Jean Baptiste (Giovanni Battista)
Scalabrini naît en 1839 au petit village de Fino Mornasco dans la province de
Côme en Lombardie (Italie). Son père est marchand de vin; c'est "un patriarche
plein de foi et
d'espérance". Il fait baptiser son fils le jour même de sa
naissance, troisième enfant d'une famille qui en comptera huit. A 23 ans, en
1863, il est ordonné prêtre. Il rêve d'être missionnaire et demande
l'autorisation de sa mère qui la lui donne. Mais son évêque lui dit: "Vos Indes
sont l'Italie". Il passe sept ans au petit séminaire de Côme, d'abord comme
professeur et sous-directeur. En 1867, il se distingue par sa charité en
soignant des malades atteints du choléra et il reçoit la médaille du mérite
civil. Il termine comme directeur du petit séminaire.
De 1870 à 1875, il est curé de San
Bartolomeo (Saint Barthélemy) à Côme. Son activité est déjà impressionnante: Il
crée un Jardin d'enfants dont sa sœur Luisa est la directrice; il écrit un
"Petit Catéchisme" selon la méthode de la "division en syllabes", une nouveauté
en ce temps-là; il monte un patronage pour les jeunes avec leur aide, s'occupe
des sourds-muets en utilisant une nouvelle méthode dite "phonique"; il fonde une
"Société de Secours Mutuel" pour lutter contre le chômage qui sévit dans la
région.
En 1872, il donne 11 conférence à
la Cathédrale de Côme sur le dogme de l'Infaillibilité pontificale récemment
promulgué et il reçoit les félicitations de Pie IX lequel, conseillé notamment
par don Bosco, le nomme évêque de Piacenza (Plaisance) en 1875. Il tente de se
récuser alléguant notamment son jeune âge (37 ans). Peine perdue. Pie IX lui
offre une crosse sur laquelle est écrit: "Charitatis potestas" (puissance de la
charité) et il commente: "Que cela soit la règle de votre gouvernement
spirituel": Le blason choisi par l'évêque représente l'échelle de Jacob et sa
devise, inspirée de la Genèse (28,12-13), rappelle discrètement son nom: "Vidi
Dominum innixum scala" (J'ai vu le Seigneur appuyé sur l'échelle).
Sa spiritualité
Devant l'activité pastorale de Mgr
Scalabrini, il y a de quoi être non seulement édifié mais "effrayé". Ce n'est
pas un activisme de surface. Sa force pour agir, il la puise dans une vie
spirituelle intense. Il répète souvent: "Si seulement je pouvais me sanctifier
et sanctifier toutes les âmes qui me sont confiées!" Il a une grande dévotion
eucharistique et passe de longs moments devant le Saint-Sacrement (son 3e
synode (1899), le plus marquant, sera consacré à l'Eucharistie).La Croix est le
centre de sa vie spirituelle. Il a aussi une grande dévotion pour la Sainte
Vierge Marie. Enfin cet homme, pourtant plein d'initiatives hardies, n'a
d'autres "ambition" que d'aimer le Pape, de lui obéir et "de gagner autant
d'âmes que possible" à cet amour et à cette obéissance.
Les constats de
l'Evêque
Pour la population, relativement
nombreuse de son diocèse, il n'y a pas assez de travail. Beaucoup travaillent la
soie à domicile, mais ils sont guettés par le chômage. Beaucoup d'autres sont
des migrants saisonniers qui chaque année se rendent dans les provinces du
Piémont et de la Lombardie pour le nettoyage du riz. D'autres enfin émigrent à
l'étranger. Dans son diocèse, d'après ses propres constations, il relève 11%
d'émigration. La vie religieuse n'est guère brillante: chez les fidèles il y a
une grande ignorance et les prêtres sont insuffisamment formés et pas assez
proches des gens. Le prêtre doit "sortir du Temple" leur dit-il. Il doit être
aussi un "homme social".
Lui-même se rend proche de son
diocèse en faisant cinq visites pastorales. Pendant l'hiver, il visite les
régions plus facilement accessibles, et l'été, il se rend dans les villages de
montagne dont certains n'ont pas reçu la visite de l'évêque depuis 300 ans.
Quand il arrive, il confesse, rend visite aux malades, consacre les églises (il
en a consacré 200), régularise les mariages et apaise de vieilles querelles.
Son action
Ayant vu la situation de son
diocèse, il peut fixer ses priorités: les prêtres et la promotion de laïcs
chrétiens.
Les prêtres: La formation des
séminaristes est insuffisante. Il fait une sélection, ramenant leur nombre de
184 à 40. Il soutient matériellement les séminaristes pauvres et améliore les
études. Il va même jusqu'à doter le séminaire d'un laboratoire de physique et il
l'enrichit d'un musée de sciences naturelles. Pour les prêtres, il réintroduit
la retraite annuelle et rétablit les conférences de prêtres où l'on discute des
problèmes moraux. Il reprend les Synodes diocésains qu'on ne tenait pas depuis
plus de 300 ans. Le premier a pour thème la réforme du diocèse, le 2e,
le catéchisme et la prédication, le 3e, l'eucharistie.
Promotion des laïcs: Il est
persuadé que la meilleure arme pour combattre la déchristianisation croissante
est le catéchisme. Aussi y en a-t-il pour tous les âges: depuis le "petit
catéchisme" des enfants, jusqu'aux adultes (rôle des parents). Il fonde une
revue, "le catéchisme catholique" qui devient nationale en 1889. Le bon vieux
Pape Pie IX exulte: "Aujourd'hui on se préoccupe trop du 2e étage des
maisons, mais trop peu du 1er qui est aussi fondamental. Le
catéchisme est précisément le fondement par où toute prédication et toute œuvre
pastorale devrait commencer. Avec de bons catéchistes, on sauve la société." Et,
offrant à Mgr Scalabrini une croix pectorale, il le désigne comme "l'apôtre du
catéchisme" (1877). Plus tard, l'évêque publie un ouvrage "Le catéchisme
catholique. Considérations", l'un des premiers traités sur la catéchèse. Léon
XIII le remercie par une lettre personnelle et dans une audience, il définit
Plaisance comme "la ville du catéchisme". L'évêque tient à Plaisance le premier
"Congrès catéchistique national" qui est sans doute le premier au monde. Parmi
les nombreux cardinaux et évêques présents figure Mgr Giuseppe Sarto, le futur
Pie X .
Il veille aussi à la prédication:
beaucoup, à la cathédrale ou lors de ses visites, ont entendu sa voix chaude et
attrayante. Soucieux de former et d'informer par tous les moyens, il publie 60
lettres pastorales et des brochures sur des sujets ecclésiaux et sociaux. Il
fonde un journal "l'ami du peuple" qui paraît deux fois par semaine et devient
quotidien en 1896.
Il vole au secours de toute misère.
Lors de la terrible famine qui frappe la province de Plaisance durant l'hiver
1879-80, il crée 5 'comités': farine, bois, rachat des gages, et "familles dans
la honte" (nobles désargentés). Pour faire face aux frais que cela entraîne, il
vend carrosse et chevaux, et même la croix et le précieux calice donnés par Pie
IX. Ses adversaires eux-mêmes, en cette période d'anti-cléricalisme, s'inclinent
devant sa charité.
Les Etats du Vatican ont été
annexés par la jeune Italie et la règle pour les catholiques est le "non expedit":
il ne "convient" pas de participer à la vie politique. Mgr Scalabrini voit plus
loin et pense qu'un tout petit Etat suffirait à assurer l'indépendance
spirituelle du Saint Siège et que les catholiques ont intérêt à collaborer dans
le gouvernement pour éviter que des lois mauvaises ne soient adoptées. Il écrit
plusieurs fois à Rome en ce sens, mais l'heure n'est pas encore à la
"Conciliation" et Mgr Scalabrini respecte l'attitude adoptée par le Saint Siège.
Il faudra attendre Pie X pour que les catholiques aient le droit d'aller aux
urnes (1904). Joie alors de notre évêque! Ajoutons qu'en ce domaine comme dans
les autres, il a son franc-parler et cela lui crée des ennuis. Quant à lui il
est toujours prêt à pardonner.
Le père des
migrants
Mais le grand problème que Mgr
Scalabrini prend à bras le corps est celui de l'émigration. Les trente années de
son épiscopat coïncident avec la plus forte émigration italienne: 8 millions! Le
pays est encore peu industrialisé et la terre, cultivée selon les méthodes
traditionnelles, ne suffit pas à nourrir tout son monde. En général, ce sont les
plus pauvres qui partent. Pour comble de malheur, ils sont exploités par une
nuée d'agents sans scrupules qui s'offrent pour organiser le voyage et que Mgr
Scalabrini stigmatise comme des "maquignons de chair humaine". Il parle aussi de
"traite des blancs". La plupart des émigrés sont analphabètes. Mgr Scalabrini
reçoit de plein fouet le choc de ce spectacle de misère qui lui fait monter le
rouge au front en tant qu'Italien et chrétien. Il constate que beaucoup y
perdent leur foi en même temps que leur langue et leur culture. C'est pourquoi
il veut que dans leur pays d'accueil, les émigrés conservent leur langue et il
décide de leur apprendre à lire et de leur donner les rudiments de
l'instruction. Il fonde en 1887 la "Congrégation des Missionnaires de Saint
Charles" (branche masculine). C'est encore lui qui, en 1889, persuade sainte
Françoise Cabrini d'envoyer ses religieuses parmi les Italiens des Etats-Unis,
laquelle sera déclarée "Patronne des émigrants" par Pie XI. Il fonde la Société
saint Raphaël qui emploie de nombreux laïcs pour assurer aux migrants
fraîchement débarqués une assistance religieuse, sanitaire et culturelle. En
1895, il fonde la "Congrégation des Sœurs Missionnaires de Saint Charles". Il
fait des conférences dans toute l'Italie pour éveiller les esprits à ce
problème. Il insiste aussi sur l'aspect positif de l'émigration: rapprochement
des peuples et "fusion" sans confusion. En 1901, il fait une visite aux
Etats-Unis. Il rencontre le président Théodore Roosevelt. Au retour, c'est la 5e
visite pastorale de son diocèse. En 1904, malgré son âge (62 ans) et son état
maladif, il entreprend, sur le conseil de Pie X, un voyage au Brésil, voyage
fatigant mais triomphal (40 000 confirmations). Le Pape, qui l'avait embrassé au
départ, lui envoie une médaille d'or à son retour et lui demande de venir lui
raconter son voyage, mais le pauvre évêque n'en peut plus et il doit rester sur
place. Néanmoins il annonce une 6e visite pastorale et il écrit au
cardinal Merry del Val (secrétaire d'Etat de Pie X) un célèbre mémoire dans
lequel il demande au Saint-Siège d'instituer une "Commission centrale pour tous
les émigrés catholiques" (…vœu qui ne sera réalisé qu'en 1970 avec la création
par Paul VI de la "Commission pontificale pour la pastorale des Migrants et du
Tourisme").
Atteint depuis longtemps d'un mal
contracté lors d'une visite pastorale, il doit subir une intervention
chirurgicale. Il passe la nuit qui précède en prière. Après l'opération la santé
ne revient pas. Il sent la mort approcher et demande l'Extrême Onction. Dans le
délire de l'agonie, il répète: "Et mes prêtre? Où sont-ils mes prêtres?
Laissez-les entrer." Le jour de sa mort, ou plutôt de sa naissance au ciel est
celui de la Fête de l'Ascension: 1er juin 1905. On l'enterre dans la
cathédrale romane de Plaisance qu'il avait fait restaurer.
Son procès de béatification nous
vaudra le témoignage d'un dernier pape. En effet, le 9 juillet 1955, le
patriarche de Venise Mgr Roncalli, le futur Jean XXIII écrit à Pie XII: "Saint
Père, j'ai eu la chance de voir de mes yeux et d'écouter de mes oreilles la
parole de ce vénérable évêque. De ces très brèves rencontres et de la parole et
des jugements de mon évêque, je me fis de Mgr Scalabrini une haute et claire
idée: c'était un évêque très pieux, érudit, zélé et généreux dans le service de
Dieu et des âmes."
Peut-on parler de martyre pour Mgr
Scalabrini (béatifié en même temps qu'un autre évêque martyr, Mgr Vilmos Apor) ?
Pas au sens strict sans doute, mais comme l'écrit un missionnaire du Brésil:
"C'est l'opinion de tout le monde qu'il a lui-même contribué à ses douleurs par
les excès de ses voyages. S'il en est ainsi nous avons une raison de plus pour
saluer en Mgr Scalabrini l'apôtre et le martyr des émigrés italiens."
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