Jean Ogilvie

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Jean Ogilvie
Prêtre jésuite, Martyr, Saint
† 1615

LA CAPTIVITE ET LE MARTYRE DE JEAN OGILVIE,
JÉSUITE, A GLASCOW, LE 10 MARS 1615.

Jean Ogilvie était issu des comtes d'Angus. Au XVIe siècle, le chef de la famille, lord Ogilvie, est rangé parmi les barons catholiques du Nord, avec cette mention, « puissant et belliqueux », magnarum virium et bellicosum. Jean Ogilvie naquit à Drum en 1580, d'un prêtre protestant qui le fit élever dans la religion calviniste. A l'âge de douze ans, le goût des voyages l'entraîna hors de l'Écosse, et sa préoccupation déjà très vive des questions religieuses le conduisit dès lors à interroger les plus doctes personnages en France, en Allemagne et en Italie. Cependant il se trouvait amené presque au scepticisme et dans un grand découragement. Il en sortit en se faisant catholique, et dès l'année 1596 il entra au collège des Ecossais, à Louvain, d'où il passa à Ratisbonne et à Olmütz. Il fut reçu au noviciat de la Compagnie de Jésus à Brunn. En 1613, il fut ordonné prêtre à Paris et, après vingt-deux années d'absence, il rentra dans son pays sous le nom de Watson. Il se rendit chez son frère qui était hérétique. Il passa six semaines dans le nord, puis revint à Edimbourg, où il passa l'hiver chez William Sinclair, avocat au Parlement. En 1614, il fit un voyage à Londres et dès le mois de juin il était de retour à Edimbourg, où il se livra au ministère apostolique. On a conservé les procès-verbaux de l'interrogatoire de plusieurs personnes poursuivies pour avoir entendu la messe du Père Ogilvie. Ils mentionnent, comme ayant entretenu des rapports avec le jésuite, le comte d'Eglinton, lady Maxwell, sir James Kneilland de Monkland, David Maxwell, William Maxwell de Cawglen, John Wallace de Corsflat, John Mayne, Marion Walker, Robert Heygate, Sainclair. Un des témoins du procès de canonisation affirme que, « peu avant son arrestation, le Père Ogilvie avait reçu à Glascow cinq abjurations ». Calderwood dit « qu'à Glascow, Ogilvie reçut dans l'Eglise nombre de jeunes gens et beaucoup de personnes du meilleur monde ». Au commencement d'octobre, Ogilvie vint à Glascow et il fut vendu le 14 du même mois, à l'archevêque de Glascow, par le traître Adam Boyd.

*****

Ici commence le récit adressé par le martyr à un de ses amis.

 

Mon ami[1],

Pax Christi.

Tu remettras cet écrit au Père Recteur du premier collège de Jésuites que tu rencontreras, tu le prieras d'en faire tenir des copies en bon état au Père Général Claude Aquaviva, et de prier pour moi. Le danger d'être apprehendé m'empêche de recopier, d'écrire, de corriger et d'ajouter beaucoup de faits. Mes frères voudront bien excuser mes erreurs, les corriger et prier pour Jean Ogilvie et ses compagnons de captivité pour la Foi.

 

Au lecteur catholique,

Pax Christi.

Il y a six mois j'arrivai à Glascow afin de tirer cinq personnes de l'hérésie, et, la messe achevée, dès le lendemain je fus livré par un de ceux que je devais agréger à l'Eglise, par un homme riche et de bonne maison, qui m'avait été recommandé de divers côtés en qualité de catholique et cherchant depuis longtemps l'occasion de rentrer dans le sein de l'Église. J'avais marqué à cet homme un rendez-vous pour l'instruire. Vers quatre heures du soir, je me promenais sur la place, en compagnie du fils aîné du magistrat de la ville ; sur un signe du traître, un gentilhomme, qui était au service de l'archevêque, accourt vers moi. Cet homme, qui est grand et vigoureux, m'ordonne d'aller trouver son maître.

Je m'imagine que ce maître, c'est le shériff, le neveu du traître, chez qui nous nous étions donné rendez-vous, et je réponds que j'irai volontiers ; puis je me dispose à le suivre. Mais le fils du juge s'y oppose et veut m'entraîner chez lui, malgré le serviteur de l'archevêque. Pendant que je cherche à les mettre d'accord, un attroupement de soldats et de passants se forme autour de moi. On se jette sur mon épée, on me pousse, on m'entraîne. Je me demande ce qu'on me veut ; savent-ils ce qu'ils font ? Ces hommes se sont pris de querelle, moi je n'y suis pour rien. En deux mots, je me sens soulevé par le flot du peuple, et suis comme porté dans une maison voisine sur les épaules du juge. On m'enlève mon manteau. Je refuse alors d'avancer sans mon vêtement. Chacun m'offre le sien, mais c'est le mien que je veux, et on finit par me le rendre. Je me récrie alors sur la barbarie de ce peuple de furieux, et je les menace de dénoncer au monde entier ces procédés sauvages et sommaires. Pendant ce temps on court avertir le pseudo-archevêque, qui se trouve dans un autre quartier de la ville, et on lui dit que ses envoyés sont tués, que l'on s'égorge et que toute la ville est soulevée.

A cette nouvelle, l'archevêque convoque les barons et les nobles qui se trouvent en ville et, s'en faisant cortège, arrive à la place. Il trouve tout ce tumulte apaisé et demande où je suis. Il fait déjà nuit. On lui répond que je suis chez le magistrat élu ce jour-là. Il s'y rend avec sa suite et, m'apercevant entre le mur et la table, me fait signe de venir à lui. J'obéis, mais lui me frappe à la joue en me disant : « C'était par trop d'audace à vous de venir dire vos messes dans une ville réformée. » Je lui réponds : « En me frappant vous agissez non comme un évêque, mais comme un bourreau. » Il semble que l'on n'attende que ce signal : c'est alors un déluge de soufflets qui s'abat sur moi; on m'arrache la barbe, on me déchire la figure à coups d'ongles jusqu'à ce que le comte Fleming, saisi d'horreur, mette un terme à ces violences, par persuasion et par force. Alors, tandis que j'étais à peine revenu de l'émotion causée par ces coups, on donne l'ordre de me fouiller et de me deshabiller. Aussitôt quelques individus commencent à le faire. Au moment où ils vont m'arracher le dernier vêtement, rappelé à mes sens par la pudeur, je m'écrie : Misérable ! que fais-tu là ? Ne sais-tu pas, si tu es homme, que je suis fait comme toi ! On m'enlève mon bréviaire et un compendium de questions controversées ; on me vole l'or et l'argent que j'avais renfermés dans deux bourses séparées, ainsi qu'une

petite boîte en argent, une pierre de Bezoar et une pierre qui me servait à cacheter mes lettres. Le lendemain on s'empara de mon cheval à l'auberge, on mit la main sur les vêtements sacerdotaux ainsi que sur des lettres du Pere Patrice [Anderson] contenant la liste des objets restés en Ecosse appartenant aux Jesuites et du Pere Murdoch contenant une liste de noms. Si un traître n'avait pas parlé, jamais on n'aurait trouvé ces papiers, mais un Français révéla le secret[2].

On me menaça des extremités[3]. Je ne fis que rire des menaces, des grimaces et des injures. On me menaça du cippus (le filet) . Je le sollicite. On refuse invoquant l'humanité. Je réponds : Mentir n'est point faire acte d'humanité. Pourquoi promettez-vous ce que vous ne donnez pas ? Le geôlier déclare que je suis étonnant : les autres prisonniers, dit-il, n'ont pas coutume de provoquer le magistrat au châtiment, c'est tout le contraire. Je réponds : Et ils font sagement, ceux dont la prison est un sujet de honte ou de regret, qui redoutent d'être pris et châtiés. Mais moi je me glorifie et mon châtiment m'es un triomphe. Il me dit là-dessus : « Fais attention à ce que tu fais et à qui tu parles. » Je réponds : « J'y ai pris garde, et toi, ferme mon cachot et va dormir jusqu'à demain. » Il s'en fut.

Le lendemain[4], on me conduit au palais épiscopal[5], qui est rempli de barons et de ministres : on y avait déjà mandé deux membres du Parlement. J'y suis introduit, tout malade des coups reçus la veille et dominé par un tremblement nerveux.

[Au banc des juges siégeaient : John Spottiswood, archevêque de Glascow ; le comte d'Argyle, les lords Kilsyth, Fleming et Boyd, le laird de Minto, sir George Elphingstone, le prévôt James Hamilton et les baillifs Bell, Braidwood et Colin Campbell.]

Les ministres me pressent de questions sur l'équivoque dans les serments et sur la restriction mentale ; je réponds vivement (c'est le seul moyen de venir à bout de ces enragés) et nous nous échauffons de part et d'autre, jusqu'à ce qu'ils en aient assez et rougissent d'avancer des choses qu'ils ne peuvent soutenir. On me demande si je suis de condition noble : « Oui, leur dis-je, comme mes ancêtres.

— Avez-vous dit la messe sur les terres du roi ? »

Je réponds : « Si c'est là un crime, il est inutile de me faire jurer ; c'est chose à prouver par témoins.

— Aussi bien, prouverons-nous que vous l'avez fait par le témoignage de ceux qui vous ont vu.

— Si ces attestations vous suffisent, répliquai-je, que voulez-vous de plus ? Quant à moi, je verrai ce que j'aurai à faire, et si je dois adopter ou combattre leurs dépositions.

— Êtes-vous prêtre?

— Prouvez que j'ai dit la messe, vous aurez par là-même prouvé que je suis prêtre.

— Quel est votre nom ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ? Si je suis suspect, dites de quoi vous m'accusez, prouvez votre dire par témoins; mais je n'ai pas assez à me louer de vous, pour vous faciliter la besogne. Je dirai ce que la loi m'oblige à dire, rien de plus.

— Reconnaissez-vous le roi ?

— C'est un fait que Jacques VI règne en Écosse. » A ce moment je fus fort inquiet ; mais eux, qui ignoraient la procédure, ne savaient comment avancer. « Jurez, me disent-ils.

— Et pourquoi voulez-vous que je jure ?

— Afin que ceux qui sont ici, de par le roi, pour vous juger, sachent si vous avez conspiré contre l'Etat. Disculpez-vous donc par serment, ou bien nous vous considérerons comme coupable. »

Je réponds : « C'est pécher que de jurer en vain. C'est violer le précepte : Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. Or c'est précisément ce que je ferais, si j'allais sans raison prendre Dieu à témoin de mon innocence, sachant qu'aux yeux de la loi, ce recours à Dieu ne peut me servir de rien. En effet, dans les causes criminelles, la loi ne permet pas de déférer le serment à l'accusé, et elle a raison, car l'intérêt de la conservation pousserait beaucoup d'hommes à se parjurer et à perdre leur âme en sauvant leur vie. Aussi bien, pour éviter à la fois de tromper les juges et d'exiger un serment, au risque de perdre une âme rachetée par Jésus-Christ, on n'instruit les causes criminelles que sur l'attestation des témoins. Vous ne pouvez donc m'obliger à me disculper par serment, ce serait m'obliger à violer la loi de Dieu en jurant sans raison. A vous de prouver par témoins ce que vous avancez. Si cela vous est impossible, pourquoi tourmentez-vous un homme innocent ? »

Ils me disent alors :

« Refusez-vous oui ou non de prêter serment au nom du Roi?

— Que voulez-vous que je jure ?

— Que vous répondrez à toutes nos questions, sans équivoque et sans restriction mentale.

— Eh bien, leur dis-je, quoique rien ne m'y oblige, je jurerai que je dirai tout ce que je croirai devoir dire. Quant à ce que je suis décidé à taire, si vous m'interrogez, je vous répondrai franchement que je ne veux pas vous le dire.

— Et quelles sont ces choses que vous ne voulez pas dire ?

— Tout ce qui pourrait me nuire ou à d'autres personnes, qui n'ont rien fait de mal.

— Et pourquoi cette restriction ?

— Parce que je ne suis pas tenu de révéler ces choses et que je ne veux pas offenser Dieu. D'abord, rien ne peut m'obliger à pécher, et ce serait pécher que de nuire à un homme qui n'est pas coupable. En second lieu, toutes les lois ont pour base le droit naturel, qui a toujours pour objet de sauvegarder à l'homme sa vie et ses biens et ce serait aller contre ce droit et contre toute justice que de me perdre de gaîté de coeur. Je ne dirai donc rien qui puisse nuire, soit à moi, soit à toute autre personne innocente comme moi ; je ne veux pas faire de serment compromettant. »

A la fin, après une longue discussion, pour en finir et pour échapper à des questions artificieuses et dangereuses, mes ennemis se contentent du serment tel que j'entendais le prêter: je cédai et je répondis aux questions qu'on me fit sur mon nom, sur ma famille, sur ma patrie, sur mes parents, sur mes études, sur l'ordre religieux auquel j'appartenais et sur le rang que j'y occupais.

[Voici la déposition :

Le prêtre déclara s'appeler Jean Ogilvie, fils de Walter Ogilvie de Drum ; il dit qu'il avait été absent de son pays pendant vingt-deux ans, qu'il avait étudié dans les collèges d'Olmutz et de Gratz, deux ans à Olmutz et cinq ans à Gratz. Qu'il avait été ordonné prêtre à Paris ; qu'il était venu une première fois en Ecosse et y était demeuré six semaines environ, qu'il était revenu cette fois-ci en mai. Il avoua que le sac pris entre ses mains était bien à lui, qu'il était un jésuite, simple religieux.

On lui demanda si la juridiction du pape en matières spirituelles embrassait le royaume de Sa Majesté, il répondit que oui et qu'il était prêt à mourir pour en rendre témoignage.

Signé : JOANNES OGILBOEUS, Societatis Jesu.]

 

On me demanda de nouveau si j'avais dit la messe sur les terres du roi. Je répondis que, puisque les édits du roi décrets du Parlement, sortant de leur compétence, considéraient la messe comme un crime pour moi et pour Ceux qui y auraient assisté, je n'étais pas tenu de répondre à leur question; qu'aucune loi ne pouvait m'obliger à me perdre et à perdre des innocents. Juges, ils avaient à connaître des causes criminelles, et non d'un acte religieux comme le saint Sacrifice.

Au for du roi ressortaient les vols, les abus de confiance, les homicides, les empoisonnements et non les sacrements.

« Mais, dirent-ils, le roi n'est pas une personne laïque.

— Le roi, répondis-je, n'est pas prêtre, il n'est même pas tonsuré. »

On me demande alors :

« Pourquoi êtes-vous venu en Ecosse ?

— Pour désapprendre l'hérésie à mes compatriotes. »

Ils voulurent savoir qui m'avait donné la juridiction, puisque je ne pouvais la tenir ni du roi ni des évêques.

Je répondis en souriant que leurs évêques, comme le roi, n'étaient que des laïques et n'avaient pas une ombre de juridiction; qu'ils faisaient eux-mêmes partie du troupeau confié à Pierre ; que quiconque prétendait régir une partie de ce troupeau, devait d'abord en recevoir la délégation du Siège apostolique, où, selon les promesses du Christ, en vertu de l'assistance merveilleuse du Saint-Esprit et par la succession ininterrompue des personnes, résident toujours l'autorité et la puissance confiées au chef des apôtres, autorité qui a fait de Simon, fils de Jean, le rocher sur lequel l'Eglise est bâtie, comme l'indique son nom de Pierre. C'est de là, dis je, que découle ma juridiction, que je puis faire remonter au Christ en passant par tous les pontifes romains.

«Mais, m'objectèrent-ils, c'est ici un crime de lèse-majesté de soutenir que le pape possède une juridiction spirituelle sur les terres du roi.

— Cette juridiction, dis-je, il la possède, c'est pour nous un article de foi.

— Oseriez-vous signer cela ?

— Oui, et au besoin, même de mon sang ! » et je signai. On me dit alors :

« Le pape peut-il déposer le roi ? »

Je réponds : « Il ne peut déposer un roi légitime et qui se montre fils obéissant de l'Eglise.

— Et si ce roi est hérétique ?

— Beaucoup de docteurs prétendent que le pape peut déposer un roi hérétique.

— Mais vous, qu'en dites-vous ?

— Je dis que quand la chose sera définie et de foi, je donnerai ma vie pour la défendre : et quand j'aurai le pouvoir de faire comparaître à ma barre le pape et le roi, je dirai à l'un jusqu'où va son pouvoir et à l'autre ce qu'il mérite. Maintenant, pourquoi dirai-je ce que je pense ? Je n'y suis pas tenu, à moins que je ne sois juridiquement interrogé par celui qui est le juge des controverses religieuses, c'est-à-dire par le pape ou son délégué. »

Interrogé au sujet de la conspiration des poudres, je répondis que j'avais en horreur les parricides.

« Mais, dirent-ils, les jésuites et les papistes enseignent qu'on peut tuer les princes hérétiques.

— Eh bien, repliquai-je, lisez, si vous le voulez, les actes du concile de Constance, et vous verrez que, si les hérétiques ont enseigné pareille doctrine, les catholiques l'ont toujours condamnée. Wicleff enseigne que les sujets peuvent tuer leurs maîtres, si ceux-ci sont coupables, vu qu'alors ils perdent tous leurs droits. Il dit aussi que les prêtres perdent en péchant le caractère sacerdotal : toutes choses que le concile a condamnées.

« La conjuration des poudres a été le fait de quelques membres de la noblesse. Mais vous, presbytériens, vous en pourriez dire autant de votre attentat du 17 septembre, alors qu'envahissant le palais, en grand nombre, vous avez voulu tuer le roi ainsi que les sénateurs, et vous auriez réussi, si les soldats, aidés du peuple, n'eussent arraché Sa Majesté de vos mains. Il y a en ce moment à Edimbourg 2.000 hommes qui ont pris les armes ce jour-là et qui tous pourraient attester que les trois prédicants les exhortaient à aller en avant et criaient Dieu et le Kirk ! tandis que, du côté opposé, on criait : Dieu et le roi ! Edimbourg devait être brûlé en punition de cet attentat ; on se contenta de lui imposer une amende énorme. Mais ce n'est pas tout : votre grand Achille, votre premier prédicant, qui n'habite pas loin d'ici, Robert Bruce, écrivit au père du marquis actuel de Hamilton pour le presser de venir enlever la couronne à un roi, indigne de ce nom, et qui favorisait les papistes; ajoutant qu'il pouvait compter sur lui et sur les siens. Mais le marquis livra la lettre au roi, qui exila quelques prédicants. Il ne s'agit pas là d'un complot tramé dans l'ombre par quelques nobles isolés, mais d'une conjuration à ciel ouvert, ourdie par vos ministres. Contre les jésuites, vous ne pouvez alléguer que des soupçons, imaginés par la haine ; les faits que je viens de citer, le roi et des milliers de personnes qui y ont été mêlées en sont témoins oculaires. »

On me fit alors ,beaucoup de questions sur le Père Garnet. Je répondis qu'il était innocent, et qu'il ne pouvait, même pour sauver le monde, dénoncer ceux qui se confessaient à lui.

L'archevêque dit alors :

« Si quelqu'un me confiait qu'il veut attenter à la vie du roi, alors même que ce serait en confession, je le dénoncerais.

— Eh bien alors, lui dis-je, on fera bien de ne pas se confesser à vous.

— On dit que le pape a canonisé le Père Garnet.

— Qui vous a dit cela ? — C'est qu'à Rome il a son portrait parmi les martyrs de votre Compagnie.

— Les peintres et les potes font ce qu'il leur plaît, cela ne prouve rien. Je prétends bien, cependant, qu'il est mort martyr, parce qu'il est pour le secret de la confession ; et si le pape le déclarait martyr, je mourrais volontiers pour soutenir qu'il l'est. »

L'archevêque dit alors :

« Laissez là toutes vos suppositions. Il s'agit de ce que vous pensez maintenant.

— Eh bien ! repris-je, je dis que si ce qu'il a écrit de sa prison est vrai, et cette déclaration, que j'ai lue à mon passage en Angleterre, a été signée par deux ambassadeurs étrangers et par beaucoup de membres de la noblesse ; si, dis-je, cet écrit dit la vérité, le Père Garnet est mort saintement et il n'a point eu de part à la conspiration des poudres. »

On m'opposa alors les actes publics.

Ces actes, repris-je, rédigés par des ennemis, ne peuvent inspirer aucune confiance ; et je ne vois pas pourquoi je ne leur préférerais pas les témoins autrement dignes de foi que je vous cite. D'ailleurs, quoi qu'il en soit, ces choses ne me regardent pas : je suis venu dans mon pays pour prêcher non le Père Garnet, mais Jésus-Christ. J'ai à répondre de mes actes, comme il eut à répondre des siens : chacun pour soi et Dieu pour tous.

Il y avait vingt-six heures que je n'avais mangé, et j'avais la fièvre. Bien que la chaleur de la discussion m'eût animé, je grelottais : pris de compassion, mes juges me firent approcher du feu. Un montagnard écossais, voisin du lieu de ma naissance, m'interpelle alors et me traite de misérable menteur et de parjure, qui me suis affublé d'un faux nom pour mieux cacher mon infâme profession. — Qu'il saurait bien m'empêcher de souiller ainsi le noble nom des Ogilvie, en l'associant au titre honteux de jésuite ; et il ajouta que, si ce n'était la présence de tant de nobles personnages et le lieu où nous nous trouvions, il m'aurait déjà jeté dans le feu de la cheminée. — Je lui répondis que ce serait le moment de me jeter dans le feu, puisque j'étais transi de froid ; qu'il prît garde pourtant qu'il n'eût à réparer les dégâts que cela causerait. Je ne fis que sourire de ce que déblatérait cet homme, et les assistants qui, tout à l'heure, voulaient me cribler de coups., se moquèrent de lui. Lui-même, après une petite explication, se calma et me quitta en bons termes.

Le lord prévôt de la ville disait publiquement que je ne m'appelais pas Ogilvie, mais Stuart ; que j'étais du-même endroit que lui ; que mon père était ministre et habitait près de Glascow et que ma mère était à Glascow. Quelques habitants de Glascow déposent en ce sens et rappellent, à l'appui, des vols et des escapades d'enfant. Je nie, on insiste, et tous me regardent comme un parjure. Le lendemain on fait venir ma prétendue mère ; elle refuse de me reconnaître, parce que, dit-elle, je n'ai pas les doigts liés, ni l'intelligence lente comme son fils et que j'ai trop d'esprit. C'est à mon tour de rire. On me ramène à la prison et au bout de deux jours on me donne une chambre.

Peu après on me mit aux fers, ceux-ci pesaient deux cents livres et m'étaient attachés au moyen de deux anneaux, en sorte que je ne pouvais que demeurer assis ou couché et rien de plus, sauf de me tenir debout quelques instants pour satisfaire aux besoins naturels.

Sur ces entrefaites, il arriva des ordres de Londres ordonnant de m'infliger la torture des bottes [6] afin de me faire avouer les noms et la demeure des catholiques. Les commissaires royaux se présentent et condamnent à mort quatorze catholiques avec moi-même, les uns au gibet, les autres à la roue ; l'exécution devant avoir lieu en différentes localités. On m'emmena à Edimbourg, je fus attendu par la foule des femmes et des amis des condamnés et accueilli par une avalanche de boue, de boules de neige et de malédictions. Le juge provincial encourage la manifestation ; les serviteurs de l'archevêque s'emploient à l'arrêter, les ministres regardent. J'affecte de ne pas m'en soucier et je chevauche gaiement à travers la ville. On s'étonne de mon calme, je me contente de répondre par un proverbe écossais : On ne rit plus quand on ne sent plus sa tête sur ses épaules. It's passed jocking, when the head'soff. Avez-vous encore quelque chose à me dire ? Une vieille femme maudit ma vilaine figure. Je lui réponds : « Que la bénédiction du ciel descende sur ton joli minois, » et la voilà qui proteste qu'elle regrette ce qu'elle a fait et que jamais plus elle ne dira de mal de moi. Les hérétiques remarquèrent que je paraissais joyeux au milieu de ces furieux et que je bénissais ceux qui me maudissaient.

En arrivant à Edimbourg, craignant d'être reconnu grâce à mon manteau, je le rejetai pour paraître en habit de cavalier, mais ce fut une précaution inutile. Chaque jour on laissait entrer qui voulait, demandant à chacun s'il m'avait déjà rencontré et avec qui. Beaucoup dirent m'avoir vu en effet en tel ou tel lieu. On répandit dans le peuple le bruit que j'avais livré les noms de tous mes amis. J'étais logé au palais de l'archevêque. On apporta les « bottes » et chaque jour on m'en menaçait afin de me faire trahir les noms. En ce cas la liberté et des récompenses m'étaient promises; bien plus, si je me faisais hérétique, on me promettait le bénéfice de Moffet, un mariage noble et les bienfaits du roi. « Moffet, dis-je en riant, mais c'est au Père Moffat qu'il faut offrir cela ; Moffat et Moffet iront bien ensemble (1) ! Essayez, cela lui conviendra peut-être, mais cela ne peut faire l'affaire d'un Ogilvie. Il est trop simple, répliqua-t-on. — Non, il est beaucoup plus capable que moi ; s'il ne peut faire votre affaire, je la ferai encore moins que lui. »

[Le 12 décembre] les commissaires royaux [lord Binning, lord Kilsyth, sir Gedeon Murray, trésorier, sir William Oliphant, avocat général, l'archevêque Spottiswood] se réunirent.

« Quand êtes-vous arrivé à Edimbourg, me demanda-t-on, et où êtes-vous descendu ? »

Je réponds que je ne suis pas tenu de révéler les noms des personnes et des lieux. Des juges, si juges il y a, ont le droit de connaître des crimes et non de ces détails.

« Mais le roi, me dit-on, a le droit de s'enquérir chez qui vous avez demeuré, afin de savoir où vous avez conspiré contre l'Etat.

— Si la question m'était posée par un souverain purement politique, je répondrais; mais, ne pouvant admettre la prétention du roi d'être juge spirituel, je ne puis répondre, ma conscience me le défend.

— Mais c'est là une question purement politique.

— Pas du tout ; toute influence, toute puissance, s'apprécie par le but qu'elle se propose et par le but où elle s'exerce. Le but que se propose le roi relève de l'ordre des choses spirituelles, car c'est la haine de la foi qui lui a fait rechercher les papistes pour les punir. On le voit bien du reste par les catholiques de Glascow qu'il détient en prison[7]. Si je disais où je suis descendu, vous intimideriez ceux qui m'ont donné l'hospitalité et vous arracheriez les noms de ceux qui sont entrés en rapport avec moi pour les punir, et j'aurais à me reprocher d'avoir exposé tant de malheureux à la mort ou à des tentations terribles. Je manquerais gravement à ce que je dois à Dieu et au prochain : ce serait un grand crime. C'est donc un devoir pour moi de ne pas répondre.

Alors vous refusez d'obéir au roi ?

— Demandez-moi ce à quoi le roi a droit et j'obéirai.

— Le roi défend de dire la messe, et vous, vous la dites.

— Voyez vous-même si je dois obéir de préférence au Christ ou au roi. Le roi, dites-vous, défend de dire la messe ; or le Christ, comme l'atteste le chapitre XXII de saint Luc, a institué le sacrifice de la messe et ordonné de le reproduire. Je vous le prouverai quand vous voudrez. Si le roi condamne ce que Jésus-Christ a établi, comment ne pas l'appeler un persécuteur ?

— Mais le roi de France a bien interdit le sol français à ses sujets protestants et le roi d'Espagne a brûlé des hommes pour cause de religion.

— C'est une erreur, répondis-je ; ni le roi de France n'a interdit le sol français, ni le roi d'Espagne n'a brûlé personne pour cause de religion, mais pour cause d'hérésie, et l'hérésie n'est pas une religion, mais une révolte.

Le greffier regarda l'archevêque avec un sourire, celui-ci fit un signe de tête, comme pour dire : Cela m'est bien égal, et ne dit rien.

On me dit alors : « Vous n'auriez pas dû venir en Ecosse, malgré les ordres formels du roi.

— Le roi n'a pas le droit de m'exiler sans raison suffisante de mon pays, car enfin je suis, par droit de nature, sujet du royaume d'Ecosse aussi bien que lui est roi.

— Oui, mais, dirent-ils, le roi redoute les complots des jésuites pour sa personne et pour son royaume et ce n'est pas sans raison.

— Qu'il imite seulement sa mère et tous ses prédécesseurs les rois d'Ecosse, et il n'aura pas plus à redouter les jésuites que le roi d'Espagne ne les redoute. Quel devoir avons-nous à l'égard du roi, que nos ancêtres n'aient eu à l'égard de ses ancêtres ? Si c'est de ses ancêtres qu'il tient le droit de régner, d'où vient qu'il exige plus que ses ancêtres ne lui ont jamais légué ? Jamais les rois d'Ecosse n'ont eu ni réclamé la juridiction spirituelle ; jamais ils n'ont eu d'autre foi que la foi catholique et romaine. »

Vexé de ces paroles, un des commissaires me dit qu'ils n'étaient pas venus là pour discuter.

« Je ne discute pas, j'expose simplement que je ne dois pas être condamné à n'avoir pas de patrie et que le roi n'a pas le droit d'exiger que je réponde à vos questions, puisque je n'ai commis aucun crime. Si j'en ai commis un, si j'ai conspiré contre l'Etat ou lésé quoi que ce soit, qu'on le prouve par témoins. Et puisque vous ne le pouvez pas, pourquoi me tourmentez-vous ?

— La meilleure manière d'écarter tout soupçon de conspiration, dit un des membres du conseil, c'est de nous dire ; j'ai été dans tel et tel lieu, en compagnie de tels et tels ; j'ai fait ceci ou cela en Ecosse, demandez aux personnes qui m'ont vu: et si elles déposent contre moi, je nie reconnaîtrai coupable. Si vous épuisiez ainsi la liste de ceux avec lesquels vous avez été en rapports, on ne pourrait plus rien alléguer contre vous, tandis que votre silence confirme nos soupçons que vous craignez d'être trahi par vos complices.

— Je ferai mon profit de votre avis, quand j'y verrai mon avantage ; maintenant je ne gagnerais rien à le suivre. D'abord, j'offenserais Dieu par cette trahison et je donnerais la mort à mon âme. En second lieu, cette révélation ne me serait pas seulement inutile, elle me nuirait beaucoup : par vos menaces et par la séduction des récompenses royales, vous pourriez décider quelques personnes craintives à imaginer un complot qui servirait d'excuse à votre cruauté et vous permettrait de me tuer, tandis que maintenant vous n'osez pas me traiter comme vous le voudriez, de peur de vous déshonorer.

— Mais le roi, dirent-ils, ne met personne à mort pour cause de religion.

— Pourquoi donc, alors, les prisonniers de Glascow ont-ils été condamnés à être roués ou pendus?

— Nous vous en supplions, disent-ils, ne nous forcez pas à vous mettre à la torture, comme nous en avons l'ordre du roi. »

Je répondis que je n'ajouterais pas un mot.

On me demanda alors : « Défendez-vous la doctrine de Suarez ?

— Je n'ai pas lu ce que Suarez a écrit; s'il affirme des choses qui ne sont pas de foi, c'est à ceux qui les enseignent à les défendre. Je ne suis pas un satellite de Suarez. Du reste, ceux, qui veulent le réfuter n'ont qu'à

traiter le même sujet mieux que lui.

— Il fait déjà noir, me répondit-on, et nous avons autre chose à faire. Pour vous, réfléchissez bien, d'ici notre prochaine séance, si vous voulez vous décider à obéir au roi, ou subir le dernier supplice.

— J'y réfléchirai, mais mon parti est pris, je vous l'ai fait connaître. »

On me congédia et on délibéra sur la torture qu'il fallait m'infliger pour me faire parler. On résolut d'essayer une veille forcée. Pendant huit jours et neuf nuits sans interruption, on me tint éveillé en me piquant avec des stylets, en me pinçant, en m'enfonçant dans les chairs des épingles et des aiguilles, en me fatiguant par des menaces de tortures inouïes et par les promesses les plus séduisantes. Bientôt il ne fut bruit dans toute l'Ecosse que de ma veille forcée, et beaucoup étaient indignés et s'apitoyaient sur mon sort. Je reçus alors la visite de nombre de comtes et de barons, qui me pressèrent de donner satisfaction au roi. Mais comme je réfutais tous leurs raisonnements par d'autres raisonnements, on désespéra de me vaincre et l'archevêque dit qu'il aurait donné beaucoup pour n'être pas mêlé à cette affaire. Un jour que beaucoup de personnes étaient venues me voir, un gentilhomme, qui avait été témoin de tout, dit tout haut que lui et ses gens me réservaient des supplices plus atroces encore, et que le conseil suprême ne se séparerait pas que je n'eusse perdu la vie dans d'horribles tortures et que ma tête ne fût piquée au-dessus de la porte occidentale de la ville, comme châtiment de mon obstination, pour faire un exemple.

« Horribles bourreaux, leur criai-je, je vous méprise. Donnez cours à votre haine d'hérétiques, je m'en moque. Je n'ai jamais rien demandé et je ne demanderai jamais rien à personne; je vous ai toujours méprisés. Je puis et je veux souffrir pour la cause que je défends plus que vous ne pouvez à vous tous ensemble me faire souffrir, cessez donc de m'obséder de vos menaces ; gardez ces épouvantails pour des femmes. Pour moi, de pareille choses m'animent au lieu de m'abattre et je ne fais pas plus de cas de vol criailleries que si j'étais pourchassé par des oies.»

Ces paroles furent suivies d'un grand silence et, sans dire mot, le gentilhomme s'esquiva, me laissant en compagnie des geôliers. Peu après, il s'approcha et me demanda d'un air bienveillant si j'avais besoin de quelque chose.

« Oui, lui dis je, d'un lit pour dormir. » Il me dit alors à voix basse que s'il avait parlé de la sorte, c'était par pure politique, à cause des personnes présentes; mais je connaissais mon homme, je savais de quelle haine sauvage il était animé, et je lui répondis que peu m'importait, que je ne rétractais pas un mot et que je savais parfaitement ce que je faisais et à qui j'avais affaire et comment il fallait agir.

Le dixième jour, les membres du Conseil suprême revinrent. On me manda.

J'étais si affaibli par cette veille prolongée, qu'à plusieurs reprises, je savais à peine ce que je disais, ce que je faisais, en quel endroit j'étais. Les ministres trouvant l'occasion propice venaient alors à chaque instant.

Mais je reprends mon récit : le Conseil me fait donc comparaître et on me fait remarquer combien on a été doux pour moi en m'éloignant la torture des « bottes » et en se contentant de la veille forcée.

Je répondis que si on m'avait soumis à la torture des « bottes», j'aurais pu me faire porter à l'école ou à l'église, et gagner ma vie en faisant la classe ou en entendant les, confessions : mais maintenant qu'ils avaient, par cette veille forcée, éteint et comme tué en moi la sensibilité et, à part la vie, ils m'avaient tout enlevé, puisque, pour servir le Christ et son Eglise, je n'avais pas tant besoin de mes jambes que de mon intelligence ; qu'ils s'efforçaient de me convertir, conversion digne des ministres protestants, en faisant d'un homme de bon sens un homme hors de lui, et d'un jésuite un sot. Et j'ajoute : « Vous pouvez garder le bénéfice de Moffet, si on l'achète à ce prix.

— Vous en verrez de plus dures, me dirent-ils, si vous n'obéissez pas au roi.

— Alors même, répliquai-je, que je me résoudrais à parler, je n'obéirai pas, parce que je ne veux pas céder à la force, ni me laisser conduire par la crainte de la souffrance comme un chien, au lieu de suivre ma raison Comme un homme. Essayez donc vos « bottes », et je vous montrerai, avec la grâce de Dieu, que je ne fais pas plus de cas de mes jambes que de vos «bottes ». Ma destinée est trop noble pour que je me laisse ainsi faire violence ; cependant je m'appuie non sur ma propre force, mais sur la grâce de Dieu. » Je les priai alors de renoncer à me faire rétracter ou ajouter quelque chose. S'ils voulaient encore, Dieu le permettant, me faire souffrir, qu'ils ne me fassent pas languir. Je ne leur demandais que cela ; d'en finir au plus vite.

L'archevêque me dit : « C'est la passion qui vous fait parler ainsi : personne ne désire mourir si vite, quand il peut vivre, comme vous le pouvez vous-même, en acceptant les faveurs du roi.

— Non, ce n'est pas la passion qui me fait parler, mais une résolution très arrêtée. Je sauverai ma vie si je le puis, pourvu que ce ne soit pas en perdant Dieu. Mais, ne pouvant concilier les deux choses, je sacrifierai avec joie le moindre bien pour sauver le plus grand. »

Accablé par une longue veille et fatigué d'être demeuré debout, je rentrai chez moi ; un baron, shérif d'un district de Glascow, m'y attendait : il m'accabla d'injures, ne pouvant concevoir comment j'avais le coeur assez dur, moi Ecossais, pour refuser de donner satisfaction à mon roi, et il ajouta : « Si j'étais le roi, je vous ferais bouillir dans de la cire.» Voyant qu'il ne me fallait pas songer à adoucir mon homme par de bonnes paroles, je lui dis en riant que Dieu, s'il avait voulu le faire roi, lui aurait donné plus d'esprit. Je m'assis et voulus boire à, sa santé, et comme il ne voulait pas accepter mon toast, je le plaisantai un peu pour faire tomber sa colère et faire rire les autres. L'évêque, qui riait plus fort que les autres, et tous les assistants convinrent que j'avais fait son portrait, absolument comme si je l'avais connu dès l'enfance. Le lendemain, je revins à Glascow où il nie fit visiter sa maison et son parc et me traita fort bien. Avant que je fusse arrêté, lorsque j'étais obligé de loger chez des hérétiques, je disais mon bréviaire la nuit ; certaine personne qui m'avait entendu réciter des formules à voix basse, à la clarté d'une lampe; répandit le bruit que je m'adonnais à la magie, et, après. mon arrestation, on en parla à l'évêque ; de sorte que le bruit courait partout que j'étais un sorcier, au grand amusement de ceux qui avaient un peu de bon sens. Le brave homme ajoutait que j'avais autour de moi une foule d'animaux noirs qui m'apportaient une nourriture mystérieuse et avec lesquels je m'entretenais. J'éclatais de rire à la barbe des ministres qui me parlèrent de ces sottises et je me contentai de dire pour toute réponse que je récitais mon bréviaire. Un ministre dit qu'il ne savait encore qui j'étais et l'évêque reprit : « Si on n'avait découvert les lettres et la caisse, on ne saurait rien de vous. N'est-ce pas intolérable que vous tie vouliez rien dire alors qu'on se donne tant de mal pour cela, et sans profit? » J'ai répondu en riant que j'en étais désolé.

L'évêque des îles, André Knox, me dit qu'il pouvait célébrer la messe tout comme moi. Je lui demandai s'il était prêtre; il me dit que non; alors, dis-je, vous n'êtes pas évêque et ne pouvez dire la messe. Il me répondit : « Si vous voulez abjurer toutes ces inventions des hommes et suivre la vraie religion qu'ont prêchée les apôtres, vous aurez tout ce que vous voudrez, parce que vous avez beaucoup de courage et d'esprit.

— Mais, lui dis-je, votre religion n'a seulement pas dix us, car lorsque j'étais enfant vous teniez comme article de foi qu'il n'y a de chef dans l'Eglise que le Christ ; et maintenant vous jurez et vous &rivez tous que le roi est le chef de l'Eglise. Vous-même vous avez écrit et juré le contraire. Cela n'est pas conforme à ce que dit l'Apôtre : « Si je détruis ce que j'ai bâti, je fais oeuvre de prévarication. » Or, vous avez prêché à Paisley contre l'épiscopat, et vous avez déclaré que vous dénonceriez comme un démon quiconque se ferait ordonner évêque et que vous exciteriez tout le monde à lui cracher au visage : quinze jours après, vous étiez vous-même nommé évêque, et non content de l'évêché des îles, vous avez trouvé moyen d'y annexer un outre évêché en Irlande. Même comédie pour William Cooper : il a publié un livre contre l'ordre de l'épiscopat et il est maintenant évêque de Galloway. Est-ce que vous n'avez pas, tous tant que vous êtes, Messieurs. les prédicants, signé et juré que l'épiscopat est chose abominable dans l'Eglise de Dieu, et maintenant n'enseignez-vous pas juste le contraire? N'ai-je pas le droit après cela de vous traiter tous, avec saint Paul, de prévaricateurs ?

— Pas du tout, me répondit-on ; mais à mesure qu'on avance, la vérité se dégage plus nettement : nous voyons mieux qu'autrefois.

— C'est évident. Comme évêque, vous voyez un revenu d'un millier de livres sterling, tandis que comme prédicants, vous n'en voyiez à grand'peine qu'une centaine ; mais dites-moi, comment vous arrangez-vous avec vos. articles de foi ? S'ils étaient faux alors, comment sont-ils vrais maintenant, et s'ils étaient vrais alors, comment sont-ils faux maintenant ? En ce temps-là, à vous entendre, vous ne croyiez que la parole de Dieu : maintenant, c'est votre croyance qui est devenue parole de Dieu. Qu'est-ce qu'une doctrine qui tour à tour admet et repousse les mêmes dogmes ? et quel est ce Dieu contradictoire dont vous prêchez la parole ? Vous disiez alors : Ce que nous vous prêchons, c'est la lumière et la vérité ; si nous devions vous croire alors, de quel nom demandez-vous de vous croire maintenant? Ou si nous devons vous croire aujourd'hui, quelle autorité aviez-vous alors pour nous commander de croire ?

— Ou je suis fort trompé, ou votre doctrine n'est que l'iniquité qui se ment à elle-même.

— Monsieur Ogilvie, me dit l'évêque, vous avez beaucoup d'esprit : que je voudrais avoir autour de moi des hommes de votre trempe ; comme je les emploierais bien !

— Je préfère cent fois suivre le bourreau à la potence ; car vous allez droit au diable.

— Comment, dit l'évêque, vous osez me parler ainsi ?

— Pardonnez-moi, milord, je suis peu au fait des politesses de cour, et nous autres jésuites, parlons comme nous pensons. Je hais la flatterie; j'honore en vous le pouvoir civil dont vous êtes revêtu et je respecte vos .cheveux blancs; mais je me moque de votre titre d'évêque et de votre religion. Car enfin, vous n'êtes qu'un laïque et vous n'avez pas plus de juridiction spirituelle que votre bâton. S'il vous déplaît d'entendre ce que je pense, imposez-moi silence, je ne dirai plus un mot; mais si vous voulez que je parle, je dirai non ce qui peut vous flatter, mais ce que je pense.

— Je regrette beaucoup, dit l'évêque, que la faim vous ait fait quitter le protestantisme et ait fait de vous un papiste.

— Vous me jugez à votre aune, lui répliquai-je, et vous me croyez capable de faire ce que vous avez fait, vous qui avez troqué deux articles de votre credo contre deux évêchés. Moi, j'étais l'aîné de mes frères, j'appartenais à la noblesse et, lors même que je n'eusse pas étudié, j'aurais fait quelque figure dans le monde, et encore aujourd'hui, si je voulais faire comme vous et changer de religion, j'obtiendrais la faveur du roi et de gros revenus. » L'évêque me quitta tout en colère et je ris de bon coeur.

L'archevêque répondant au chancelier en plein Conseil (je n'étais pas là), lui dit que jamais on n'avait vu en Ecosse de prêtre comme moi. Il dit aussi quelque part en plein; dîner qu'il aimerait mieux être pendu à ma place que: de me voir m'évader, parce que, comme dit le proverbe : Je pourrais faire sauter la marmite.

Je ne sais ce qui va m'arriver : devant moi, l'archevêque s'exprime avec bienveillance. Il ne pense qu'à une chose, à trouver où j'ai pu habiter et chez qui, et à punir ceux qui m'ont donné l'hospitalité. Ces gens-là sont très étonnés de voit que je m'afflige de ce que souffrent les autres, tandis que je me réjouis de mes propres souffrances.

On prend toutes les précautions imaginables pour qu'on ne m'adresse la parole qu'en présence du geôlier, et pour que personne ne me donne ni papier ni plume. On n'entre guère chez moi que pour me dire des choses désagréables ou pour m'apporter ma nourriture. Ceux qui viennent dans d'autres intentions éveillent les soupçons et sont accueillis d'un air moqueur.

Je revins à Glascow la veille de Noël et je fus attaché par les deux pieds à un anneau de fer rivé au mur ; mais on craignit que d'être toujours couché sur le dos ne me rendît malade, et maintenant je n'ai plus qu'un pied enchaîné. Le fer est fermé par un verrou qu'assujettit une double chaîne.

On reçut de Londres de nouveaux ordres, je fus mandé devant le Conseil suprême [8] et mis en demeure de répondre. Sur la table sont les oeuvres de Bellarmin et de Suarez.

On me demande si le pape peut déposer un roi hérétique.

Je réponds: «Beaucoup de docteurs le pensent, et c'est une opinion très soutenable. Quand la chose sera définie comme de foi, je donnerai ma vie pour la défendre. Mais tant que rien ne sera décidé, je ne suis pas forcé de dire ce que je pense, à moins que je ne sois juridiquement interrogé par celui à qui il appartient de décider les questions controversées.

— Mais, me dit-on, peut-on en conscience, pour obéir au pape, tuer un roi qui serait excommunié ? »

Je répondis : «Vous n'avez aucune juridiction spirituelle sur moi; aussi, pour ne pas avoir l'air de reconnaître la juridiction spirituelle que s'arroge le roi, je ne répondrai à aucune question de doctrine. Si vous m'interrogiez pour vous éclairer, je vous répondrais; mais ici vous m'interrogez comme juges, et dès lors je ne puis plus en conscience vous dire ce que je pense. Du reste, j'ai déjà réprouvé les deux serments de suprématie et d'obéissance qu'on veut imposer aux Anglais.

— Le pape, dirent-ils alors, a-t-il juridiction sur le roi?

— Oui, si le roi est chrétien et baptisé.

— Le pape peut-il excommunier le roi ?

— Oui, il le peut. »

On me demanda alors comment il se fait que le pape puisse excommunier un homme qui ne fait pas partie de l'Eglise de Jésus-Christ.

Je répondis : « L'hérétique reste soumis aux peines, bien qu'il se soit mis dans l'impossibilité de recevoir aucune grâce. Dans la société civile, le roi a droit d'emprisonner et de punir les bandits, les voleurs ; dans l'Eglise, le pape a le droit et le devoir de châtier les hérétiques révoltés contre lui et ceux qui quittent leur mère la sainte Eglise. Par le fait même, du baptême, le pape acquiert juridiction sur un homme, parce que par là cet homme entre dans l'Eglise et devient membre du corps mystique du Christ et brebis du troupeau dont le pape est le pasteur.

— Une bonne raison, dit l'archevêque, pour que beaucoup aient horreur du baptême.

— Oui, répondis-je, ils en ont horreur, en effet, tous les orgueilleux qui méprisent le joug du Christ, et qui, avec leur Père le diable, cherchent leur propre gloire et non celle de Jésus-Christ. Mais les autres ne partagent pas ces idées. »

 

Ici finit la narration du Père Jean Ogilvie.

 

RÉCIT DES COMPAGNONS DE SA CAPTIVITÉ.

L'archevêque transmit au roi les pièces du procès avec un rapport défavorable (il avait juré la mort du Père) qu'il signa ainsi que les autres nobles. En outre, l'archevêque écarta le geôlier, qu'il jugeait trop humain pour le prisonnier et le remplaça par son intendant, personnage dur et cruel qui le laissait chargé de fers dans une complète solitude. Ne se fiant pas aux fers qui lui enserraient les pieds, il avait imaginé des fers recourbés qui s'entrelaçaient dans des anneaux, tant il redoutait une évasion, quoique le martyr répétât que si ses liens étaient de cire il ne voudrait pas les rompre, et que si on ouvrait les portes il ne les franchirait pas, afin de ne pas se dérober, à une cause juste, jusqu'à ce que la Providence eût fait connaître qu'elle en disposait autrement. On le garda à vue nuit et jour et les habitants d'Edimbourg se relayaient pour cette besogne. L'archevêque de cette ville s'apercevant que sa femme montrait une extrême compassion au prisonnier — elle n'était ainsi que quand elle avait trop bu — la fait appeler et lui interdit ces bontés. Enfin, on reçut les ordres royaux condamnant à mort le prisonnier s'il ne reniait les points qu'il avait souscrits. Le bruit s'en répandit et parvint au prisonnier. Les gardes lui demandèrent comment il se trouvait ; il répondit : Comme un homme étendu par terre sous le poids des fers.

Il leur demanda s'il y avait des nouvelles, ils disent : «Non.» Et moi je vous en annonce une : «C'est que demain ou après-demain un prêtre doit mourir. »

L'archevêque revint à Edimbourg avec des nobles et d'autres comparses pour rendre le jugement. La veille de sa mort, le martyr se fit laver les pieds et convia les assistants à ses noces du lendemain. Le bruit que firent les gardes le priva du moyen de se recueillir la nuit suivante, mais au matin il obtint un moment de solitude pour prier. Le magistrat arriva avec une troupe de bourgeois armés, chercher le prisonnier, à qui on demanda s'il était prêt. Il répondit qu'il était prêt depuis longtemps et désirait cet instant. Au sortir de la prison, il était vêtu d'un habit déchiré, le majordome de l'archevêque lui ayant volé son manteau. A son passage,une foule de tout sexe et de tout rang l'attendait, les femmes et les amis de ses compagnons de captivité, qui quelque temps auparavant l'avaient assailli d'injures et de boules de neige le croyant cause de leurs malheurs, mieux instruits aujourd'hui, sachant son innocence, sa fermeté, son refus de dénoncer les catholiques, lui souhaitaient bonne chance. Tout le monde pleurait, même les hérétiques. Introduit dans la chambre du Conseil, l'accusé s'assit et demeura couvert. Lecture faite des noms des assesseurs, on lui demanda s'il récusait quelque juré. Il répondit : « Si ce sont des amis, ils doivent être à mes côtés ; s'ils sont mes ennemis, ils ne peuvent être juges équitables.

— Alors,lui dit-on,c'est à Rome qu'il faut aller chercher des jurés, ou bien nous devrions peut-être demander à ceux qui ont assisté à vos messes de venir siéger ici.

— Ces pauvres gens, dit l'accusé, entendent mieux le petit négoce dont ils vivent, que les causes criminelles. »

L'archevêque ayant observé que, s'ils étaient pauvres, c'était la faute du Père, le martyr lui réplique que c'était lui, archevêque, qui les avait ruinés en les emprisonnant et en les pressurant. On savait qu'ils avaient été obligés, pour avoir la paix, de lui abandonner tout ce qui leur restait. Quant à lui, Ogilvie, il n'avait jamais été à charge à personne et n’avait jamais cherché qu'à venir en aide aux âmes et à les sauver de l'hérésie.

« Vous mentez, dit l'archevêque.

— Dites-nous alors, dit le Père, si vous le pouvez, ce que c'est que le mensonge. Pour moi, je dis ce que je pense et ce que je sais être vrai. »

[On le questionna sur l'autorité du roi, le pouvoir attribué au pape de déposer les rois et de délier les sujets du serment de fidélité.]

Le Père répondit à chaque question comme il avait déjà fait. Quand vinrent ces deux questions, à savoir : si le pape peut déposer un roi excommunié et s'il peut le livrer aux coups des assassins, il déclara qu'il ne répondrait pas.

Les juges lui firent observer que se taire sur un pareil point c'était s'avouer coupable. « Jugez-moi, répondit-il, sur mes paroles et sur mes actes, et laissez le soin de juger mes pensées à Dieu seul, à qui je dois en rendre; compte.

— Vous refusez donc, lui dit-on, d'obéir au roi.

— En toutes choses pour lesquelles je suis obligé d'obéir à Sa Majesté, je me soumettrai joyeusement, et si son royaume était envahi, je le défendrais jusqu'à la dernière goutte de mon sang; mais il y a d'autres droits, comme celui de la juridiction spirituelle, que le roi s'arroge sans raison, et, sur ce point, je ne lui obéirai pas. Je ne le dois ni ne le veux. Que le roi prenne garde, en empiétant sur le droit d'autrui, de compromettre le sien.

« Je ne répondrai pas à ces deux questions, puisque je ne puis le faire, sans supposer au roi une juridiction qu'il n'a pas. J'agirais peut-être autrement si on m'interrogeait pour me consulter.

— Eh bien ! moi, dit un des jurés, je vous consulte sur ces questions : qu'avez-vous à me dire ?

— Je trouve par trop ridicule, dit l'accusé, que vous qui devez être mon juge, vous veniez me consulter précisément sur les points que vise l'accusation. Je ne répondrai rien là-dessus tant que l'Eglise n'aura rien défini ; car vous n'avez qu'un but, celui de me compromettre, afin de colorer par un semblant de justice une haine qui a soif de ma mort. Vous me faites l'effet d'un essaim de mouches qui se jettent sur un plat succulent, ou d'une troupe de pêcheurs qui cernent un pauvre petit poisson.

On lui demanda s'il approuvait le meurtre du roi ; il répondit qu'il l'abhorrait.

Les juges se réunirent pour prononcer la sentence de condamnation. Alors le prisonnier leur rappela le jugement de Dieu et condamna l'iniquité de leurs sentences à l'égard des catholiques. L'archevêque lui demanda si, au cas où il serait exilé, il reviendrait en Angleterre. « Si j'étais exilé pour un crime commis par moi, dit le Père, je me garderais bien de revenir. Mais si je l'étais pour la cause que je défends en ce moment, je reviendrais aussitôt. Plût à Dieu que je pusse convertir à la vraie foi autant d'hérétiques que j'ai de cheveux sur la tête, et vous tout le premier, seigneur archevêque... »

Les juges étant bien rentrés de leur délibération, rapportèrent la peine de mort, décidant que le condamné serait conduit à la potence dressée sur la place publique, qu'après y avoir été pendu il aurait la tête coupée et que son corps coupé en quatre serait exposé à la vue du peuple. Le martyr rendit grâces, bénit celui qui prononça la sentence, et l'ayant embrassé, il remercia l'archevêque et les autres, leur tendit la main et leur promit le pardon qu'il demandait à Dieu pour lui-même. Il se recommanda aux prières des catholiques s'il s'en trouvait là. Puis il se tourna vers la muraille et se donna à l'oraison, taudis que l'archevêque donnait ordre qu'on lui interdît toute conversation avec les spectateurs en sa qualité de condamné pour crime de lèse-majesté. Tandis que le martyr priait [à l'hôtel de ville] les autres acteurs allèrent dîner. A ce moment un serviteur de l'archevêque introduisit le shérif et le bourreau que le martyr embrassa, réconforta et assura de son plein pardon. Le shérif livra le Père au bourreau, qui le garrotta, et on se rendit au lieu du supplice. [Il était à peu près une heure après midi.] Dès qu'on arriva au lieu de l'exécution que remplissait la foule à laquelle il lui était défendu d'adresser la parole, il regarda la potence, l'embrassa.

Sur [9] le chemin de l'échafaud, Ogilvie avait rencontré un ministre hérétique qui lui adressa la parole. Heureusement leur conversation fut entendue par John Browne de Loch-Hill qui la rapporta à son fils, lequel l'a consignée dans un document authentique.

Le ministre interpella le Père et l'assura de l'intérêt qu'il lui portait. «Mon cher Ogilvie, lui dit-il, comme je vous plains de vous obstiner de la sorte à finir par une mort infâme ! » Le Père lui répondit un peu comme un homme qui a peur : « Comme s'il dépendait de moi de mourir ou de ne pas mourir ! Je n'y puis rien ; on m'a déclaré coupable de haute trahison, et c'est pour cela que je meurs. — Trahison, dit le ministre, il s'agit bien de cela ; croyez-moi, abjurez le papisme et le pape, on vous pardonnera tout et on vous comblera de faveurs. — Vous vous moquez de moi, dit le Père. — Non, reprit le ministre, je parle sérieusement et j'ai qualité pour le faire, car Monseigneur l'archevêque m'a chargé de vous offrir sa fille en mariage avec la plus belle prébende du diocèse comme dot, si je vous décidais à venir à nous. »

On était arrivé au pied de l'échafaud. « Eh bien, dit Ogilvie, faites-moi le plaisir de répéter tout haut et devant tous ce que vous venez de me dire. — Je ne demande pas mieux, dit le ministre. — Écoutez, cria Ogilvie, ce que le ministre veut nous dire ; et le ministre de dire tout haut : — Je promets au sieur Ogilvie la vie, la fille de l'archevêque et une riche prébende s'il veut être des nôtres. — Entendez-vous, dit le Père, et êtes-vous prêts à en rendre témoignage si vous en êtes requis ?

Oui, nous avons entendu, cria la foule, et nous témoignerons ! Descendez, sieur Ogilvie, descendez de l'échafaud. » A ce moment les catholiques eurent un instant d'angoisse et les hérétiques étaient radieux. « Alors, reprit Ogilvie, je n'aurai plus à craindre d'être poursuivi pour haute trahison ? — Non, non. — Si je suis ici, c'est donc uniquement pour cause de religion, c'est là mon seul crime ? — Oui, la religion seule ! — Très bien, c'est plus que je n'en voulais. C'est pour ma religion seule que je suis condamné à mort. Pour elle je donnerais joyeusement cent vies si je les avais ; je n'en ai qu'une, prenez-la et faites vite. Quant à ma religion, vous ne me l'arracherez pas. » A ces mots, les catholiques relevèrent la tête triomphants, pendant que les hérétiques rugissaient d'avoir été pris dans leurs filets. Le ministre surtout était hors de lui ; il interrompit brutalement le Père Ogilvie qui allait ajouter quelque chose et ordonna au bourreau de lui faire gravir l'échelle sans délai.

[La potence se dressait sur une plate-forme à laquelle on accédait par une échelle que le martyr monta avec difficulté. Abercrombie se trouvait sur la plate-forme.]

Un [10] ministre [nommé Scott] criait à tue-tête : « Ogilvie va mourir, non parce qu'il est catholique, mais parce 'qu'il a commis un crime de lèse-majesté. » Ogilvie fit avec la tête un signe de dénégation. Il voulait parler, on l'en empêcha. Abercrombie l'exhortait à la patience. « Jean, lui disait-il, ne vous chagrinez pas de ces mensonges ; plus on vous fera tort, plus vous aurez de mérite. » Les serviteurs de l'archevêque se jetèrent sur Abercrombie et le poussèrent, en sorte qu'il tomba de la plate-forme la tête la première, en lui disant : «Qu'as tu besoin, traître, de venir encourager ce traître ? » Il eût été tué sur le coup s'il ne fût tombé sur la foule, très compacte en cet endroit.

A cette vue, le martyr dit : « Votre conduite est vraiment étrange, vous m'empêchez de me défendre et au même moment vous dénaturez tous les faits par vos mensonges. Car vous mentez quand vous prétendez que j'ai parlé contre le roi : je n'ai jamais rien dit ni rien fait qui pût lui nuire ; j'ai seulement affirmé que le pape avait une juridiction spirituelle sur le territoire du roi comme dans le monde entier, partout où il y a des chrétiens, et qu'il a le droit d'excommunier un roi hérétique. Si j'ai dit autre chose, prouvez-le en présence de cette foule. Ce que j'ai dit, je l'ai signé, et je suis prêt à mourir pour le défendre. Mais vous, vous m'avez calomnié auprès du roi, et maintenant vous cherchez à me déshonorer aux yeux du peuple. Sachez qu'un autre Ecossais et moi, nous avons plus fait pour le service de Sa Majesté à l'étranger, que vous ne pouvez le faire avec tous vos ministres, et que je donnerais volontiers ma vie pour lui. Ainsi donc, c'est bien entendu, c'est pour la religion seule que je meurs. »

Le ministre lui demanda s'il avait peur de la mort. « Non, dit-il ; puisqu'il faut mourir pour une si sainte cause, je n'en ai pas plus peur que vous d'un bon dîner. »

On lui lia les mains derrière le dos, et on serra la corde si fort que tous ses doigts en tremblaient, puis on lui ordonna de gravir la seconde échelle. Pendant tout ce temps il ne cessait de prier et de demander pour son âme les prières des catholiques présents. Il invoqua la Vierge et les saints, plaçant son espérance dans le sang du Christ, dit-il, et afin que tous l'entendissent, il répéta ses invocations en latin et en écossais. Sur l'ordre réitéré du shérif, le bourreau retira l'échelle et le corps resta suspendu en l'air.

Un grand tumulte s'éleva dans la foule, suivi d'un murmure. Tous, hommes et femmes, déploraient cette mort injuste et montraient combien ils détestaient la cruauté de l'archevêque et des ministres, priant Dieu de venger l'innocent et de pardonner au peuple resté étranger à sa mort. Dans la suite, les ministres dans leurs sermons reprochèrent amèrement au peuple ses manifestations, lui faisant un crime de pleurer un malfaiteur et un séducteur ; mais les braves gens, sans se soucier des calomnies des ministres, gardèrent leurs sentiments, rappelant qu'au dernier moment on avait, en effet, offert un bénéfice, un mariage et la protection du roi à Ogilvie s'il apostasiait. Le bourreau et les fossoyeurs — les catholiques n'osant approcher — mirent le corps en bière et l'enterrèrent dans le cimetière des criminels.

Dans la soirée qui suivit l'exécution, un cavalier s'arrêta à deux milles de la ville. Dès qu'il eut appris la mort du Père, il s'éloigna rapidement. Pendant la nuit, qui fut orageuse, on vit une quarantaine de cavaliers rôder autour de l'endroit où le Père Ogilvie était enseveli et ion crut qu'ils enlevaient le corps. Le bruit vint jusqu'au magistrat, qui dès le matin vint au cimetière avec une grande foule. On trouva la terre fraîchement remuée et on examina si le cercueil était enlevé en enfonçant en terre des tiges de fer. On trouva de la résistance, d'où on conclut à la présence de la bière. Le magistrat ne laissa pas les recherches aller plus avant. On s'en alla en disant que le corps n'avait pas été enlevé[11].


[1] John Magne, compagnon de captivité, condamné à mort et gracié.
[2] On lit dans le rapport officiel : « Son bagage (à Jean Ogilvie) avait été mis en sûreté par un ami, puis fut remis le lendemain aux magistrats. On y trouva des vêtements sacerdotaux, un calice, une pierre d'autel et autres niaiseries — entre autres choses, le pouvoir de dispenser ceux qui avaient des biens d'église, à la condition d'employer les revenus en oeuvres pies, du jugement du confesseur. « Parmi les objets saisis se trouvait une relique consistant en une touffe de cheveux de saint Ignace.
[3] Cette première nuit se passa dans la prison appelée Tolbooth, aujourd'hui détruite ; elle touchait la Croix de Glascow.
[4] Le 15 octobre.
[5] Situé à côté de la cathédrale, à peu près où est l'hôpital actuel (infirmary), mais plus en avant, masquant un peu la cathédrale.
[6] Cet instrument de torture consistait en un appareil en forme de gouttière en fer reliée à la jambe par des cercles de fer fortement vissés ; une violente torsion imprimée à ces cercles par la pression des vis comprimait la jambe à volonté et pouvait étrangler la jambe de manière à la casser et à faire jaillir la moelle des os.
[7] Le P. Moffat, jésuite, était alors prisonnier au château d'Edimbourg.
[8] 28 janvier 1615.
[9] Déposition de F. Browne, S. J. — Stonyhurst mss.
[10] Nous reprenons la relation.
[11] LES MARTYRS : Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XX° siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. Leclercq, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough.

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