Et repartons,
nous aussi, par
un autre chemin.
Le mot
grec epiphania signifie manifestation.
La fête de l’Epiphanie commémore le jour où des rois païens
ont reçu la manifestation de Dieu.
Plutôt
que de rois
mages il
vaudrait mieux parler de savants.
L’événement fondamental de ces savants, venus se prosterner
aux pieds du Christ, est une pierre milliaire dans l’Église
en Orient, ce qui explique pourquoi nos frères orientaux,
catholiques et orthodoxes, célèbrent Noël en ce jour, le 6
janvier, plutôt que le 25 décembre. Dans certaines familles
chrétiennes de nos régions, on fait d’ailleurs cette
distinction, en célébrant Noël (religieusement) le 25
décembre, avec les chants devant la crèche, et remettant au
6 janvier pour offrir les cadeaux aux enfants : idée
judicieuse, qui donne tout leur sens aux cadeaux.
Ajoutons que, dans nos pays dangereusement laïcisés, on ne
peut célébrer solennellement l’Épiphanie le 6 janvier,
raison pour laquelle on la célèbre au dimanche le plus
proche de cette date, qui peut tomber entre le 2 et le 8
janvier.
*****
La
prophétie d’Isaïe est en lien direct avec l’événement que
nous relisons aujourd’hui dans l’Évangile : des rois
arrivent de loin pour honorer le
Roi des Juifs à
Jérusalem. L’évangile ne nous dira pas qu’ils soient venus
avec des
foules de chameaux,
mais il est évident que trois personnages de leur rang ne
sont pas venus sans équipage, ne serait-ce que pour leur
propre subsistance, donc avec armes et bagages, ce qui
représente une certaine quantité de domestiques et donc de
bêtes pour transporter tout ce monde. Un déplacement qui ne
peut passer inaperçu.
Les
rois, donc, marchent vers
la clarté de l’aurore. Ils reviennent
de loin, avec
des trésors, avec l’or
et l’encens.
Les
mages représentent une énigme importante dans la vie de
Jésus. Comment ont-ils pu comprendre le “sens” de cette
mystérieuse étoile ? Ont-ils eu une sorte de révélation, un
écho des prophéties d’Israel ? Il faudrait le supposer comme
fort probable, sinon on ne pourrait expliquer comment ils
furent poussés à offrir des présents dignes de la royauté
(l’or), de la divinité (l’encens), et la myrrhe, ce parfum
très fort utilisé pour la sépulture ?
Saint
Grégoire de Nazianze fait aussi sur eux cette remarque fort
intéressante, reprise par l’encyclique de Benoît XVI, que le
moment où les mages, guidés par l’étoile, adorèrent le
nouveau roi, le Christ, marque la fin de l’astrologie, parce
que désormais les étoiles tournaient selon l’orbite
déterminée par le Christ (Spe
Salvi, §5).
D’astrologues, de savants, nos rois
mages s’ouvraient
ainsi à l’adoption divine.
Seule
une prédisposition, une attente de la Vérité, jointe à une
grâce spéciale, une inspiration divine, peut expliquer tant
de coïncidences. Les rois mages ont eut l’humilité de se
soumettre à une Vérité qu’ils ne connaissaient pas encore, à
reconnaître quelqu’un de plus grand qu’eux. C’est l’attitude
même des savants honnêtes, prêts à apprendre quelque chose
que d’autres leur révèlent.
*****
Le
psaume 71 allude à son tour à cet événement : Les
rois de Tarsis et des Iles, les rois de Saba et de Seba…
Tarsis est
une région non identifiée, «lointaine», peut-être
imaginaire, comme les Îles lointaines,
au-delà des mers. Le royaume de Saba pourrait
se situer au sud de l’actuelle Arabie, sur le territoire du
Yémen ainsi que sur les territoires d’Érythrée. On se
souvient que la reine de Saba rendit visite à Salomon (1R
10:1-13). Seba serait
en revanche une région de l’actuelle Éthiopie.
Ce
psaume fut composé, d’abord, en l’honneur de Salomon, fils
de David, ancêtres du Roi céleste incarné, Jésus-Christ. Et
c’est principalement au Christ que s’applique maintenant ce
texte du psaume.
*****
La
lettre de l’apôtre Paul aux Éphésiens souligne l’importance
de la fête de l’Épiphanie. Paul fait remarquer que Ce
mystère, c’est que les païens sont associés au même
héritage, au même corps, au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus.
Les trois rois-savants incarnent les païens appelés au
salut.
Plus
tard (cf. Ac 11), après la conversion du centurion
Corneille, les premiers chrétiens finirent par comprendre
quand même que Aux
païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie (Ac
11:18).
L’adoration des mages, venus de si loin, contraste nettement
avec l’endurcissement d’Hérode et des Juifs qui n’ont pas
voulu accueillir Jésus sur place en Palestine.
*****
L’évangéliste Matthieu, le seul qui relate l’événement,
avait le souci de montrer l’accomplissement des prophéties.
Il est
donc venu, le moment où se vérifie la prophétie d’Isaïe,
ainsi que celle du psaume 71.
En
outre, Hérode apprend, de la bouche même des prêtres et des
scribes, qu’à Bethléem devait naître le
pasteur d’Israël (Mi
5:1) ; c’est dire combien les Juifs qui le voulaient,
savaient parfaitement expliquer l’Écriture.
Matthieu fait aussi remarquer, peu après la visite des
Mages, que certaines situations historiques passées étaient
en elles-mêmes prophétiques : Rachel (la femme de Jacob)
pleurant ses enfants (c’est-à-dire ses descendants) à Rama
(que l’on situait près de Bethléem) - rappelle les massacres
et les déportations des populations d’Éphraïm, Benjamin et
Manassé par la main des Assyriens - mais aussi annonce le
massacre des petits Innocents ; c’est le prophète Jérémie
qui le disait (Jr 31:15).
Sur le
massacre des Saints Innocents proprement dit, on pourra se
reporter à la méditation sur cette fête.
Mais
pourquoi l’étoile n’a-t-elle pas guidé les Mages directement au
lieu où se trouvait l’enfant ?
On
pourrait sans doute répondre qu’en s’adressant à Hérode, les
mages lui donnaient une occasion, s’il en avait accepté la
grâce, de se convertir lui-même et d’avoir lui aussi la joie
d’adorer l’Enfant-Dieu. De la part des mages, aller le
saluer était une marque de respect ; si à son tour Hérode
s’était joint à eux pour reconnaître le Christ, il n’aurait
pas fait massacrer les petits Innocents, puis n’aurait bien
probablement pas scandalisé les contemporains en répudiant
sa femme pour épouser Hérodiade (cf. Mt 14:3), et n’aurait
pas fait décapiter Jean-Baptiste ; sa vie politique, ses
ambitions, tout aurait changé.
Faisons
ici une autre remarque concernant la grotte de Bethléem.
Matthieu ne parle pas de grotte ;
il dit même deux versets plus loin : Entrant
dans la maison… Il
s’est donc passé un certain temps déjà depuis la naissance
de Jésus dans la crèche dont
parle Luc 2:7 ; après le recensement, les voyageurs ont
quitté les auberges, et la Sainte Famille aura trouvé un
petit logement sur place, pour éviter un voyage de retour
difficile avec le petit Bébé.
On a
parfois avancé que l’Enfant-Jésus pouvait déjà avoir
dix-huit mois environ, lors de la visite des Mages : ceci
expliquerait bien pourquoi Hérode fait rechercher les
enfants de
moins de deux ans (Mt
2:16).
*****
L’Épiphanie est la fête de l’entrée des nations
non-croyantes (païennes) dans la communauté des croyants,
par l’annonce de l’Evangile. Tous les peuples sont invités à
entrer dans la grande famille de l’Eglise. Les rois mages
sont les premiers “étrangers” à croire en Jésus-Christ, et
une très ancienne tradition rapporte qu’ils furent baptisés
très vite après l’Ascension, par les Apôtres eux-mêmes.
Si nous
voyons tant d’injustices, tant de haine et de guerres, c’est
que sans doute Jésus-Christ n’est pas adoré, pas aimé, pas
reconnu. Et si tous les chefs se tournaient vers Jésus, ils
trouveraient bien d’autres issues aux conflits, que celle de
guerroyer sans fin. De même qu’il n’y avait pas de place
pour eux à l’hôtellerie (Mt
2:7), de même aujourd’hui on refuse une place à Jésus dans
nos cités, dans nos gouvernements, dans nos écoles, dans nos
constitutions, et jusque dans nos familles ; On accroche aux
murs des photographies, des posters variés, mais une image
du Christ ou de Marie, un crucifix, c’est plus rare…
Il est
urgent d’appeler tous les hommes à retrouver la référence à
l’enseignement de Jésus.
Quand
les traditions deviennent purement folkloriques, elles n’ont
plus de sens. On “fait les fêtes” au moment de Noël, sans
plus aucune référence au contenu historique de Noël. Il faut
rappeler que Noël, comme son nom l’indique, c’est la
Naissance, et saint Léon nous dit que la
naissance de la Tête, c’est la naissance du Corps (de
l’Église). Ne pas
parler du Sauveur, et allumer partout des lampions à grands
frais ne sont que l’expression d’une société dangereusement
laïque. On en est même à se demander pourquoi souhaiter de
“Joyeuses Fêtes”.
Il ne
manquera pas une association, pas un club, pas une famille,
où l’on ne “tirera les rois”, dans la mesure où la fève
cachée dans la galette représentera encore un roi… ou une
reine ; mais quand la fève est une figurine quelconque…
Les
mages, eux, regagnèrent
leur pays par un autre chemin. Cette
phrase apparemment technique peut avoir une signification
profonde, car quand on a rencontré Jésus, toute notre vie
doit prendre une autre direction.
Unissons notre prière à celle de nos frères en Orient, pour
que d’une seule voix et d’un seul mouvement nous venions
ensemble nous
prosterner devant le Roi des Juifs qui vient de naître.
Et
repartons, nous aussi, par
un autre chemin.
Abbé Charles
Marie de Roussy |