Lupicin
était
frère
puîné
de
saint Romain,
abbé
de
Condat. Jeune
encore,
il
fut engagé
dans
les
embarras du
monde,
dont
le
contact
ne
lui fit
pourtant
rien
perdre
de
cette tendre
piété
qu'il
avait
constamment
pratiquée
pendant
son
enfance. Dès
que
Dieu, en
ravissant
à
ce fervent
chrétien
sa
femme et
son
père, eut
brisé
ainsi
une
partie des
liens
qui
le retenaient
dans
le
siècle, Lupicin
alla
rejoindre
son
frère Romain
dans
les
déserts du
mont
Jura.
L'enfer,
jaloux
de
tout le
bien
que
cette réunion
allait
procurer
à
la religion
en
donnant naissance
à
tant de
maisons
sainte,
qui
devaient devenir
en
Occident les
rivales
des
Laures de
la
Thébaïde, mit tout en
œuvre pour la détruire dès son principe. Si l'on en croit saint
Grégoire de Tours, ce n'est pas seulement par des tentations
intérieures que le démon attaqua les deux saints solitaires mais il
les molestait jour et nuit par mille mauvais traitements, à un tel
point que, lassés de ses poursuites, ils résolurent de quitter ces
lieux et reprirent le chemin de leur pays. Ils logèrent d'abord chez
une pauvre femme qui s'informa d'où ils venaient et quel était leur
dessein les deux frères ayant satisfait à ses demandes, elle leur
représenta combien il serait honteux pour eux de se laisser vaincre
si lâchement par celui que les amis de Dieu avaient si souvent
vaincu. La vérité qui parlait par la bouche de cette femme les fit
rentrer en eux-mêmes; ils reprirent courage, retournèrent dans leur
désert, et, à force de prières, ils obtinrent do la miséricorde de
Dieu, non seulement de persévérer dans la résolution qu'ils avaient
formée de passer leur vie dans la solitude, mais encore d'être
délivrés des assauts du démon.
Ils avaient
établi leur demeure sous les branches épaisses d'un énorme sapin, au
fond d'une gorge que dominent de hautes montagnes, et auprès d'une
fontaine qu'on appelle aujourd'hui le Bugnon. Ce fut le berceau du
monastère de Condat. C'est là que les pieux anachorètes reçurent
leurs premiers disciples, et les initièrent à cette vie de
renoncement, dont ils avaient les premiers, donné l'exemple dans la
Séquanie (Franche-Comté). Bientôt le nombre des moines rassemblés
sous la conduite de Romain et de Lupicin augmenta tellement, qu'il
fallut songer à construire un nouveau monastère, pour y envoyer une
partie des religieux. Cette colonie, placée spécialement sous la
conduite de Lupicin, s'établit, vers l'an 445, à une lieue de
Condat, dans une plaine assez fertile, appelée Lauconne, et où
s'élève, aujourd'hui le village de Saint-Lupicin. Cette nouvelle
maison, fondée sur le modèle du monastère principal, en adopta les
règles et les usages. On y éleva un oratoire on y construisit des
cellules isolées pour chaque moine, et les religieux y partagèrent
leur temps entre le travail et la prière. Les moines de Condat et de
Lauconne se proposaient surtout d'imiter la vie des anachorètes de
l'Orient Ils lisaient tous les jours les règles de saint Pacôme, de
saint Basile, des moines de Lérins, de Cassien, et trouvaient leurs
modèles dans les écrits des Pères du désert.
L'austérité de
Lupicin, tempérée par la direction paternelle de son frère,
maintenait la discipline parmi les religieux. Jusqu'à saint Oyend,
quatrième abbé de Condat, il n'y eut pas de règle spécialement
rédigée pour ce monastère. L'exemple de Lupicin était la meilleure
des règles. Surtout sévère envers lui-même, il ne semblait
s'inspirer que de l'austérité la plus rigide. Toujours il fut vêtu
d'une tunique de poil fort incommode et d'autant plus propre à le
maintenir dans des sentiments d'humilité, qu'elle était composée de
peaux de diverses bêtes, mal apprêtées et grossièrement cousues; son
capuce pouvait tout au plus le garantir de la pluie, mais non pas du
froid, qui était rigoureux à Lauconne il portait des sabots dans son
monastère, et ne prenait des souliers que lorsqu'il fallait sortir
pour le service du prochain. Il n'avait point de lit lorsque tous
ses religieux étaient couchés, il entrait dans la chapelle, où il
passait une partie de la nuit en méditation quand il se sentait
abattu par la fatigue, il prenait un peu de repos sur un banc. Dans
le fort de l'hiver, il présentait au feu une longue écorce d'arbre
faite en forme de berceau, et lorsqu'elle était un peu échauffée, il
s'y couchait, seulement couvert de ses habits. Quoique plusieurs
écrivains aient remarqué que les Gaulois ne fussent pas d'une
complexion telle qu'ils pussent jeûner aussi rigoureusement que les
religieux de l'Orient, Lupicin ne se laissa pas d'aller encore plus
loin que la plupart d'entre eux par l'austérité de ses abstinences
et la longueur de ses veilles 1. Ordinairement il ne prenait de
nourriture que tous les trois jours; il ne but jamais de vin depuis
qu'il eut quitté le monde il s'abstint même d'eau les huit dernières
années de sa vie quand la soif le prenait il en éteignait peu à peu
les ardeurs en trempant les mains dans un bassin d'eau, sans prendre
d'autre rafraîchissement; jamais, dans ses maladies, il ne souffrit
qu'on mêlât à son potage de l'huile ni du lait, bien que l'usage en
fût permis aux infirmes dans son monastère près de mourir, en proie
aux accès d'une fièvre ardente, s'étant aperçu qu'on lui
administrait de l'eau dans laquelle on avait mis un peu de miel, il
refusa ce breuvage. Avec un tel esprit d'abnégation, Lupicin était
préparé à tous les sacrifices. Dieu lui en imposa cependant un bien
pénible pour son cœur, et plus dur que toutes ses pénitences
corporelles. Vers l'an 460, son frère Romain mourut entre ses bras,
au monastère de la Balme, dont leur sœur Iole était abbesse. Dès
lors, Lupicin eut à suppoeter seul la lourde tâche de diriger toutes
les communautés du Jura. Il resta à Lauconne, où étaient alors
réunis cent cinquante moines, et mit, quelque temps après, saint
Minase ou Minause à la tête de Condat, pour administrer ce monastère
sous sa direction.
Lupicin
gouvernait ses religieux avec autant de zèle que de prudence. Sévère
à l'égard des hommes orgueilleux et opiniâtres, il savait au besoin
allier la douceur à l'austérité du caractère, et se montrer
indulgent pour les fautes qui attestaient plus de faiblesse que de
malice. Dans l'année qui suivit la mort de saint Romain, deux
frères, ayant formé le dessein de fuir ensemble du monastère, se
donnèrent rendez-vous pour la nuit a l'église, afin d'y prier encore
avant de partir. Ils s'y rendirent en effet au milieu des ténèbres,
et quand ils eurent prié un instant « Pour vous, dit alors l'un
d'eux, emportez d'ici mon sarcloir et ma hache, tandis que j'irai
tout doucement dans votre cellule prendre votre saie et votre coule,
et, après avoir ainsi emporté tout ce qui nous appartient, nous nous
retrouverons dans le lieu convenu » Les ténèbres étaient profondes
et les deux religieux se croyaient seuls. Mais Lupicin se trouvait à
l'église, méditant et priant dans le silence de la nuit, comme il le
faisait souvent, et il avait tout entendu. Lorsqu'il vit que les
deux frères avaient tout préparé pour leur départ, et qu'ils
allaient mettre le pied hors du monastère, il s'écria du coin de
l'église où il s'était, retiré : « Mes chers enfants, puisque vous
êtes venus prier avec moi avant de partir, vous ne me refuserez pas
le baiser de paix au moment de me quitter s. A ces paroles
inattendues, les deux malheureux frères tombent frappés de stupeur.
Ils versent des larmes, et leurs soupirs attestent qu'ils sentent
vivement les remords de leur conscience. Lucipin vient à eux, les
appelle par leur nom, et, étendant la main sur eux, les embrasse
avec une bonté qui achevé de les gagner. Il ne leur adresse aucun
reproche, mais, sans rien leur dire de plus, il se met à genoux avec
eux et continue à prier. La grâce divine fit le reste. Les deux
moines, touchés d'un vif sentiment de repentir, firent de nombreux
signes de croix sur leurs yeux et sur leur poitrine, et, après avoir
prié un instant, ils s'en retournèrent chacun à son lit, pleins de
honte et de frayeur. Ils étaient si tremblants, que, dans leur
trajet, ils ne se dirent pas un mot de ce qui venait de se passer.
Cependant, la confusion qu'ils avaient éprouvée et la bienveillance
que leur avait témoignée Lupicin, leur faisaient espérer qu'ils
obtiendraient de lui le pardon de leur faute.
Ce récit témoigne
assez de la douceur que Lupicin savait employer à propos. Mais ce
qui atteste aussi sa discrétion, c'est que, pendant près de vingt
ans, le saint Abbé ne parla jamais à personne de cette aventure. Un
de ces deux frères étant mort, Lupicin réunit alors la communauté,
et crut pouvoir raconter cette histoire en présence de celui des
deux moines qui vivait encore. Il en tira d'utiles leçons pour la
consolation et l'édification de tous. « Voyez », leur disait-il, «
mes chers enfants, quelles ruses et quels artifices le démon emploie
pour vaincre les amis du Christ. Mais si Dieu a permis que ses
serviteurs fussent tentés un moment, c'était pour faire éclater sur
eux ses miséricordes, car il leur a tendu la main lorsqu'ils
chancelaient, et il n'a pas souffert qu'ils devinssent la proie de
l'antique serpent ».
La vie qu'on
menait à Condat et à Lauconne était une vie de sacrifices. Aussi il
arrivait assez souvent, comme nous l'avons vu, que des moines, même
d'entre les meilleurs et les plus éprouvés, se lassaient de ce genre
de vie et cédaient au désir de chercher ailleurs plus d'aises et de
libertés. Quelques mois après l'aventure que nous venons de
raconter, un des plus vertueux frères, nommé Dativus, se laissa
séduire par les ruses du démon. C'était un homme d'une grande
douceur, d'une profonde humilité, d'une admirable obéissance. Dieu
l'avait prévenu des grâces les plus abondantes. Mais il eut le
malheur de ne pas s'armer du bouclier de la prière pour repousser
les artifices de l'esprit des ténèbres. Il admira ses propres
vertus, s'enorgueillit de son humilité, et perdit peu à peu l'esprit
de prudence et de discernement. Il eut un jour une dispute avec
quelques autres religieux. Le débat s'envenima insensiblement. Ses
contradicteurs irritèrent son amour-propre, tandis que d'autres
frères, prenant son parti, et l'excitant en particulier par des
rapports insidieux, le poussèrent enfin à quitter le monastère.
Dativus fit un paquet de ses bardes, et sortit secrètement afin de
n'être retenu par personne. Puis il se dirigea en toute hâte vers la
ville de Tours, et se rendit aussitôt à la basilique de
Saint-Martin, pour y faire sa prière. Mais il ne fut pas plus tôt
entré dans l'église, qu'un énergumène courut à lui en l'appelant par
son nom « Ah voilà notre moine du Jura ! Salut, notre cher Dativus.
C'est bien, puisque vous êtes maintenant des nôtres. Il ne faut que
continuer ». Dativus, tremblant de se voir ainsi reconnu et se
croyant joué par le démon, se mit à pousser <LE< span>profonds
soupirs. Après avoir prié quelques instants, il se hâta de reprendre
le chemin de son monastère, où il demanda avec instance à être reçu
de nouveau. Pendant quelque temps, ce moine, devenu plus attentif à
veiller sur ses sentiments et ses démarches, vécut d'une manière
édifiante et régulière. Mais au bout de deux ans il se laissa encore
séduire, comme la première fois, par les inspirations de l'orgueil,
et prit sa saie et ses instruments de travail pour sortir, aux yeux
de toute la communauté. Saint Lupicin, le regardant comme perdu s'il
partait une seconde fois, se mit à verser des larmes amères sur
cette brebis égarée, et à prier pour sa conversion. Cependant
Dativus, ayant chargé son bagage sur ses épaules, demeura d'abord
une demi-heure, tout interdit, dans la cour du monastère. Puis,
jetant son fardeau dans le vestibule et adressant ces paroles
ironiques au démon de l'orgueil, qui le tentait. « Allons, dit-il,
toi qui me conseilles de fuir, porte toi-même ce fardeau, si tu veux
que je te suive a. Aussitôt les vaines imaginations de Dativus
disparurent de son esprit. Il embrassa avec joie tous les frères qui
avaient été témoins de sa tentation, et resta dès lors fidèle aux
devoirs d'un bon religieux.
Heureusement pour
les monastères de Condat et de Lauconne, ces épreuves et ces
tentations, qui s'étaient produites quelquefois parmi les moines, ne
troublaient pas gravement la communauté, et n'empêchaient pas la
paix et la charité d'y régner habituellement. Lupicin, qui veillait
à tout, pourvoyait avec sollicitude aux besoins temporels du
cloître. Quelquefois les récoltes que fournissait un sol ingrat et
stérile ne suffisaient pas à la nourriture des moines et des
religieuses qu'il avait à gouverner. Alors, comme un nouveau Moïse,
le saint Abbé se prosternait humblement devant le Seigneur, et
implorait avec confiance la miséricorde du bon Maître, qui a promis
de donner à ses serviteurs leur pain de tous les jours. Son
espérance n'était point confondue, et Dieu multipliait les miracles
pour venir au secours de ses élus. Ainsi, une année que la
communauté était fort nombreuse et qu'une multitude de séculiers
étaient venus chercher un asile au monastère, les ressources
alimentaires y furent épuisées en peu de temps, et la faim commença
à s'y faire sentir. L'économe voyait avec effroi qu'il n'y avait
plus de vivres que pour quinze jours, tandis que la moisson était
encore éloignée de trois mois. Il prit donc avec lui cinq religieux
des plus anciens, alla trouver saint Lupicin, et lui avoua, les
larmes aux yeux, que la communauté était exposée à mourir bientôt de
disette. Le saint Abbé, plein d'une confiance inébranlable, éleva
aussitôt sa pensée vers Celui qui est le pain vivant descendu du
ciel, et s'écria « Venez, mes chers enfants, entrons dans le grenier
où nous avons encore quelques gerbes, et prions avec foi.
N'avons-nous pas, nous aussi, abandonné les villes pour suivre le
Seigneur et écouter sa parole dans le désert ? » Il entre donc dans
le grenier, se prosterne la face contre terre, et prie avec ferveur
Celui qui a dit dans l'Évangile « Personne ne quittera pour moi sa
maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses
enfants, ou ses biens, que, même dans ce siècle, il ne recouvre le
centuple ». Puis le saint Abbé se relève, étend les mains en élevant
des regards suppliants vers le ciel, et, dans l'entraînement et
l'ardeur de sa foi, adresse au Seigneur cette fervente prière « Dieu
tout-puissant, vous qui, par la bouche de votre serviteur Elie, avez
promis autrefois à une pauvre veuve que la farine et l'huile de ses
vases ne diminueraient point jusqu'au jour où la pluie du ciel
retomberait sur la terre, jetez les yeux sur votre Église, qui est
placée désormais sous la protection de votre Fils Jésus-Christ, son
éternel Époux; et, comme vous nous avez donné le pain de la parole
divine, accordez-nous encore le pain matériel; faites que, jusqu'au
jour où nous pourrons obtenir des récoltes nouvelles, le blé ne
cesse d'abonder dans le grenier de vos serviteurs ».
Tous les frères
qui étaient présents répondirent Amen. Alors, Lupiein, se tournant
vers l'économe « Faites battre », lui dit-il, « ces gerbes que le
Seigneur à bénies. Car Dieu écoute les prières que la foi inspire,
et c'est de nous aussi qu'il a dit ces paroles ils mangeront, et il
y aura encore des aliments de reste ». Dieu récompensa
miraculeusement la confiance de son serviteur. On battit les gerbes
sans pouvoir les épuiser, et, jusqu'au temps de la moisson, elles
fournirent du grain en abondance pour les besoins des religieux et
des étrangers. Au nombre des témoins de ce miracle se trouvait saint
Oyend, alors novice, et qui devint plus tard abbé de Condat. C'est
de lui et de plusieurs anciens moines qui avaient participé aux
fruits de cette bénédiction miraculeuse, que l'historien de Coudât
apprit tous les détails de ce miracle.
Un tel prodige
accordé à la foi de Lupicin attestait assez que le ciel approuvait
sa conduite et voulait bénir son gouvernement. C'est qu'en effet
chez lui la sévérité qui châtie n'était jamais séparée de la charité
qui guérit et qui console. Les besoins de ses moines le touchaient
toujours plus que les siens propres, et il prenait un soin
merveilleux de tous ceux qui souffraient. En s'appliquant à
maintenir parmi eux une discipline austère, et leur interdire non
seulement toute action, mais encore toute parole déréglée, il
veillait aussi à les éloigner des mortifications excessives, et leur
apprenait que la voie de la discrétion est la plus sûre et la plus
chrétienne. L'époque où saint Lupicin vivait à Lauconne, fut une
époque de grands bouleversements pour son pays après avoir passé,
vers l'an 412, de la domination des Romains sous celle des
Bourguignons, il respirait à peine, protégé par le sceptre des
princes de cette nation. Des haines envenimées avaient pris
naissance au sein des divisions politiques, et le parti vaincu
fournit longtemps des victimes à la police ombrageuse du parti
vainqueur. C'est dans.ces circonstances critiques qu'apparaît dans
toute sa charité le prêtre du Christ, qui ne voit que des frères
dans tous les hommes, sans demander s'ils sont du parti de Paul,
d'Apollo ou de Céphas.
Saint Lupicin,
guid.é par l'amour de son prochain, fit souvent le voyage de Genève,
où Chilpéric, roi de Bourgogne, père de sainte Clotilde, faisait
quelquefois sa résidence il obtint fréquemment de ce prince sa
miséricorde ou sa justice en faveur de malheureux compromis ou
opprimés pour des faits politiques son ascendant devint si grand à
cette cour, qu'il fit rendre la liberté à de nombreux habitants de
nos contrées que certains seigneurs, en vertu on ne sait de quel
droit, revendiquaient comme leurs serfs. Qu'on n'accuse donc pas les
prêtres d'être les ennemis de la liberté ils en sont le plus ferme
appui, puisqu'ils sont ministres de Jésus-Christ dont l'oeuvre a été
de détruire l'esclavage.
Chilpéric prit
notre Saint en singulière affection, lui fit des présents
magnifiques pour les églises de ses monastères, et lui offrit des
terres considérables pour l'entretien des moines. Lupicin les
refusa, craignant que ces possessions ne portassent atteinte à
l'esprit de pauvreté dans lequel il voulait maintenir ses
communautés seulement il pria le roi de leur assigner plutôt une
certaine quantité de fruits chaque année pour leur subsistance. Le
prince lui accorda ce qu'il souhaitait, et fit fournir tous les ans
au monastère de Lauconne 300 boisseaux de blé et autant de mesures
de vin pour la nourriture des religieux, et cent pièces d'or pour
leur acheter des vêtements Cette abbaye jouissait encore de cette
rente longtemps après que les rois de France, descendants de Clovis,
se furent rendus maîtres du royaume de Bourgogne.
Saint Lupicin
survécut près de vingt 'ans à son frère il prit soin de l'abbaye de
Condat, après la mort de saint Romain, et garda la direction de tous
les monastères qu'ils avaient fondés dans les Vosges et en
Allemagne. La longue vie qu'il mena jusqu'au-delà de quatre-vingts
ans, on peut dire sous les coups d'une sévère discipline, fut
regardée comme le plus grand des miracles que Dieu ait opérés en sa
faveur. Il mourut vers l'an 480, à l'époque de la naissance de saint
Benoît.
La régularité
qu'il avait établie avec son frère dans les monastères de leur
institution, se conserva longtemps dans toute sa pureté à Condat et
à Lauconne,
qui
était le
lieu
particulier
de
sa retraite,
où
il fut
enterré
et
où il
avait
laissé
en
mourant cent
cinquante
religieux,
tous
imitateurs
de
la vertu
sévère
de
leur
maître.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |