Il est le
premier missionnaire de la Congrégation du père Libermann, le Saint-Coeur de
Marie.
Il est parti en mission avant même d'avoir terminé son
noviciat.
Le père Laval est un personnage central de l'Île Maurice. Il
est encore aujourd'hui la personne qui réalise l'unité de l'île malgré la
diversité de cultures, de langues et de religions.
En 1979, il a été béatifié par le pape Jean-Paul II.
L'enfance et les études
Jacques Laval naquit à Croth, en
Normandie, le 18 septembre 1803. Son père était un fermier aisé, maire du
village. Il n'avait que sept ans quand sa mère mourut prématurément. A l'âge de
quatorze ans, il alla vivre chez un oncle qui était prêtre et qui préparait
quelques garçons à entrer au séminaire ou au collège, en leur donnant des leçons
particulières.
Après trois ans chez son oncle,
Jacques entra au séminaire-collège d'Evreux. Il ne s'y plut pas et ne réussit
guère dans ses études. Aussi voulut-il rentrer à la maison. Son père, mécontent,
l'assigna aux plus rudes travaux de la ferme, si bien que Jacques demanda à
reprendre ses études. Il partit pour Paris, entra au collège Stanislas, se mit
au travail avec application et, en 1825, il obtint son baccalauréat.
Médecin en Normandie
Il entreprit ensuite, à la
Sorbonne, des études de médecine. Au bout de cinq ans il fut reçu docteur, avec
une thèse sur le rhumatisme articulaire. De retour en Normandie, il ouvrit un
cabinet, d'abord à Saint-André, dans son pays natal, puis à Ivry-la-Bataille. Il
devint vite populaire. Charitable et peu exigeant pour ses honoraires, il était
aimé des pauvres. Il pouvait se contenter des revenus de l'héritage laissé par
ses parents (son père était mort en 1824).
À Paris, il était resté catholique
sincère et pratiquant, mais un changement se produisit en lui dans la petite
ville où il habitait désormais. Peu à peu il abandonna la pratique religieuse.
Élégant, recherchant le confort, et même le luxe, il était de toutes les
réunions mondaines. Bien que médiocre cavalier, il mettait sa vanité à monter
des chevaux fringants. Mais sa conscience n'était pas en paix: lui-même avoue:
«Je résistais à Dieu». Finalement, à l'automne 1834, il se convertit
radicalement, revint à la pratique religieuse, passant même de longues heures en
méditation.
Prêtre et curé de paroisse
La pensée de se faire prêtre,
qu'il avait eue dans son enfance, lui revint. En juin 1835, il entra au
séminaire Saint-Sulpice à Paris. Les Sulpiciens l'envoyèrent dans leur maison
d'Issy, pour y repasser sa philosophie et être prêt à aborder la théologie en
septembre. Bien qu'il ne fût pas facile de reprendre des études à trente-deux
ans et qu'il eût plusieurs fois la tentation de se retirer, il persévéra jusqu'à
la fin et fut ordonné prêtre en décembre 1838. Il exerça son ministère
sacerdotal pendant deux ans, à Pinterville, près de Louviers.
Vocation missionnaire
Au printemps 1840, il reçut la
visite de séminaristes de Saint-Sulpice qui lui apprirent que deux de ses
anciens amis de Paris, Le Vavasseur et Tisserant, songeaient à établir une
oeuvre spécialement destinée à l'apostolat parmi les esclaves noirs des
colonies. Jacques Laval confia alors à ses visiteurs qu'il souhaiterait faire
partie de l'oeuvre naissante et se consacrer lui aussi à l'Oeuvre des Noirs. Ses
propos étaient à la fois sincères et sans conséquence. Ses visiteurs, venus à
Pinterville sans mission, de retour à Saint-Sulpice, ne jugèrent pas utile d'en
parler.
À cette époque, le projet de
fondation d'une société de missionnaires pour la conversion des Noirs n'était
pas très avancé, mais le Père Libermann venait de recevoir les encouragements de
la Propagande.
À la mi-juin 1840 survint
l'événement qui allait tout déclencher: le passage à Paris de Mgr William
Collier, récemment nommé vicaire apostolique de l'île Maurice. Maurice est sous
domination anglaise, mais la langue de presque tous les catholiques de l'île est
le français. Mgr Collier se proposait d'emmener avec lui des prêtres anglais et
des prêtres français. Dans ses recherches, il prit contact avec le supérieur de
Saint-Sulpice qui le mit en relation avec Le Vavasseur. Celui-ci lui parla de la
mission de Libermann et de l'espérance de tous les amis de l'Oeuvre des Noirs de
voir celle-ci se transformer en une vraie congrégation: la Société du Saint-Cœur
de Marie.
Finalement, on jugea préférable
que Le Vavasseur se destine à son pays d'origine, Bourbon, et c'est Tisserant
qui fut désigné pour Maurice. Mgr Collier lui conseilla d'emmener avec lui un
compagnon. C'est alors qu'intervint l'un des visiteurs de Pinterville,
rapportant que M. Laval «avait témoigné que semblable ministère serait bien
conforme à l'attrait intérieur qu'il ressentait». Averti, Jacques Laval se
réjouit de la proposition qui lui était faite et le 17 novembre 1840, il arriva
à Saint-Sulpice, pour se préparer au départ par une retraite.
Le départ pour l'île Maurice
Après un certain nombre de
péripéties, son départ, de Londres, avec Mgr Collier, sur le Tanjora,
n'eut lieu que le 4 juin 1841. Il était accompagné de trois autres prêtres, un
Anglais, un Irlandais et un Savoyard. Finalement, M. Tiserrand restait en
France. Bien que Jacques Laval ne fût pas passé par le noviciat de la
Congrégation du Saint-Coeur de Marie (qui, en fait n'ouvrit ses portes qu'en
septembre 1841), il faut bien préciser qu'il en fut toujours considéré comme
membre: en fait foi le registre ouvert à La Neuville, en août 1842. D'ailleurs,
avant de partir, il avait abandonné ses biens à la jeune Société, par
l'intermédiaire de Le Vavasseur et c'est grâce à cette générosité que l'on put
subvenir, pendant plusieurs années aux besoins de l'oeuvre.
De Londres à Maurice, la route
maritime contournait l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Le lundi 13
septembre, vers 15 heures, après cent jours de traversée, le Tanjora parvint à
Port-Louis. Jacques Laval était à pied d'oeuvre pour commencer à l'île Maurice
un apostolat qui allait durer vingt-trois ans.
La situation à l'île Maurice
L'île Maurice, qui avait été l'île
de France de 1715 à 1810, était alors une colonie anglaise, mais la langue
française y était restée la plus couramment employée. Le gouvernement
britannique avait aussi pris l'engagement de respecter les arrêtés
concordataires de 1802, concernant l'Eglise catholique. Malgré cela, en 1831,
sur les neuf prêtres qui oeuvraient alors à Maurice, on comptait trois Anglais,
quatre Italiens et seulement deux Français.
L'Angleterre abolit l'esclavage
dans toutes ses colonies en 1835. A Maurice, 66 000 esclaves furent ainsi
émancipés, mais ils abandonnèrent massivement les plantations, symbole de leur
servitude. On fit alors appel à l'immigration indienne: 24 000 travailleurs
originaires de Madras, Bombay et Calcutta étaient déjà installés à Maurice,
quand, en 1839, le gouvernement indien fit cesser ce recrutement.
Au moment où Jacques Laval
s'installait à Port-Louis pour exercer son apostolat, la population y était
d'une grande diversité. Parmi ses premiers catéchumènes il y avait des Noirs,
anciens esclaves, originaires d'Afrique, mais aussi, des Malgaches, des
Mozambicains, des Indiens, des Malaisiens, des Commoriens.
Auprès des Blancs, les débuts du
P. Laval furent difficiles et souvent pénibles. Mais, passés de l'aversion à
l'estime, les sentiments des Blancs évolueront peu à peu vers la confiance et,
pour certains, vers une profonde vénération.
Des méthodes très concrètes
Renonçant au français, parlé par
la classe supérieure et par les autres prêtres dans leurs sermons, le P. Laval
se mit tout de suite à apprendre le créole, usité dans les masses populaires,
sans tenir compte de leurs origines ethniques. Au lieu d'aborder les jeunes, il
s'intéressa aux adultes. Il pensait que, sans une famille chrétienne, la
jeunesse ne lui donnerait qu'une adhésion fugitive.
Les débuts ne furent pas faciles.
L'évêque fit construire pour lui une maisonnette en bois, où Laval passa la plus
grande partie de son temps, enseignant à des individus ou à des petits groupes
les rudiments de la foi. Le soir, il accueillait des auditoires plus nombreux et
bientôt, jusqu'à deux cents personnes vinrent l'écouter. En 1844, il rassemblait
environ trois cents bons chrétiens et un grand nombre d'autres se préparaient à
la première communion ou au mariage.
Il connut alors une période
d'opposition. Il fut insulté et menacé et pendant quelque temps ses instructions
du soir durent avoir lieu sous la protection de deux policiers. Mais cela
n'empêcha pas le développement de ses oeuvres et il dut se chercher des
collaborateurs.
Catéchistes et communautés
Il donna alors sa confiance aux
Noirs eux-mêmes, bien que la plupart fussent illettrés. Son premier catéchiste
fut un jeune homme d'une vingtaine d'années, si infirme qu'il se déplaçait sur
les mains et les genoux. Assez vite des petites communautés s'organisèrent
partout autour des catéchistes. Elles construisaient chapelles ou lieux de
réunions, dont plusieurs par la suite devinrent des paroisses. Des femmes, qu'il
appelait ses conseilleuses, l'assistaient, non seulement pour le
catéchisme, mais surtout pour les visites des malades.
On a gardé le souvenir de certains
parmi les premiers collaborateurs du P. Laval. Le plus connu était Emilien
Pierre, qui catéchisa les pauvres pendant plus de vingt ans, «en tout lieu et à
toute heure du jour». On s'adressait volontiers à Jean-Marie Prosper,
charpentier, pour des missions de confiance. Jean-Marie Mézelle, ouvrier maçon,
servait chaque matin, à cinq heures la messe du P. Laval et celui-ci appréciait
sa simplicité, sa bonhomie et sa vie exemplaire. On n'a pas oublié non plus le
nom de Ma Céleste, dont le zèle s'exerçait surtout auprès des malades pour les
préparer à bien mourir.
Jacques Laval ne s'en tint pas à
l'instruction et à l'éducation religieuse. Il encouragea les convertis de ces
petites communautés à élaborer des programmes d'assistance. Il plaçait de
nouveau sa confiance dans la générosité et la compétence de ces anciens esclaves
sans instruction. Ceux-ci formèrent leurs propres Caisses de Charité,
dont ils choisirent assistants et trésoriers. Dans les réunions mensuelles,
ceux-ci déterminaient qui avait besoin d'être assisté et quelle contribution
chacun fournirait. Laval lui-même restait en dehors des collectes et de leur
répartition. Il se bornait à soumettre à toute la communauté un rapport mensuel
à la messe du dimanche.
L'administration du sacrement de
pénitence devint progressivement la principale occupation de Laval. Quatre ans
après son arrivée à Maurice, un mouvement de masse vers l'Eglise commença à se
produire.
Jacques Laval et ses confrères
Les mauvaises dispositions du
gouvernement anglais retardaient l'introduction de nouveaux missionnaires du
Saint-Coeur de Marie à Maurice et Laval dut attendre décembre 1846 pour recevoir
l'aide d'un premier confrère, le Père Prosper Lambert. Trois autres suivirent
bientôt : le Père François Thévaux, en octobre 1847, le Père François Thiersé,
en septembre 1848 et le Père Jean-Marie Baud, en janvier 1850.
Il n'est pas possible de rendre
compte en quelques lignes des activités de Jacques Laval et de ses confrères. En
voici cependant quelques aspects, selon divers témoignages.
À la fin de 1847, Laval, Lambert
et Thévaux passent de quatre à huit heures par jour au confessionnal et
entendent près de huit mille confessions par mois. Le Père Le Vavasseur, après
une visite à Maurice, écrit : «Je suis épouvanté à la vue d'un tel travail...
mais je me borne à les conjurer de prendre tous les moyens compatibles avec le
travail qu'ils ont, pour conserver leur santé».
En 1852, Laval écrit à Libermann :
«Nous avons eu à peu près trois mille communions, tant pour le Port que
Sainte-Croix et Petite Rivière, avec une quantité de nouveaux convertis,
Créoles, Malgaches, Mozambiques et quelques Indiens. Il nous faudrait de la
place dans l'église pour les mettre et nous n'en avons point. Le premier besoin
de ce pauvre pays, ce sont des églises. Le bien est arrêté net à cause de ça».
En même temps il fait part de son
étonnement de voir ses confrères métamorphosés en architectes : «Baud agrandit
une nouvelle fois la chapelle Sainte-Croix et dans le faubourg de Cassis il
entreprend de remplacer un ancien magasin qui servait d'oratoire, en une église
de mille deux cents places. A la Montagne Longue, Lambert reprend entièrement,
en plus solide et plus grand, la chapelle Notre-Dame de Délivrance. Dans le
quartier du Grand Port, Thiersé n'arrête pas. A peine a-t-il fini une chapelle
d'un côté qu'il en commence de l'autre».
Supérieur malgré lui
Pour ses confrères, dans le
ministère sacerdotal, Jacques Laval est un exemple et un entraîneur. Mais il
n'avait aucune idée de la vie communautaire : n'ayant pas fait de noviciat, il
n'était pas préparé à la pratiquer.
À la fin de l'année 1848, avait eu
lieu l'union entre la Congrégation du Saint-Esprit et celle du Saint-Cœur de
Marie, union qui comportait la «disparition» de cette dernière. Comme beaucoup
de ses confrères, Jacques Laval partageait sur ce point l'avis du Père Le
Vavasseur qui écrivait : «J'ai la plus grande peur, pour ne pas dire la
certitude que cette fusion soit une déplorable confusion».
Cette réaction s'expliquait par le
manque d'informations. Après les précisions données par Libermann dans des
lettres qui mettaient souvent longtemps à parvenir, le ton changea: «J'approuve
de tout mon coeur la fusion, disait le même Le Vavasseur. Je puis vous assurer
de l'adhésion parfaite de tous nos confrères de Bourbon et de Maurice».
Nommé supérieur de sa communauté,
le Père Laval n'avait accepté cette charge qu'avec réticence et il n'y fut
jamais à l'aise. «Le Père Laval, disait un de ses confrères, n'est guère fait
pour être membre d'une communauté et surtout pour en être supérieur. Il n'aime
pas les règles, s'en soucie peu pour lui et pour les autres. Il n'a jamais fait
de noviciat et n'a pas vécu en communauté. Pourvu que le travail marche, c'est
tout ce qu'il lui faut». Tous n'étaient pas aussi sévères.
Laval reconnaît lui-même : «Le
défaut principal vient de moi qui occupe une place dont je suis incapable de
bien remplir les fonctions, vu que je n'en connais pas bien les devoirs, n'ayant
pas eu le bonheur de vivre en communauté. Quand on manque par les fondements,
c'est bien difficile de bâtir l'édifice». Est-ce un défaut si grave de n'être
pas bon supérieur, quand on le reconnaît avec tant d'humilité ?
Les dernières années
Quinze ans d'un labeur incessant,
en même temps que de sévères pratiques de pénitence, suffirent à épuiser les
forces du fragile missionnaire. En 1856, puis de nouveau en 1857, il eut une
attaque pendant qu'il écoutait les confessions. L'année suivante, nouvelle
attaque, en chaire cette fois, bientôt suivie de deux autres. Laval comprit que
son ministère actif touchait à sa fin. Dès lors, il ne put guère qu'offrir ses
prières et ses souffrances pour ses bien-aimés Mauriciens. Cependant, quand il
se sentait un peu mieux, il s'arrangeait pour donner, de temps en temps,
quelques instructions aux petits enfants et à quelques adultes.
Habituellement, on pouvait le
trouver dans un coin, près de l'autel, en communication silencieuse avec le
divin Maître à qui il avait consacré sa vie. La mort vint le prendre le 9
septembre 1864, en la fête de saint Pierre Claver, cet autre grand apôtre des
esclaves noirs.
Il n'y avait eu personne pour
l'accueillir à son arrivée à Maurice. Il y en eut 40 000 pour accompagner à sa
tombe leur Père bien-aimé. Le petit monument qu'on y érigea devint vite un
centre de pèlerinages fréquenté toute l'année. Toutes les catégories religieuses
de l'île, hindous, musulmans, confucianistes et chrétiens ont leur jour de fête
en son honneur; mais le 9 septembre est la fête de tous.
Le 29 avril 1979, le pape
Jean-Paul Il a porté à son comble la joie des Mauriciens, en plaçant
officiellement sur les autels le Bienheureux Jacques Laval.
Jean Ernoult
http://www.spiritains.qc.ca/Historique/laval.htm |