Frédéric OZANAM laïc

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Frédéric OZANAM
laïc, fondateur, bienheureux
(23 avril 1813 - 8 septembre 1853)

« Je veux ce que tu veux, Seigneur,
je veux comme tu veux, je veux quand tu veux,
je veux parce que tu veux. » 
(Frédéric Ozanam)

 

L’apôtre des réformes sociales

Dès l’année 1983, Jean Paul II déclarait, en parlant de Frédéric Ozanam : "Il nous faut remercier Dieu pour ce cadeau qu'il a fait à l'Eglise en la personne d'Ozanam. On demeure émerveillé de tout ce qu'a pu entreprendre pour l'Église, pour la société, pour les pauvres, cet étudiant, ce professeur, ce père de famille à la foi ardente et à la charité inventive, au cours de sa vie trop vite consumée!" Et le Pape de souhaiter qu'il soit mis au rang des bienheureux et des saints. Ce fut chose faite en 1997 à Notre-Dame de Paris, première béatification dans cette cathédrale.

La vie de Frédéric Ozanam

    1-1-Le contexte historique au moment de la naissance de Frédéric Ozanam

1813

L’Empire napoléon est sur le déclin. Le saint-simonisme apparaît

1832

Règne de Louis-Philippe, règne de la richesse pour les riches, mais immense pauvreté du peuple qui doit affronter une terrible épidémie de choléra. Les parisiens moururent par centaines...

Il convient de rappeler que le XIXe siècle vit la naissance d’un monde ouvrier de plus en plus nombreux, scandaleusement exploité, mal payé, livré aux agitateurs de toutes origines. On estime qu’il y avait alors en France 34 millions d’habitants dont :

            – 4 millions de mendiants

            – 4 millions d’indigents

            – 4 millions de salariés sans propriété

Le nombre d’électeurs, basé sur le cens (la fortune) n’était que de 190 000! À cela il faut préciser que le salaire moyen d’une journée de travail (compte tenu du grand nombre de femmes et d’enfants qui travaillaient) était de 30 sous pour quinze heures de travail! À peine de quoi payer son dîner. Lacordaire dira: “Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit.” Il devenait urgent de s’occuper de tous ces malheureux et de “pallier par la charité les misères imméritées.”

    1-2-Les grandes étapes de la vie de Frédéric Ozanam

Frédéric OZANAM est né à Milan, qui était alors ville française, le 23 avril 1813. Son père, Jean-Antoine, après avoir participé glorieusement aux batailles de Bonaparte, épousa la fille d’un riche négociant lyonnais. Médecin militaire à Milan, c’est pendant qu’il soignait les malades d’une terrible épidémie de typhus que Frédéric, son cinquième enfant, (sur quatorze) vit le jour. La famille s’installa ensuite à Lyon.

Frédéric fut d’abord ce que l’on a l’habitude d’appeler un enfant terrible et espiègle. Mais il était exceptionnellement doué et attachant. Son éminent professeur de philosophie, l’abbé Noirot, le dépeint ainsi: “La nature l’avait merveilleusement doué; affectueux, sympathique, ardent et sérieux tout ensemble, n’ayant de haine pour personne, hormis pour le mensonge, jamais élève ne fut plus populaire que lui parmi ses camarades.”

Vers l’âge de 15 ans, et bien qu’il  qui vînt d’une famille très chrétienne, par l’impiété ambiante, il eut des doutes sur sa foi. Mais cette épreuve fut profitable, car elle lui permit de comprendre, bien plus tard, tous ceux qui traversaient les mêmes ténèbres spirituelles. Il pouvait alors écrire: “On m’accuse quelquefois de traiter avec trop d’indulgence et de douceur ceux qui n’ont point la foi. Lorsqu’on a passé par les supplices du doute, on se ferait un crime de rudoyer les malheureux auxquels Dieu n’a pas accordé la grâce de croire.”

Pour répondre aux désirs de son père qui voulait que son fils devienne magistrat, Frédéric fit des études de droit et devint clerc dans un cabinet d’avoués. Pour échapper à l’ennui, il commença à étudier l’allemand et à réfléchir sur un grand projet d’études philosophiques et religieuses impliquant un ambitieux plan de travail sur les religions anciennes, plan qui supposait la connaissance de nombreuses langues, de la géologie et de l’astronomie. Pour parfaire ses études de droit, Frédéric Ozanam part pour Paris en 1831.

Nous sommes en 1831. Louis-Philippe commence son règne qui sera celui de la richesse et des grandes idées. Le Paris littéraire s’enrichit de grands écrivains: Lamartine, Victor Hugo... Frédéric se lie d’amitié avec la famille du savant Ampère. Il fréquente Chateaubriand, Lammenais, Montalembert, Sainte-Beuve, Lacordaire... Mais Lammenais le décevra profondément et, quelques années plus tard, après la publication du livre Paroles d’un croyant, Ozanam écrira en pleurant: Lammenais... transfuge inutile car, en abdiquant sa foi il abdique son passé et par conséquent sa gloire et sa force, double sujet de deuil pour ceux qui l’aimaient.” 

C’est alors, en 1832, qu’éclate l’épidémie de choléra. Frédéric reste au chevet de ses amis malades et travaille beaucoup, pour se préserver du choléra...

Mai 1833

    Création des Conférences de Saint Vincent de Paul

Frédéric assistait régulièrement aux conférences de la Société des Bonnes Études animées par Mr Bailly, érudit qui recueillait les manuscrits de Saint Vincent de Paul. Ces conférences étaient ouvertes à tous, mais la présence d’orateurs athées n’était pas sans danger pour les étudiants catholiques insuffisamment armés pour être capables de réfuter les philosophies athées.

Ozanam consulta Mr Bailly qui était depuis longtemps le confident de Sœur Rosalie, la Fille de la charité, apôtre du XIIe arrondissement de Paris. Il fut décidé qu’Ozanam n’abandonnerait pas la Conférence de la Société des Bonnes Études. Mais, parallèlement, serait créée une œuvre nouvelle, de charité, car, disait Ozanam: “La bénédiction du pauvre est celle de Dieu: allons aux pauvres.” La Conférence de Saint Vincent de Paul était née. Les jeunes intéressés se réunirent, pour la première fois, en mai 1833, sous la présidence de Mr Bailly: ce fut véritablement l’acte de naissance des Conférences de Saint Vincent de Paul. Les fondateurs se nommaient: Bailly, Ozanam, Lallier, Le Taillandier, Lamache, Devaux et Clavé.

C'est alors que se produit la rencontre providentielle entre les pionniers de la Conférence de Charité et la célèbre Sœur Rosalie Rendu, "mère de tout un peuple", dans le quartier déshérité de la rue Mouffetard, faubourg Saint Marceau, à proximité de l'église Saint-Étienne du Mont, où a été formée la première Conférence.

Ayant spontanément compris la vocation de ces jeunes, enthousiastes et généreux, elle les conduit vers les pauvres et leur enseigne la manière de les servir avec amour et respect, dans la plus authentique tradition de "Monsieur Vincent".

    Les conférences de Notre-Dame

8 mars 1835

L’antichristianisme sévissait partout sous le règne de Louis-Philippe, et les jeunes étudiants avaient besoin d’une formation doctrinale solide dispensée par des maîtres éminents. L’Abbé Gerbet, professeur d’Écriture Sainte organisa des cours qui rassemblèrent des hommes célèbres dont Ampère et Sainte-Beuve. Il fallait faire plus... Enfin, le 8 mars 1835, sous l’impulsion d’Ozanam, Lacordaire inaugurait ce qui deviendra les Conférences de Carême, à Notre-Dame de Paris.

Avril 1836

Frédéric Ozanam est Docteur en Droit. Il a satisfait son père, mais les carrières du barreau ne l’intéressent pas: “Je vais donc quitter Paris, écrit-il. Que ferai-je à Lyon? On voudra me faire plaider. Vais-je donc me confiner dans l’étroite sphère du forum? Cela me serait dur. Cette répugnance pour la chicane, est-ce orgueil? Et cet amour pour les hautes études, est-ce vocation?” Car Ozanam est fortement attiré par les lettres: “Écrire pour convertir les hommes, y a-t-il plus belle vocation?”

1839 et 1840

Malgré des difficultés de toutes sortes, dont l’obligation de subvenir aux besoins de la famille après le décès de son père, Frédéric soutient une thèse de Doctorat ès Lettres, à la Sorbonne, le 7 janvier 1839. Sujet: Dante, poète, docteur, proscrit. Les portes s’ouvraient désormais pour Frédéric Ozanam: cours de Droit Commercial avec références à la Loi chrétienne et à l’Évangile, agrégation de lettres (octobre 1840) pour obtenir la chaire  de littérature étrangère à la Sorbonne.

Le cours de Droit commercial s’adressait à des industriels lyonnais, et cet enseignement était en accord avec les aspirations d’Ozanam qui voulait présenter un systèmes d’éducation rationnel. “Ce serait, disait Ozanam, l’industrie recevant officiellement la consécration de la science, et, sans déserter la position sociale que la Providence lui a faite, sortant cependant de la roture et s’anoblissant par une alliance publique avec les hautes disciplines intellectuelles.” Ozanam voulait travailler au relèvement progressif des classes populaires et intégrer les masses ouvrières dans un monde plus intellectuel.

    Le mariage de Frédéric Ozanam

21 juin 1841

Frédéric Ozanam a 28 ans. Il est docteur en droit et en lettres. Professeur suppléant de littérature comparée à la Sorbonne, il étudie François d'Assise et Dante. Il prépare ses cours avec le plus grand soin et les donne avec une fougue communicative: ce tout jeune professeur est souvent ovationné par ses élèves. Mais on lui reproche d'aborder des sujets religieux à la Sorbonne et on l'appelle "le théologien", à quoi il répond: "Je ne suis pas théologien mais j'ai l'honneur d'être chrétien".

Il est temps pour lui d’orienter sa vie. Mais Frédéric craint un engagement définitif. Et puis, il n’aime guère les femmes à l’égard desquelles il porte des jugements surprenants: “Leur sensibilité est quelquefois admirable, mais leur intelligence est d’une légèreté et d’une inconséquence désespérantes. Et puis, s’engager à une société, sans réserve, sans fin, avec une créature humaine mortelle, infirme, misérable, si parfaite soit-elle! C’est surtout cette perpétuité de l’engagement qui est pour moi une chose pleine de terreur et c’est pourquoi je ne puis m’empêcher de verser des larmes quand j’assiste à un mariage...”

À l’occasion, il dissuade un ami qui voudrait se marier: “L’homme abdique beaucoup de sa liberté le jour où il s’enchaîne aux bras d’une femme.” [1]

Alors, Ozanam répondra-t-il à l’appel de son ami dominicain, Lacordaire, qui le sollicite?... Las! Frédéric, invité dans la famille du Recteur d’Académie, Mr Soulacroix, rencontra sa fille Amélie. Le mariage eut lieu le 21 juin 1841. En octobre, le jeune ménage s’installe à Paris. Frédéric est professeur de lettres à la Sorbonne. Mais Amélie subit plusieurs fausses couches jusqu’à la naissance d’une petite Marie qui, malheureusement, restera fille unique.

Ozanam était un homme dont la ferveur de son engagement quotidien était à l'image de sa vie intérieure: ”Je veux ce que tu veux, disait-il au Seigneur, je veux comme tu veux, je veux quand tu veux, je veux parce que tu veux”. C’était un homme équilibré, aimé et aimant qui communiquait souvent à sa bien-aimée sa vision spirituelle de l'existence et son Amour du Divin.

De 1841 à 1846

Professeur de littérature à la Sorbonne, Ozanam voulait se pencher sur deux sujets qui lui tenaient à cœur: La décadence latine, et, Les premiers commencements du génie chrétien jusqu’à la fin du XIIIe siècle.” Le but d’Ozanam était ”de faire connaître la longue et laborieuse éducation que l’Église donna aux peuples modernes.” Il voulait également montrer “que l’Allemagne est redevable de son génie et de sa civilisation tout entière à l’éducation chrétienne qui lui fut donnée.” C’est que Frédéric Ozanam voulait “faire voir comment, seuls, ils n’étaient que des barbares; comment par les évêques et les moines, par la foi romaine, par la langue romaine, par le droit romain, ils sont entrés en possession de l’héritage religieux, scientifique, politique des peuples modernes, et comment, en les répudiant, ils retournent peu à peu, à la barbarie.”

Le bien que réalise Frédéric Ozanam grâce à son travail et à son talent est immense. Il est à l’origine de nombreuses conversions et de vocations. Ozanam semait la vérité. Mais le chrétien en lui s’inquiétait parfois, mais il se résignait: “Après tout, il peur être utile, pour mon salut, que je ne réussisse point, et dans ce cas, je ne désire que la fermeté, la résignation, la paix du cœur; la résignation à tout, même au précaire, même à l’incertitude, ce qui est peut-être plus pénible à supporter, mais dont il faut prendre l’habitude enfin, puisque Dieu l’a mise en toute chose, dans la vie et dans la mort, dans la santé, dans la fortune, et qu’il a voulu nous faire vivre; nous qui voudrions être sûrs de nos revenus, de nos projets, de nos succès, dans le plus terrible de tous les doutes: si nous sommes à ses yeux dignes d’amour.”

    Franc-maçonnerie, athéisme, et liberté de l’enseignement

L’athéisme ne désarmait pas en France, et des troubles graves éclatèrent à l’intérieur de la Sorbonne. Le professeur Lenorman fut contraint de démissionner. Ozanam tenait tête aux agitateurs. Par ailleurs, il restait en contact avec les Conférences de Saint Vincent de Paul qui continuaient à se multiplier.

Jusqu’en 1840, il n’y eut pas de conflit grave entre l’Église et l’État. Mais, en 1841, Thiers déclara au parlement “qu’il fallait que l’éducation soit donnée par l’État.” Les attaques contre les jésuites se multiplient. De part et d’autre, de grands noms se manifestent, pour ou contre. C’est l’époque de Quinet, Michelet, Renan, Cousin, mais aussi de Montalembert, de l’Abbé Dupanloup, de Lacordaire, de Louis Veuillot... En 1850, l’Enseignement secondaire est réformé grâce à l’action du Comte de Falloux. Dorénavant les enseignements primaires et secondaires seront contrôlés par l’État; mais l’Église est libre de développer ces enseignements. Par ailleurs, l’État accepte la participation de l’Église à la direction de l’Université. La loi Falloux est votée le 15 mars 1850.

La noblesse de l’attitude d’Ozanam durant cette période difficile sera reconnue et louée par tous. Mais, surmené par un travail écrasant, Ozanam tombe malade en août 1846, d’une fièvre pernicieuse. L’épreuve est dure pour cet homme en pleine force de l’âge et plein de projets. Il écrit: “Je n’ai jamais mieux senti combien l’homme est peu de chose, et je ne puis vous dire combien je suis humilié de voir qu’il suffit d’une heure de travail le plus léger pour me fatiguer la tête et me réduire au repos.” Afin qu’il change d’air, le ministre de l’Instruction Publique envoya Ozanam en mission en Italie. (décembre 1846)

Le 7 février 1847, Frédéric Ozanam est reçu par le pape Pie IX. On parla des Conférences de Saint Vincent de Paul et des réformes sociales que le pape souhaitait mettre en œuvre à Rome. Au mois d’août suivant, Ozanam semble guéri, rentre à Paris et reprend ses travaux.

1848 - Passer aux Barbares

La révolution industrielle a engendré des misères effroyables. La Révolution de 1848 éclate avec son cortège de malheurs de toutes sortes. Il faut mettre en œuvre, et de toute urgence la charité chrétienne. Ozanam s’écrie: Passons aux Barbares et suivons Pie IX.” Ce cri ne fut pas compris et Ozanam dut s’expliquer: “Aller au peuple c‘est à l’exemple de Pie IX, s’occuper de ce peuple qui a trop de besoins et pas assez de droits, qui réclame une plus grande part raisonnable dans les affaires publiques, des garanties pour son travail, des assurances contre sa misère... qui, sans doute, suit de mauvais chefs, mais faute de trouver ailleurs de bons...”

En 1848, Ozanam se présente aux Élections à l’Assemblée Nationale. C’est un échec. Son programme audacieux procède d’une intuition prophétique qui lui fait pressentir le fossé grandissant entre forts et faibles, riches et pauvres. Ainsi, en 1848, alors que les Conférences Saint-Vincent-de-Paul sont en plein essor, Ozanam défend un programme social à la députation proposant de multiples réformes dont la retraite des travailleurs et l'équivalent du SMIC actuel.

“Passer au peuple, ce n’est pas faire le jeu des Mazzini, des Ochsenhein et des Henri Heine, mais passer au service des masses en y comprenant celles des campagnes aussi bien que des villes. Voilà comment, passer au peuple, c’est passer aux Barbares, mais pour les arracher à la barbarie, faire d’eux des citoyens en en faisant des chrétiens, les faire monter dans la vérité et dans la moralité, pour les rendre ainsi dignes et capables de la liberté des enfants de Dieu.”

Ozanam avait vu trop de malheureux condamnés à l’esclavage des ateliers qui s’ouvraient partout, pour ne pas désirer les réformes indispensables. En février 1848 il écrit à son frère prêtre: “... si un grand nombre de chrétiens, et surtout d’ecclésiastiques, s’étaient occupés des ouvriers depuis dix ans, nous serions plus sûrs de l’avenir, et toutes nos espérances reposent sur le peu qui s’est fait à Paris pour eux.”

En 1848, Ozanam pressent que les inégalités sociales et les injustices préparent un choc terrible: "D'un côté la puissance de l'or, de l'autre la puissance du désespoir." Le devoir du chrétien est de s'interposer en "médiateur" pour  au moins amortir le choc". Contrairement à la révolution de 1830, celle de 1848 ne sera pas anticléricale. L'action des chrétiens sociaux y est sans doute pour quelque chose. Ozanam fait bon accueil à la République, lui, l'ancien monarchiste: "Au fond la devise de la République: liberté, égalité, fraternité, c'est l'Évangile même". Homme ouvert, il ne veut pas que la religion se cantonne dans une minorité bourgeoise, ni dans un parti, elle doit aller aux masses, aux pauvres que le Christ a déclarés bienheureux. "Passons aux Barbares!" s'écrie-t-il. Cet accent prophétique sera peu écouté.  Mais il demeure un des pionniers du catholicisme social qui sera confirmé par "Rerum novarum" en 1891. Béatifié lors des JMJ de Paris en 1997, il laisse aux jeunes de notre époque un message de courage dans le témoignage.

    L’insurrection de juin 1848

La révolution de février 1848 n’avait pas été antireligieuse mais seulement sociale, et elle avait suscité de nombreux espoirs parmi les travailleurs. Mais la misère devient vite effroyable, et le 23 juin 1848, c’est l’insurrection, le révolte de la misère comme on a pu la qualifier. On compte déjà quinze mille morts.

Mgr Affre qui pourtant était très estimé, fut assassiné. La guerre civile prit fin, mais la misère continua renforcée par l’épidémie de choléra. Les conférences de Saint Vincent de Paul multiplièrent leurs œuvres de charité. Elles furent même chargées par le gouvernement et les municipalités de la distribution des secours.

Ozanam prône des réformes, y compris la réforme des mœurs, tant par la législation que par l’éducation: ”L’éducation chrétienne confiée à des Frères et à des Sœurs capables d’enseigner aux enfants du peuple autre chose qu’épeler les syllabes d’un journal et à charbonner sur les murs l’ordre du jour des barricades.” Et encore “Il est temps de montrer qu’on peut plaider la causes des prolétaires, se vouer au soulagement des classes souffrantes, poursuivre l’abolition du paupérisme sans se rendre solidaires des prédications qui ont déchaîné la tempête de juin et qui suspendent encore sur nous de sombres nuages.”

Pour Frédéric Ozanam, les sciences sociales ne s’apprennent “qu’en montant les étages de la maison du pauvre, qu’en s’asseyant à son chevet, qu’en souffrant du même froid que lui, qu’en entrant dans le secret de son cœur désolé et de sa conscience ravagée. Quand on a ainsi étudié le pauvre chez lui, à l’école, à l’hôpital, à l’atelier, dans les villes, dans les campagnes, dans toutes les conditions où Dieu l’a mis, c’est alors seulement que, muni de tous les éléments du formidable problème, on commence à le posséder et on peut songer à le résoudre.”

Et Frédéric Ozanam savait de quoi il parlait, lui qui depuis si longtemps avait fréquenté les pauvres. Frédéric Ozanam savait combien “l’égoïsme des syndicats et des conseils économiques, l’âpreté orgueilleuse de l’ouvrier et du patron peuvent se heurter dans une atmosphère de haine et d’envie.” [2]

Ozanam et ses amis soucieux de véritable justice sociale, avaient été désillusionnés tant par la Révolution que par les divers  rétablissements de la monarchie. La monarchie de juillet avait été catastrophique; les détresses étaient immenses en France. Tout s’écroulait à cette époque. Le Deuxième Empire pouvait naître.

    Les voyages d’Ozanam

À une époque où l’on voyageait peu [3] , Frédéric Ozanam passait ses vacances universitaires à explorer l’Europe, pour “comprendre l’âme des peuples, pénétrer dans leur vie quotidienne, mieux connaître leur esprit.” Ozanam découvrit ainsi l’immense misère qui régnait en Angleterre à côté de richesses excessives des débuts de l’ère industrielle. Il déclare: “Certes, le progrès est légitime, mais je ne saurais m’empêcher d’y sentir quelque chose de dangereux, de satanique. Assurément, ces merveilles éblouissantes ne s’étalent pas sans péril [4] devant des yeux déjà trop épris des biens de la terre. Il me semblait toujours voir, au seuil de l’Exposition, le démon qui transporta le Sauveur sur la montagne et qui disait encore: je vous donnerai tout cela si, vous prosternant, vous m’adorez.”

Ozanam est de nouveau très fatigué; il reprend ses cours, mais à Pâques de 1852 il doit s’aliter: la tuberculose s’installait en lui.  Ozanam révèle alors son sens de la vie et de la volonté de Dieu. Il écrit: “Le meilleur moyen de juger les affaires de la vie et d’y porter le calme et le désintéressement est de les considérer de haut et comme des intérêts étrangers. C’est là-haut qu’est la réalité de la vie... Le Seigneur nous fait demander dans notre prière que sa volonté s’accomplisse sur la terre comme au ciel. Donc, non point comme en enfer où elle s’accomplit par nécessité, non comme parmi les hommes où elle est souvent subie avec murmure, mais comme au ciel avec l’amour et l’allégresse des anges.”

Le malade avait besoin de grand air: il partit faire une cure dans les Pyrénées, aux Eaux-Bonnes. Dès qu’il se sent mieux, il visite l’Espagne... Mais la maladie poursuit son cours inexorable. Avec sa femme et sa fille, il décide de passer l’hiver 1852 en Italie: hiver exécrable.

Cependant sa préoccupation majeure “restait l’instauration dans les villes italiennes, des Conférences de Saint Vincent de Paul.”  Cinq nouvelles conférences sont fondées en Toscane et en Ligurie, et cela “malgré le protestantisme, le joséphisme, le mazzinisme, le socialisme, acharnés à mettre en échec tout mouvement d’action catholique.”

Ozanam écrit encore: “Le voltairianisme sévit encore dans la grande bourgeoisie, mais la foi surgit dans la masse du peuple. Ici, comme partout, beaucoup de beaux esprits sont incrédules, mais les plus grands esprits s’honorent d’être croyants.”

    La mort

Frédéric Ozanam se prépare à la mort; il sait que ses jours sont comptés. Il écrit ce que l’on peut considérer comme son testament spirituel, l’hymne au Seigneur: “Je sais que j’accomplis aujourd’hui ma quarantième année, plus que la moitié du chemin de la vie; je sais que j’ai une femme jeune et bien-aimée, une charmante enfant, une seconde mère, d’excellents frères, beaucoup d’amis, une carrière honorable, des travaux conduits précisément au point où ils pourraient servir de fondement à un ouvrage longtemps rêvé. Voilà cependant que je suis pris d’un mal grave, opiniâtre, et d’autant plus dangereux qu’il cache probablement un complet épuisement. Faut-il quitter tous ces biens que vous-même, mon Dieu, vous m’avez donnés? Ne voulez-vous point, Seigneur, vous contenter d’une partie du sacrifice?

Si je vendais la moitié de mes livres pour en donner le prix aux pauvres et si, me bornant à remplir les devoirs de mon état, je consacrais le reste de ma vie à visiter les indigents, à instruire les apprentis et les soldats, Seigneur, seriez-vous satisfait et me laisseriez-vous la douceur de vieillir auprès de ma femme et achever l'éducation de mon enfant.  Peut-être, Seigneur, ne le voulez-vous point. Vous n'acceptez pas ces offrandes intéressées; vous rejetez mes holocaustes et mes sacrifices. C’est moi, Seigneur, que vous demandez. Il est écrit au commencement du livre que je dois faire votre volonté. Et j’ai dit: je viens Seigneur! Je viens si vous m’appelez, je n’ai pas le droit de me plaindre. Vous m’avez donné quarante ans de vie. Que les miens ne se scandalisent point si vous ne voulez pas faire aujourd’hui un miracle pour me guérir...

Si je repasse devant vous mes années avec amertume, c'est à cause des péchés dont je les ai souillées; mais quand je considère les grâces dont vous les avez enrichies, je repasse mes années devant vous, Seigneur, avec reconnaissance. Quand vous m'enchaîneriez sur un lit pour les jours qui me restent à vivre, ils ne suffiraient pas à vous remercier des jours que j'ai vécus. Ah! si ces pages sont les dernières que j'écris, qu'elles soient un hymne à votre bonté!"

Vous me donnerez le courage, la résignation, la paix de l’âme et ces consolations inexprimables qui accompagnent votre présence réelle. Vous me ferez trouver dans la maladie une source de mérites et de bénédictions, et ces bénédictions, vous les ferez retomber sur ma femme, mon enfant, tous les miens à qui mes travaux auraient peut-être moins servi que mes souffrances... Pise, 23 avril 1853 (jour de ses quarante ans).

Ses derniers jours, Ozanam les consacra à ses œuvres les plus chères. La ville de Sienne eut sa Conférence. Les résistances furent nombreuses, mais enfin cela se fit. Pour défendre sa cause, Ozanam avait écrit au R.P.Pendola: “Nous avons souvent parlé ensemble de la faiblesse des chrétiens dans les hautes classes de France et d’Italie; il y a une chose qu’on ne leur a point enseignée, une  chose qu’ils ne connaissent que de nom et qu’il faut avoir vu souffrir aux autres pour apprendre à la souffrir soi-même quand elle viendra tôt ou tard. Cette chose, c’est la douleur, c’est la privation, c’est le besoin. Il faut que ces jeunes seigneurs sachent ce qu’est la faim, la soif, le dénuement d’un grenier. Il faut qu’ils voient des misérables, des enfants malades, des enfants en pleurs. Ou cette vue réveillera quelque battement dans leur cœur, ou cette génération se perdra!”

Début août 1853, le mal empire et Ozanam doit rentrer en France, à Marseille. Là il demanda les derniers sacrements et s’éteignit le 8 septembre 1853, en la fête, de la Nativité de la Sainte Vierge.

Souffle divin d'une âme qui ne veut trouver le repos que dans l'échange d'Amour. Souffle d'un homme dont l'existence nous offre une image nouvelle de la sainteté... Témoin de la Foi dans tous les aspects de sa vie personnelle, familiale, professionnelle et civique, Frédéric OZANAM a été béatifié le 22 août 1997 par le Pape Jean-Paul II. Frédéric Ozanam, véritable témoin du Christ, demeurera pour chacun d'entre nous un modèle d'engagement en faveur du prochain.

    La béatification de Frédéric Ozanam

Le bienheureux Frédéric Ozanam a été béatifié par Jean-Paul II le 22 août 1997 en la cathédrale Notre-Dame de Paris.

"On attendait  çà depuis 75 ans !" A la conférence Saint-Vincent de Paul de Lyon, on ne cache pas sa joie après la béatification du Lyonnais Frédéric Ozanam, l'un des fondateurs de la société Saint-Vincent de Paul. Durant toute sa vie, Frédéric Ozanam s’est efforcé de réconcilier les valeurs de la République et de l'Église, ainsi que la méditation et l'action.  C’est un laïc catholique, grand intellectuel  volontiers qualifié de prophète, c’est un saint habité par une inlassable charité débordante, qui vient d’être donné en exemple à la jeunesse du IIIe millénaire par le pape Jean-Paul II. 

Frédéric Ozanam a créé en 1833 la société Saint-Vincent de Paul pour la mettre au service des plus démunis. Ce faisant, il est l'instigateur d'un "catholicisme social" que l'Église admettra seulement 50 ans plus tard avec l'encyclique “Rerum Novarum” du pape Léon XIII. Ozanam était trop en avance sur son temps, et il aura fallu près d'un siècle pour reconnaître officiellement sa  sainteté. La demande de béatification date en effet de 1925, à l'initiative de la société de Saint-Vincent de Paul et de la famille d'Ozanam. Ce n’est qu’en 1994 que le pape signera le décret reconnaissant l'héroïcité des vertus du personnage : la voie de la béatification était ouverte.  Elle sera célébrée à  Paris, sous les voûtes de Notre-Dame, à la faveur des XIIe Journées mondiales de la jeunesse.

Paulette Leblanc


[1] Curieuse époque que ce XIX è siècle qui refuse aux femmes toutes études sérieuses et qui se permet ensuite de juger leur intelligence ni formée, ni meublée!

[2] Extrait de l’ouvrage de Louise Camus-Marzin Frédéric Ozanam, pionnier de son époque, précurseur de la nôtre - Publié chez Téqui 

[3] On voyageait encore, la plupart du temps, en diligence, voyages lents, inconfortables, périlleux. Les chemins de fer en étaient à leur tout début et on les décriait souvent à cause de leur vitesse terrifiante: 17 km à l’heure! 

[4] À l’exposition de Londres en 1851.

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