Brunon, qui prît le
nom de Léon IX lorsqu'on l'eut élevé sur la chaire de saint
Pierre, naquit en Alsace. La maison dont il était originaire
descendait en droite ligne d'Athic ou d’Adalric, qui avait été
duc de cette province au septième siècle.
Hugues
IV, comte de Nordgau ou de la Basse-Alsace, père de Brunon,
était cousin-germain de l'Empereur Conrard-le-Salique.
Heilwige sa mère était fille unique et héritière de Louis, comte
de Dagsbourg ou de Dabo. Hugues et Heilwige faisaient leur
séjour ordinaire en Alsace, dans le château d'Egisheim près de
Colmar, ou dans celui de Dabo, situé dans les Vosges, sur la
pointe d'un très haut rocher. Ils n'étaient pas moins distingués
par leurs connais-sances et leur piété que par leur noblesse.
Ils savaient l'un et l'autre la langue romance aussi
parfaitement que leur langue maternelle, qui était l'allemande.
Ils se signalèrent aussi par leurs libéralités envers les
monastères : les abbayes de Hesse dans le diocèse de Metz, et de
Woffenheim dans celui de Bâle, les regardent comme leurs
fondateurs.
Outre Brunon,
Hugues et Heilwige eurent Gérard ou Gerhard
et Hugues, qui furent l'un comte de la Basse-Alsace,
et l'autre comte d'Egisheim et de Dabo. Ils eurent aussi cinq
filles , Adélaïde, qui épousa Herman, comte des Ardennes ;
Bitzela, qui fut mariée à Hartvig, comte de Calb ; Udile et
Gebba, qui furent abbesses , l'une de Woffenheim
, et l'autre de Nuitz ; la cinquième, dont on ignore le nom,
épousa Ernest, duc d'Alsace et de Souabe.
Brunon v1nt au
monde le 21 Juin 1002 : ce fut, selon les uns, au château d'Egisheim,
et à Woffenheim, selon les autres. Wibert, auteur contemporain,
le fait naître aux extrémités de l'Alsace ; et comme ceci
ne peut convenir aux deux endroits, dont nous venons de parier,
il est plus probable de mettre sa naissance au château de .Dabo;
c'est d'ailleurs la tradition constante du pays. Il y a près
du château de Dabo une colline encore appelée Léonsberg, du nom
de notre Saint; on y voit aussi une petite chapelle dédiée sous
son invocation, et dans laquelle on prétend qu'il fut baptisé.
Brunon fit
paraître, dès son enfance, d'heureuses inclinations
pour la vertu ; il en suça l'amour avec le lait de sa mère, qui
voulut elle-même le nourrir contre l'usage ordinaire des femmes
de son rang. Lorsqu'il eut atteint l'âge de cinq ans, ses
parents confièrent son éducation à Berthold, évêque de Toul, qui l'éleva dans
les principes de la religion et la connaissance des lettres.
Brunon répondit parfaitement aux soins de ses maîtres. Il eut à
peine fini ses premières études,
que Berthold le nomma à un canonicat de sa cathédrale. Le jeune
chanoine menait la vie la plus édifiante : il partageait tout
son temps entre la prière,
la lecture des bons livres et l'étude des sciences
ecclésiastiques. Les heures que les autres donnaient à la
récréation, il les employait à visiter les hôpitaux et à instruire les pauvres.
Ayant été ordonné diacre,
il fut appelé à la cour de l'Empereur Conrard, qui l'honora de
sa confiance. Il y montra une grande capacité pour les affaires
; mais il sut en même temps vaquer fidèlement aux
exercices de la piété chrétienne. Il ne relâcha rien non plus de
sa première ferveur pour les austérités de la pénitence.
Ce fut en 1026 que
Brunon reçut la nouvelle du choix qu'on avait fait de lui pour
gouverner l'église de Toul, vacante par la mort de l'évêque
Herman. L'Empereur voulut inutilement lui persuader de différer
son sacre à l'année suivante ; le Saint se rendit à Toul le plus
promptement qu'il le put, afin de veiller à la garde du troupeau
dont Dieu devait lui demander compte. Il fut sacré le 9 de
Septembre, par l'archevêque de Trèves son métropolitain. Ce
prélat ayant exigé qu'il jurât d'observer une ordonnance par
laquelle il obligeait ses suffragants à ne rien, faire que par
son avis, il refusa de prêter un pareil serment, qui était
contraire à la liberté de l'épiscopat.
Immédiatement après
son sacre, Brunon travailla à la réforme de son clergé et des
moines de son diocèse. Ses soins rétablirent la discipline et la
ferveur dans les abbayes de Sénones, de Saint-Dié, d'Estival, de
Bon-Moutier, de Moyen-Moutier et de Saint-Mansui ; il réforma
aussi la manière de célébrer l'office divin, et rendit plus
majestueuse la musique des églises. Il était très habile dans la
musique en général, et il en savait si parfaitement la
composition, qu'il surpassait en ce point plusieurs des anciens.
Il était infatigable lorsqu'il s'agissait de procurer le salut
des âmes, et de faire fleurir la piété. Toujours petit à ses
propres yeux, il ne se laissait point enorgueillir par les
grandes actions qu'il faisait. Il lavait chaque jour les pieds à
plusieurs pauvres, et les servait lui-même. Jamais il ne perdait
l'esprit de componction ; il l'entretenait au contraire par des
austérités secrètes. Sa patience et sa douceur étaient
inaltérables : ce fut par ces deux vertus qu'il triompha de la
malignité de ceux qui voulurent le brouiller avec l'Empereur et
avec d'autres personnes puissantes. Il avait une tendre dévotion
pour les apôtres saint Pierre et saint Paul, dont il allait
chaque année visiter les tombeaux à Rome.
La mort du
Pape Damase, arrivée en 1048, laissait le Saint-Siège vacant.
L'Église de Rome demandait un pontife qui réunît la prudence au
zèle, les bons exemples à la fermeté contre le vice, la
connaissance des canons au désir de les faire exécuter. On
admirait toutes ces qualités dans Brunon. Il refusa d'abord de
se rendre aux vœux unanimes de ceux qui, dans la diète de Worms,
lui déférèrent la dignité pontificale. L'Empereur Henri III
honora l'assemblée de sa présence. Brunon, qui s'y trouvait,
employa tous les moyens possibles pour se soustraire à cette
éminente dignité ; mais voyant que ses efforts étaient inutiles,
il demanda trois jours pour délibérer. Il les passa dans la
prière, dans les larmes, et dans un jeûne si rigoureux, qu'il ne
prit aucune nourriture durant tout ce temps là. Le terme expiré,
il retourna à l'assemblée, où il fit une
confession publique de toute sa vie avec une telle abondance de
larmes, qu'il en tira des yeux de tous les
assistants.
Son desse1n était de convaincre de son indignité ceux qui
l'avaient élu, et par-là de les porter à révoquer leur choix. Ce
moyen ne lui réussit point encore ; il fut donc obligé de se
rendre. Il ne se rendit toutefois qu'à condition que, s'il
n'avait pas le suffrage de tout le clergé et de tout le peuple
de Rome, on ne l'obligerait pas à rester Pape. Les choses étant
ainsi disposées, il revint à Toul.
Il partit pour l'Italie quelque temps après Pâques. Il était en
habit de pèlerin, et sans équipage. A quelques milles de Rome,
il descendit de cheval, et fit son entrée dans cette ville. On
l'y reçut avec de grandes acclamations, et l'on y ratifia son
élection. Il fut sacré le 12 Février 1049, et prit à son
intronisation le nom de Léon, choisissant saint Léon le Grand
pour modèle, et se proposant d’honorer, comme lui, la chaire
apostolique par sa piété, son zèle, son courage et sa douceur.
Il commença son pontificat par travailler à extirper la simonie,
et à abolir les mariages incestueux qui étaient fort fréquents
parmi la noblesse. Dans un voyage qu'il fit en Allemagne la même
année 1049, il signala tous ses pas par des actes de religion.
Il tint un concile à Rheims, où il consacra l'église de l'abbaye
de S. Remi ; de là il alla à Metz et à Mayence. Ce fut dans
cette dernière ville qu'il tint au mois d'Octobre un concile où
assistèrent quarante évêques en présence de l'Empereur. A son
retour, il passa près de trois mois en Alsace sa patrie, et y
consacra un grand nombre d'églises abbatiales et paroissiales.
Étant venu à Strasbourg au mois de Janvier de l'année 1050, il
accorda à la cathédrale de cette ville plusieurs indulgences et
des privilèges particuliers ; il y consacra aussi la nouvelle
église de Saint-Pierre-le-Jeune. Il ne passa dans aucun lieu
sans y laisser des marques de sa piété et de son zèle. Il fit
assembler les seigneurs
d'Alsace, et les engagea à recevoir et a établir dans la
province la trêve de
Dieu.
De retour à Rome, Léon y tint, en 1050, un concile, où les
erreurs de Bérenger sur l'Eucharistie furent condamnées. Peu de
temps après, il se remit en chemin pour aller combattre les
vices qui défiguraient la face de l'Église. Dans un nouveau
concile qui se tint à Verceil, et qui fut composé d'évêques de
différons pays, il renouvela la censure des erreurs, et condamna
au feu un écrit de Jean Scot Érigène. L'année suivante, il fit
un voyage à Toul, par attachement pour son ancien troupeau, et
accorda de grands privilèges à l'abbaye de Saint-Mansui. En
1052, il passa en Allemagne pour travailler à la réconciliation
de l'Empereur Henri, et d'André, Roi de Hongrie.
L'année
suivante, Michel Cérularius, patriarche de Constantinople, et
Léon, évêque d’Acride, écrivirent une lettre commune à Jean,
évêque de Trani dans La Fouille. Ils y faisaient un crime aux
Latins de l'observation de quelques pratiques concernant la
discipline, comme de célébrer avec du pain azyme, de jeûner les
samedis de carême, de ne pas s'abstenir de manger du sang,
d'omettre en carême le chant de l'alléluia, etc. Un
schisme fondé sur de pareilles raisons était assurément bien
inexcusable. Le saint Pape répondit au patriarche par une
exhortation touchante à la paix, et lui montra que les pratiques
en question, surtout celle de consacrer avec du pain azyme,
étaient d'une haute antiquité, et remontaient jusqu'à saint
Pierre. Il envoya le cardinal Humbert à Constantinople pour
justifier l'Église latine, et pour empêcher que les
Grecs ne se séparassent de son sein. La belle apologie qu'il fit
de la discipline observée parmi les
Latins,
ne produisit pas tout l'effet qu'on devait en attendre. Rien ne
fut capable de toucher le patriarche ; il vint même à bout, par
ses intrigues, d'entraîner dans le schisme la plus grande partie
des églises orientales.
Cependant l'Italie
était en proie aux ravages des Normands, qui s'étaient emparés
du royaume de Naples, après en avoir chassé les Sarrasins et les
Grecs. Léon ne pouvant plus souffrir les désordres qu'ils
causaient de toutes parts, implora contre eux le secours de
l'Empereur Henri III, avec lequel il avait fait l'échange de
Fulda, de Bamberg et de quelques terres que les Papes
possédaient en Allemagne, contre la ville de Bénévent et toutes
ses dépendances. Ses troupes, jointes à celles qu'il reçut de
l'Empereur, marchèrent contre les Normands ; mais comme elles
étaient mal disciplinées, elles furent vaincues et taillées en
pièces. Le saint Pontife, qui s'était avancé jusqu'à Bénévent,
tomba entre les mains des vainqueurs, qui le firent prisonnier.
Ils le traitèrent toutefois avec beaucoup d'égards et de respect
pendant l'année que dura sa captivité.
Léon sanctifia ce
temps-là par des jeûnes rigoureux, de longues veilles et une
prière continuelle. Il portait le cilice, et n'avait pour lit
que le plancher de sa chambre couvert d'une natte, et qu'une
pierre pour oreiller. A toutes ces mortifications, il joignait
d'abondantes aumônes.
Étant tombé malade,
il demanda qu'on le conduisît à Rome, ce qui lui fut accordé.
Comme il sentait approcher sa fin, il employa ce qui lui restait
encore de vie à donner à son clergé les instructions les plus
touchantes. Il se fit porter dans l'église du Vatican, où il
pria longtemps ; après quoi il s'entretint de la résurrection
sur le bord de son tombeau. Le lendemain, lorsqu'on lui eut
administré le sacrement de l'Extrême-onction, il voulut qu'on le
transportât devant l'autel de saint Pierre : il y pria prosterné
pendant une heure ; ayant été ensuite remis sur son lit, il
entendit la messe, reçut le saint Viatique, et rendit l'esprit
peu de temps après. Sa bienheureuse mort arriva le 19 Avril
1054, dans la cinquante-deuxième année de son âge, après un
pontificat de cinq ans deux mois et neuf jours. Il fut enterré,
avec une grande solennité à Saint-Pierre, près l'autel de saint
Grégoire, devant la porte de l'église. Sa sainteté fut attestée
par plusieurs miracles opérés de son vivant à son tombeau. Peu
de temps après sa mort, il fut mis au nombre des Saints. Son
culte passa bientôt d'Italie en France et en Allemagne. Ses
reliques sont aujourd'hui dans l'église de Saint-Pierre, sous
l'autel de saint Martial. On a longtemps conservé son bras dans
l'église de Sainte-Croix de Woflenheim. Son crâne est exposé à
la vénération publique dans l'église abbatiale de Lucelle en
Alsace.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard.
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