S. Hilarion
naquit dans la petite ville de Tabathe, à cinq milles de
Gaze, du côté, du midi. Ses parents étaient idolâtres. On
l'envoya, étant encore fort jeune, à Alexandrie, pour y étudier
la grammaire. La rapidité de ses
progrès
annonça l'excellence de son esprit; ce qui, joint à la bonté de
son caractère, le fit extrêmement aimer de tous ceux qui
vivaient avec lui. Ayant eu le bonheur de connaître la religion
chrétienne, il reçut le baptême. Devenu tout-à-coup un homme
nouveau, il renonça à tous les divertissements profanes, et ne
se sentit plus de goût que pour les assemblées des fidèles.
Peu de temps
après, il entendit parler de S. Antoine, dont le nom était
célèbre en Egypte. Il conçut aussitôt le dessein de l'aller
visiter dans son désert. Touché de ses exemples, il changea
d'habit, et se mit à imiter son genre de vie, sa ferveur dans la
prière, son humilité dans la réception des frères, sa
persévérance dans les 'austérités, et ses autres vertus. Mais il
ne tarda pas à s'ennuyer de ce concours de personnes de toute
espèce qui venaient trouver S. Antoine, soit pour être guéries
de leurs maladies, soit pour être délivrées du démon. Désirant
vivre dans une entière solitude, il prit quelques moines avec
lui, et retourna dans son pays. Il y arriva vers l'an 807. Comme
la mort lui avait enlevé son père et sa mère, il donna une
partie de ses biens à ses frères, et l'autre aux pauvres. Il ne
se réserva rien dans le partage qu'il en fit. Ensuite il se
retira dans un désert qui était à sept milles de Majume, et
situé entre la mer d'un côté et des marais de l'autre.
On lui représenta inutilement que ce lieu était infesté de
voleurs; toute sa réponse fut qu'il ne craignait que la mort
éternelle. Tout le monde admira sa ferveur et sa manière de
vivre extraordinaire. Dans les commencements de sa retraite, des
brigands cachés dans son désert lui demandèrent ce qu'il ferait
s'il était attaqué par des voleurs «t des assassins? « Un homme
pauvre et nu, répondit-il, » ne craint point les voleurs. —
Mais, reprirent-ils, ils pourraient » vous ôter la vie. — Cela
est vrai, répliqua le saint; et c'est même » pour cette raison
que je ne les crains point, parce que je tâche » d'être toujours
prêt à mourir. » On était autant édifié que surpris de voir une
telle ferveur et un tel courage dans un jeune homme de quinze
ans. Sa santé était si faible et si délicate, que le moindre
excès de froid ou de chaud faisait sur lui la plus vive
impression. Il n'avait cependant d'autre vêtement qu'un sac, une
tunique de peau que lui avait donnée S. Antoine, et un manteau
fort court. Vivant dans la solitude, il s'assujettit à des
mortifications que les égards dus au prochain ne lui auraient
pas permis de pratiquer dans le monde. Il ne se coupait les
cheveux qu'une fois par an, vers la fête de Pâque ; il ne
quittait sa tunique que quand elle était usée, et jamais il ne
lavait le sac dont il était revêtu, disant à ce sujet que ce
n'était pas la peine de chercher la propreté dans un ci lice.
Dès qu'il eut une
fois embrassé la pénitence, il s'interdit l'usage du pain.
Pendant six ans, il n'eut chaque jour pour toute nourriture que
quinze figues, qu'il ne mangeait qu'au coucher du soleil.
Lorsqu'il éprouvait quelque tentation de la chair, il entrait
dans une sainte colère contre lui-même ; il se frappait rudement
la poitrine, et disait à son corps, qu'il traitait comme un
animal : « Je t'empêcherai bien de regimber; je te nourrirai de
paille au » lieu de grain; je te chargerai et te fatiguerai
tellement, que Vu » ne chercheras plus qu'à manger, sans songer
au plaisir. » II se retranchait alors une partie de sa
nourriture ordinaire ; quelquefois même il était trois ou quatre
jours sans manger ; et quand il sentait son corps tomber en
défaillance, il le soutenait avec quelques figues sèches et un
peu de jus d'herbes. Pour rendre sa pénitence encore plus
austère, il travaillait rudement en priant et en chantant les
louanges de Dieu. Il creusait ou labourait la terre, ou bien, à
l'exemple des moines d'Egypte, il faisait des corbeilles pour se
procurer les choses qui lui étaient nécessaires. Lorsqu'il était
épuisé de fatigues, il prenait son petit repas, et disait à son
corps : « Si tu ne veux point travailler, tu ne mangeras «
point; si tu manges présentement, ce n'est que pour te
mettre » en état de travailler de nouveau.»
Il savait par cœur
une grande partie de l'Ecriture sainte, et il en récitait
quelques passages après ses prières ordinaires. Il priait avec
beaucoup d'attention et de respect; on eût cru qu'il voyait de
ses yeux le Seigneur avec lequel il s'entretenait. Durant les
quatre premières années de sa retraite, il n'eut, pour se mettre
à l'abri des intempéries de l'air, qu'une petite hutte faite de
joncs et de roseaux entrelacés ensemble ; il se construisit
depuis une cellule, qu'on voyait encore du temps de S. Jérôme.
Elle n'avait que quatre pieds de large, sur cinq de haut; elle
était cependant un peu plus longue que son corps, et il pouvait
s'y coucher. Mais, dans la réalité, c'était plutôt un tombeau
que la demeure d'un homme vivant. S'il apporta quelque
changement dans sa nourriture, ce ne fut jamais que pour se
mortifier encore davantage. A
I âge de vingt-un
ans, il se condamna à ne manger par jour qu'une poignée d'herbes
trempées dans de l'eau froide. Les trois années suivantes, du
pain desséché avec du sel et de l'eau firent toute sa
nourriture. Depuis vingt-sept ans jusqu'à trente-un, il ne
mangea que des herbes sauvages et des racines crues; depuis
trente-un jusqu'à trente-cinq, il ne prit par jour que six onces
de pain d'orge, auxquelles il ajoutait un peu de légumes à
moitié cuits et sans assaisonnement. Mais s'apercevant que sa
vue baissait, qu'il éprouvait des démangeaisons inquiétantes, et
que son corps se couvrait de pustules rouges, il ajouta un peu
d'huile à ses légumes.
II vécut de la
sorte jusqu'à 1 âge de soixante-quatre ans. Alors il se
retrancha le pain, et ne se permit plus par jour qu'une espèce
de potage, qui n'excédait jamais cinq onces. A quatre-vingts
ans, il se réduisit à quatre onces de nourriture; encore ne
mangeait-il jamais qu'au coucher du soleil, même les jours de
fêtes et en maladie. S. Jérôme fait à ce sujet de sages
observations sur la lâcheté des Chrétiens qui allèguent la
vieillesse pour se dispenser de faire pénitence. Quant à S.
Hilarion, il redoublait ses austérités, à mesure qu'il avançait
en âge, afin de se mieux préparer à la mort. D'ailleurs on
attribue principalement sa longue vie à son abstinence, à son
travail et à sa régularité.
Pour peu qu'on
connaisse la nature de l'homme, et les artifices du démon, on
conviendra facilement que le zèle de la perfection dut exposer
notre saint à de violentes tentations : mais il les surmonta
toutes avec le secours de la grâce. Quelquefois son âme était
.couverte de ténèbres épaisses, et son cœur ressentait tout ce
que les sécheresses ont de désolant. Alors, loin de se
décourager, il priait avec plus d'ardeur et de persévérance.
D'autres fois, son imagination était remplie de fantôme impurs,
ou de la vive représentation des vanités mondaines. L'oraison,
la vigilance, de sévères mortifications, un travail pénible le
délivraient de ces épreuves. Le démon avait beau prendre toutes
sortes de formes pour le troubler ou l'effrayer, ses efforts
étaient toujours inutiles. Le recueillement du saint n'en
souffrait aucune interruption ; il s'entretenait toujours avec
Dieu pendant le jour et une grande partie de la nuit. Quand
l'ennemi s'était retiré, Hilarion éprouvait une joie ineffable;
et dans les transports de la plus vive reconnaissance, il
s'écriait : Le Seigneur a précipité dans la mer les ennemis
avec leur cavalerie ; c'est en vain qu'ils ont mis leur
confiance dans leurs chevaux et leurs chariots, etc. ; il
apprenait de ses victoires à devenir encore plus humble et plus
vigilant.
Il y avait vingt
ans que S. Hilarion était dans son désert, lors qu'il opéra son
premier miracle. Une femme d'Eleuthéropolis, que son mari
maltraitait parce qu'elle était stérile, obtint par ses prières
la grâce de devenir mère dans l'année. Ce miracle fut suivi d'un
second. Elpidius, qui fut depuis préfet du prétoire, avait été,
avec Aristénète sa femme, visiter S. Antoine pour recevoir sa
bénédiction et ses instructions. Ils passèrent par Gaze à leur
retour. Leurs trois enfants tombèrent malades dans cette ville.
La fièvre fit de si rapides progrès, qu'ils furent bientôt à
toute extrémité, et que les médecins désespérèrent de leur vie.
Aristénète, accablée de douleur, alla trouver S. Hilarion, qui,
touché de ses larmes, se rendit à Gaze. Il invoqua le nom de
Jésus sur les trois malades. Il se fil en eux une violente
transpiration, et ils se sentirent tellement soulagés, qu'ils
furent en état de manger, de connaître leur mère, et de baiser
la main du saint abbé. Ce prodige augmenta de beaucoup la
réputation d'Hilarion. Il se faisait un grand concours de peuple
à son désert ; et plusieurs demandaient à vivre sous sa
conduite. Jusque là on n'avait point connu la vie monastique en
Syrie ni en Palestine ; ainsi S. Hilarion en fut l'instituteur
dans ces contrées, comme S. Antoine l'avait été en Egypte.
Continuons l'histoire de ses miracles.
Il délivra
plusieurs personnes du démon, entre autres Marasitas, jeune
homme d'une force extraordinaire, lequel était né aux environs
de Jérusalem, et Orion, l'un des plus riches habitants de la
ville d'Aile. Ce dernier, après sa guérison, pria son
bienfaiteur d'accepter quelques pressens, au moins pour les
pauvres. Mais Hilarion les refusa constamment, en lui disant de
les distribuer lui-même. Il rendit la vue à une femme de la
ville de Facidie, près de Rinocolure en Egypte, laquelle était
aveugle depuis dix ans.
Italique,
Chrétien de Majume, nourrissait des chevaux pour courir dans le
cirque contre un duumvir de Gaze, qui adorait
Marnas, la principale idole de la ville". Ayant appris que son
adversaire avait recours aux charmes pour remporter la victoire,
il pria le saint de faire échouer le projet du duumvir.
Hilarion, auquel on représenta que la religion était intéressée
dans cette circonstance, bénit les chevaux d’Italique, qui
parurent plutôt voler que courir dans le cirque, tandis que ceux
du duumvir paraissaient avoir des entraves aux pieds. A ce
spectacle, le peuple étonné s'écria que Marnas était vaincu par
le Christ, et il y en eut plusieurs qui se convertirent.
Un jeune homme
avait conçu une passion violente pour une vierge de Majume. Il
se servit d'enchantements pour l'obliger à satisfaire ses désirs
; et il mit sous le seuil de la porte de la maison qu'elle
habitait une plaque de cuivre chargée de figures et de
caractères magiques. Le démon s'empara de cette vierge, et ses
parents furent extrêmement affligés de voir que l'amour la
transportait jusqu'à la frénésie. On prétendait qu'on ne
pourrait la guérir qu'en ôtant le charme. Mais S. Hilarion ne
voulut point qu'on se servît de ce moyen; il dit qu'on pouvait
sans cela détruire la puissance du malin esprit, et qu'il
fallait se donner .le garde d'accréditer ses paroles qui sont
toujours pleines de mensonge. Il délivra la jeune vierge,
quoiqu'on eût laissé le charme sous le seuil de la porte.
Le démon s'était
aussi emparé d'un homme de Franconie, qui servait clans la
compagnie des gardes de l'empereur Constance, qu'on appelait
Candidati, à cause de leurs habits blancs. Il fit le
voyage de la Palestine, dans le dessein d'aller voir S.
Hilarion. Il était porteur de lettres du prince au gouverneur de
la province. Il se rendit de Gaze au désert du saint, qu'il
trouva en prières. Hilarion, qui comprit l'objet de son voyage,
commanda au démon de sortir au nom de Jésus-Christ, et le Franc
fut tout-à-coup délivré. Cet officier, agissant avec simplicité,
crut devoir offrir dix livres d'or au serviteur de Dieu, en
reconnaissance de la grâce qu'il avait obtenue par ses prières.
Mais le saint lui présenta un de ses pains d'orge, en lui disant
que quand on se contentait d'une semblable nourriture, on
méprisait l'or comme la boue.
Cependant il se
forma un grand nombre de monastères dans toute la Palestine. S.
Hilarion en faisait la visite à certains jours avant les
vendanges. Ce fut dans une de ces visites, qu'ayant vu les
Sarrasins assemblés à Eleuse en Idumée, pour adorer Vénus, il
demanda leur conversion à Dieu avec beaucoup de larmes. Il fut
reconnu par plusieurs personnes qu'il avait guéries ou délivrées
du démon. Elles s'approchèrent de lui, et lui demandèrent sa
bénédiction. Il les reçut avec bonté, et les conjura d'adorer
plutôt le vrai Dieu que les idoles de pierre. Ses paroles firent
tant d'impression, que la plupart se convertirent, et
l'obligèrent à leur tracer le plan d'une église. Le prêtre même,
qui était couronné de fleurs en l'honneur des idoles, se rangea
parmi les catéchumènes.
S. Hilarion apprit
par révélation, en Palestine, la mort de S. Antoine. 11 avait
alors soixante-cinq ans. Le grand nombre de Tysites qu'il
recevait depuis quelque temps lui était devenu insupportable. Il
ne cessait de regretter les douceurs et la paix dont il avait
joui dans l'obscurité. Enfin, il résolut de quitter le pays.
Comme le peuple assemblé ne voulait point consentir à son
départ, il dit qu'il ne prendrait aucune nourriture jusqu'à ce
qu'on lui laissât la liberté de s'en aller. On la lui accorda
à la fin, parce qu'il ne mangeait point depuis sept jours.
Il prit avec lui quarante moines accoutumés à ne manger qu'après
le coucher du soleil, et passa en Egypte. Il alla à Péluse, puis
à Babylone. Deux jours après son arrivé en cette dernière ville,
il se rendit à Aphrodite, ou il joignit le diacre Baisanes, qui
fournissait à ceux qui allaient visiter S. Antoine des
dromadaires pour porter l'eau dont ils avaient besoin dans le
désert.
Le saint abbé
avait envie de célébrer l'anniversaire de la mort de S. Antoine,
en passant la nuit à l'endroit où Dieu l'avait appelé à lui.
Après avoir marché trois jours dans un désert affreux, il
arriva, avec les moines qui l'accompagnaient, à la montagne qui
portait son nom. Il y trouva deux solitaires, Isaac et Péluse,
l'un et l'autre disciples de S. Antoine ; le premier avait
encore été son interprète. Cette montagne était un roc escarpé,
qui avait un mille de circuit. Il y avait au pied un ruisseau
ombragé d'un grand nombre de palmiers. Hilarion parcourut ce
lieu avec les disciples de S. Antoine. C'était là, lui disaient
ses guides, qu'Antoine priait et chantait les louanges du
Seigneur; là il travaillait; il se reposait en cet endroit
lorsqu'il était fatigué ; il a planté ces vignes et ces arbres ;
il cultivait cette pièce de terre de ses propres mains; il a
creusé lui-même ce bassin pour fournir de l'eau à son jardin, et
il lui en a coûté plusieurs années de travail. Hilarion se mit
sur le lit du saint, et le baisa par respect. Ce lit était dans
une cellule qui ne contenait que l'espace nécessaire à un homme
qui se couche pour se reposer. Sur le sommet de la montagne, où
l'on ne pouvait monter qu'avec beaucoup de peine, étaient deux
autres cellules toutes semblables. S. Antoine avait coutume de
s'y retirer
lorsqu'il voulait éviter les viskes et s'entretenir seul avec
Dieu. Elles étaient taillées dans le roc, et on y avait
seulement ajouté des portes. Lorsqu'on fut au jardin, Isaac dit
: «Voyez-vous ce petit » jardin planté d'arbres et d'herbes ? Il
y a trois ans qu'il vint un » troupeau d'ânes sauvages qui
allaient le détruire. Antoine arrêta » le premier de ces
animaux, et l'écarta avec son bâton, en lui » disant : Pourquoi
mangez-vous ce que vous n'avez point planté? » Depuis ce
temps-là les ânes sauvages ne vinrent plus que pour » boire, et
ne touchèrent jamais ni aux arbres ni aux herbes de » ce jardin.
»
S. Hilarion pria
qu'on lui fit voir le lieu où S. Antoine avait été enterré. Ses
guides le tirèrent à quartier ; mais on ne sait s'ils lui
accordèrent la satisfaction qu'il désirait; du moins ne lui
montrèrent-ils pas de tombeau. Ils lui dirent même que S.
Antoine avait expressément recommandé qu'on cachât le lieu où il
serait enterré, de peur que Pamphile, homme riche du pays,
n'emportât son corps, et ne bâtit une église pour l'y déposer.
Notre saint, après
avoir visité le désert de S. Antoine, revint à Aphrodite. Il se
retira ensuite avec deux de ses disciples dans une solitude du
voisinage, où il observa plus rigoureusement que jamais le
silence et l'abstinence. Il y avait trois ans qu'il n'avait
point plu dans le pays. Le peuple consterné, qui le regardait
comme un autre Antoine, vint implorer le secours de ses prières.
Touché de compassion, il leva les mains et les yeux au ciel, et
il tomba tout-à-coup une pluie abondante. La terre produisit une
grande quantité de serpens et d'autres bêtes venimeuses. Ceux
qui en furent piqués trouvèrent leur guérison dans l'huile que
le saint avait bénite.
Hilarion voyant les
honneurs qu'on lui rendait dans ce pays, s'avança du côté
d'Alexandrie, dans le dessein de gagner le désert d'Oasis. Mais
comme ce n'était point sa coutume de s'arrêter dans 'les grandes
villes, il resta dans un faubourg écarté, où il y avait
plusieurs moines. 11 en partit le soir même. Les moines firent
des efforts inutiles pour le retenir ; il leur dit qu'il était
nécessaire pour son intérêt qu'il se séparât d'eux. L'événement
prouva qu'il avait l'esprit de prophétie. En effet, il vint
pendant la nuit des gens armés qui avaient ordre de le mettre à
mort. Les habitants de Gaze avaient obtenu cet ordre de Julien
l'Apostat, pour venger l'outrage prétendu fait à leur dieu
Marnas. Ils étaient les auteurs du complot formé pour ôter la
vie au saint. Les soldats, trompés dans leur attente, dirent
qu'ils voyaient bien qu'il était magicien, et que c'était à
juste titre qu'on l'avait regardé comme tel dans la ville de
Gaze.
Le serviteur de
Dieu se fixa dans le désert d'Oasis, comme il se l'était
proposé. Mais il s'aperçut bientôt qu'il ne lui serait pas
possible d'y vivre inconnu. 11 résolut donc, au bout d'un an, de
se retirer dans quelque île écartée. Il prit le chemin de la
Libye, et s'embarqua pour la Sicile avec un de ses disciples. Le
vaisseau aborda au promontoire de cette île, appelé présentement
Capo di Passaro. Lorsqu'il fut débarqué, il offrit, pour
payer son passage et celui de son compagnon, un exemplaire de
l'Evangile qu'il avait autrefois copié de sa propre main. Mais
le maître du vaisseau, qui savait que les deux moines ne
possédaient autre chose que ce manuscrit et les habits dont ils
étaient couverts, ne voulut point accepter ce qui lui était
offert; il s'estima même heureux d'avoir pu rendre service à
deux hommes qui, dans le trajet, avaient délivré son fils
possédé du démon.
Hilarion, craignant
que quelque marchand de l'Orient ne le reconnût s'il restait
dans le voisinage de la mer, s'avança dans les terres à vingt
milles, et s'arrêta dans un lieu très-solitaire. Il y faisait
chaque jour un fagot avec les branches qu'il ramassait, et son
disciple allait le vendre dans quelque village. La petite somme
qu'il en retirait était employée à acheter un peu de pain. Le
disciple qu'il avait avec lui se nommait Zanan. Diverses
guérisons miraculeuses qu'il opéra trahirent encore son
humilité. On lui offrit en vain des pressens, il les refusait,
en disant qu'il devait donner gratuitement ce qu'il avait
gratuitement reçu. Hésychius, un de ses plus chers disciples, le
chercha longtemps dans l'Orient, et parcourut ensuite la Grèce,
espérant toujours qu'il le découvrirait à la fin. Quand il fut à
Méthone, aujourd'hui Modon, dans le Péloponnèse, il apprit qu'il
y avait en Sicile un prophète qui opérait des miracles. Il
s'embarqua pour cette île. Quand il y fut arrivé, il chercha le
serviteur de Dieu. Il vit avec plaisir que dans le premier
village où il commença ses informations, il n'y avait personne
qui ne le connût. Son désintéressement l'avait rendu aussi
célèbre que ses miracles. Il n'avait jamais été possible de lui
faire rien accepter en reconnaissance des faveurs obtenues par
ses prières. Cette grande réputation qu'il s'était acquise le
détermina encore à changer de demeure. Il voulait se retirer
dans un lieu où l'on n'entendît pas même la langue qu'il
parlait.
Hésychius le
conduisit à Epidaure en Dalmatie. C'est l'ancienne Raguse, dont
on voit encore les ruines près de la capitale de la république
de ce nom0.
Les miracles qu'il y opéra le firent encore reconnaître pour un
grand serviteur de Dieu. On lit dans S. Jérôme qu'il délivra le
pays d'un énorme serpent qui dévorait les hommes et les
bestiaux. Le même Père rapporte encore le trait suivant. Durant
le fameux tremblement de terre qui arriva en 365, sous le
premier consulat de Valentinien et de Valens, et dont il est
fait mention dans les historiens, tant ecclésiastiques que
profanes, la mer s'éleva si haut sur les côtes de Dalmatie,
qu'elle se répandit dans les terres, et que la ville d'Epidaure
fut menacée d'être engloutie ; les habitants de cette ville,
effrayés, conduisirent Hilarion sur le rivage, comme pour
l'opposer à la fureur des vagues. Le saint fit trois croix sur
le sable ; puis il étendit les bras vers la mer. Les flots, au
grand étonnement des spectateurs, s'arrêtèrent tout-à-coup ; et
s'élevant en forme de montagne, ils rentrèrent dans leur lit
ordinaire '.
Hilarion,
espérant toujours qu'il parviendrait à vivre inconnu, s'embarqua
pendant la nuit pour l'île de Chypre. Lorsqu'il y fut arrivé, il
se retira à deux milles de Paphos. Trois semaines s'étaient à
peine écoulées, que ceux qui étaient possédés du démon dans
toute l'île se mirent à crier que Hilarion, le serviteur de
Jésus-Christ, était venu dans leur pays. Le saint délivra les
possédés. Il chercha en même temps le moyen de s'échapper pour
aller dans quelque autre pays ; mais on l'observa si exactement,
qu'il ne put exécuter son projet. Deux ans s'étant passés de la
sorte, Hésychius lui persuada de se retirer dans un lieu
solitaire de l'île, qu'il lui indiqua. Il était situé à douze
milles de la mer, parmi des montagnes stériles et escarpées. Il
y avait cependant de l'eau et quelques arbres fruitiers.
Hilarion y resta cinq ans, et il continua d'être favorisé du don
des miracles. Il y retraça, autant que le peut un homme mortel,
la vie des bienheureux dans le ciel. Son détachement surtout
avait quelque chose d'admirable. Quoiqu'il eût demeuré longtemps
en Palestine, dit S. Jérôme, il n'alla cependant qu'une fois
visiter les lieux saints à Jérusalem, et il ne passa qu'un jour
dans cette ville. Il y alla une fois pour ne point paraître
mépriser une dévotion autorisée dans l'Eglise; mais il s'abstint
de réitérer cette visite, pour que son exemple ne fît pas croire
que le culte ' de Dieu est borné à certains lieux particuliers2.
Son principal motif était d'éviter les distractions que l'on
trouve dans les lieux fréquentés.
A l'âge de
quatre-vingts ans, il écrivit de sa propre main son
testament, dans lequel il léguait à Hésychius, qui était pour
lors absent, son livre des Evangiles, son ciliée et son manteau.
Plusieurs personnes pieuses de Paphos vinrent le visiter dans sa
dernière maladie. Il leur fit promettre qu'aussitôt qu'il serait
expiré, on enterrerait son corps avec les vêtements dont il se
trouverait revêtu. Son mal allant toujours en augmentant, on ne
s'apercevait qu'il vivait encore, que parce qu'il conservait une
connaissance entière. Il était vivement frappé de la crainte des
jugements célestes; mais cette crainte était balancée par une
grande confiance en la miséricorde de Jésus-Christ. Il parlait
ainsi à son âme : « Pour» quoi trembles-tu ? Il y a près de
soixante-dix ans que tu sers le » Seigneur,"peux-tu encore
redouter la mort?» A peine avait-il achevé ces paroles, qu'il
rendit l'esprit. On l'enterra de la manière qu'il l'avait
recommandé. Il mourut en 3yi ou 3^2, à l'âge d'environ
quatre-vingts ans, puisqu'il en avait soixante-cinq lorsque S.
Antoine mourut.
Hésychius, qui
était en Palestine, n'eut pas plus tôt appris la mort
d'Hilarion, qu'il partit pour l'île de Chypre. Il resta dix mois
dans la demeure du saint; après quoi il enleva secrètement son
corps, revint en Palestine, et enterra son bienheureux maître
dans son monastère, à peu de distance de Majume. S. Jérôme
assure qu'il s'opéra plusieurs miracles par son intercession,
tant en Palestine que dans l'île de Chypre. Nous apprenons de
Sozomène ', que sa fête se célébrait avec beaucoup de solennité
dans le cinquième siècle.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard. |