Jean de Damas

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JEAN de DAMAS
Confesseur, Docteur de l’Église, Saint
v 650- v 749

On n'a point oublié que les Grecs célèbrent au premier dimanche de Carême une de leurs plus grandes solennités : la fête de l'Orthodoxie. La nouvelle Rome, montrant bien qu'elle ne partageait aucunement l'indéfectibilité de l'ancienne, avait parcouru tout le cycle des hérésies concernant le dogme du Dieu fait chair. Après avoir rejeté successivement la consubstantialité du Verbe, l'unité de personne en l'Homme-Dieu, l'intégrité de sa double nature, il semblait qu'aucune négation n'eût échappé à la sagacité de ses empereurs et de ses patriarches. Un complément pourtant des erreurs passées manquait encore au trésor doctrinal de Byzance.

Il restait à proscrire ici-bas les images de ce Christ qu'on ne parvenait pas à diminuer sur son trône du ciel; en attendant qu'impuissante à l'atteindre même dans ces représentations figurées, l'hérésie laissât la place au schisme pour arriver à secouer du moins le joug de son Vicaire en terre : dernier reniement, qui achèvera de creuser pour Constantinople la tombe que le Croissant doit sceller un jour.

L'hérésie des Iconoclastes ou briseurs d'images marquant donc, sur le terrain de la foi au Fils de Dieu, la dernière évolution des erreurs orientales, il était juste que la fête destinée à rappeler le rétablissement de ces images saintes s'honorât, en effet, du glorieux nom de fête de l'Orthodoxie ; car en célébrant le dernier des coups portés au dogmatisme byzantin, elle rappelle tous ceux qu'il reçut dans les Conciles, depuis le premier de Nicée jusqu'au deuxième du même nom, septième œcuménique. Aussi était-ce une particularité de ladite solennité, qu'en présence de la croix et des images exaltées dans une pompe triomphale, l'empereur lui-même se tenant debout à son trône, on renouvelât à Sainte-Sophie tous les anathèmes formulés en divers temps contre les adversaires de la vérité révélée.

Satan, du reste, l'ennemi du Verbe, avait bien montré qu'après toutes ses défaites antérieures, il voyait dans la doctrine iconoclaste son dernier rempart. Il n'est pas d'hérésie qui ait multiplié à ce point en Orient les martyrs et les ruines. Pour la défendre, Néron et Dioclétien semblèrent revivre dans les césars baptisés Léon l'Isaurien, Constantin Copronyme, Léon l'Arménien, Michel le Bègue et son fils Théophile. Les édits de persécution, publiés pour protéger les idoles autrefois, reparurent pour en finir avec l'idolâtrie dont l'Eglise, disait-on, restait souillée.

Vainement, dès l'abord, saint Germain de Constantinople rappela-t-il au théologien couronné sorti des pâturages de l'Isaurie, que les chrétiens n'adorent pas les images, mais les honorent d'un culte relatif se rapportant à la personne des Saints qu'elles représentent. L'exil du patriarche fut la réponse du césar pontife. La soldatesque, chargée d'exécuter les volontés du prince, se rua au pillage des églises et des maisons des particuliers. De toutes parts, les statues vénérées tombèrent sous le marteau des démolisseurs. On recouvrit de chaux les fresques murales ; on lacéra, on mit en pièces les vêtements sacrés, les vases de l'autel, pour en faire disparaître les émaux historiés, les broderies imagées. Tandis que le bûcher des places publiques consumait les chefs-d'œuvre dans la contemplation desquels la piété des peuples s'était nourrie, l'artiste assez osé pour continuer de reproduire les traits du Seigneur, de Marie ou des Saints, passait lui-même par le feu et toutes les tortures, en compagnie des fidèles dont le crime était de ne pas retenir l'expression de leurs sentiments à la vue de telles destructions. Bientôt, hélas ! dans le bercail désolé, la terreur régna en maîtresse ; courbant la tête sous l'ouragan, les chefs du troupeau se prêtèrent à de lamentables compromissions.

C'est alors qu'on vit la noble lignée de saint Basile, moines et vierges consacrées, se levant tout entière, tenir tête aux tyrans. Au prix de l'exil, de l'horreur des cachots, de la mort par la faim, sous le fouet, dans les flots, de l'extermination par le glaive, ce fut elle qui sauva les traditions de l'art antique et la foi des aïeux. Vraiment apparut-elle, à cette heure de l'histoire, personnifiée dans ce saint moine et peintre du nom de Lazare qui, tenté par flatterie et menaces, puis torturé, mis aux fers, et enfin, récidiviste sublime, les mains brûlées par des lames ardentes, n'en continua pas moins, pour l'amour des Saints, pour ses frères et pour Dieu, d'exercer son art, et survécut aux persécuteurs.

Alors aussi s'affirma définitivement l'indépendance temporelle des Pontifes romains, lorsque l’Isaurien menaçant de venir jusque dans Rome briser la statue de saint Pierre, l'Italie s'arma pour interdire ses rivages aux barbares nouveaux, défendre les trésors de ses basiliques, et soustraire le Vicaire de l'Homme-Dieu au reste de suzeraineté que Byzance s'attribuait encore.

Glorieuse période de cent vingt années, comprenant la suite des grands Papes qui s'étend de saint Grégoire II à saint Paschal Ier, et dont les deux points extrêmes sont illustrés en Orient par les noms de Théodore Studite, préparant dans son indomptable fermeté le triomphe final, de Jean Damascène qui, au début, signifia l'orage. Jusqu'à nos temps, il était à regretter qu'une époque dont les souvenirs saints remplissent les fastes liturgiques des Grecs, ne fût représentée par aucune fête au calendrier des Eglises latines. Sous le règne du Souverain Pontife Léon XIII, cette lacune a été comblée ; depuis l'année 1892, Jean Damascène, l'ancien visir, le protégé de Marie, le moine à qui sa doctrine éminente valut le nom de fleuve d'or, rappelle au cycle de l'Occident l'héroïque lutte où l'Orient mérita magnifiquement de l'Eglise et du monde.

La notice liturgique consacrée à l'illustre Docteur est assez complète pour nous dispenser d'y rien ajouter. Mais il convient de conclure en donnant ici les traits principaux des définitions parles quelles, au VIII° siècle et plus tard au XVI°, l'Église vengea les saintes Images de la proscription à laquelle les avait condamnées l'enfer. « C'est légitimement, déclare le deuxième concile de Nicée, qu'on place dans les églises, en fresques, en tableaux, sur les vêtements, les vases sacrés, comme dans les maisons ou dans les rues, les images soit de couleur, soit de mosaïque ou d'autre matière convenable, représentant notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, notre très pure Dame la sainte Mère de Dieu, les Anges et tous les Saints; de telle sorte qu'il soit permis de faire fumer l'encens devant elles et de les entourer de lumières [1]. — Non, sans doute, reprennent contre les Protestants les Pères de Trente, qu'on doive croire qu'elles renferment une divinité ou une vertu propre, ou que l'on doive pincer sa confiance dans l'image même comme autrefois les païens dans leurs idoles; mais, l’honneur qui leur est rendu se référant au prototype[2], c'est le Christ à qui vont par elles nos adorations, ce sont les Saints que nous vénérons dans les traits qu'elles nous retracent d'eux[3]. »

« Jean, appelé Damascène du nom de sa ville natale, était de noble race. Il fut instruit dans les lettres humaines et divines, à Constantinople, par le moine Côme. Dans ce temps-là, l'empereur Léon l’Isaurien ayant déclaré une guerre impie aux saintes Images, Jean, sur l'exhortation du Pontife romain Grégoire III, mit tout son zèle à défendre dans ses discours et ses écrits la sainteté de  leur culte ; ce qui lui attira l'inimitié de l'empereur. Cette inimitié alla si loin que celui-ci, au moyen de lettres supposées, accusa Jean de trahison près du calife de Damas dont il était le conseiller et le ministre. Trop crédule à la calomnie, le calife, sans écouter les protestations de l'accusé, lui fit couper la main droite. Mais l'innocence devait être vengée; la Vierge très sainte prêta l'oreille à la prière fervente de son dévot client : par son secours, la main coupée se rejoignit au bras comme si elle n'en avait jamais été séparée. Ce miracle émut Jean de telle sorte, qu'il résolut d'accomplir un dessein formé dès longtemps dans son âme : le calife lui ayant quoique à regret permis de quitter son service, il distribua tous ses biens aux pauvres, affranchit ses esclaves, et, après avoir fait le pèlerinage des saints lieux de Palestine, se retira dans la compagnie de son maître Côme en la laure de saint Sabas près de Jérusalem, où on l’ordonna prêtre.

L'arène de la vie religieuse le vit donner aux moines d'admirables exemples de vertu, principalement d'humilité et d'obéissance. Il réclamait comme siens les plus vils emplois  du  monastère, et mettait tout son zèle à les accomplir. Envoyé vendre à Damas les corbeilles qu'il avait tressées, les insultes et les moqueries de la plèbe étaient pour lui comme un breuvage délicieux dans cette ville où jadis il avait joui des plus grands honneurs. Son obéissance ne le tenait pas seulement à la disposition du moindre signe des supérieurs ; mais, si durs, si insolites que fussent les ordres donnés, il ne se crut jamais permis d'en demander la raison. Dans cet exercice de toutes les vertus, son dévouement à défendre le dogme catholique du culte des saintes Images ne se démentit jamais. Aussi la haine de Constantin Copronyme, comme auparavant celle de Léon l'Isaurien, le poursuivit-elle de ses vexations; d'autant qu'il ne craignait pas de relever l'orgueilleuse prétention de ces empereurs s'estimant maîtres dans les choses de la foi, et s'y posant en juges suprêmes.

Combien, tant en prose qu'en vers, Jean composa d'ouvrages pour cette cause de la foi et pour nourrir la piété des peuples, c'est ce qu'on doit certes admirer, comme fit le second concile de Nicée qui l'honora des plus grandes louanges, comme l'atteste aussi ce nom de Chrysorrhoès qui lui fut donné pour signifier les flots d'or de ses discours. Ce ne fut pas seulement, en effet, contre les Iconoclastes qu'il défendit l'orthodoxie; mais presque tous les hérétiques eurent à subir ses coups, spécialement les Acéphales, les Monothélites, ceux qui prétendent que dans le Christ la divinité a souffert. Il vengea noblement les droits et la puissance de l'Eglise, affirma éloquemment la primauté du Prince des Apôtres, qu'il nomme maintes fois le soutien des églises, la pierre infrangible, le maître et le guide de l'univers. Or ses ouvrages sans exception ne brillent pas seulement par la doctrine et la science ; on y trouve le parfum d'une dévotion touchante, surtout lorsqu'il célèbre les louanges de la Mère de Dieu, pour laquelle excellaient son culte et son amour. Entre toutes ces gloires, la moindre pour Jean n'est pas d'avoir le premier ramené l'ensemble de la théologie à un ordre logique, et aplani la voie dans laquelle saint Thomas devait traiter de la science sacrée avec une si admirable méthode. Enfin, plein de  mérites et chargé d’années, consommé en sainteté, il se reposa dans la paix du Christ vers l'an sept cent cinquante quatre. Le Souverain Pontife Léon XIII a accordé à toute l'Eglise d'en célébrer l'Office et la Messe sous le titre de Docteur ».

Don Prosper Guéranger : L'année liturgique.


[1] Concil. Nic. Il, sess. VII.
[2] Cette formule, où se trouve exprimée la vraie base théologique du culte des images, est empruntée par le concile de Trente au second de Nicée, qui lui-même l'a tirée textuellement de saint Jean Damascène : De fide orthodoxa, IV, XVI.
[3] Concil. Trident., sess. XXV.

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