Avant de s'en
aller en Terre-Sainte pour y finir ses jours dans la prière et la
pénitence, le roi Athelstan
choisit son neveu Edmond, fils de Ealhere, ealdorman de Kent, et
descendant des anciens rois saxons d'Est-Anglie pour gouverner ses
Etats.
Edmond était né à Norbury, près de Croydon, dans le Surrey. Edmond
fut, à quatorze ans, le jour de la Noël 854, élu roi, par les clercs
et les nobles du Norfolk assemblés à Attleborough, élection acceptée
par les habitants du Suffolk.
Lorsqu'il
débarqua sur la terre de son royaume, Edmond se prosterna pour une
longue prière et, quand il se releva, douze fontaines sourdirent de
terre.
Edmond qui voulut
terminer ses études dans la résidence royale d'Attleborough, ne fut
couronné dans l'église de Bures (Suffolk) qu'à la Noël 856, par
Humbert, ancien conseiller de son prédécesseur et évêque d'Hulme. « Pourvu
de cette triple consécration, je décidai d'être utile à la nation
des Angles, plutôt que de la commander, en négligeant de faire
courber les têtes sous un autre joug que celui du Christ ».
Ainsi, Edmond est le premier des saints rois à faire de la
sainteté son programme de gouvernement. Abbon parle de « ce que
fut sa bonté pour ses sujets, sa rigueur pour les méchants »,
ajoutant qu'il « était pour les indigents d'une magnifique
libéralité, pour les orphelins et les veuves un père plein
d'indulgence » ; très attentifs aux affaires de gouvernement, « s'il
connaissait mal une affaire, il apportait tous ses soins à
l'examiner ; sur la voie royale où il marchait, il ne se détournait
ni à droite pour se prévaloir de ses mérites, ni à gauche en
s'abandonnant aux défauts de la faiblesse humaine. »
Souverain d'un
petit royaume, à côté de ceux de Mercie et du Wessex, exposé aux
invasions normandes, il employa son règne à négocier les lourds
tributs qu'il devait verser aux pirates et qui, au bout de quinze
ans, avaient ruiné son Etat et ses sujets. A partir de 865, les
Danois, ne recevant plus les lourdes rançons qu'ils exigeaient,
entreprirent la conquête du royaume. Chassés en 866, les Danois
ravagèrent la Northumbrie et la Mercie, mais revinrent en East en
869 : le wiking Iva envahit l'Est-Anglie, mit le pays à feu et à
sang et Edmond fut vaincu à la bataille de Thetford (20 novembre
870) puis massacré. Le royaume d'Est-Anglie passa tout entier sous
la domination danoise.
Très vite le roi
Edmond, mort en combattant les païens, fut l'objet d'un culte
populaire ; un siècle après sa mort, le bénédictin Abbon, futur abbé
de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), alors qu'il était à l'abbaye de
Ramsey (de l'automne 985 au printemps 987), recueillit, à la demande
des moines, les pieux éléments de la tradition populaire et le
témoignage de saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry, qui, dans sa
jeunesse, à la cour du roi Athelstan (925-939) avait entendu
raconter la mort d'Edmond par un vieillard qui avait été l'écuyer du
Roi.
Abbon raconte que
le wiking Ivar envoya un ambassadeur pour proposer au roi Edmond de
lui laisser son royaume s'il voulait se reconnaître son vassal et
lui donner son trésor ; Edmond répondit que sa foi lui interdisait
de se soumettre à un païen et qu'il préférait mourir. Ivar fit
attaquer le palais ; « afin que ne périsse pas la nation tout
entière, le saint roi Edmond dans son palais, en digne membre
du Christ, jette ses armes et se laisse prendre. Il sait qu'il va
comparaître devant le chef impie, comme le Christ devant le
gouverneur Pilate, tant il désire suivre les pas de celui qui s'est
immolé en victime pour nous. Garrotté dans des liens étroits, il
subit toutes sortes de moquerie et, pour finir, on le bâtonne, puis
on le conduit près d'un arbre voisin auquel on l'attache et fort
longtemps on le maltraite à coups de fouet, sans qu'il s'avoue
vaincu. » On l'attacha ensuite à un autre arbre, on le perça de
flèches comme saint Sébastien, et on le décapita avant de jeter son
cadavre dans la forêt. « C'est ainsi que, le vingt novembre, en
holocauste très agréable à Dieu, Edmond, éprouvé au feu de la
souffrance, portant la palme de la victoire et la couronne de la
justice, entra, roi et martyr, vers la Cour céleste. »
Quand les
fidèles, après avoir récupéré le corps, voulurent trouver la tête,
ils crièrent dans la forêt : Où es-tu ? et la voix du roi
Edmond leur répondait : Her ! her ! her ! jusqu'à ce qu'ils
la trouvassent entre les pattes d'un énorme loup qui la gardait
contre les atteintes des autres bêtes. La dépouille du roi Edmond
d'abord été enterrée à Hoxne, sur la rivière Waweney, à une trente
kilomètres à l'est de Thetford, fut, en 903, déposée dans l'église
du monastère de Beodricsworth
(aujourd’hui Bury).
Outre l'œuvre
d'Abbon, on connaît une Vie de saint Edmond le roi, poème
anglo-normand composé vers 1180 par Denys Piramus, que reprendra, au
siècle suivant, Matthieu Paris.
De nombreux
miracles dont deux résurrections, sont attribués à saint Edmond : un
paralytique qui dormait près de son tombeau, l’en vit sortir pour
marquer ses membres du signe de la Croix et fut guéri ; un chevalier
du Lindsey qui, paralysé, le vit apparaître dans sa chambre pour lui
toucher la tête et le haut du corps, puis lui ordonner d’aller prier
sur son tombeau, fut guéri en chemin ; il sortit de son tombeau pour
tuer d’un coup de lance le roi Sven qui exploitait les East-Angliens
; il fit mourir deux conseillers d’Edouard III qui voulaient
monnayer les métaux précieux de sa châsse (1341 et 1345) ; en 1173,
en compagnie de saint Thomas Becket, il délivra deux prisonniers
politiques d’Henri II ; il délivra un prisonnier de guerre, un
bailli seigneurial et un meunier emprisonnés injustement et qui
l’avaient invoqué ; il délivra des navigateurs des dangers de la mer
(tempêtes, naufrages, noyades).
La Passion
écrite par Abbon eut un énorme succès et l'abbaye Beodricsworth,
devenue, vers 1065, Bury-Saint-Edmond, fondée vers 1020, devint un
des plus grands monastères d'Angleterre
; le roi Cnut le Grand (1014-1035) accorda une charte de
liberté très étendue (exemption de l’Ordinaire et juridiction civile
sur tout le territoire) et fit commencer la construction d'une belle
église en pierre (1021) qui fut consacrée par l'archevêque
Agelmothus de Cantorbéry, le 18 octobre 1032.
Saint Edouard
le Confesseur
qui visita l’abbaye en 1044, lui octroya le droit de libre élection,
la pleine juridiction sur un territoire qui couvrait près d’un tiers
du grand comté de Suffolk, lui abandonna les taxes sur les habitants
de la ville qui s’était créée à l’ombre du pèlerinage, et lui
conféra le privilège de battre monnaie (1065). Dès Guillaume le
Conquérant qui fit reconstruire l’abbaye et jeta les fondements
d’une nouvelle église, les rois normands confirmèrent les privilèges
d’Edmondbury. Il faut dire que, depuis 1065 jusqu’à 1097, l’abbé de
Saint-Edmond était le chartrain Baudouin, moine de Saint-Denys, qui
servit à Guillaume le Conquérant de médecin et
d’intermédiaire auprès du haut clergé. En 1095, l’abbé Baudouin fit
la translation solennelle des reliques de saint Edmond dans la
nouvelle église. Sous l’abbé Ording (1148-1156), l’abbaye fut
presque entièrement détruite par un incendie, mais l’église ne fut
pratiquement pas touchée.
C'est dans cette
abbaye que les comtes et les barons révoltés contre le roi Jean
Sans Terre
lui firent signer la Grande Charte d'Angleterre (1215).
« Un
jour, les Vingt-Cinq
vinrent à la Cour du Roi pour rendre un jugement. Le Roi
était au lit, malade, au point de ne pouvoir marcher. Il pria les
juges de venir conférer dans sa chambre. Ils s'y refusèrent, cela
étant contraire à leur droit, et mandèrent au Roi que, s'il ne
pouvait se tenir sur ses pieds, il n'avait qu'à se faire porter. Le
Roi se fit porter dans la salle où les Vingt-Cinq avaient pris
séance : pas un ne se leva au moment de son entrée, parce que cela
aussi était contre leur droit. Tels sont les actes orgueilleux et
les outrages dont ils l'accablaient chaque jour. »
Or, quand la
Grande Charte d'Angleterre fut cassée par le pape Innocent III
(24 août 1215), les barons prirent les armes, mirent le roi Jean
hors la loi et résolurent de changer de dynastie en appelant sur le
trône anglais l'héritier de France, fils de Philippe II Auguste,
Louis,
dont la femme, Blanche de Castille, était la nièce de Jean
Sans
Terre.
A l'automne 1215, ils entamèrent des négociations avec Philippe II
Auguste qui, retenant vingt-quatre otages à Compiègne, permit
à Louis d'aller prendre la couronne d'Angleterre.
Encore
qu'Innocent III excommunia les rebelles et suspendit l'archevêque de
Cantorbéry, non sans avoir fait dresser par les légistes français un
mémoire justificatif destiné à prouver que le trône d'Angleterre
était vacant depuis le jour où les Pairs de France avaient condamné
Jean Sans Terre pour le meurtre d'Arthur,
Louis partit vers l'Angleterre.
Avec douze cents
chevaliers, Louis débarqua le 21 mai 1216 à Stonor, dans l'île de
Thanet, marcha sur Londres et fut reconnu comme roi d'Angleterre à
Westminster où, après avoir reçu les hommages, il confirma les
privilèges de la Grande Charte d'Angleterre ; cependant, lui-même
étant excommunié, puisque le Pape considérait l’Angleterre comme
fier du Saint-Siège, et l'archevêque de Cantorbéry étant retenu à
Rome, il ne se fit pas couronner et ne prit pas le titre royal. A
part Lincoln, Windsor et Douvres, toute l'Angleterre s'était ralliée
au prince Louis lorsque Jean Sans Terre mourut (19 octobre
1216) de chagrin à Newark-Castle pour avoir perdu son trésor,
englouti par des sables mouvants.
Le successeur
d’Innocent III,
Honorius III,
continua sa politique et soutint la légitimité d'Henri,
jeune fils de Jean Sans Terre, sous le conseil de régence
dirigé par un légat, le cardinal Galon. Le cardinal Galon
fit couronner Henri III à Glocester (29 octobre 1216), lui fit jurer
les articles de la Grande Charte d'Angleterre et réputa croisade la
guerre contre les rebelles. Onze évêques abandonnèrent le parti du
prince Louis qui, alors qu'il était revenu en France pour chercher
de l'argent et des renforts, finit par perdre la plupart des barons
anglais. La ville de Londres avait beau rester attachée au prince de
France, les défections s'accentuèrent et une bonne partie de
l'armée franco-anglaise fut surprise dans Lincoln et mise en déroute
(19 mai 1217).
Comme Robert de
Courtenai venait de s'embarquer avec une armée de secours, les
marins des cinq ports (Douvres, Sandwich, Romney, Hastings et
Hythe) coulèrent ses navires et le firent prisonnier (27 août 1217).
Louis, assiégé dans Londres, « voyant qu'il n'avait plus de
secours à attendre ni par terre ni par mer », traita avec le
légat et le grand-maréchal d'Angleterre et signa le traité de
Lambeth (11 septembre 1217) où il abandonnait l'entreprise contre
une indemnité de guerre de dix mille marcs, la libération des
prisonniers, l'amnistie pour ses partisans et la restitution des
héritages et libertés confisqués par Jean Sans Terre.
Le prince Louis,
pendant qu'il était en Angleterre, se fit remettre, « par offre
gracieuse ou par fait de guerre », la dépouille du saint roi
Edmond qu'il ramena en France. Ainsi, quand, en 1539, « les
envoyés d’Henry VIII se rendirent à Edmondbury pour ouvrir la châsse
du saint martyr, en retirer les reliques et les brûler, ils ne les y
trouvèrent pas ; mais seulement quelques rognures d’ongles et de
cheveux. »
Les traditions
toulousaines affirment que le prince Louis confia le corps de saint
Edmond aux chanoines de Saint-Sernin de Toulouse pendant la croisade
contre les Albigeois :
« C'est une chose démontrée que Louis VIII, après son retour
d'Angleterre, vint en 1219 assiéger Toulouse et fut contraint de
lever précipitamment le siège et d'abandonner son camp qui fut pillé
par les assiégés : c'est ainsi que, degré ou de force, les reliques
du saint Roi que Louis VIII auraient emportées avec lui
d'Angleterre, purent tomber entre les mains des Toulousains. »
Toujours est-il que les Capitouls de la ville de Toulouse firent, en
1631, le vœu solennel d'offrir à saint Edmond une châsse d'argent
pour y enfermer ses reliques si, par son intercession, la ville
était délivrée de la peste qui désolait ses habitants depuis 1628.
Des fêtes solennelles eurent lieu en 1644 pour l'accomplissement de
ce vœu. En juin 1901, une partie des reliques de saint Edmond fut
envoyée au pape Léon XIII
qui la donna au cardinal Vaughan
pour qu’on la conservât dans la nouvelle cathédrale de Westminster.
A Paris, au
faubourg Saint-Jacques, saint Edmond était le patron de
l’église des Bénédictins anglais. Chassés d’Angleterre par Elisabeth
I°, les moines bénédictins s’étaient dispersés en Espagne et en
Italie, mais quelques uns d’entre eux s’étaient réfugiés à
Dieulouard, en Lorraine, à Saint-Malo et à Douai (1607). En 1621,
quand Marie de Lorraine, abbesse de Chelles,
les appela pour diriger son monastère, ils s’établirent à Paris, au
collège de Montaigu, pour y faire des études et préparer des
missions en Angleterre.
Le P. William
Gifford
loua pour eux une maison de la rue de Vaugirard, puis, lors de la
construction du palais du Luxembourg, une maison rue d’Enfer ; en
1632, ils s’établirent rue Saint-Jacques, en face du couvent
des Carmélites, où, dans une maison jadis habitée par des
Feuillantines, saint François de Sales les visita, en compagnie de
la princesse de Savoie, Christine de France,
dont il était l’aumônier.
Le 15 décembre
1640, François La Bossu, bourgeois de Paris, acheta pour eux, aux
héritiers de Pierre de Cossy, la maison de la Trinité, tout
près du Val-de-Grâce (actuel n° 269 de la rue Saint-Jacques),
où l’archevêque de Paris autorisa leur installation (14 janvier
1642). Grâce aux libéralités de la reine Anne d’Autriche, ils
construisirent un couvent dont le prieur, dom Joseph Shirburn, fit
démolir et reconstruire les bâtiments, en 1674. La première pierre
de la chapelle, mise sous le titre de Saint-Edmond, bénie par
l’abbé Walter Montaigu, fut posée le 29 mai 1674, jour anniversaire
de la naissance du roi Charles II d’Angleterre, par Marie-Louise
d’Orléans,
nièce de Louis XIV, fille d’Henriette d’Angleterre et du duc
Philippe d’Orléans ; la chapelle bénite le 28 février 1677, par
l’abbé Louis-Antoine de Noailles, depuis évêque de Cahors, puis de
Châlons-sur-Marne, mort cardinal et archevêque de Paris. On y déposa
le corps du roi Jacques II Stuart
(17 septembre 1701), insigne bienfaiteur de la chapelle,
et de sa dernière fille Louise-Marie (20 avril 1712).
Les
révolutionnaires arrêtèrent les Bénédictins anglais, confisquèrent
leurs biens et mirent le couvent sous séquestre (7 septembre 1793) ;
la chapelle dut pillée et saccagée, le cercueil de Jacques II Stuart
fut violé (7 novembre 1793) et son corps, retrouvé intact, disparut.
Après avoir été transformé en prison
(9 octobre 1793), le couvent fut vendu (30 août 1799) puis rendu aux
Bénédictins anglais (1803). De 1808 à 1900, il fut successivement
occupé par une manufacture de coton, des établissements d’éducation,
une école préparatoire à l’Ecole polytechnique ; depuis il est le
siège de la Schola Cantorum fondée par Vincent d’Indy en
1896.
SOURCE :
http://missel.free.fr/
|