Frère aîné de saint
Bernard, Gérard n'est pas enthousiasmé par l'idée d'entrer dans les
ordres. Il a choisi le métier des armes. Blessé lors d'un combat et
emmené en captivité, il change d'avis et demande son admission
à Citeaux dès sa libération en 1112. En 1115, il participe à la
fondation de Clairvaux avec Étienne
Harding et Bernard. Mort en 1138, il a été très regretté par
son frère.
Il faut recueillir ses
dernières paroles « Seigneur, vous savez que j'ai toujours souhaité
le repos pour veiller à mon âme et m'occuper de vous. Mais j'ai
toujours été pris dans les affaires par votre amour et par mon zèle
d'obéissance, surtout par ma tendresse pour mon abbé et frère". Dans
la nuit qui précéda sa fin, il chanta allègrement le psaume 148,
Laudate Dominum de caelis. Bernard étant arrivé, il dit "Père, entre
vos mains je remets mon esprit" (Luc., 23, 46). Il répétait ces
mots, disant : “Père, père.” Et, se tournant vers le Père abbé :
“Comme Dieu est bon, d'être père des hommes! Quelle gloire pour les
hommes d'être les fils de Dieu, ses héritiers !”
Saint Bernard fit
l'oraison funèbre de ce frère si dévoué au cours d'une conférence
sur le Cantique des Cantiques :
« Vous savez, mes
enfants, disait le saint abbé à ses moines, combien juste est ma
douleur, combien pitoyable ma blessure. Vous voyez, n'est-ce pas,
quel compagnon m'a abandonné dans la voie où je marchais ! Quelle
énergie au travail, et quelle suavité dans ses manières ! Qui donc
m'était aussi indispensable ? Qui donc avait pour moi autant
d'amour? Il était mon frère par le sang, mais par la religion plus
fraternellement. Plaignez-moi, je vous en prie, vous qui comprenez
cela. J'étais infirme, il me portait ; je perdais cœur, il me
confortait ; j'étais paresseux et négligent, il me stimulait ;
imprévoyant, oublieux, il était ma mémoire. Pourquoi m'as-tu été
arraché, homme uni à mon âme, homme selon mon cœur... Il eût mieux
valu pour moi perdre la vie que ta présence, Gérard, toi qui étais
l'instigateur zélé de mes études, mon secours vigoureux, mon
examinateur prudent. Dis, pourquoi nous sommes-nous tant aimés,
pourquoi nous sommes-nous perdus ? Dure condition, triste
fortune — pour moi du moins, non pour lui ! Il me semble entendre
mon frère qui me dit “Est-ce qu'une mère pourra oublier le fils
de ses entrailles ? Quand bien même elle l'oublierait, moi je ne
t'oublierai pas !” (Is., 49, 15.) Oh ! non, ce n'est pas le
moment ! tu sais où je vis, où je languis, où tu m'as laissé!
Personne pour me tendre la main ! A tout ce qui arrive, je regarde
vers Gérard comme j'avais l'habitude — et il n'est pas là. Hélas !
alors je gémis, malheureux, comme un homme sans secours. Qui
consulter dans le doute ? A qui me fier dans les combats ? Qui
portera le fardeau ? Qui éloignera les dangers ? Est-ce que partout
les yeux de Gèrard n'éclairaient point mes pas ? N'est-il pas vrai,
Gérard, que tu prenais à cœur plus que moi-même mes soucis, ils
t'envahissaient plus familièrement, ils te harcelaient plus
âprement ? N'est-ce pas, ta parole douce et efficace me retirait
très souvent des discours mondains, et me rendait au cher silence ?
Le Seigneur avait instruit sa langue, en sorte qu'il savait quand il
devait parler. Ainsi la prudence de ses réponses, et leur bonne
grâce, par dessus le marché, donnaient satisfaction à ceux de la
maison comme à ceux du dehors, et personne presque ne me demandait
quand on avait déjà vu Gérard. Il courait aux visiteurs, me servait
de bouclier pour qu'ils ne fissent pas irruption dans mon repos. Si,
malgré tout, il s'en trouvait qu'il ne pût satisfaire, il me les
amenait et congédiait le reste. Ah ! l'homme industrieux ! Ah !
l'ami fidèle ! Il ménageait l'amitié sans manquer aux devoirs de
charité. Le riche emportait un conseil; le pauvre, une aumône. Il ne
cherchait pas son intérêt il se plongeait dans les ennuis pour que
j'eusse la paix. “... Il n'a pas connu la littérature, mais il a eu
le sens qui découvre la lettre, et il a eu l'illuminateur, l'Esprit.
Ce n'est pas seulement dans les très grandes circonstances, mais
dans les plus petites, qu'il était très grand...” »
Il est fêté le 14 juin
dans l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance.
Bibliographie :
Bibl. - Acta sanct., 13
juin, t.2, p. 699-702. - L'éloge par saint Bernard, in Cantica, 26,
dans P. L., t. 188, col. 903; traduction A. Ravelet, dans Œuvres de
S. Bernard, t. 3, 1870, p. 91. - Exordium magnum ord. cisterciensis,
dans P. L., t. 185 bis, col. 1049. - E. Vacandard, Vie de S.
Bernard, 1920, t. 1, p. 441 et t. 2, p. 46; et. du même, S. Bernard
(coll. La pensée chrétienne), 1903, p. 1 et 203. - R. Aigrain, Les
plus belles pages de S. Bernard, 1929, p. 83. - É. Gilson, La théol.
mystique de S. Bernard, 1934, p 190-192. - M.-M. Davy, S. Bernard
(coll. Les maîtres de la spiritualité chrét.), t. 1, 1945, p. 491. |