Jean de Ruysbroeck

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JEAN DE RUYSBROECK
religieux, auteur mystique, bienheureux
(1293-1381)

Maître spirituel dont les leçons inspireront la Devotio moderna , Ruysbroeck a donné ses lettres de noblesse à la littérature néerlandaise, et, avec L’Ornement des noces spirituelles , un des chefs-d’œuvre de la littérature mystique chrétienne. Il prolongeait la mystique rhénane, tout en adoptant, avec le vocabulaire essentialiste, un mode d’approche plus traditionnel que celui de Maître Eckart, de Tauler ou de Suso.

Le vicaire bruxellois

Né en 1293, au petit village de Ruysbroeck (ou Ruysbroeck), entre Bruxelles et Halle, qui devait fournir le nom par lequel on le désigne, Jan fut placé à onze ans auprès d’un oncle, chanoine de la collégiale Sainte-Gudule de Bruxelles. La thèse de l’illiteratus par laquelle ses premiers biographes ont voulu accréditer l’inspiration exclusivement surnaturelle de ses écrits se heurte au fait d’une vaste érudition théologique et patristique, d’une maîtrise du latin qui lui a permis de traduire ses sources en langue vulgaire, et d’un talent littéraire qui lui a fait choisir de rédiger en moyen néerlandais des ouvrages qui marquent une date dans la formation de la langue. En octobre 1327, on retrouve Ruysbroeck mentionné comme chapelain à Sainte-Gudule: l’ordination sacerdotale est intervenue.

La première partie de son activité littéraire date de cette période, la plus féconde, qui le voit déjà en possession de sa doctrine spirituelle exprimée en six ouvrages, parmi lesquels son chef-d’œuvre, Les Noces spirituelles. Ce livre commente une citation évangélique à laquelle il emprunte sa structure interne (Voici l’Époux qui vient, allez à sa rencontre ; Matthieu, XV, 6) : l’âme mène une vie morale, en s’efforçant par les œuvres et les vertus d’orner la demeure de son âme pour l’Époux qui vient. Cette recherche a ses dangers : celle d’orienter vers une perfection qui rejette dans l’ombre la personne de l’Époux. La survenue de l’expérience spirituelle par le toucher (het gherinen) intérieur et intériorisant de l’âme par Dieu (Voici l’Époux) écarte ce danger. C’est alors la vie intérieure (innig, deuxième stade qui se distingue de l’extroversion et de la dispersion de la vie active précédente par le recueillement et la simplification intérieure d’une vie menée au fond du cœur. Le gouvernement des puissances y est laissé à Dieu, qui oriente le cheminement intérieur (Allez à sa rencontre) vers des voies encore insoupçonnées de l’activité précédente. La troisième partie traite de la vie proprement contemplative. C’est par Les Noces spirituelles  que la doctrine ruysbroeckienne se répandra dans les pays germaniques.

Aussi structuré que cet ouvrage, Le Tabernacle spirituel apparaît moins novateur. Il montre à quel point la Devotio moderna, dont Ruysbroeck était un des initiateurs, est en fait pour une bonne part une dernière efflorescence de la dévotion médiévale. Le mystique brabançon reprend à la tradition spirituelle médiévale la technique des supports architecturaux d’origine biblique (le temple de Salomon, l’arche de Noé, l’arche d’alliance), pour en exposer la signification symbolique: ici, les étapes de l’ascension de l’âme. Plus accessible est La Pierre brillante, qui résume l’enseignement de Ruysbroeck. Parmi les fidèles, on peut distinguer, en fonction de leur intimité avec Dieu et de leur plus ou moins grande intériorisation, les mercenaires, qui servent Dieu pour une récompense qu’ils se représentent autre que lui-même; les serviteurs fidèles, qui se dispensent, au titre de leur fidélité même, d’un contact intime avec Dieu qui les amènerait à quelque chose de plus grand que le service extérieur et sécurisant auquel ils veulent se borner. Les « amis intimes » et les « fils cachés », enfin, répondent aux avances mystiques. Cet essai de sociologie spirituelle classe ainsi le mystique dans la communauté. Surtout paraît là un thème important de la doctrine, celui de l’« homme commun » et de la « vie commune » (ghemeyne leven). L’homme commun est proprement le mystique, celui qui non seulement a reçu la grâce de la contemplation, mais qui partage le don reçu : la vie commune (ou vie de communion) assume et dépasse dans une synthèse existentielle les deux catégories primordiales de vie contemplative et de vie active.

Le prieur de Groenendaal

Il avait déjà été prieur pour les quelques compagnons qui, d’abord groupés autour de Ruysbroeck, en la maison de son oncle, l’accompagnèrent pour une retraite mieux protégée, Groenendaal dans la forêt de Soignes, mise à leur disposition par le duc Jean III de Braband en 1343. La communauté qu’il entendait former ne devait aucunement être un cloître: sans règle ni supérieur, avec très peu d’observances, elle devait permettre la réalisation d’une vocation intérieure à cette vie commune telle qu’elle était décrite dans La Pierre brillante. Cependant, la communauté, d’abord informelle, évolua vers la vie canoniale augustinienne, embrassée le 10 mars 1350.

La production littéraire de Ruysbroeck pendant cette période reflète l’activité d’un conseiller spirituel attentif, discret et retiré : ses ouvrages, surtout des opuscules, sont souvent de nature explicative.

Une mystique essentialiste

On aura pu voir quelques-uns des thèmes de la mystique ruysbroeckienne. Or ceux-là se groupent autour d’une mystique « essentialiste » et sur la nature de laquelle les erreurs d’interprétation sont aisées.

L’union de l’homme à Dieu se réalise au niveau de l’essence comme de l’activité divine. Au niveau de l’essence, l’âme est image de Dieu, ou, plutôt, elle a son image en Dieu, laquelle est alors sa cause exemplaire et finale, et cette union est sans intermédiaire. Si elle se réalise au niveau de l’activité entre Dieu agissant en l’âme et l’activité de l’âme, elle connaît des intermédiaires (la grâce, les vertus, les œuvres), et l’âme est alors ressemblance de Dieu. C’est proprement dans l’union essentielle, selon l’image et sans intermédiaire, que se réalise selon ce processus l’expérience mystique consommée: les puissances inférieures s’unifient dans l’unité du cœur, les puissances spirituelles dans l’unité de l’esprit; enfin, l’unité du cœur et l’unité de l’esprit s’unifient dans leur fond commun qui est l’essence de l’âme. L’essence est alors le point de contact entre Dieu et sa créature, et le lieu où celle-là reçoit de lui son être et peut en faire l’expérience. On parle, en ce cas, d’union essentielle pour qualifier simplement l’union d’amour et de connaissance entre l’âme et Dieu, et affirmer l’exclusion, dans cette union, de tout intermédiaire: l’âme est directement unie à Dieu. Directement, entendons: «au-delà des modes», c’est-à-dire de la façon dont un être se comporte et agit normalement en conformité avec son être de créature. Dans l’expérience mystique, ce comportement est dépassé et le mystique projeté au-delà de ses critères et références habituels. La contemplation, quand elle est radicalement dépouillée de tout intermédiaire, y compris ceux de l’entendement (niet weten  = non-savoir) et de l’amour agissant, est dite suressentielle. La suressence de l’homme est ce qui de lui préexiste dans l’essence divine, qui est son image, et à quoi il assimile son être de créature. L’essence n’est alors pas autre chose que la suressence en tant qu’elle est réalisée dans la créature. On voit que les termes d’union suressentielle ou d’union essentielle n’expriment nullement une fusion des essences divine et humaine (Ruysbroeck reprochera aux expressions de Maître Eckart d’y laisser croire), mais une rencontre de Dieu dans l’essence de l’âme. Elle n’est pas davantage une vision de l’essence divine.

L’emploi d’un tel vocabulaire, cependant, prêtait aux malentendus, malgré les précisions de Ruysbroeck. On s’explique qu’à un premier contact Gerson se soit inquiété et ait émis des réserves qui, largement répercutées jusqu’à Bossuet, pèseront sur la réputation du mystique néerlandais [1].

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[1] © 1997 Encyclopædia Universalis France S.A. Tous droits de propriété intellectuelle et industrielle réservés.

VOIR : http://nouvl.evangelisation.free.fr/ruysbroeck_table_pl.htm

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