'avoir gardés pour moi, et que ni la
torture ni le gibet ne pourront m'arracher. »
Alors le
secrétaire lut certains papiers renfermant des formules de serments qui devaient
être présentées aux gens pour les faire renoncer à la soumission à Sa Majesté,
jurer obéissance au pape qu'ils regarderaient comme leur chef et guide
souverain ; les papiers avaient été trouvés dans diverses maisons où Campion
s'était introduit avec mystère et avait reçu l'hospitalité.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Quoi de plus clair ? Sans que nous allions plus loin, ces formules
de serment suffisent à vous convaincre de trahison. Peut-on, en effet, trouver
rien de plus criminel que d'aliéner les cœurs des sujets de Sa Majesté, d e leur
faire refuser obéissance à son autorité et jurer soumission au pape? Par
conséquent ces papiers trouvés dans les maisons où vous avez passé prouvent
clairement que, les ayant propagés, vous êtes un traître.
CAMPION :
« Il n'y a rien, on ne peut rien imaginer de plus contraire à ma profession que
de faire prêter des serments ; je n'avais nul pouvoir ni autorité pour agir
ainsi, et je ne voudrais pas commettre une faute si contraire à ma vocation pour
tous les biens et trésors du monde. Mais supposons que j'y fusse autorisé :
alors que ces papiers ne sont point écrits de ma main et que nulle preuve ne
peut m'en imputer la provenance, quelle logique y a-t-il à soutenir que je les
ai répandus moi-même, par cela seul qu'on les a trouvés dans les maisons où j'ai
séjourné ? C'est là, tout le monde peut le voir, une simple présomption : il n'y
a rien de probant et de solide contre moi.
ANDERSON :
« On ne peut pas avoir d'autre sentiment que celui-ci. C'est vous qui avez
procuré ces formules de serments, et comme on les a trouvées après vous, c'est
vous qui les avez laissées. En effet, si un pauvre et un riche entrent ensemble
dans une maison et qu'après leur départ on trouve un sac d'or caché, le pauvre
n'ayant certainement pas tant de fortune, et ne pouvant par conséquent laisser
un tel sac derrière lui, on supposera généralement que le riche et non l'autre a
caché le sac. De même vous, un papiste avéré, vous venez dans une maison ; après
votre départ on y trouve de ces reliques en question : comment ne pas supposer
que c'est vous et non un autre qui les avez apportées et laissées là ? Ainsi la
chose est évidente : ces papiers sont venus par le moyen d'un papiste, donc
c'est par vous.
CAMPION :
« Votre conclusion aurait été logique si vous aviez prouvé aussi qu'il n'est
entré dans. ces maisons aucune autre personne de ma condition ; mais comme vous
tirez la conclusion avant d'avoir formulé votre mineure, votre raisonnement est
imparfait : donc il ne prouve rien.
ANDERSON :
« Si vous nous apportez ici vos mineures et vos conclusions comme vous le feriez
dans une école, vous prouverez seulement que vous êtes un fou. Mais qu'il
s'agisse de mineure ou de conclusion, je vais mettre l'affaire au point à
l'instant.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous refusez de faire le serment de suprématie, marque évidente
d'une volonté mal disposée pour la couronne. Les commissaires vous ayant demandé
si, d'après vous, la bulle où Pie V avait excommunié la reine était valide, et
si l'excommunication produisait son effet ou non, vous n'avez rien répondu,
sinon que c'étaient des questions de sang et que ceux qui les cherchaient,
cherchaient aussi votre vie. De plus, vous avez comparé les commissaires aux
Pharisiens qui, pour prendre le Christ dans un piège, lui proposaient un dilemme
relativement au tribut à payer à César. De même, dans votre interrogatoire, vous
cherchiez des détours et faisiez des réponses en l'air, ce qui dénotait
grandement une conscience coupable, car la vérité n'aurait point cherché à se
cacher dans des coins. »
Les deux
commissaires qui étaient présents certifièrent l'exactitude de ces faits.
CAMPION :
« Il n'y a pas longtemps, il plut à Sa Majesté de me demander si je la
reconnaissais pour ma reine ou non. Je lui répondis que je la reconnaissais non
seulement pour ma reine, mais encore pour ma très légitime souveraine. Sa
Majesté m'ayant encore demandé si je reconnaissais au pape le droit de
l'excommunier ou non, je confessai mon incapacité à décider entre Sa Majesté et
le pape dans une controverse si ardue, sur un sujet où la lumière n'est pas
encore faite et où les meilleurs théologiens de la chrétienté ne sont pas
d'accord. Cependant j'exprimai l'opinion que si le pape le faisait, il pourrait
le faire sans raison valable, car on le reconnaît, clavis errare potest ;
mais les théologiens catholiques distinguent dans l'autorité du pape celle qui
est ordinata et celle qui est inordinata. La première s'exerce
dans les matières purement spirituelles et ne donne pas le droit d'excommunier
les princes et les souverains; l'autre s'exerce dans les cas de lois, d'appels
et autres semblables et, selon certains auteurs, renferme le droit d'excommunier
et de déposer les princes. Les commissaires me pressèrent encore sur les
articles, et principalement sur la question de la suprématie et d'autres que je
ne pouvais prévoir. Je leur dis effectivement que c'étaient là des questions de
sang, vraiment dignes de Pharisiens et destinées à mettre ma vie en danger.
C'est pourquoi je répondis comme le Christ : « Rendez à César ce qui appartient
à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Je reconnus Son Altesse comme ma
maîtresse et ma souveraine ; je reconnus Sa Majesté comme étant, de droit et de
fait, ma reine ; j'admis que l'on devait obéissance à la couronne comme étant la
première autorité dans l'ordre temporel. Ce que je dis alors, je le dis encore
maintenant. Si donc nos déclarations sont insuffisantes, je suis prêt à y
suppléer. Que voulez-vous de plus ? Je suis prêt à rendre à Sa Majesté; ce qui
lui appartient, mais je dois aussi payer à Dieu ce' qui lui revient. Alors, au
sujet de l'excommunication de Sa Majesté, on voulait me forcer à dire si, dans
le cas où l'excommunication serait effectuée et où le pape aurait le pouvoir de
la porter, je me croirais dégagé de mes devoirs de sujet ou non. — Je répondis
que c'était là une question dangereuse, et que pour la poser il fallait vouloir
mon sang. En admettant... — Pourquoi admettre ? Quelles conséquences ne peut-on
pas tirer de choses admises et concédées ? — En admettant son pouvoir, en
supposant qu'il excommuniât la reine, j'agirais alors comme Dieu m'en donnerait
l'inspiration. Mais je n'ai jamais admis pareilles choses, et je ne dois pas
être tourmenté avec des suppositions de ce genre. Mais alors, me dit-on, puisque
je n'ai pas voulu donner nettement des réponses que je ne pouvais pas donner,
j'ai certainement cherché des détours, et mes réponses étaient à côté de la
question. Bien, puisqu'il faut encore s'expliquer une fois, je dirai que ces
matières sont seulement des points de doctrine spirituelle, des sujets de
discussion pour les écoles, qu'elles ne font point partie de mon acte
d'accusation, qu'elles n'ont point à être établies et qu'elles ne sont point à
discuter au Banc du roi. Pour conclure, ce ne sont point des questions de fait :
elles n'appartiennent point à un tribunal civil, et les jurés n'ont point à s'en
occuper. Ils sont, je n'en doute pas, gens fort habiles et très versés dans les
controverses et discussions relatives à leurs professions, mais néanmoins ce
sont des laïques, ils s'occupent des choses de ce monde et ne sont point des
juges propres à décider sur une question si profonde. »
Elliot, un
des témoins, déposa alors contre Campion relativement à un sermon qu'il avait
prêché dans le comté de Berk. Le texte montrait le Christ pleurant sur
Jérusalem. Campion y exposait les vices et les monstruosités qui pullulaient en
Angleterre, en particulier les hérésies dont il s'affligeait que ses
compatriotes fussent aveuglés. Mais il espérait qu'un jour de changement ne
tarderait pas à venir, jour heureux pour les catholiques actuellement agités et
dispersés, terrible pour les hérétiques au comble de la prospérité. Elliot
ajoutait que Campion avait engagé vivement son auditoire à être soumis au pape.
Mais, pressé de questions par Campion, il dut avouer qu'il ne se rappelait pas
si le pape avait été une seule fois nommé dans ce sermon.
CAMPTON :
« Lors de mon admission dans l'ordre des jésuites, je promis par vœu trois
choses inhérentes à ma vocation : la chasteté, la pauvreté et l'obéissance ; par
la chasteté je renonçais aux appétits et aux convoitises de la chair ; par la
pauvreté je méprisais les richesses de ce inonde et comptais, pour ma
subsistance, sur la charité d'autrui ; par l'obéissance je m'engageais à
accomplir les ordres de mes supérieurs. En vertu de mon vœu d'obéissance, je
vins de Prague à Rome, où j'étais mandé, sans avoir la moindre idée des troupes
en question ni la moindre inclination à m'occuper des chose de ce genre. Là, je
restai huit jours, attendant le bon plaisir de mon prévôt, qui, en vertu de mon
vœu d'obéissance, auquel avec la grâce de Dieu je serai fidèle en toute
circonstance, m'ordonna d'entreprendre ce voyage en Angleterre : je le fis,
puisque j'étais commandé, non en traître pour conspirer à la ruine de mon pays,
niais en prêtre pour y administrer les sacrements et y entendre les confessions.
Cette mission, je l'affirme devant Dieu, je l'aurais accomplie tout aussi
volontiers si, au lieu d'être envoyé dans ma patrie, je l'avais été chez les
Indiens ou dans les parties du monde les plus reculées. Pendant mon voyage, je
ne puis le nier, j'ai dîné avec le Dr Allen à Reims, et après le dîner nous nous
sommes promenés dans son jardin, causant de nos anciennes relations d'amitié.
Dans le cours de cette visite, j'en prends Dieu à témoin, il n'a été nullement
question de la couronne ou du gouvernement d'Angleterre ; je n'ai eu aucune
connaissance des lettres envoyées à Sanders ; je n'ai pas eu le moindre aperçu
des projets en question. Par conséquent rien de plus faux que de me faire passer
pour un mandataire du pape et du Dr Allen. Le premier me considérait comme étant
absolument en dehors des affaires de gouvernement ou d'expéditions militaires ;
à l'autre je ne devais aucune obéissance qui me contraignît à accomplir des
actes opposés à ma mission. Mais, en admettant — chose absolument contraire à la
réalité — que le Dr Allen m'ait communiqué des affaires de ce genre, dès lors
qu'il n'était pas mon supérieur, j'aurais été un véritable apostat en lui
obéissant. J'honore le Dr Allen pour sa science et sa foi, mais je ne suis ni
son sujet ni son inférieur, pas plus qu'il n'avait des ordres à me donner.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Si votre conduite dans la suite ne vous avait pas complètement
trahi, votre discours serait plus plausible, niais toutes les grandes
protestations d'après coup rendent ces excuses illusoires ; vos actions montrent
que vos discours sont mensongers. Pourquoi avoir changé votre nom ? Pourquoi ces
déguisements de costume ? Ces artifices peuvent-ils ne pas éveiller des soupçons
? Votre nom étant Campion, pourquoi vous appeler Hastings ? Vous, un prêtre, un
homme mort au monde, quel plaisir aviez-vous à courir de côté et d'autre ? Un
chapeau de velours avec plume, un pourpoint de couleur chamois, des parements de
velours, entrent-ils dans le costume d'homme mort au monde ? Ce qui convient à
peine à un laïque sérieux peut-il convenir à un religieux ? Non, il y avait un
but caché. Vos manières de rôder çà et là et de vous cacher dans des retraites
mystérieuses dénotent avec tout le reste des intentions perfides. Si vous étiez
venu ici par amour de 'votre pays, vous ne vous seriez point fait une cachette ;
si vous aviez eu l'intention de bien faire, vous n'auriez point fui la lumière :
par conséquent cette conduite dénote votre trahison.
CAMPION :
« Aux temps où l'Église primitive était persécutée et où Paul travaillait à
propager l'Évangile, lui et ses compagnons, personne ne l'ignore, furent souvent
réduits à de dures extrémités. Dans ces conditions, tout en étant parfaitement
résolu à affronter le martyre plutôt que de s'écarter d'un pouce de la vérité
qu’il prêchait, il n'hésita pas à recourir à divers expédients lui permettant
d'accroître le nombre des fidèles et d'échapper à la persécution, dès lors qu'il
y avait quelque espoir ou des moyens de se dérober, et qu'il trouvait la
continuation de sa vie plus utile à l'Église que sa mort. En particulier il
changeait souvent de nom, s'appelant Saul ou Paul selon qu'il le trouvait plus à
propos il ne trouvait pas toujours expédient non plus de se Maire connaître, et
préférait se tenir caché, dans la crainte que, s'il était découvert, il ne
s'ensuivît une persécution et un arrêt considérable dans la propagation de
l'Évangile. Telle était sa manière de voir lorsque, souffrant persécution pour
la religion, il échappa à ses ennemis dans une corbeille. Si on approuve ces
expédients chez Paul, les condamnera-t-on chez moi, alors qu'il est apôtre et
moi jésuite ? La cause nous est commune à tous deux : l'effet sera-t-il réservé
à un seul ? J'aspirais à implanter l'Évangile là où je savais que l'on
professait une religion contraire. Je vis que si j'étais connu je serais arrêté
; alors je changeai de nom, je vécus caché, j'imitai Paul. Étais-je pour cela un
traître ? Mais on exagère le fait d'avoir porté un pourpoint couleur chamois, un
chapeau de velours et autres choses semblables, en m'accusant pour cela d'être
coupable de trahison. Je ne suis point soumis aux statuts relatifs au costume,
lesquels ne sont point en cause ici. Cependant admettons que j'aie offensé Dieu
en agissant ainsi : je m'en repens sincèrement, et vous le voyez, j'en fais
pénitence ! » (Il venait d'être rasé, portait une robe de bure et un grand
bonnet de nuit noir qui lui couvrait la moitié du visage.)
Le
secrétaire lut une lettre envoyée par Campion à un catholique nommé Pound. Elle
renfermait le passage suivant : « J'ai une peine profonde d'avoir offensé la
cause catholique en révélant les noms de quelques amis et gentilshommes chez qui
j'ai reçu l'hospitalité, mais je me console grandement par la pensée que je n'ai
jamais dévoilé les secrets dont j'y ai reçu la confidence, et que je ne le ferai
jamais, qu'il s'agisse de torture ou de pendaison. »
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Que pourrions-nous trouver de plus évident ? On nous menace d'un
grand jour, jour de réconfort pour les catholiques, jour terrible pour nous.
Quel jour serait-ce sinon celui où le pape, le roi d'Espagne et le duc de
Florence doivent envahir ce royaume ?
CAMPION :
« O Judas ! Judas ! aucun autre jour, je l'affirme, n'était présent à ma pensée,
sinon celui où il plaira à Dieu de rétablir la foi et la religion ! En
Angleterre, comme dans toutes les autres communautés chrétiennes, les vices et
les iniquités abondent, et il n'existe point de royaume si pieux, de peuple si
dévot et si religieux qu'on n'y trouve et de grands abus et des méchants parmi
ceux qui exercent l'autorité et le gouvernement. En conséquence, comme le fait
en chaire tout protestant, l'ai annoncé un grand jour, non pas un jour où un
pouvoir de ce monde s'exercerait, mais un jour où le juge terrible révélerait
les consciences de tous les hommes et jugerait tous les membres de chaque
religion. Voilà le jour de malheur, voilà le grand jour que j'ai annoncé,
heureux pour les bons croyants, terrible pour tous les hérétiques. Dieu m'est
témoin que je n'avais aucun autre jour en vue. »
Munday, un
autre témoin, déposa qu'il avait entendu les Anglais, tels que docteurs et
autres, conspirer et former des trahisons contre l'Angleterre, et que Campion et
autres avaient eu dans la suite une conférence avec le Dr Allen.
CAMPION :
« Cette déposition ne m'atteint pas directement. Quant à ma conférence avec le
Dr Allen, on sait quand elle a eu lieu et ce qu'elle a été. »
On appela
alors Sherwin qui, devant les commissaires, avait refusé de prêter le serment de
suprématie, et ne voulait pas donner une opinion nette et précise sur la bulle
du pape, mais qui avait avoué être venu en Angleterre pour prêcher la religion
catholique.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous saviez bien qu'il ne vous était pas permis de prêcher aux
sujets de Sa Majesté une religion différente de celle que l'on professe ici
d'après ses ordres, et par conséquent si vous n'aviez pas eu d'autre projet en
vue, vous auriez gardé votre sentiment en vous-même et votre personne là où vous
étiez.
SHERWIN :
« Nous lisons que les apôtres et les Pères de la primitive Église ont enseigné
et prêché dans les États et les empires de princes païens sans être jugés pour
cela dignes de mort. Je puis bien demander le même support, la même tolérance
dans un pays où l'on professe ouvertement le christianisme et le culte du vrai
Dieu. Sans doute, étant donnée la différence de religion, j'avais à craindre de
ne pouvoir suivre ma conscience sans danger; mais cependant je ne devais pas
pour cela renoncer à mes fonctions, bien que la conscience soit chancelante,
faible, et capable d'être écartée de son devoir par la crainte d'un danger.
L'UN DES
JUGES : « Mais votre cas diffère de celui des apôtres et des premiers Pères, car
ceux-ci n'ont jamais conspiré la mort des empereurs ni des chefs des États où
ils enseignaient et prêchaient. »
Le
secrétaire lut alors une lettre. D'après cette lettre, Sherwin, au coin du feu,
dans un séminaire anglais, au delà de la mer, aurait dit que s'il était en
Angleterre, il pourrait accomplir beaucoup de choses ; qu'il y avait dans la
Cornouailles un Arundel capable de mettre sur pied une force considérable en un
instant, et que si on envoyait une armée en Angleterre, le meilleur point de
débarquement était le Mont-Saint-Michel.
SHERWIN :
« Je n'ai jamais parlé de tels sujets, Dieu m'en est témoin ; jamais même je
n'ai eu le moins du monde de telles idées. »
On lut
alors les opinions exprimés par Bosgrave. Il avait nié la suprématie, esquivé de
donner une réponse nette au sujet de la bulle, et admis qu'il était venu en
Angleterre pour y prêcher la religion catholique, tout en reconnaissant Sa
Majesté pour sa reine et Sa souveraine dans l'ordre temporel. D'après son
interrogatoire, il avait entendu dire au delà des mers que le pape, le roi
d'Espagne et le duc de Florence devaient envoyer une grande armée en Angleterre
pour enlever à la reine le pouvoir et la vie et pour rétablir la religion
catholique.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Garder pour soi et ne pas découvrir une trahison rend un auditeur
coupable de trahison. Par conséquent, pour avoir caché ce que vous avez entendu,
pour ne pas en avoir informé Sa Majesté, le conseil ou le gouvernement de ce
royaume, vous êtes devenu confident et complice de ce crime, par conséquent, de
ce chef, vous êtes un traître.
BOSGRAVE :
« Quoi ! je suis un traître pour avoir entendu parler ? »
Mais
Campion, voyant que Bosgrave était tout décontenancé, le défendit en ces
termes :
CAMPION :
« Milord, Votre Honneur sait sur quels fondements légers et fragiles reposent
les bruits et les nouvelles: La plupart du temps il y a plus de fausseté que
d'apparence de vérité, aussi doit-on toujours craindre de s'en mêler, d'autant
plus que celui qui les propage rencontre peu de crédit et recueille peu de
remerciements pour sa peine. La cause en est la nature propre de la rumeur
publique, qui est toujours incertaine et souvent mensongère. Tout le monde le
sait par l'expérience de chaque jour ; dans chaque ville, dans chaque village,
même dans chaque boutique de barbier, dans toute l'Angleterre, on lance mainte
nouvelle de choses qui n'ont pends été traitées ou décidées à la cour. S'il en
est ainsi en Angleterre, pourquoi n'en serait-il pas de même en Italie, en
Flandre, en France, en Espagne ? Bien que les contrées diffèrent, le caractère
des hommes y est le même, désireux et avide de nouvelles. Le commun du peuple y
rapporte et y débat beaucoup de choses que les chefs du pouvoir n'ont jamais
eues en vue. Ne serait-ce pas une grande crédulité chez un homme séparé de
l'Angleterre par tant de mers et de pays d'écouter des bruits en circulation
dans la foule, et d'entreprendre un voyage ou d'envoyer un rapport pour informer
le Conseil de la reine ou le gouvernement de choses qui n'ont jamais été
résolues et encore moins exécutées ? Je crois que M. Bosgrave a montré plus de
discernement en laissant de côté tous ces racontars qu'en prenant les moyens de
les faire connaître. Mais admettons qu'il eût agi comme vous l'auriez voulu, et
qu'il eût fait connaître ici ce qu'il avait entendu dire, qu'en serait-il
résulté ? Assurément de plus grands risques de scandale pour ce royaume, et très
peu de remerciements pour ses informations erronées. Par conséquent, pour agir
avec sagesse et sécurité, il n'avait rien de mieux à faire que ce qu'il a fait.
LE
PROCUREUR GÉNÉRAL : « II n'y a point de vêtement si grossier que Campion ne
puisse teindre en couleur. Mais quoi ? De l'aveu même de Bosgrave n'est-il pas
arrivé en Angleterre pour enseigner et persuader les gens ? Et que devait-il
leur persuader, sinon de se tenir prêts pour ces guerres?
CAMPION :
« Voilà des déductions faibles et sans fondement qui émeuvent mais ne pressent
pas, qui affirment mais ne prouvent pas. D'ailleurs, vous ne devriez pas
amplifier et amasser des mots dans un sujet qui touche à la vie d'un homme. »
Cottain,
dans son interrogatoire, ne voulut jamais ni admettre la suprématie ni répondre
nettement au sujet de l'autorité du pape.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous êtes arrivé en Angleterre à la même époque que les autres, ou à
peu près. Ce devait être d'après un plan concerté entre vous pour
l'accomplissement de ces projets qui étaient en train de s'ourdir. Que
pouvez-vous répondre à cela ?
COTTAM :
« Je n'avais ni l'intention ni la mission de venir en Angleterre, et je n'y
serais point venu si Dieu ne m'y avait poussé. J'étais destiné aux Indes, et
c'est là que je serais allé si ma santé l'avait permis ; mais sur ces
entrefaites il plut à Dieu de me visiter par la maladie. Les médecins me
conseillèrent d'aller chercher la santé en Angleterre, disant que nulle part
ailleurs je ne pourrais me rétablir. Voilà le motif pour lequel je suis venu
dans ce royaume ; il n'y en a point d'autre.
CAMPION :
« Effectivement les médecins de Rome tiennent pour certain que si un Anglais
tombe malade chez eux, le meilleur, le plus sûr moyen de le rétablir, c'est de
le renvoyer en Angleterre respirer l'air natal qui convient mieux à sa
constitution. »
COTTAM :
« Voilà la seule cause de ma venue : je n'avais aucun projet de persuader ou de
dissuader, puisque mon prévôt m'avait destiné aux Indes. A mon arrivée, je ne me
suis point caché ; j'ai agi comme il convient à un homme qui ne s'occupe de
rien. Je restais la plus grande partie du temps à Southwark ; chaque jour je
faisais une promenade à Saint-Paul ; je n'évitais aucun endroit de la ville, ce
qui montrait mon innocence.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Vous n'avez jamais ni persuadé ni dissuadé ? N'a-t-on pas trouvé
sous votre sac un livre qui n'avait pas d'autre objet ? Ce livre a pour auteur
un nommé d'Espignata et est intitulé Traité de conscience. Il renferme
certaines réponses relatives à la suprématie, les moyens. de se dérober
habilement à toutes sortes de questions, une méthode développée indiquant la
manière de se comporter dans toute espèce de compagnie, soit de protestants,
soit de puritains, les discours à employer pour les convertir, les éloges à
faire des protestants pour leur montrer qu'ils sont beaucoup plus près de la
vérité que les puritains, les noms des puritains qu'il faut abaisser de
préférence, les arguments à présenter aux protestants pour les persuader d'obéir
au pape. Pour quel motif, dites-vous, portez-vous ce livre avec vous, sinon dans
l'intention de vous y conformer ?
COTTAM :
« J'affirme devant Dieu que je ne connais rien de ce livre et que je ne sais
comment il m'est venu. »
Alors
Campion, le voyant réduit à cette nécessité extrême de nier la responsabilité
d'un fait évident, répondit pour lui en ces termes :
CAMPION :
« Il peut se présenter beaucoup de circonstances où un homme sans le savoir
court un danger par le fait de transporter avec lui une chose dont il n'a pas
connaissance. Parfois c'est la malice des autres qui l'a mise à son insu dans
ses bagages ; parfois il l'a prise lui-même sans aucune attention, par
négligence ou méprise. Dans les deux cas il y a erreur, mais non faute. Par
conséquent on ne peut soutenir que M. Cottam a fait de propos délibéré une chose
que nous voyons clairement avoir été faite à son insu. Mais, en supposant qu'il
ait apporté ce livre avec lui sciemment, où y a-t-il en cela un acte de trahison
? Ce livre traite de la conscience ; il enseigne les bonnes mœurs ; il montre
comment gagner à la foi les infidèles : matières toutes d'édification,
spirituelles, propres à unir à Dieu ; où y a-t-il trahison ? Mais si ces raisons
ne sont pas convaincantes, remarquons que tous les étudiants d'outre-mer ont la
coutume, quand un auteur savant et estimé a composé un traité sur des points de
conscience ou de morale, de le copier et de le porter avec eux non point en vue
de factions ou de conspirations, mais pour leur propre instruction. »
Johnson
refusa d'accepter la suprématie ou d'exprimer une opinion bien nette sur
l'autorité du pape relativement à la bulle et à sa sentence d'excommunication.
Elliot, un
des témoins, fit contre Johnson la déposition suivante. Étant chez Lady Peter,
il y aura deux ans à Noël, il fit connaissance avec un prêtre nommé Pain qui
remplissait dans la maison la charge d'intendant. Peu à peu, à l'occasion des
services qu'il lui rendait comme valet de chambre, ii entra dans sa familiarité.
Ce prêtre se mit à le détourner de ses devoirs d'obéissance envers Sa Majesté et
à lui persuader de se soumettre au pape. D'après lui, la reine n'avait plus
longtemps à vivre, et après elle la religion catholique serait rétablie. Les
catholiques d'outre-mer avaient imaginé le plan suivant pour arriver à ces
résultats : cinquante d'entre eux, connus les uns des autres, devaient venir à
la cour avec des déguisements, des poignards, des épées à deux tranchante.
Lorsque la reine sortirait, ils devaient se précipiter sur elle, sur le
lord-trésorier, le comte de Leicester, Sir Francis Walsingham et les principaux
suppôts de l'hérésie. Après avoir tué la reine, ils devaient l'attacher par les
cheveux à la queue d'un cheval peur être traînée au galop à la grande joie des
catholiques et au désespoir des protestants. Pain offrait à Elliot de s'engager
parmi ces conjurés, ajoutant que, s'il en trouvait l'occasion, il poignarderait
la reine sans plus d'hésitation que s'il avait à tuer une bête à cornes. Pain,
voyant ses invitations repoussées avec mépris, quitta la maison. A son arrivée,
Johnson demanda au témoin ce que Pain était devenu; en apprenant de lui qu'il
n'en savait rien, il lui dit : « Pain a passé la mer dans la crainte que ses
secrets ne fussent dévoilés par vous : je vous en conjure, ne dites rien,
autrement vous seriez en état de damnation. »
JOHNNSON :
« Je n'ai jamais eu conversation de ce genre avec cet homme ; jamais je n'ai
tenu de propos sur de tels sujets. »
On lira
l'interrogatoire de Bristow qui reconnaissait Sa Majesté comme sa reine et sa
souveraine légitime, quoi que-le pape eût fait ou pût faire.
L'AVOCAT
GÉNÉRAL : « Quelle était donc là cause de votre venue dans ce royaume ? Il
semble, d'après votre arrivée-subite et votre voyage en compagnie des autres,
que vous étiez leur confident et leur associé.
BRISTOW :
« Ma mère est une pauvre veuve qui, en plus de moi, avait un autre fils.
Celui-ci, tant qu'il vécut, resta près d'elle et fut son appui. Il plut à Dieu
de le retirer à lui. Ma mère, profondément atteinte par ce coup, employa tous
les moyens pour me faire revenir. Elle m'envoya lettres sur lettres avec une
insistance telle que bon gré mal gré je dus revenir. Telle fut Dieu m'en est
témoin, la seule cause de mon arrivée en Angleterre. »
Anthony
Munday fit une déposition contre Bristow. Celui-ci aurait dit qu'il était habile
dans les feux d'artifice ; que bientôt il fabriquerait une sorte de feu grégeois
avec lequel il brûlerait Sa Majesté quand celle-ci irait en barque sur la
Tamise. Le témoin ajouta sous la foi du serment qu'il avait entendu dire
outre-mer que quiconque n'aurait pas le mot d'ordre : Jésus, Marie, serait
massacré.
BRISTOW :
« Je prends Dieu à témoin que je n'ai jamais entretenu pareilles pensées, que je
n'ai point cette prétendue connaissance de feux d'artifice. Par conséquent cet
homme affirme par serment le plus grand mensonge qu'on puisse imaginer. »
Kirby, dans
son interrogatoire sur la suprématie et sur l'autorité du pape, n'avait pas
d'autre opinion que celle de Campion.
Sledd, un
des témoins, déposa contre Kirby, qu'étant malade outre-mer, il vit venir un
jour ce Kirby près de son lit. Celui-ci lui conseilla de faire attention à la
conduite à tenir dans la condition actuelle de l'Angleterre, car il viendrait un
jour terrible où le pape, le roi d'Espagne et le duc de Florence y feraient un
changement considérable. Le témoin ajouta que Kirby avait assisté à un sermon du
Dr Allen qui engagea les prêtres et les séminaristes à se rendre en Angleterre
pour détacher les Anglais de leur obéissance à la reine et leur persuader de
venir en aide au pape et à ses alliés. Il déposa en plus qu'étant outre-mer, il
eut l'occasion de parler à un nommé Tedder, ami intime de Kirby. Il lui demanda
s'il était parent de Sa Majesté, comme permettait de le supposer son nom de
Tedder. Celui-ci répondit que s'il se savait parent de cette prostituée de
Babylone, de cette Jézabel d'Angleterre, il aurait horreur de lui-même pendant
toute sa vie. Il espérait qu'un jour il irait en Angleterre l'expédier hors de
ce monde.
KIRBY :
« J'affirme sur mon salut qu'il n'y a pas un mot de vrai ni même de plausible
dans ce qui a été dit à mon sujet. Jamais je n'ai fait la moindre mention de ce
prétendu jour ; jamais je n'ai assisté à aucun sermon de ce genre ; j'ai gardé
un cœur aussi fidèle à la reine que celui d'aucun Anglais ; jamais je n'ai
entendu parler mal de Sa Majesté sans la défendre, et j'ai toujours fait son
éloge. On n'ignore pas que j'ai sauvé de la potence un certain nombre de marins
anglais seulement par considération pour Sa Majesté, par attachement à mon pays
natal. Mais vous qui venez de déposer, dites-nous quand fut prêché ce sermon
dont vous parlez ? A quel moment de la journée ? »
Le témoin
répondit que le sermon avait été prêché après trois conférences philosophiques
tenues le même jour.
— « Orton
n'a pas voulu reconnaître la suprématie, ni se prononcer sur l'autorité du pape
et la validité de l'excommunication. »
Anthony
Munday déposa que, étant à Lyon, il eut un entretien avec Orton. Celui-ci lui
aurait dit que Sa Majesté n'était point reine légitime d'Angleterre, et qu'il ne
lui devait aucune obéissance.
Il ajouta
que ce même Orton demanda au Dr Allen de lui faire obtenir une pension du pape,
ce à quoi le Dr Allen ne voulut point consentir, à moins qu'il ne devînt prêtre
ou séminariste, chose qu'il refusa.
ORTON :
« Je nie absolument avoir eu le moindre entretien avec ce témoin, soit à Lyon,
soit ailleurs. Assurément il s'est parjuré, comme il faut l'attendre d'un homme
sans honnêteté et sans religion, indifférent aux deux. »
Tous les
accusés affirmèrent la même chose, disant que c'était un athée, car outre-mer il
allait en pèlerinage, communiait et faisait le catholique ; ici, il joue le rôle
de protestant. C'est donc un homme indigne de porter témoignage et de prêter
serment dans une cause capitale.
Munday
répondit qu'il avait fait le catholique sur le continent pour surprendre et
déjouer leurs complots.
Les
prisonniers récusèrent un autre témoin qui était; coupable de deux meurtres.
Un des
juges dit alors aux jurés qu'il s'agissait de savoir qui méritait le mieux
d'être cru, ou des prisonniers défendant leur vie, ou des témoins venant déposer
spontanément.
LE
PRÉSIDENT : « Vous qui avez été cités ici, vous voyez ce dont vous êtes accusés.
Si vous avez encore quelque chose à dire à votre décharge, parlez, et nous vous
écouterons jusqu'à demain matin. Nous nous ferions de vifs reproches si nous
vous donnions lieu de vous plaindre du tribunal. Voyez donc s'il reste quelque
chose à dire pour votre défense et parlez : vous serez écoutés avec
impartialité. »
Tous le
remercièrent en protestant qu'ils avaient trouvé dans les juges de l'équité et
de l'impartialité.
Alors
Campion adressa aux jurés le discours suivant :
CAMPION :
« Vous connaissez tous, j'en suis sûr, l'importance de la charge que vous
remplissez aujourd'hui, et le compte que vous devrez en rendre au jour terrible
du jugement, dont je voudrais que celui-ci fût une image. Je ne doute pas non
plus que vous avez considéré combien l'innocent est cher à Dieu, et combien le
sang de l'homme a de valeur à ses yeux. Ici, nous sommes des accusés, exposés à
une sentence de mort ; ici, vous avez un choix à faire : nous les rendre ou bien
les perdre. Nous ne pouvons en appeler qu'à vos consciences ; nous n'avons à
nous concilier ici que votre attention et votre discrétion.
« Faites
attention, je vous en supplie ; ne vous laissez point tromper par de vaines
apparences ; que vos fondements soient solides, car l'édifice est considérable.
Vous remplirez tous ces devoirs, je n'en doute pas, si vous considérez
attentivement ce qui a été traité après l'avoir ramené à trois points distincts.
Tout ce qui s'est dit aujourd'hui consiste premièrement en présomptions et
probabilités, deuxièmement en questions de religion, troisièmement en serments
et dépositions de témoins. Le peu de force probante qui résulte de suppositions
ne peut emporter la condamnation d'un si grand nombre de personnes et ne suffit
pas dans une cause capitale. Les constitutions du royaume exigent une certitude
écrasante et ne veulent pas qu'un homme voie sa vie dépendre des hasards de
simples apparences: Les raisons les plus fortes de nos accusateurs consistent en
de simples présomptions sans fondement ; vous ne pouvez vous y appuyer, vous qui
devez accepter seulement ce qui est évident. Laissez de côté les détails non
probants ; mettez à part les présomptions ; n'acceptez pour vous guider que des
raisons certaines.
« Mais dans
ce qui a été discuté mal à propos, il n'y a pas que les suppositions : on a
employé aussi une grande partie de la journée à des points de doctrine et de
religion tels que : excommunications, livres et pamphlets. Aujourd'hui même, en
plus de nous, vous avez entendu aussi le pape, le roi d'Espagne, le duc de
Florence, Allen, Sanders, Briston, Espigneta et beaucoup d'autres encore qui ont
été mis en accusation.
« La valeur
des excommunications, l'autorité due à l'évêque de Rome, la manière dont il faut
former la conscience des hommes, ne sont point des faits matériels sur lesquels
un jury puisse se prononcer, mais des points qui sont encore discutés et non
résolus dans les écoles. Comment, simples laïques, ignorants de ces matières,
pourriez-vous donner une décision à ce sujet, si sages et si expérimentés que
vous soyez par ailleurs ? Et quand même vos connaissances et vos talents
théologiques vous permettraient de trancher ces questions, elles ne rentrent
point dans nos actes d'accusation, et par conséquent le jury n'a point à s'en
occuper.
« Peut-être
me demanderez-vous sur quoi portera votre examen si ces choses ne prouvent rien
contre nous, car si on les met de côté, le reste n'est presque plus rien ?
Pardonnez-moi, je vous en prie, car notre innocence est telle que si l'on
retranchait tout ce qui a été allégué contre nous sans fondement et sans vérité
il ne resterait, en effet, rien qui nous prouvât coupables. Mais je vous dirai
qu'il reste des serments non pas à accepter comme des preuves réelles, mais à
examiner, mais à considérer avec soin pour voir s'ils sont sincères et si leurs
auteurs méritent crédit. Dans des causes ordinaires, nous voyons souvent des
témoins récusés, et si leur crédit est faible d'une manière générale, il doit
l'être encore plus quand , il s'agit de causes capitales. Rappelez-vous comment
certains témoins ont parlé avec peu d'assurance, d'autres avec froideur, les
autres sans vérité, surtout deux dont les dépositions ont été les plus longues.
Que peut-il sortir de vrai de leur bouche ? L'un s'est avoué coupable d'un
meurtre ; l'autre est un athée, un païen avéré, qui a causé déjà la mort de deux
hommes. En conscience, pouvez-vous croire des gens qui ont trahi également Dieu
et les hommes, qui n'ont rien laissé pour appuyer leurs serments, ni religion ni
honneur ? Votre sagesse est trop grande, vos consciences trop droites pour les
croire ; estimez-les ce qu'ils valent. Examinez les deux autres témoins : ni
l'un ni l'autre n'ont affirmé d'une manière précise que quelqu'un d'entre nous
ait rien fait de préjudiciable à ce royaume ou de dangereux pour ce
gouvernement. Que Dieu vous accorde la grâce de peser nos causes avec justice,
d'avoir du respect pour vos propres consciences. Je n'occuperai pas davantage
l'attention du jury Je remets le reste à Dieu et vos décisions à votre
discernement équitable.
Les
plaidoiries avaient duré trois heures. — Le jury se retira pour délibérer. Alors
il se passa un fait extraordinaire. Seul un des juges, Ayloff, était resté dans
la salle. En retirant un de ses gants, il trouva sa main pleine de sang, ainsi
que l'anneau lui servant de sceau ; cependant, il n'y avait pas trace de
blessure. Il eut beau secouer la main et s'essuyer, le sang continua à couler
devant plusieurs personnes.
La plupart
des assistants croyaient que les accusés, au moins Campion, seraient acquittés.
Mais le procureur général Popham avait nettement fait connaître que la relue
voulait une condamnation. Au bout d'une heure destinée à faire croire qu'il
avait délibéré, le jury rentra et déclara tous les accusés « coupables ».
Alors
Anderson s'exprima en ces termes :
« Puisque
ces prisonniers, après avoir accepté d'être jugés par Dieu et leur pays, sont
reconnus par l'unanimité du jury coupables des conjurations et des trahisons
dont ils ont été accusés, nous demandons à Vos Seigneuries d'accepter ce
verdict, et de prononcer au nom de Sa Majesté la sentence qu'ils méritent comme
traîtres.
LE
PRÉSIDENT : « Campion, et vous autres prisonniers, qu’avez-vous à objecter à une
sentence capitale ?
CAMPION :
« Ce n'était pas la mort que nous redoutions. Nous savions bien que nous ne
sommes pas les maîtres de notre vie, et si nous avons à mourir, ce ne sera pas
faute d'avoir répondu. La seule chose que nous ayons à dire maintenant, c'est
que si notre religion constitue un fait de trahison, nous méritons d'être
condamnés, mais par ailleurs nous sommes et nous avons été toujours fidèles
entre tous les sujets de la reine.
« En nous
condamnant vous condamnez tous nos ancêtres, tous les anciens prêtres, évêques,
rois, tout ce, qui fut jadis la gloire de l'Angleterre, l'île des Saints et la
plus dévouée des filles du siège de Pierre. Quel a été, en effet, l'objet de
notre enseignement, de cet enseignement auquel vous appliquez si indignement le
nom odieux de trahison, sinon ce qu'ils ont enseigné d'une manière uniforme ?
Être condamnés avec ces anciennes lumières non seulement de l'Angleterre, mais
du monde entier, par leurs descendants dégénérés, c'est une joie, c'est une
gloire pour nous. Dieu est éternel ; des hommes vivront après nous ; leur
jugement n'est pas exposé à être corrompu comme celui des hommes qui vont nous
condamner à mort. »
Campion, si
remarquable pendant toute la journée par son calme, sa dignité, sa force
d'argumentation se surpassa dans son dernier discours au point de remplir ses
compagnons de courage et d'enthousiasme.
LE
PRÉSIDENT : « Vous allez retourner aux prisons d'où vous êtes venus, et vous y
resterez jusqu'à ce que l'on vous traîne sur des claies à travers les rues de
Londres jusqu'au lieu d'exécution. Là, vous serez pendus et détachés du gibet
encore vivants ; on vous coupera les parties naturelles ; on vous enlèvera les
entrailles, pour les brûler sous vos yeux ; puis on vous coupera la tête et
votre corps sera coupé en quatre parties dont il sera disposé selon le bon
plaisir de Sa Majesté. Que Dieu fasse miséricorde à vos âmes ! »
Après la
sentence, les prisonniers s'écrièrent avec enthousiasme qu'ils étaient les plus
vrais et les plus fidèles sujets de la reine. Campion s'écria : Te Deum
laudamus. Te Dominum confitemur. Sherwin entonna le chant : Hæc est dies
quam fecit Dominus, exultemus et lætemur in ea. Les autres prisonniers
exprimaient leur joie par quelque verset de la sainte Écriture. Toute
l'assemblée était émue et pleine d'admiration. Enfin Campion fut embarqué et
ramené à la Tour ; les autres furent renvoyés en prison et mis aux fers, en
attendant la miséricorde de Dieu et le bon plaisir de la reine.
Le
lendemain on condamna de la même manière les autres prêtres : Collington,
Richardson, Hart, Ford, Filby, Bryant et Shert.
Un
spectateur réussit après la sentence à établir que Collington n'était pas à
Reims le jour du prétendu complot et à lui sauver ainsi la vie. Une tentative
semblable en faveur de Ford valut seulement la prison à son auteur.
Lorsque
Campion eut été ramené à la Tour, il y fut mis aux fers et traité avec beaucoup
de rigueur. Il supporta tout avec une grande patience. Sa soeur vint inutilement
au nom des protestants lui offrir la vie et la liberté avec un bénéfice de 100
livres par an s'il voulait assister aux offices de la nouvelle religion. « Judas
» Elliot lui exprima son regret d'avoir déposé contre lui, affirmant que s'il en
avait prévu les conséquences, il ne l'aurait jamais fait. Campion le reçut avec
bonté et lui proposa de se retirer en Allemagne, sous la protection d'un duc
catholique. Le gardien de la prison, Delahays, qui avait admiré la sainteté de
Campion, fut tellement touché par ce fait qu'il devint catholique dans la suite.
Cependant
on s'agitait de divers côtés pour empêcher la sentence d'être mise à exécution.
Des hommes éminents faisaient ressortir la honte dont l'Angleterre se couvrirait
devant toute l'Europe ; on comptait aussi sur l'intervention du duc d'Anjou, qui
était alors l'hôte de la reine, et ne tarderait pas, disait-on, à l'épouser. La
reine elle-même semblait disposée à épargner la vie des condamnés.
Mais Lord
Bughley et l'avocat général firent prévaloir dans le grand Conseil l'avis de
ceux qui étaient pour l'exécution. Le duc d'Anjou, tout entier à ses plaisirs,
montra une indifférence coupable à l'égard des condamnés.
Il fut
d'abord décidé que Campion serait exécuté le samedi 25 novembre et que Sherwin
et Bryant, représentant l'un le séminaire de Reims, l'autre le Collège romain,
partageraient son sort. Puis la sentence fut remise au mercredi suivant, qui
coïncidait avec la vigile de Saint-André. Cette nouvelle remplit de joie les
trois martyrs, qui s'encourageaient mutuellement en s'adressant les paroles de
l'apôtre : O bona Crux ! A cette nouvelle, le Conseil changea encore le
jour de l'exécution, qui fut fixé irrévocablement au vendredi 1er
décembre.
Par une
matinée pluvieuse de décembre, on fit sortir de sa cellule Campion, revêtu du
costume qu'il portait à son procès, et on le conduisit à la tour de Elcharbour,
où l'attendaient Sherwin et Bryant. Le lieutenant de la tour, Hopton, désireux
de rendre Campion aussi ridicule que possible, fit chercher le pourpoint couleur
chamois qui lui avait valu des moqueries au procès et qu'on avait jeté de côté.
Après qu'on eut perdu beaucoup de temps en recherches inutiles, Hopton se décida
à faire partir les condamnés. Au sortir de la tour, on se trouva en présence
d'une foule considérable. Sans se laisser déconcerter le moins du monde, Campion
promena autour de lui un regard joyeux et salua en disant : « Que Dieu vous
sauve tous, Messieurs ! Que Dieu vous bénisse et vous rende tous bons
catholiques. » Puis il s'agenouilla, et, le visage tourné vers l'Orient, fit une
prière qu'il termina par ces mots : In manus tuas, Domine, commendo spiritum
meum. Il y avait là deux claies attachées chacune aux queues de deux
chevaux. On étendit et on attacha Campion sur l'une, Sherwin et Bryant sur
l'autre.
Les claies
se mirent alors en mouvement au milieu des mares d'eau, de la terre et des
immondices, suivies d'une cohue de ministres et de fanatiques qui insultaient et
maudissaient les condamnés. Parfois des catholiques parvenaient à s'approcher dé
Campion pour obtenir de lui quelques mots d'encouragement. L'un d'eux même,
comme Véronique sur la Voie douloureuse, lui essuya le visage tout couvert
d'éclaboussures de boue et de fange.
Le cortège
continuant à suivre la route ordinaire, par Cheapside et Holborn, on arriva à
l'arche de Newgate. Dans une niche au-dessus de la porte se trouvait une statue
de la sainte Vierge qui avait échappé au marteau et à la hache des iconoclastes.
Lorsque Campion passa sous l'arche, il se souleva un peu avec beaucoup de peine
sur sa claie et salua la Reine des cieux qu'il espérait voir bientôt. Son visage
était souriant comme celui de ses deux compagnons.
Quand ils
arrivèrent près de Tyburn, ils avaient réellement le rire sur les lèvres ; aussi
du milieu de la foule on entendit crier : « Mais ils rient ! Ils ne s'inquiètent
pas de mourir ! »
Il y avait
foule à Tower-Hill ; il y avait foule dans toutes les rues ; mais à Tyburn, le
lieu habituel des exécutions, la foule dépassait tout ce que l'on peut imaginer.
On était venu pendant toute la matinée, malgré la pluie et le vent. Lorsque les
claies arrivèrent au sommet de la colline, les nuages s'écartèrent de manière à
laisser le soleil briller dans tout son éclat. Quelques gentilshommes
catholiques avaient réussi à se placer tout près des potences pour noter toutes
les circonstances du martyre des trois confesseurs de la foi.
Avec
beaucoup de peine on réussit à faire passer Campion à travers les rangs d'une
foule pressée, et on le fit monter sur une charrette qui était sous une potence
puis on lui dit de se passer une corde autour du cou, ce qu'il fit avec une
grande soumission. Il attendit pendant quelques instants que les rumeurs de la
foule se fussent un peu calmées, puis d'une voix douce et forte, avec une
expression pleine de gravité, il s'exprima ainsi : «Spectaculum facti sumus
Deo, angelis et hominibus. Ces paroles de saint Paul : « Nous avons été
donnés en spectacle à Dieu, aux anges et aux hommes, » trouvent aujourd'hui leur
application en moi, qui suis donné ici en spectacle à Dieu, aux anges et à vous,
mortels qui m'écoutez. » A ce moment Sir Francis Knowles et les shériffs
l'interrompirent en le pressant vivement de confesser sa trahison envers la
reine et de se reconnaître coupable. Il leur répondit: « Quant aux trahisons
dont j'ai été accusé et pour lesquelles je vais souffrir, je vous certifie et
vous prends à témoin que j'en suis complètement innocent. »
Un membre
du Conseil lui répliqua qu'il n'était pas en droit de nier des faits qui avaient
été prouvés d'une manière évidente.
« Bien,
Milord, répondit Campion, je suis catholique et prêtre. La foi dans laquelle
j'ai vécu est celle dans laquelle je veux mourir. Si ma religion constitue à vos
yeux une trahison, alors je suis coupable. Mais quant à d'autres trahisons, je
l'atteste devant Dieu mon juge, je n'en ai jamais commis. Vous avez obtenu ce
que vous vouliez. Ayez maintenant, je vous prie, un peu de patience et
laissez-moi dire un mot ou deux pour soulager ma conscience. »
Mais on
voulut qu'il ce bornât à parler du point en question. Alors il protesta qu'il
était innocent de tout crime de conspiration ou de trahison, demandant
instamment que l'on crût à la sincérité d'une dernière réponse faite au moment
de mourir. Le jury pouvait facilement s'être trompé... il pardonnait tout, de
même qu'il demandait à être pardonné ; il désirait obtenir son pardon de tous
ceux dont il avait donné les noms pendant qu'il était soumis à la torture. (Il
avait, en effet, consenti à donner les noms de personnes chez qui il avait reçu
l'hospitalité, sur l'assurance formelle qu'il ne leur serait fait aucun mal.
Alors un
maître d'école nommé Hearne se leva, et d'une voix forte lut une nouvelle
proclamation publiée pour couvrir l'injustice de la sentence et déclarer au nom
de la reine que les condamnés allaient être exécutés non pas pour cause de
religion, mais pour cause de trahison. Cette pratique inusitée ne servit qu'à
exciter des doutes parmi les spectateurs.
Pendant ce
temps-là Campion priait avec ferveur. Les membres du Conseil, voyant le mauvais
effet de la proclamation et désireux de changer le caractère de l'exécution, le
pressèrent de déclarer son opinion relativement à la bulle de Pie V et à
l'excommunication de la reine. Campion garda le silence. On lui demanda alors
s'il renonçait au pape. Il répondit qu'il était catholique. Alors un des
conseillers lui répliqua : « Votre catholicisme implique toute espèce de
trahison. » Enfin quand il s'apprêtait à consommer son sacrifice, un ministre
l'interrompit dans ses prières en le pressant de dire avec lui : « Christ, ayez
pitié de moi ! a. ou quelque prière semblable. Campion le regarda avec douceur
et lui dit humblement : « Vous et moi, nous ne sommes pas de la même religion ;
je n'exclus personne de mes prières, mais je désire que ceux-là seuls qui
partagent ma foi prient avec moi et récitent un même credo pendant mon agonie. »
Comme il
continuait ses prières, quelqu'un lui cria de prier en anglais. Il répondit
spirituellement qu'il allait prier Dieu dans une langue que tous les deux
entendaient bien. On l'interrompit de nouveau pour lui dire de demander pardon à
la reine de prier à son intention. « En quoi l'ai-je offensée ? répondit-il avec
douceur. Je suis innocent de toute faute à son égard ; ce sont mes dernières
paroles ; vous pouvez y ajouter foi. J'ai déjà prié pour elle et je continue à
le faire. »
Pendant
qu'il parlait ainsi, on écarta la charrette, et il resta pendu au gibet. Au bout
de quelques instants le bourreau s'apprêtait à couper la corde, mais on lui
ordonna d'attendre que le martyr fût bien mort. — Lorsque le corps eut été
couché par terre, on le dépouilla de ses vêtements et la boucherie commença.
Près du billot sur lequel on découpait Campion se trouvait un jeune homme
protestant nommé Henry Walpole, qui était venu en simple spectateur. Lorsque le
bourreau jetait des membres du martyr dans le chaudron d'eau bouillante, il fut,
éclaboussé par quelques gouttes du liquide ensanglanté, et dès ce moment, comme
il le raconta plus tard à un jésuite, le Père Ignace Basselier, il sentit qu'il
devait se faire catholique. En effet il se convertit, entra dans la Compagnie,
et fut lui-même martyrisé en Angleterre.
Pendant que
l'on mettait ainsi Campion en pièces, les catholiques qui se trouvaient tout
près s'ingéniaient à dérober quelque chose qui pût servir de reliques, mais on
avait pris les plus grandes précautions pour l'empêcher. Un jeune homme, ayant
trempé son mouchoir dans une mare de sang, fut arrêté et passa en jugement. Dans
le tumulte qui s'ensuivit quelqu'un réussit à couper un doigt de Campion et à
l'emporter ; on s'en aperçut bientôt, mais on ne put retrouver le voleur. — Un
catholique offrit vingt livres pour une simple phalange de doigt ; un autre, de
fortes sommes pour les habits : le bourreau refusa, bien qu'à regret, tellement
il avait peur.
Lorsqu'il
en eut fini avec Campion, le bourreau, dont les mains et les bras nus étaient
couverts de sang, saisit la victime suivante en lui disant : « Allons, Sherwin,
c'est votre tour de recevoir votre salaire. » Sans s'émouvoir, le martyr baisa
avec respect le sang sur les mains du bourreau, et monta sur la charrette où il
resta quelque temps en prières, les yeux fermés et les mains levées vers le
ciel. Puis il demanda si on attendait de lui un discours. Beaucoup de
spectateurs, parmi lesquels il s'en trouvait des plus honorables, répondirent :
« Oui » Alors d'une voix forte et assurée il commença par rendre grâces à
chacune des trois Personnes de la sainte Trinité pour les miséricordes et les
bénédictions dont il avait été l'objet. Il allait rendre compte de sa foi quand
Sir Francis Knowles le pressa de confesser sa trahison. Il répondit : « Je suis
innocent d'untel crime, » A de nouvelles instances il répliqua : « Lorsque mon
âme est en jeu, ce n'est pas le moment de mentir. Dans quelques instants je
subirai le supplice infâme réservé aux traîtres. Cependant je ne doute nullement
que j'obtiendrai le bonheur du ciel grâce à Jésus-Christ, dans la mort, dans la
passion et dans le sang de qui je mets toute ma confiance. »
A ces mots
les ministres présents lui dirent qu'il était protestant. Mais Sherwin, sans
faire attention à eux, continua ses prières, reconnaissant l'imperfection, la
misère, les mauvaises inclinations de sa propre nature, et se proclamant
innocent de toute trahison. Sir Francis Knowles. l'ayant interrompu de nouveau,
il lui dit : « Bien ! bien ! vous et moi nous aurons à reprendre ces débats
devant un autre juge. On reconnaîtra alors mon innocence. » Sir Francis ajouta :
« Nous savons que vous n'avez pas ourdi de complots personnellement, car vous
n'êtes pas un homme d'armes ; mais vous êtes un traître par voie de conséquence.
» Sherwin répliqua " alors avec assurance : « S'il suffit d'être catholique,
parfait catholique, pour être un traître, alors j'en suis un. » Comme on
l'empêchait de faire un plus long discours, il se contenta d'ajouter : « Je
pardonne à tous ceux qui par des erreurs de fait ou des présomptions générales
ont causé ma mort. » Il voulait continuer à prier, mais on lui demanda son
opinion sur la bulle. Il ne fit aucune réponse. Invité à prier pour la reine, il
dit qu'il le faisait. « Pour quelle reine ? » reprit Lord Charles Howard.
Assurément, répondit Sherwin avec un sourire, c'est pour la reine Elisabeth ! Je
prie Dieu de faire d'elle sa servante en ce monde, et la cohéritière de
Jésus-Christ dans l'autre monde. » Quelqu'un fit alors observer que c'était
désirer la faire papiste. « A Dieu ne plaise qu'il en soit autrement ! »
répondit le martyr. Puis après quelques instants de recueillement, il mit sa
tête dans le noeud coulant de la corde, en répétant l'oraison jaculatoire :
«Jésus, Jésus Jésus, soyez pour moi un Jésus ! » La multitude se mit alors à
crier « Bon Monsieur Sherwin, puisse le Seigneur recevoir votre âme ! » et elle
continua de crier ainsi alors que la charrette avait déjà été retirée et que le
martyr avait rendu depuis quelque temps le dernier soupir.
Après que
son corps eut été dépecé comme celui de Campion, ce fut le tour de Bryant. Il
parla peu, se bornant à faire une courte profession de foi, et à protester qu'il
était innocent de toute offense envers la reine non seulement en actions, mais
encore en pensées. — Mais avec son visage innocent et angélique — c'était, en
effet, un beau jeune homme de vingt-huit ans au plus, ― il émut grandement ses
auditeurs, surtout en exprimant sa joie immense d'avoir été choisi par Dieu
comme digne de mourir pour la foi catholique en compagnie du Père Lampion qu'il
vénérait de tout son cœur. Et, en effet, ce fut son intimité avec les Pères et
son refus, au milieu des supplices les plus raffinés, de rien révéler à leur
sujet qui furent la cause unique de sa mort.
Le 4
décembre 1581, c'est-à-dire presque au lendemain même du martyre des trois
confesseurs de la foi, Pedro Serrano, secrétaire de l'ambassadeur d'Espagne à la
cour d'Élisabeth, envoyait à Dona Anna de Mendoza, sœur de son maître, une
relation du procès et de l'exécution de Campion et de ses deux compagnons. Cette
relation, conservée au British Museum, ne renferme aucun détail que nous n'ayons
donné, mais elle se termine par un post-scriptum très intéressant, écrit de la
main même de l'ambassadeur, qui, grâce à un déguisement, avait vu les martyrs
passer devant lui, et avait admiré leur constance :
« Je ne
puis, écrit-il à sa sœur, laisser partir cette relation sans vous demander de la
faire copier et de l'envoyer en mon nom aux Pères jésuites pour qu'ils la
répandent dans toutes leurs maisons. Tous les catholiques ici présents, et moi
en particulier, nous pouvons certifier que, vu la manière dont il a souffert,
Campion est un des plus grands martyrs qui aient illustré l'Église et que
l'ordre des jésuites peut bien le vénérer comme tel... »
Ces
paroles de Don Bernardino se sont trouvées glorieusement vérifiées par le décret
de béatification promulgué par le pape Léon Xlll.
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