Une béatification record.
Fruit du grand Jubilé de l'An 2000,
cette béatification du 11 mars 2001 est la première du nouveau siècle et du
nouveau millénaire. Jamais autant
de
serviteurs de Dieu n'ont été béatifiés à la fois. (Il faut remonter à Pie IX, en
1867, pour avoir la béatification de 205 martyrs du Japon.) Chaque cause a été
étudiée individuellement. Chacun de ces martyrs avait déjà mené une vie sainte
digne de béatification avant que le martyr ne vienne couronner leur carrière.
L'Église de Valence, suivie par celles de Barcelone et de Lérida, a commencé à
instruire les procès de béatification depuis 50 ans déjà. Une masse de documents
a été recueillie.
Avant cette béatification, Jean
Paul II avait déjà célébré 10 béatifications pour des martyrs de la guerre
civile espagnole, soit, avec ceux de ce jour, 471 martyrs. A savoir: 4 évêques,
43 prêtres séculiers, 379 religieux, 45 laïcs.
Cadre historique
La seconde République instaurée en
1931 amène le "Frente popular" (Front populaire) au pouvoir. Composée de
communistes, socialistes et anarchistes, elle est essentiellement anti-cléricale.
Pourtant les évêques ont reconnu au début sa légitimité. Si les violences ne se
déclenchent pas tout de suite, néanmoins ce gouvernement révolutionnaire entame
d'emblée une persécution juridique: dissolution des ordres religieux et
nationalisation de tous leurs biens, approbation du divorce, crucifix retirés
des classes. Après les lois restrictives vient la persécution sanglante avec la
"Révolution des Asturies" en 1934 et les martyrs de Turon. En l'été 1936, les
"Rouges", comme on les appelle, (à juste titre car leur but est de faire de
l'Espagne un état satellite de la Russie), déclenchent la plus grande
persécution religieuse qu'ait jamais connu l'Espagne. Sur la liste noire des
personnes à abattre figurent en premier lieu tous les prêtres. A cause de sa
brièveté dans le temps et de son intensité, c'est un ouragan révolutionnaire
comparable à celui de la Révolution française qui s'abat sur toutes les régions
où domine leur influence: incendie de couvents, d'évêchés, d'églises,
destruction du patrimoine artistique sacré, bref, de tout ce qui rappelle la
religion catholique. Mais les révolutionnaires ne sont pas suivis par tout le
peuple; au contraire, il se produit un sursaut de la conscience nationale. Une
partie de l'armée avec le général Francisco Franco se révolte et crée le
"Mouvement national". C'est alors la guerre civile entre Rouges et "Nationaux"
qui dure de 1936 à 1938. Les révolutionnaires ont vraiment l'intention
d'éradiquer l'Église et ils procèdent à des exécutions massives, acompagnées
d'une férocité inouïe. Sont victimes: 13 évêques, 4'184 prêtres, 2'365
religieux, 283 religieuses, des milliers et des milliers de laïcs. Ils sont
vraiment martyrs car ils ont été tués "en haine de la foi", ce ne sont pas des
"victimes de guerre", car ils sont pacifiques et ne prennent pas part aux
événements, ni des victimes politiques, car ils n'ont pas pris partie. (Notons à
ce propos que le parti qui soutenait Franco, la "Phalange", influente surtout au
début, avait certaines accointances avec les Nazis.) Conscients de mourir pour
leur foi, beaucoup criaient "Vive le Christ-Roi!", ce qui n'est pas sans
rappeler la guerre des "Cristeros" au Mexique (1926-1929), et tous, avant de
mourir, pardonnaient de tout cœur à leurs bourreaux.
La béatification de ce jour
Voici la liste des 233 martyrs
béatifiés en ce jour: 38 prêtres de l'Archidiocèse de Valence avec un grand
nombre d'hommes et de femmes de l'Action Catholique, 18 Dominicains et 2 prêtres
de l'archidiocèse de Saragosse, 4 Frères mineurs Francisains Conventuels, 13
Frères mineurs Capucins avec 4 religieuses Capucines et une Augustine; 11
Jésuites avec un jeune laïc, 32 Salésiens et 2 Filles de Marie Auxiliatrice, 19
Tertiaires Capucins de Notre-Dame des Douleurs avec une coopératrice laïque, un
prêtre Déhonien; l'aumônier du Collège La Salle de Bonanova (Barcelone) avec 5
Frères des Écoles Chrétiennes; 24 Carmélites de la Charité; une religieuse
Servante, 6 religieuses des Écoles Pies avec 2 coopératrices laïques (ces
dernières proviennent d'Uruguay et sont ainsi les premières bienheureuses de ce
pays); 2 Petites Sœurs des personnes âgées abandonnées; 3 Tertiaires Capucines
de Notre-Dame des Douleurs; une missionnaire Clarétaine et enfin, le jeune
Francisco Castello i Aleu, de l'Action Catholique de Lleida.
Les témoignages qui nous sont
parvenus parlent de personnes honnêtes et exemplaires, dont le martyr a scellé
des vies consacrées au travail, à la prière et à l'engagement religieux au sein
de leurs familles, de leurs paroisses ou de leurs Congrégations religieuses. En
une phrase, le Saint Père résume ainsi leur sainteté: "Ils vivent en aimant et
meurent en pardonnant". Comment ne pas nous émouvoir profondément à l'écoute des
récits de leur martyre? En voici quelques-uns.
La vieille Maman Maria Teresa
Ferragud, 83 ans, est arrêtée avec ses quatre filles religieuses contemplatives.
Le 25 octobre 1936 - fête du Christ-Roi, notons-le! - elle demande à accompagner
ses filles au martyre. Et pour les encourager jusqu'au bout, elle veut mourir la
dernière: "Mes filles, leur dit-elle, restez fidèles à votre Époux Jésus Christ
et ne cédez pas aux flatteries de ces hommes". Sa mort a tant impressionné les
bourreaux, qu'ils s'exclament: "C'est une vraie sainte!".
Le jeune Francisco Castello i Aleu,
âgé de 22 ans, est chimiste de profession et membre de l'Action Catholique.
Conscient de la gravité du moment, il ne veut pas se cacher mais offre sa
jeunesse en sacrifice par amour pour Dieu et pour ses frères, laissant trois
lettres, écrites quelques instants avant de mourir, à ses sœurs, à son directeur
spirituel et à sa fiancée. Il est un exemple de force, de générosité, de
sérénité et de joie.
Le jeune prêtre German Gozalbo, âgé
de 23 ans, est fusillé seulement deux mois après avoir célébré sa première
messe. Il subit nombre d'humiliations et de mauvais traitements.
Parmi les autres martyrs, citons le
plus en vue à l'époque: Pablo Menendez Gonzallo, président de l'Action
Catholique de Valence, député provincial pour la région de Valence, journaliste;
ou encore un pyrotechnicien que l'Espagne se choisit comme patron des
artificiers, etc.
Étonnante cérémonie de
béatification, sous un beau soleil printanier précoce inondant la place Saint
Pierre et qui a vu dans son assistance beaucoup de témoins encore vivants des
événements: Notamment un prêtre de 90 ans, Eugenio Laguanda, ayant survécu par
miracle au peloton d'exécution après avoir reçu une balle dans la tête, beaucoup
de femmes, veuves des martyrs ou leur ancienne fiancée, des enfants de martyrs
dont certains ont été choisis pour porter les reliques de leurs parents à
l'autel… Enfin, dans les procès de béatifications, ont même témoigné d'anciens
bourreaux. Cette béatification vise à encourager l'Église espagnole actuelle;
elle fait partie aussi d'un devoir de mémoire: ne pas laisser tomber dans
l'oubli des témoignages si précieux pour les générations futures.
Avant la prière de l'"Angelus" qui
clôture cette célébration solennelle, Jean Paul II déclare encore: " Tournons à
présent notre regard vers la Très Sainte Vierge Marie, que la foi nous fait
contempler comme Reine des Saints et des Saintes de toute époque et de toute
nation. Elle est, en particulier, Mère et Reine des Martyrs, présente auprès
d'eux à l'heure de l'épreuve, de même qu'elle demeura sous la Croix auprès de
son Fils Jésus. Ces nouveaux bienheureux ont placé leur confiance en Elle, la
Vierge fidèle, au cours des moments dramatiques de la persécution. Lorsqu'on les
empêcha d'exprimer librement leur foi, ou, par la suite, au cours de leur
emprisonnement, pour affronter le moment suprême, ils trouvèrent un soutien
constant dans le Saint Rosaire, le récitant seuls ou en petits groupes. Comme
cette traditionnelle prière mariale est efficace dans sa simplicité et sa
profondeur! Le Rosaire constitue à chaque époque une aide précieuse pour
d'innombrables croyants. Qu'il en soit ainsi également pour nous! " |