Hilarion de Palestine Thaumaturge

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Hilarion de Palestine
Thaumaturge, Saint
IV siècle

S. Hilarion naquit dans la petite ville de Tabathe, à cinq milles de Gaze, du côté, du midi. Ses parents étaient idolâtres. On l'envoya, étant encore fort jeune, à Alexandrie, pour y étudier la grammaire. La rapidité de ses progrès annonça l'excellence de son esprit; ce qui, joint à la bonté de son caractère, le fit extrêmement aimer de tous ceux qui vivaient avec lui. Ayant eu le bonheur de connaître la religion chrétienne, il reçut le baptême. Devenu tout-à-coup un homme nouveau, il renonça à tous les divertissements profanes, et ne se sentit plus de goût que pour les assemblées des fidèles.

Peu de temps après, il entendit parler de S. Antoine, dont le nom était célèbre en Egypte. Il conçut aussitôt le dessein de l'aller visiter dans son désert. Touché de ses exemples, il changea d'habit, et se mit à imiter son genre de vie, sa ferveur dans la prière, son humilité dans la réception des frères, sa persévérance dans les 'austérités, et ses autres vertus. Mais il ne tarda pas à s'ennuyer de ce concours de personnes de toute espèce qui venaient trouver S. Antoine, soit pour être guéries de leurs maladies, soit pour être délivrées du démon. Désirant vivre dans une entière solitude, il prit quelques moines avec lui, et retourna dans son pays. Il y arriva vers l'an 807. Comme la mort lui avait enlevé son père et sa mère, il donna une partie de ses biens à ses frères, et l'autre aux pauvres. Il ne se réserva rien dans le partage qu'il en fit. Ensuite il se retira dans un désert qui était à sept milles de Majume, et situé entre la mer d'un côté et des marais de l'autre. On lui représenta inutilement que ce lieu était infesté de voleurs; toute sa réponse fut qu'il ne craignait que la mort éternelle. Tout le monde admira sa ferveur et sa manière de vivre extraordinaire. Dans les commencements de sa retraite, des brigands cachés dans son désert lui demandèrent ce qu'il ferait s'il était attaqué par des voleurs «t des assassins? « Un homme pauvre et nu, répondit-il, » ne craint point les voleurs. — Mais, reprirent-ils, ils pourraient » vous ôter la vie. — Cela est vrai, répliqua le saint; et c'est même » pour cette raison que je ne les crains point, parce que je tâche » d'être toujours prêt à mourir. » On était autant édifié que surpris de voir une telle ferveur et un tel courage dans un jeune homme de quinze ans. Sa santé était si faible et si délicate, que le moindre excès de froid ou de chaud faisait sur lui la plus vive impression. Il n'avait cependant d'autre vêtement qu'un sac, une tunique de peau que lui avait donnée S. Antoine, et un manteau fort court. Vivant dans la solitude, il s'assujettit à des mortifications que les égards dus au prochain ne lui auraient pas permis de pratiquer dans le monde. Il ne se coupait les cheveux qu'une fois par an, vers la fête de Pâque ; il ne quittait sa tunique que quand elle était usée, et jamais il ne lavait le sac dont il était revêtu, disant à ce sujet que ce n'était pas la peine de chercher la propreté dans un ci lice.

Dès qu'il eut une fois embrassé la pénitence, il s'interdit l'usage du pain. Pendant six ans, il n'eut chaque jour pour toute nourriture que quinze figues, qu'il ne mangeait qu'au coucher du soleil. Lorsqu'il éprouvait quelque tentation de la chair, il entrait dans une sainte colère contre lui-même ; il se frappait rudement la poitrine, et disait à son corps, qu'il traitait comme un animal : « Je t'empêcherai bien de regimber; je te nourrirai de paille au » lieu de grain; je te chargerai et te fatiguerai tellement, que Vu » ne chercheras plus qu'à manger, sans songer au plaisir. » II se retranchait alors une partie de sa nourriture ordinaire ; quelquefois même il était trois ou quatre jours sans manger ; et quand il sentait son corps tomber en défaillance, il le soutenait avec quelques figues sèches et un peu de jus d'herbes. Pour rendre sa pénitence encore plus austère, il travaillait rudement en priant et en chantant les louanges de Dieu. Il creusait ou labourait la terre, ou bien, à l'exemple des moines d'Egypte, il faisait des corbeilles pour se procurer les choses qui lui étaient nécessaires. Lorsqu'il était épuisé de fatigues, il prenait son petit repas, et disait à son corps : « Si tu ne veux point travailler, tu ne mangeras « point; si tu manges présentement, ce n'est que pour te mettre » en état de travailler de nouveau.»

Il savait par cœur une grande partie de l'Ecriture sainte, et il en récitait quelques passages après ses prières ordinaires. Il priait avec beaucoup d'attention et de respect; on eût cru qu'il voyait de ses yeux le Seigneur avec lequel il s'entretenait. Durant les quatre premières années de sa retraite, il n'eut, pour se mettre à l'abri des intempéries de l'air, qu'une petite hutte faite de joncs et de roseaux entrelacés ensemble ; il se construisit depuis une cellule, qu'on voyait encore du temps de S. Jérôme. Elle n'avait que quatre pieds de large, sur cinq de haut; elle était cependant un peu plus longue que son corps, et il pouvait s'y coucher. Mais, dans la réalité, c'était plutôt un tombeau que la demeure d'un homme vivant. S'il apporta quelque changement dans sa nourriture, ce ne fut jamais que pour se mortifier encore davantage. A

I âge de vingt-un ans, il se condamna à ne manger par jour qu'une poignée d'herbes trempées dans de l'eau froide. Les trois années suivantes, du pain desséché avec du sel et de l'eau firent toute sa nourriture. Depuis vingt-sept ans jusqu'à trente-un, il ne mangea que des herbes sauvages et des racines crues; depuis trente-un jusqu'à trente-cinq, il ne prit par jour que six onces de pain d'orge, auxquelles il ajoutait un peu de légumes à moitié cuits et sans assaisonnement. Mais s'apercevant que sa vue baissait, qu'il éprouvait des démangeaisons inquiétantes, et que son corps se couvrait de pustules rouges, il ajouta un peu d'huile à ses légumes.

II vécut de la sorte jusqu'à 1 âge de soixante-quatre ans. Alors il se retrancha le pain, et ne se permit plus par jour qu'une espèce de potage, qui n'excédait jamais cinq onces. A quatre-vingts ans, il se réduisit à quatre onces de nourriture; encore ne mangeait-il jamais qu'au coucher du soleil, même les jours de fêtes et en maladie. S. Jérôme fait à ce sujet de sages observations sur la lâcheté des Chrétiens qui allèguent la vieillesse pour se dispenser de faire pénitence. Quant à S. Hilarion, il redoublait ses austérités, à mesure qu'il avançait en âge, afin de se mieux préparer à la mort. D'ailleurs on attribue principalement sa longue vie à son abstinence, à son travail et à sa régularité.

Pour peu qu'on connaisse la nature de l'homme, et les artifices du démon, on conviendra facilement que le zèle de la perfection dut exposer notre saint à de violentes tentations : mais il les surmonta toutes avec le secours de la grâce. Quelquefois son âme était .couverte de ténèbres épaisses, et son cœur ressentait tout ce que les sécheresses ont de désolant. Alors, loin de se décourager, il priait avec plus d'ardeur et de persévérance. D'autres fois, son imagination était remplie de fantôme impurs, ou de la vive représentation des vanités mondaines. L'oraison, la vigilance, de sévères mortifications, un travail pénible le délivraient de ces épreuves. Le démon avait beau prendre toutes sortes de formes pour le troubler ou l'effrayer, ses efforts étaient toujours inutiles. Le recueillement du saint n'en souffrait aucune interruption ; il s'entretenait toujours avec Dieu pendant le jour et une grande partie de la nuit. Quand l'ennemi s'était retiré, Hilarion éprouvait une joie ineffable; et dans les transports de la plus vive reconnaissance, il s'écriait : Le Seigneur a précipité dans la mer les ennemis avec leur cavalerie ; c'est en vain qu'ils ont mis leur confiance dans leurs chevaux et leurs chariots, etc. ; il apprenait de ses victoires à devenir encore plus humble et plus vigilant.

Il y avait vingt ans que S. Hilarion était dans son désert, lors qu'il opéra son premier miracle. Une femme d'Eleuthéropolis, que son mari maltraitait parce qu'elle était stérile, obtint par ses prières la grâce de devenir mère dans l'année. Ce miracle fut suivi d'un second. Elpidius, qui fut depuis préfet du prétoire, avait été, avec Aristénète sa femme, visiter S. Antoine pour recevoir sa bénédiction et ses instructions. Ils passèrent par Gaze à leur retour. Leurs trois enfants tombèrent malades dans cette ville. La fièvre fit de si rapides progrès, qu'ils furent bientôt à toute extrémité, et que les médecins désespérèrent de leur vie. Aristénète, accablée de douleur, alla trouver S. Hilarion, qui, touché de ses larmes, se rendit à Gaze. Il invoqua le nom de Jésus sur les trois malades. Il se fil en eux une violente transpiration, et ils se sentirent tellement soulagés, qu'ils furent en état de manger, de connaître leur mère, et de baiser la main du saint abbé. Ce prodige augmenta de beaucoup la réputation d'Hilarion. Il se faisait un grand concours de peuple à son désert ; et plusieurs demandaient à vivre sous sa conduite. Jusque là on n'avait point connu la vie monastique en Syrie ni en Palestine ; ainsi S. Hilarion en fut l'instituteur dans ces contrées, comme S. Antoine l'avait été en Egypte. Continuons l'histoire de ses miracles.

Il délivra plusieurs personnes du démon, entre autres Marasitas, jeune homme d'une force extraordinaire, lequel était né aux environs de Jérusalem, et Orion, l'un des plus riches habitants de la ville d'Aile. Ce dernier, après sa guérison, pria son bienfaiteur d'accepter quelques pressens, au moins pour les pauvres. Mais Hilarion les refusa constamment, en lui disant de les distribuer lui-même. Il rendit la vue à une femme de la ville de Facidie, près de Rinocolure en Egypte, laquelle était aveugle depuis dix ans.

Italique, Chrétien de Majume, nourrissait des chevaux pour courir dans le cirque contre un duumvir de Gaze, qui adorait Marnas, la principale idole de la ville". Ayant appris que son adversaire avait recours aux charmes pour remporter la victoire, il pria le saint de faire échouer le projet du duumvir. Hilarion, auquel on représenta que la religion était intéressée dans cette circonstance, bénit les chevaux d’Italique, qui parurent plutôt voler que courir dans le cirque, tandis que ceux du duumvir paraissaient avoir des entraves aux pieds. A ce spectacle, le peuple étonné s'écria que Marnas était vaincu par le Christ, et il y en eut plusieurs qui se convertirent.

Un jeune homme avait conçu une passion violente pour une vierge de Majume. Il se servit d'enchantements pour l'obliger à satisfaire ses désirs ; et il mit sous le seuil de la porte de la maison qu'elle habitait une plaque de cuivre chargée de figures et de caractères magiques. Le démon s'empara de cette vierge, et ses parents furent extrêmement affligés de voir que l'amour la transportait jusqu'à la frénésie. On prétendait qu'on ne pourrait la guérir qu'en ôtant le charme. Mais S. Hilarion ne voulut point qu'on se servît de ce moyen; il dit qu'on pouvait sans cela détruire la puissance du malin esprit, et qu'il fallait se donner .le garde d'accréditer ses paroles qui sont toujours pleines de mensonge. Il délivra la jeune vierge, quoiqu'on eût laissé le charme sous le seuil de la porte.

Le démon s'était aussi emparé d'un homme de Franconie, qui servait clans la compagnie des gardes de l'empereur Constance, qu'on appelait Candidati, à cause de leurs habits blancs. Il fit le voyage de la Palestine, dans le dessein d'aller voir S. Hilarion. Il était porteur de lettres du prince au gouverneur de la province. Il se rendit de Gaze au désert du saint, qu'il trouva en prières. Hilarion, qui comprit l'objet de son voyage, commanda au démon de sortir au nom de Jésus-Christ, et le Franc fut tout-à-coup délivré. Cet officier, agissant avec simplicité, crut devoir offrir dix livres d'or au serviteur de Dieu, en reconnaissance de la grâce qu'il avait obtenue par ses prières. Mais le saint lui présenta un de ses pains d'orge, en lui disant que quand on se contentait d'une semblable nourriture, on méprisait l'or comme la boue.

Cependant il se forma un grand nombre de monastères dans toute la Palestine. S. Hilarion en faisait la visite à certains jours avant les vendanges. Ce fut dans une de ces visites, qu'ayant vu les Sarrasins assemblés à Eleuse en Idumée, pour adorer Vénus, il demanda leur conversion à Dieu avec beaucoup de larmes. Il fut reconnu par plusieurs personnes qu'il avait guéries ou délivrées du démon. Elles s'approchèrent de lui, et lui demandèrent sa bénédiction. Il les reçut avec bonté, et les conjura d'adorer plutôt le vrai Dieu que les idoles de pierre. Ses paroles firent tant d'impression, que la plupart se convertirent, et l'obligèrent à leur tracer le plan d'une église. Le prêtre même, qui était couronné de fleurs en l'honneur des idoles, se rangea parmi les catéchumènes.

S. Hilarion apprit par révélation, en Palestine, la mort de S. Antoine. 11 avait alors soixante-cinq ans. Le grand nombre de Tysites qu'il recevait depuis quelque temps lui était devenu insupportable. Il ne cessait de regretter les douceurs et la paix dont il avait joui dans l'obscurité. Enfin, il résolut de quitter le pays. Comme le peuple assemblé ne voulait point consentir à son départ, il dit qu'il ne prendrait aucune nourriture jusqu'à ce qu'on lui laissât la liberté de s'en aller. On la lui accorda à la fin, parce qu'il ne mangeait point depuis sept jours. Il prit avec lui quarante moines accoutumés à ne manger qu'après le coucher du soleil, et passa en Egypte. Il alla à Péluse, puis à Babylone. Deux jours après son arrivé en cette dernière ville, il se rendit à Aphrodite, ou il joignit le diacre Baisanes, qui fournissait à ceux qui allaient visiter S. Antoine des dromadaires pour porter l'eau dont ils avaient besoin dans le désert.

Le saint abbé avait envie de célébrer l'anniversaire de la mort de S. Antoine, en passant la nuit à l'endroit où Dieu l'avait appelé à lui. Après avoir marché trois jours dans un désert affreux, il arriva, avec les moines qui l'accompagnaient, à la montagne qui portait son nom. Il y trouva deux solitaires, Isaac et Péluse, l'un et l'autre disciples de S. Antoine ; le premier avait encore été son interprète. Cette montagne était un roc escarpé, qui avait un mille de circuit. Il y avait au pied un ruisseau ombragé d'un grand nombre de palmiers. Hilarion parcourut ce lieu avec les disciples de S. Antoine. C'était là, lui disaient ses guides, qu'Antoine priait et chantait les louanges du Seigneur; là il travaillait; il se reposait en cet endroit lorsqu'il était fatigué ; il a planté ces vignes et ces arbres ; il cultivait cette pièce de terre de ses propres mains; il a creusé lui-même ce bassin pour fournir de l'eau à son jardin, et il lui en a coûté plusieurs années de travail. Hilarion se mit sur le lit du saint, et le baisa par respect. Ce lit était dans une cellule qui ne contenait que l'espace nécessaire à un homme qui se couche pour se reposer. Sur le sommet de la montagne, où l'on ne pouvait monter qu'avec beaucoup de peine, étaient deux autres cellules toutes semblables. S. Antoine avait coutume de s'y retirer lorsqu'il voulait éviter les viskes et s'entretenir seul avec Dieu. Elles étaient taillées dans le roc, et on y avait seulement ajouté des portes. Lorsqu'on fut au jardin, Isaac dit : «Voyez-vous ce petit » jardin planté d'arbres et d'herbes ? Il y a trois ans qu'il vint un » troupeau d'ânes sauvages qui allaient le détruire. Antoine arrêta » le premier de ces animaux, et l'écarta avec son bâton, en lui » disant : Pourquoi mangez-vous ce que vous n'avez point planté? » Depuis ce temps-là les ânes sauvages ne vinrent plus que pour » boire, et ne touchèrent jamais ni aux arbres ni aux herbes de » ce jardin. »

S. Hilarion pria qu'on lui fit voir le lieu où S. Antoine avait été enterré. Ses guides le tirèrent à quartier ; mais on ne sait s'ils lui accordèrent la satisfaction qu'il désirait; du moins ne lui montrèrent-ils pas de tombeau. Ils lui dirent même que S. Antoine avait expressément recommandé qu'on cachât le lieu où il serait enterré, de peur que Pamphile, homme riche du pays, n'emportât son corps, et ne bâtit une église pour l'y déposer.

Notre saint, après avoir visité le désert de S. Antoine, revint à Aphrodite. Il se retira ensuite avec deux de ses disciples dans une solitude du voisinage, où il observa plus rigoureusement que jamais le silence et l'abstinence. Il y avait trois ans qu'il n'avait point plu dans le pays. Le peuple consterné, qui le regardait comme un autre Antoine, vint implorer le secours de ses prières. Touché de compassion, il leva les mains et les yeux au ciel, et il tomba tout-à-coup une pluie abondante. La terre produisit une grande quantité de serpens et d'autres bêtes venimeuses. Ceux qui en furent piqués trouvèrent leur guérison dans l'huile que le saint avait bénite.

Hilarion voyant les honneurs qu'on lui rendait dans ce pays, s'avança du côté d'Alexandrie, dans le dessein de gagner le désert d'Oasis. Mais comme ce n'était point sa coutume de s'arrêter dans 'les grandes villes, il resta dans un faubourg écarté, où il y avait plusieurs moines. 11 en partit le soir même. Les moines firent des efforts inutiles pour le retenir ; il leur dit qu'il était nécessaire pour son intérêt qu'il se séparât d'eux. L'événement prouva qu'il avait l'esprit de prophétie. En effet, il vint pendant la nuit des gens armés qui avaient ordre de le mettre à mort. Les habitants de Gaze avaient obtenu cet ordre de Julien l'Apostat, pour venger l'outrage prétendu fait à leur dieu Marnas. Ils étaient les auteurs du complot formé pour ôter la vie au saint. Les soldats, trompés dans leur attente, dirent qu'ils voyaient bien qu'il était magicien, et que c'était à juste titre qu'on l'avait regardé comme tel dans la ville de Gaze.

Le serviteur de Dieu se fixa dans le désert d'Oasis, comme il se l'était proposé. Mais il s'aperçut bientôt qu'il ne lui serait pas possible d'y vivre inconnu. 11 résolut donc, au bout d'un an, de se retirer dans quelque île écartée. Il prit le chemin de la Libye, et s'embarqua pour la Sicile avec un de ses disciples. Le vaisseau aborda au promontoire de cette île, appelé présentement Capo di Passaro. Lorsqu'il fut débarqué, il offrit, pour payer son passage et celui de son compagnon, un exemplaire de l'Evangile qu'il avait autrefois copié de sa propre main. Mais le maître du vaisseau, qui savait que les deux moines ne possédaient autre chose que ce manuscrit et les habits dont ils étaient couverts, ne voulut point accepter ce qui lui était offert; il s'estima même heureux d'avoir pu rendre service à deux hommes qui, dans le trajet, avaient délivré son fils possédé du démon.

Hilarion, craignant que quelque marchand de l'Orient ne le reconnût s'il restait dans le voisinage de la mer, s'avança dans les terres à vingt milles, et s'arrêta dans un lieu très-solitaire. Il y faisait chaque jour un fagot avec les branches qu'il ramassait, et son disciple allait le vendre dans quelque village. La petite somme qu'il en retirait était employée à acheter un peu de pain. Le disciple qu'il avait avec lui se nommait Zanan. Diverses guérisons miraculeuses qu'il opéra trahirent encore son humilité. On lui offrit en vain des pressens, il les refusait, en disant qu'il devait donner gratuitement ce qu'il avait gratuitement reçu. Hésychius, un de ses plus chers disciples, le chercha longtemps dans l'Orient, et parcourut ensuite la Grèce, espérant toujours qu'il le découvrirait à la fin. Quand il fut à Méthone, aujourd'hui Modon, dans le Péloponnèse, il apprit qu'il y avait en Sicile un prophète qui opérait des miracles. Il s'embarqua pour cette île. Quand il y fut arrivé, il chercha le serviteur de Dieu. Il vit avec plaisir que dans le premier village où il commença ses informations, il n'y avait personne qui ne le connût. Son désintéressement l'avait rendu aussi célèbre que ses miracles. Il n'avait jamais été possible de lui faire rien accepter en reconnaissance des faveurs obtenues par ses prières. Cette grande réputation qu'il s'était acquise le détermina encore à changer de demeure. Il voulait se retirer dans un lieu où l'on n'entendît pas même la langue qu'il parlait.

Hésychius le conduisit à Epidaure en Dalmatie. C'est l'ancienne Raguse, dont on voit encore les ruines près de la capitale de la république de ce nom0. Les miracles qu'il y opéra le firent encore reconnaître pour un grand serviteur de Dieu. On lit dans S. Jérôme qu'il délivra le pays d'un énorme serpent qui dévorait les hommes et les bestiaux. Le même Père rapporte encore le trait suivant. Durant le fameux tremblement de terre qui arriva en 365, sous le premier consulat de Valentinien et de Valens, et dont il est fait mention dans les historiens, tant ecclésiastiques que profanes, la mer s'éleva si haut sur les côtes de Dalmatie, qu'elle se répandit dans les terres, et que la ville d'Epidaure fut menacée d'être engloutie ; les habitants de cette ville, effrayés, conduisirent Hilarion sur le rivage, comme pour l'opposer à la fureur des vagues. Le saint fit trois croix sur le sable ; puis il étendit les bras vers la mer. Les flots, au grand étonnement des spectateurs, s'arrêtèrent tout-à-coup ; et s'élevant en forme de montagne, ils rentrèrent dans leur lit ordinaire '.

Hilarion, espérant toujours qu'il parviendrait à vivre inconnu, s'embarqua pendant la nuit pour l'île de Chypre. Lorsqu'il y fut arrivé, il se retira à deux milles de Paphos. Trois semaines s'étaient à peine écoulées, que ceux qui étaient possédés du démon dans toute l'île se mirent à crier que Hilarion, le serviteur de Jésus-Christ, était venu dans leur pays. Le saint délivra les possédés. Il chercha en même temps le moyen de s'échapper pour aller dans quelque autre pays ; mais on l'observa si exactement, qu'il ne put exécuter son projet. Deux ans s'étant passés de la sorte, Hésychius lui persuada de se retirer dans un lieu solitaire de l'île, qu'il lui indiqua. Il était situé à douze milles de la mer, parmi des montagnes stériles et escarpées. Il y avait cependant de l'eau et quelques arbres fruitiers. Hilarion y resta cinq ans, et il continua d'être favorisé du don des miracles. Il y retraça, autant que le peut un homme mortel, la vie des bienheureux dans le ciel. Son détachement surtout avait quelque chose d'admirable. Quoiqu'il eût demeuré longtemps en Palestine, dit S. Jérôme, il n'alla cependant qu'une fois visiter les lieux saints à Jérusalem, et il ne passa qu'un jour dans cette ville. Il y alla une fois pour ne point paraître mépriser une dévotion autorisée dans l'Eglise; mais il s'abstint de réitérer cette visite, pour que son exemple ne fît pas croire que le culte ' de Dieu est borné à certains lieux particuliers2. Son principal motif était d'éviter les distractions que l'on trouve dans les lieux fréquentés.

A l'âge de quatre-vingts ans, il écrivit de sa propre main son testament, dans lequel il léguait à Hésychius, qui était pour lors absent, son livre des Evangiles, son ciliée et son manteau. Plusieurs personnes pieuses de Paphos vinrent le visiter dans sa dernière maladie. Il leur fit promettre qu'aussitôt qu'il serait expiré, on enterrerait son corps avec les vêtements dont il se trouverait revêtu. Son mal allant toujours en augmentant, on ne s'apercevait qu'il vivait encore, que parce qu'il conservait une connaissance entière. Il était vivement frappé de la crainte des jugements célestes; mais cette crainte était balancée par une grande confiance en la miséricorde de Jésus-Christ. Il parlait ainsi à son âme : « Pour» quoi trembles-tu ? Il y a près de soixante-dix ans que tu sers le » Seigneur,"peux-tu encore redouter la mort?» A peine avait-il achevé ces paroles, qu'il rendit l'esprit. On l'enterra de la manière qu'il l'avait recommandé. Il mourut en 3yi ou 3^2, à l'âge d'environ quatre-vingts ans, puisqu'il en avait soixante-cinq lorsque S. Antoine mourut.

Hésychius, qui était en Palestine, n'eut pas plus tôt appris la mort d'Hilarion, qu'il partit pour l'île de Chypre. Il resta dix mois dans la demeure du saint; après quoi il enleva secrètement son corps, revint en Palestine, et enterra son bienheureux maître dans son monastère, à peu de distance de Majume. S. Jérôme assure qu'il s'opéra plusieurs miracles par son intercession, tant en Palestine que dans l'île de Chypre. Nous apprenons de Sozomène ', que sa fête se célébrait avec beaucoup de solennité dans le cinquième siècle.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.

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