Barbe Avrillot naquit à Paris, le 1er Février 1556
,
de Marie Lhuillier et de Nicolas Avrillot, seigneur de
Champlâtreux,
conseiller-maître ordinaire des comptes de la Chambre de Paris et chancelier de
la reine Marguerite de Navarre ; il descendait de Jacques Cœur.
Élevée
dans une famille riche, catholique et royaliste, Barbe reçut une forte éducation
chrétienne
et une bonne instruction. A onze ans, elle fut placée à l’abbaye de Longchamp
pour y continuer ses études, sous la direction d’une de ses tantes qui y était
religieuse et où elle reçut sa première communion à douze ans. Intelligente,
vive et gaie, Barbe ressentait de l’attrait pour la vie monastique, mais ses
parents qui avaient pour elle d’autres projet, la retirèrent de Longchamp dès
1580. Rentrée dans le monde, elle n’en continua pas moins ses habitudes de piété
et conçut le projet d’entrer chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu pour servir les
malades ; projet que sa mère combattit sévèrement.
Pour obéir à ses parents, elle épousa (24 août 1582) en
l’église Saint-Merry, Jean-Pierre Acarie, vicomte de Villemore et
conseiller-maître ordinaire des comptes de la Chambre de Paris, parfait
honnête homme, à la fois très riche et très pieux. En même temps qu’elle
menait une vie brillante dans le monde où on l’appelait la belle Acarie,
dans son particulier, épouse heureuse et comblée, elle restait fidèle à sa vie
de piété qu’elle partageait avec sa femme de chambre, Andrée Levoix, qui
sera la première carmélite française. Affable et gracieuse, épouse modèle
d’un excellent mari, encore que d’humeur contrariante, elle en eut trois garçons
et deux filles. Maîtresse de maison accomplie, elle se livrait aussi à des
œuvres multiples et vraiment remarquables. Le rayonnement de l’Hôtel Acarie
fut grand et l’influence de la belle Acarie, dépassant le cercle de sa
famille et de ses relations, s’étendit à la Cour, au Clergé ; on venait la
consulter, attiré par sa prudence et ses lumières surnaturelles ; elle avait « en
un degré hautement sublime ce qu’on appelle le discernement des esprits »
.
Des hommes éminents la consultaient dans des cas difficiles. Sa vie intérieure
était intense.
Jeune, elle avait pris plaisir à la lecture des romans, mais
un jour la sentence : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » fut un
trait qui la transforma pour ne plus s’effacer, et ce fut le début d’une emprise
divine extraordinaire. Les extases se multiplièrent ; elle ne les comprit
d’abord pas et souffrit un martyre intérieur, jusqu’à ce qu’elle trouvât enfin
(1592) des guides éclairés, comme le capucin Benoît de Canfeld et le chartreux
Richard Beaucousin, qui la rassurèrent, voyant en elle l’action de Dieu.
Cette haute oraison, loin de la détourner de son devoir
d’état, l’aidait à être une « femme forte », admirable dans les
circonstances les plus difficiles. Son mari, ligueur opposé à l’accession au
trône du roi protestant Henri IV, fut condamné à l’exil et dépouillé de ses
biens (1594)
.
Barbe Acarie, par son énergie, sa sagacité, ses labeurs retrouva en partie le
patrimoine confisqué
.
Non moins héroïque dans les maladies, toujours sereine parce que toujours unie à
Dieu, elle étonnait par sa patience et son amour des souffrances. Une jambe
brisée par trois fois la laissa toujours infirme, sans ralentir son activité
apostolique. On a pu dire que « de son temps, il ne se faisait rien de
notable pour la gloire de Dieu qu’on ne lui en parlât ou qu’on en prît son avis »
.
Marie de Médicis se fût volontiers mise en quelque sorte sous
sa direction, si Mme Acarie ne se fût dérobée à cet honneur avec autant de soin
qu'une autre eût mis à l'obtenir. La marquise de Maignelay et la marquise de
Bréauté, toutes deux si célèbres dans la société du temps, devinrent ses amies
intimes qui allaient à la rue des Juifs pour la voir et écouter ses avis. Saint
François de Sales, M. de Genève, comme on disait, était lors de ses séjours à
Paris, l'hôte assidu de l'Hôtel Acarie et, plus tard, saint Vincent de Paul y
trouva aussi appui et lumière.
On avait, en 1601, publié la vie de sainte Thérèse d’Avila
par le jésuite Francesco de Ribera, traduite par Jean de Brétigny
,
qui avait produit beaucoup d'impression parmi les personnes pieuses. Madame
Acarie lut l'ouvrage et en fut très frappée, sans avoir seulement la pensée tout
d'abord qu'elle put être appelée à contribuer à introduire l'ordre du Carmel
réformé en France, mais comme il arrive souvent en pareil cas, ce fut celle qui
par sa position dans le monde y semblait le moins destinée que Dieu choisit pour
être l'instrument de ses desseins. Madame Acarie, avertie par une vision où
sainte Thérèse lui apparut pour lui expliquer la mission qu'elle allait avoir à
remplir, commença d'abord par essayer de se dérober. Elle consulta les plus
habiles théologiens de l'époque, qui eux aussi lui conseillèrent de « s'ôter
cela de l'esprit » les temps n’étant pas favorables pour une fondation de
cette nature.
Quelques mois plus tard, elle eut une nouvelle apparition de
la sainte qui lui ordonnait de fonder le Carmel en France. Etonnée et troublée,
elle parla, comme malgré elle, de ces visions et du projet à deux princesses de
la maison d'Orléans-Longueville
,
Madame de Longueville
et Madame d'Estouteville
qu'elle allait solliciter pour une bonne œuvre. Au lieu du refus auquel elle
s'attendait, elle vit à sa grande surprise le projet approuvé et
chaleureusement adopté par les deux princesses qui se chargent d'aller
elles-mêmes solliciter la permission du Roi, alors que tout semblait la devoir
faire refuser.
Confondus de ces faciles débuts, Madame Acarie et ses
directeurs y virent une marque incontestable de la volonté divine et se mirent
avec ardeur à en réaliser l'exécution. Michel de Marillac, le futur chancelier
de France
,
lui aussi poussé par une inspiration intérieure, vint de lui-même se mettre à la
disposition de ceux qui travaillaient à l’entreprise et devint leur plus utile
et plus actif collaborateur.
Plusieurs réunions eurent lieu auxquelles prit part saint
François de Sales. La princesse de Longueville, de son côté, obtint du roi,
après quelque résistance, l'autorisation de fonder dans le royaume des
monastères de carmélites réformées, suivant la règle de sainte Thérèse
.
L'emplacement pour le nouveau couvent fut vite trouvé à l'extrémité de la rue
Saint-Jacques et l'on se mit de suite, une fois les obstacles levés grâce à
l'activité et à la persévérante énergie de Madame Acarie, à construire le
monastère qui devrait devenir si célèbre dans l'histoire religieuse de cette
époque. Madame Acarie surveillait elle-même avec le plus grand soin la
construction des bâtiments, pendant qu'elle réunissait autour d'elle un groupe
de personnes pieuses désireuses d'entrer dans l'ordre que l'on établissait et
s'appliquait à les former à la vie religieuse, à celle de carmélite en
particulier d’après les écrits de sainte Thérèse et les constitution du Carmel.
Elle gardait les aspirantes dans sa demeure, mais voyant vite
qu'il était impossible de faire marcher de front la conduite de sa maison et
cette espèce de noviciat sans qu'il en résultât des inconvénients, Madame Acarie
établit la petite communauté dans une modeste maison, située place
Sainte-Geneviève et achetée par Madame de Longueville
.
C'est là que se formèrent sous ses yeux les premiers sujets de l’ordre du Carmel
en France. Le 3 novembre 1603, Clément VII, à la demande de M. de Santeuil,
secrétaire du Roi et envoyé à Rome, accordait la bulle d'institution et rien ne
s'opposait plus à la fondation.
Cependant le secours qu'on avait sollicité et espéré
d'Espagne n’arrivait pas et les carmes espagnols se refusaient obstinément à
envoyer des religieuses formées par sainte Thérèse pour aider à la création du
Carmel en France. Eclairée par une des novices de sa petite congrégation, qui
s'offrit à aller elle-même en Espagne chercher des carmélites espagnoles, elle
fit décider que trois envoyés, dont l'un devait être M. de Bérulle
,
iraient en Espagne pour essayer d'en ramener quelques religieuses professes
formées par la sainte elle-même et pouvant ainsi transmettre son esprit et ses
enseignements. Ces voyageurs d'un nouveau genre partirent en effet peu après,
munis de lettres de recommandation du roi Henri IV qui, revenu de sa première
impression, désirait très vivement la réussite de l'entreprise comme devant
resserrer les liens qu'il voulait rétablir entre les deux pays.
D'abord fort mal reçue, la délégation mena la campagne avec
une vivacité toute nationale et, après mille péripéties, finirent par ramener,
comme en triomphe, six carmélites espagnoles d'une vertu éprouvée dont deux, la
Mère Anne de Jésus et la Mère Anne de Saint-Barthélemy, avaient été formées par
sainte Thérèse elle-même
.
Le 17 octobre 1604, la petite caravane arrivait à Paris où sa venue fut une
sorte d'événement. L'œuvre était fondée et lorsque la mère Anne de Jésus entonna
le psaume « Laudate Dominum » en entrant dans l'église de ce qui devait
être le grand couvent de la rue Saint-Jacques, Madame Acarie dut sentir son cœur
se fondre de joie et de reconnaissance, car c’était bien à elle, à son
invincible confiance en Dieu, qu'était dû le succès d'une entreprise qui avait
semblé si difficile à mener à bien. Pour apprécier à sa valeur l'œuvre de Madame
Acarie, il faut lire dans les mémoires du temps le rôle joué par le Carmel dans
la vie religieuse et morale du XVIIe siècle.
Tant que Madame Acarie fut retenue dans le monde, elle ne
cessa pas de s'occuper et de s'intéresser à ses chères carmélites
sans cependant s'absorber dans cette unique préoccupation, car elle aida
beaucoup Madame de Sainte-Beuve à fonder en France les ursulines destinées à
l'éducation des jeunes filles.
Elle continua cependant jusqu'à la fin à diriger avec le plus
grand soin la maison de son mari, à le soigner et à supporter, sans jamais se
plaindre, les taquineries ou les incartades que, l’âge venant, il lui
prodiguait. Ses trois filles furent élevées par cette mère incomparable avec
autant de tendresse que de fermeté. Elles se donnèrent l'une après l'autre, sans
y être aucunement poussées, à cet ordre du Carmel que leur mère venait
d'introduire en France. L'une d'elles fut la célèbre Mère Marguerite du
Saint-Sacrement qui tint une si grande place dans l'histoire religieuse d'alors.
Des trois fils de Madame Acarie, l'un fut magistrat et se maria, le second se
fit prêtre et le troisième après une courte velléité de vie religieuse devint
soldat et se maria. Madame Acarie contribua également beaucoup à la fondation de
l'Oratoire en décidant M. de Bérulle à tenter l'entreprise et ce fut d'après ses
avis qu'il établit cette célèbre congrégation.
Le 17 novembre 1613, M. Acarie mourut, soigné jusqu'au
dernier moment par sa femme avec le plus complet dévouement. Bien qu'elle eût
près de cinquante ans et que sa santé fût des plus précaires, Madame Acarie, se
voyant libre, sollicita humblement la grâce d'être admise dans l'ordre du Carmel
comme sœur converse et d'être placée dans un des plus pauvres monastères de
l'ordre, qui s’étaient multipliés avec une grande rapidité. La demande fut
agréée par les supérieures et la célèbre Madame Acarie, si connue à Paris, à la
Cour comme à la ville, alla se cacher comme sœur converse dans l'ordre du Carmel
où elle prit le nom de sœur Marie de l'Incarnation
.
Pendant cinq années, l'humble sœur converse continua à prodiguer derrière les
grilles du cloître les admirables exemples qu'elle avait donnés dans le monde et
elle édifia toutes ses compagnes par son humilité, son zèle pour
l'accomplissement de la règle et l'ardeur de sa charité, de son amour pour ce
Dieu qu'elle avait toujours si fidèlement servi et si ardemment aimé. Transférée
au carmel de Pontoise le 7 Décembre 1616, elle ne voulut être que « la
dernière et la plus pauvre de toutes ». Ses sœurs admiraient son obéissance
et sa charité, tandis que son union à Dieu consommée transparaissait en tout son
être.
« Elle tomba malade le 7 février 1618 ; les symptômes de
l’apoplexie et de la paralysie se déclarèrent, et elle ne tarda pas à éprouver
des convulsions : elle souffrait extrêmement. On lui administra le saint
Viatique, mais on crut devoir différer l’Extrême-Onction. Parfois elle semblait
perdue dans les abîmes de l’amour divin et paraissait insensible à tout, ne
répétant alors que des mots : ‘ Quelle miséricorde, Seigneur ! Quelle bonté à
l’égard d’une pauvre créature ! ’ Elle récitait souvent, pendant sa maladie, le
vingt-et-unième et le cent unième psaume, qui décrivent d’une manière si sublime
et si pathétique les souffrances de Notre Seigneur dans la Passion. La prieure
lui ayant demandé de bénir toutes les religieuses, elle leva les mains au ciel
en disant : ‘ O Seigneur, je vous supplie de ma pardonner tous les mauvais
exemples que j’ai donnés ! ’ Puis, bénissant la communauté, elle dit : ‘ S’il
plaît à Dieu tout-puissant de m’admettre au bonheur éternel, je le prierais de
vous accorder que les desseins de son Fils s’accomplissent sur chacune de vous.
Sa dernière heure approchait, ses souffrances devinrent
encore plus vives, et étaient sans interruption ; mais sa patience n’en fut
point altérée. Le médecin lui faisant observer que ses douleurs devaient être
très violentes, ‘ elles le sont, en effet, répondit-elle, mais quand nous
comprenons que nous souffrons sous la main de Dieu, cette réflexion allège nos
souffrances. ’ Le jeudi saint, 12 avril, on lui apporta le Viatique. Le samedi
saint elle se leva encore et entendit la messe. Le jour de Pâques, à trois
heures du matin, elle reçut la sainte communion, et mourut le 18 Avril
,
pendant que M. du Val, directeur de la maison, lui administrait l’Extrême-Onction.
Le médecin faisant observer qu’elle n’était plus, M. du Val s’arrêta, et, avant
de réciter le ‘ Subvenite ’, prière pour l’ême qui vient de sortir de ce monde,
il se tourna vers la communauté et dit : ‘ A l’instant où je parle, la défunte
jouit déjà de la vue de Dieu. » Elle avait cinquante-deux ans.
Son corps fut enterré dans un des côtés du cloître du
monastère de Pontoise et y demeura jusqu’en 1643 où il fut transféré dans un
mausolée construit à l’intérieur de l’église. En 1792, le corps fut confié à un
ami de l’ordre, M. de Monthiers, qui le cacha et qui le rendit, quand les
carmélites purent retourner dans leur couvent (23 septembre 1822)
.
Les miracles se multiplièrent à son tombeau. A la demande de
son fils aîné, grand vicaire de Rouen, dès 1622 les enquêtes juridiques sont
ouvertes Plusieurs fois interrompue, puis reprise, la cause n'aboutit qu'à la
fin du XVIIIe siècle, sur les instances de Madame Louise de France. Le 24 août
1791, le pape Pie VI mettait par un décret solennel Madame Acarie au nombre des
bienheureux sous le nom de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, et le
5 juin de cette même année la cérémonie de la béatification avait lieu dans la
basilique de Saint-Pierre.
Marie de l’Incarnation écrivit « une infinité de lettres » fort peu sont
connues ; elle composa un traité sur « la vie intérieure », mais elle le
brûla. Ses biographes ont recueilli avec soin les textes qui purent être sauvés
: quelques lettres et un petit traité spirituel, « Les vrays exercices de la
bienheureuse Marie de l’Incarnation, composez par elle-mesme. Très propres à
toutes âmes qui désirent ensuyvre sa bonne vie »
Source :
http://missel.free.fr/Sanctoral/04/18.php#_ref19
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