Jean,
né à Capistrano, dans l'Abruzze, était fils d'un gentilhomme
français qui avait suivi à Naples le duc d'Anjou, devenu roi de ce
pays. Après ses humanités, il fut envoyé à Pérouse pour y étudier le
droit canonique et civil. On le pourvut d'une place de judicature,
et un homme riche et noble, charmé de ses qualités éminentes, lui
donna sa fille en mariage. Tout lui souriait dans le monde, quand
tout à coup s'évanouirent ces flatteuses espérances.
Dans une guerre contre
le roi de Naples, la ville de Pérouse le soupçonna de prendre le
parti de ce prince; on le fit arrêter. Malgré son innocence et son
éloquence à se défendre, il fut jeté en prison. Sur ces entrefaites
sa femme étant morte, il résolut de ne plus servir que Dieu.
Il vendit tous ses
biens, paya sa rançon, distribua le reste aux pauvres, et se réfugia
chez les Franciscains, au monastère du Mont, près de Pérouse. Le
gardien, craignant que cette vocation ne fût l'effet d'un dépit
passager plutôt que d'un mouvement de la grâce, voulut l'éprouver.
Il lui ordonna de faire le tour de la ville de Pérouse dont il avait
été gouverneur, monté à rebours sur un âne, couvert d'un mauvais
habit et la tête coiffée d'un bonnet de carton où étaient écrits
divers péchés. Après une telle épreuve, les humiliations du noviciat
ne lui coûtèrent plus.
On lui donna pour
maître un simple frère convers, à la direction duquel Jean se soumit
avec la simplicité d'un enfant. Il fut traité par lui avec dureté:
"Je rends grâces au Seigneur, disait-il plus tard, de m'avoir donné
un tel guide; s'il n'eût usé envers moi de pareilles rigueurs,
jamais je n'aurais pu acquérir l'humilité et la patience."
Jean fut renvoyé par
deux fois du noviciat comme incapable de remplir jamais aucun emploi
dans la religion. Il resta jour et nuit à la porte du couvent,
souffrant avec joie l'indifférence des religieux, les railleries des
passants et les mépris des pauvres qui venaient demander l'aumône.
Une persévérance si héroïque désarma la sévérité des supérieurs et
dissipa leurs craintes. Jean, reçu de nouveau, fut enfin admis à la
profession.
Dès lors sa vie fut
admirable: il ne mangeait qu'une fois le jour, et, durant trente-six
ans coucha sur le plancher de sa cellule, dormant au plus trois
heures. Vêtu d'un habit cousu de pièces, il marchait les pieds nus,
sans socques ni sandales, et il macérait son corps par des
disciplines sanglantes et de rudes cilices. Mort à lui-même, il
vivait uniquement de Jésus sur la Croix. Embrasé d'amour pour Dieu,
il faisait de sa vie une oraison continuelle: le Crucifix, le
Tabernacle, l'image de Marie, le jetaient dans l'extase: "Dieu,
disait-il, m'a donné le nom de Jean, pour me faire le fils de Marie
et l'ami de Jésus."
Ordonné prêtre, Jean
fut appliqué au ministère de la parole. Souvent les larmes et les
sanglots de ses auditeurs interrompaient ses prédications, ses
paroles produisaient partout des conversions nombreuses. Une secte
monstrueuse de prétendus moines, les Fraticelli, dont les erreurs et
les moeurs scandalisaient l'Église, fut anéantie par son zèle et sa
charité. Le Pape Eugène IV, frappé des prodigieux succès de ses
discours, l'envoya comme nonce en Sicile; puis le chargea de
travailler, au concile de Florence, à la réunion des Latins et des
Grecs. Enfin il le députa vers le roi de France, Charles VII.
Ami de saint Bernardin
de Sienne, il le défendit, devant la cour de Rome, contre les
calomnies que lui attirait son ardeur pour la réforme de son Ordre;
il l'aida grandement dans cette entreprise, et il alla lui-même
visiter les maisons établies en Orient.
Nicolas V l'envoya, en
qualité de commissaire apostolique, dans la Hongrie, l'Allemagne, la
Bohème et la Pologne. Toutes sortes de bénédictions accompagnèrent
ses pas: clergé, communautés religieuses, nobles et peuples,
participaient aux bénignes influences de sa charité. Il ramena au
bercail de l'Église un grand nombre de schismatiques et
d'hérétiques, et, à la vraie religion, une quantité prodigieuse de
Juifs et même de Musulmans.
À cette époque, Mahomet
II menaçait l'Occident d'une complète invasion, tenait Belgrade
assiégée, et, fier de ses victoires, se promettait d'arborer le
croissant dans l'enceinte même de Rome. Le Pape Calixte III chargea
saint Jean de Capistran de prêcher une croisade: à la voix puissante
de cet ami de Dieu, une armée de 40,000 hommes se leva; il la
disciplina pour les combats du Ciel; il lui trouva pour chef Huniade,
un héros, et il la conduisit à la victoire.
Étant à trois journées
de marche des Turcs, tandis qu'il célébrait la Messe en plein air
dans les grandes plaines du Danube, une flèche partie d'en haut
vint, pendant le Saint Sacrifice, se placer sur le corporal. Après
la Messe, le Saint lut ces mots écrits en lettres d'or sur le bois
de la flèche:
"Par le secours de Jésus, Jean de Capistran remportera la victoire."
Au fort de la mêlée, il tenait en main l'étendard de la Croix et
criait:
"Victoire, Jésus, victoire!" Belgrade fut sauvée. C'était en l'an
1456.
Trois mois après, saint
Jean de Capistran, ayant prononcé ces paroles du Nunc dimittis:
"C'est maintenant, Seigneur, que Vous laisserez mourir en paix Votre
serviteur," expira en disant une dernière fois: Jésus. Il avait
soixante-et-onze ans.
Frères des Écoles
Chrétiennes
Vie des Saints, p. 137-139 |