Marie-Anne de Peyre

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Marie-Anne de Peyre
Sœur Sainte-Françoise
Sœur converse ursuline de Carpentras

Voici encore une humble fleur cueillie le même jour. Marie-Anne de Peyre n'appartenait pas aux couvents de Bollène, mais au monastère de Sainte-Ursule de Carpentras où elle avait fait profession en 1781 en qualité de sœur converse, et pris le nom de Sœur Sainte-Françoise, en souvenir de sa pieuse mère.

Marie-Anne de Peyre, une des figures les plus attachantes de la bienheureuse phalange immolée en juillet 1794, était la fille d'un humble ménager de Tulette, Jean-André de Peyre, originaire de Saint-Roman-de-Malegarde au diocèse de Vaison, et de Marie-Françoise Audias. Sa famille dont la situation, au moment de la Révolution était des plus modestes, avait autrefois occupé un certain rang.

Si elle était depuis longtemps tombée en roture son nom n'avait pas perdu au cours des âges la particule qui dut autrefois l'apparenter à la famille de Petra (de Peyre, selon la traduction provençale).

Lors du jugement de Marie-Anne, il devait subsister quelques traces de ce passé, sinon dans l'orthographe, au moins dans la tradition locale, puisque l'accusateur public supprima le de et appela la détenue Peyre, comme il avait dit : Madeleine Guilhermier, Marguerite Rocher... etc.

Baptisée le lendemain de sa naissance, cette enfant prédestinée eut pour parrain Noël Biscarrat de Sainte-Cécile et pour marraine Marie-Anne Audias sa grand-tante maternelle.

Elle fut prédestinée, en effet, cette enfant qui allait être élevée au sein d'une famille chrétienne, devait donner, dans le monde, aux jeunes filles de son âge l'exemple des plus belles vertus, se consacrer à Dieu, dans la fleur de sa vie, et cueillir à 34 ans la palme du martyre.

Les signes de la prédilection divine pour cette âme d'élite apparurent bientôt : Marie-Anne était à peine âgée de dix ans, quand elle voulut faire à Dieu et sa sainte Mère l'offrande pieuse de son adolescence, en entrant dans la Confrérie du Saint-Rosaire, érigée dans sa paroisse.

Cette pieuse association établie en 1668, confirmée dans ses Statuts par l'évêque de Vaison le 15 octobre de la même année, groupait à cette époque un grand nombre de personnes pieuses, hommes et femmes, prêtres, bourgeois, nobles ou simples ménagers de la paroisse de Tulette. C'était une de ces confréries dont nos paroisses en comptaient tant, véritables ferments de saine et vraie piété, écoles de ferveur et de charité où les âmes plus éprises de perfection, trouvaient tout ensemble l'aliment et la satisfaction de leurs saints désirs. Les membres qui la composaient étaient tenus à réciter le rosaire en entier au jour qu'ils avaient choisi, ou que leur curé leur désignait.

Marie-Anne y fut reçue le premier dimanche d'octobre, et choisit le 25 mars, fête de l'Annonciation, pour remplir son pieux office.

Ce premier don d'elle-même ne lui suffit bientôt plus. En 1773, elle entra la première de ses compagnes dans la Congrégation des jeunes filles de la paroisse. C'est le 24 mai, en la fête de la Pentecôte, que Marie-Anne, vêtue de blanc, prononça en son nom propre et au nom de ses compagnes, l'acte de consécration à la Sainte Vierge, invoquée dans la confrérie sous le titre de Notre-Dame de Pitié. Cette prière nous a été conservée. Nos lecteurs seront sans doute édifiés de la retrouver ici :

« Mère de pitié et de miséricorde, dont le cœur a été si vivement percé d'un glaive de douleur au jour de la passion de votre très cher Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, je vous choisis aujourd'hui pour ma Reine, ma Patronne et mon Avocate auprès de Dieu. Recevez-moi donc pour toujours, je vous en supplie, au nombre de vos servantes ; assistez-moi dans toutes les actions de ma vie, et ne m'abandonnez pas surtout à l'heure de ma mort ».

Ces mots n'étaient pas sur les lèvres de la future ursuline une de ces vaines formules dont se berce pendant quelque temps la piété de certaines jeunes filles, et qui s'oublient bientôt, au contact du monde et de ses plaisirs. Ces sentiments furent toujours les siens, et son acte de consécration revêtit à ses yeux la valeur d'un engagement.

Aussi sa piété s'en accrut et sa conduite déjà si chrétienne devint si exemplaire que deux ans après, les votes unanimes de ses compagnes la désignèrent, le 2 juillet 1775, comme première assistance d'Alexandrine Ribail, supérieure de la Confrérie. Cette association qui par tant d'aspects, ressemblait déjà à une communauté religieuse, puisqu'on y comptait une maîtresse des novices, fut dès lors et plus que jamais, dans la paroisse, une sorte de monastère sans clôture et sans vœux, ouvert aux âmes d'élite, véritable foyer de ferveur religieuse et de zèle apostolique.

Parmi les jeunes filles que l'exemple et les conseils de Marie-Anne, exhortaient à une plus grande perfection, se trouvait une de ses jeunes compagnes, Marie Boudon, qui devint bientôt son amie la plus chère. En 1778, l'année même où malgré son jeune âge, Marie-Anne devenait «substitut» de la supérieure de la Confrérie, Spirite Ravanel, Marie Boudon entrait à son tour dans l'Association du Saint-Rosaire et choisissait pour remplir ses nouveaux engagements le jour de Pâques.

C'est par elle, échappée miraculeusement à la mort, que nous a été révélée la vie de Marie-Anne, avant son entrée au couvent, ainsi que les particularités si édifiantes de ses derniers jours.

Marie-Anne avait vingt-quatre ans, quand l'appel définitif de Dieu se fit entendre. Depuis longtemps son cœur sollicité par les beautés et les joies austères de la vie religieuse, s'inclinait vers le cloître, comme vers l'asile saint qui lui donnerait le repos et la paix. Depuis longtemps le monde avait été pesé à sa juste valeur par celle qui aurait désiré lui dire immédiatement un dernier adieu, et quand elle franchit le seuil du couvent, ses désirs l'y avaient depuis longtemps précédée. N'avait-elle pas vécu, jusqu'alors comme une religieuse ? Et ne voulant rien perdre des austérités du cloître, avant même d'y avoir été admise, ne portait-elle pas déjà un rugueux cilice et ne se donnait-elle pas la discipline, une discipline armée de pointes et de chaînettes de fer ?

Elle se présenta donc en 1781, au couvent des Ursulines à Carpentras, y fut admise comme sœur converse, et prit le nom de Sœur Sainte-Françoise, en souvenir de sa pieuse mère. À ce moment, Dieu avait rappelé à Lui le bon et intègre chrétien, dont les paternelles leçons avaient préparé à la vie religieuse, et au martyre l'âme de la jeune ursuline. Et peut-être celle-ci n'avait-elle différé son entrée au couvent que pour adoucir de sa présence et entourer de soins la vieillesse d'une mère bien-aimée.

Sœur Sainte-Françoise vécut une dizaine d'années au couvent de Sainte-Ursule. Contraintes à se disperser, en 1792, et ne pouvant trouver à Carpentras une maison qui les pût recevoir, les seize religieuses de chœur et les deux converses qui constituaient alors la communauté, rentrèrent pour la plupart dans leurs familles. Marie-Anne revint donc à Tulette, et y reprit sa pieuse et modeste existence d'autrefois.

Mais en rentrant dans le monde, la sainte ursuline y apportait les habitudes, les allures, et comme l'atmosphère de son couvent. Elle était et elle voulut demeurer religieuse, étendant à tous le bienfait de sa charité et faisant preuve d'une abnégation admirable. Elle fut vraiment la servante de tout le monde, mais elle réservait ses soins les plus tendres aux pauvres malades, passant à leur chevet, les jours et les nuits, les consolant, les préparant à recevoir les derniers sacrements, et amenant jusqu'à eux, souvent au péril de sa vie, un prêtre insermenté, pour les absoudre et bénir leur dépouille.

Ces devoirs de charité ne la distrayaient pas de la prière. Fidèle aux plus petites observances de sa règle, elle allait réciter son office et son rosaire dans les oratoires et chapelles qu'elle avait autrefois coutume de fréquenter, premiers témoins de ses aspirations pieuses, de ses élans vers Dieu, de ses prières.

À choisir ainsi, pour prier ces oratoires abandonnés, de préférence à l'église paroissiale désormais confiée à un prêtre assermenté, Marie-Anne n'ignorait pas qu'elle s'exposait à un danger grave : celui d'être traitée de fanatique, de réfractaire aux lois, crime puni de mort, mais elle ne retranchait, pour autant, de sa vie ni la moindre prière, ni la moindre de ces démarches alors si terriblement compromettantes.

Aussi bien le Dieu qu'elle servait si courageusement la laissa-t-il pas sans consolations.

À l'ouest de la petite ville de Tulette, sur un mamelon auquel les plaines environnantes donnent l'importance d'une colline, s'élève un modeste et gracieux oratoire. Dédié à Notre-Dame du Roure, il emprunta jadis son titre aux chênes nombreux qui lui faisaient une avenue et l'entouraient de leur ombre. Les arbres puissants et touffus ont aujourd'hui cédé la place à quelques mûriers. Seul un grand chêne est encore debout, dernier témoin des jours passés, ou, peut-être encore dernier rejeton des ancêtres disparus.

Le sanctuaire, lui n'a pas changé. D'intelligentes et discrètes réparations en ont conservé l'existence, sans en altérer la rustique beauté. Il est tel que les contemporains de la bienheureuse Marie-Anne de Peyre l'ont connu, tel que l'avaient vu leurs pères. Bâti en simple appareil, il offre au pèlerin, avec son unique nef, son abside semi-circulaire, un de ces nombreux exemplaires de chapelles rurales dont nos campagnes comtadines étaient parsemées. Du moins celle-ci a-t-elle pu échapper au sort de tant d'autres qui sont devenues greniers ou étables, quand elles ne se sont pas effondrées, tout simplement. La piété des fidèles comme le zèle de leurs pasteurs ne l'a pas abandonnée aux injures du temps, et l'a sauvée de la malice des hommes.

Marie-Anne avait conservé pour Notre-Dame du Roure un vif attrait. Et c'est sur le chemin qui y conduit encore de nos jours que Dieu voulut quelque temps avant l'épreuve fortifier son courage de miraculeuse façon. Un jour elle se rendait, accompagnée de sa fidèle amie, Marie Boudon, à la chapelle de Notre-Dame du Roure, lorsque subitement elle fut ravie en extase. Sa compagne qui la précédait sur le chemin du sanctuaire, ne l'entendant plus marcher derrière elle, se retourna, et vit Sœur Sainte-Françoise, élevée à un mètre au-dessus du sol, les mains jointes, les regards perdus vers le ciel. « Ma sœur, ma sœur, que faites-vous ? s'écria-t-elle. — Silence, lui répondit la sœur. N'entendez-vous pas les harmonies célestes ? Oh ! que le ciel est beau ! » Et l'extase, aussitôt, prit fin. Marie Boudon, est-il besoin de le dire, n'entendit rien que la voix de son amie, dont le visage paraissait transfiguré et dont les pieds ne touchaient plus la terre.

Cette vision précéda de peu l'arrestation de la voyante.

Dénoncée comme fanatique par de soi-disant patriotes de sa commune, Marie-Anne fut décrétée d'arrestation par le Comité de surveillance de Visan, village voisin de Tulette, le 27 mars 1794. Enfermée pour y passer la nuit, dans la maison de M. de Seguins-Cabassole, placée alors sous séquestre comme bien d'émigrés, elle demanda et obtint que sa nièce et filleule, Marie de Peyre, lui fût laissée jusqu'au lendemain. Cette jeune fille, plus tard mariée à Louis Calvier, militaire en retrait, a raconté jusqu'à sa mort survenue le 6 août 1835, le fait suivant :

« Tandis que ma tante, dit-elle, était en prière auprès de mon lit, notre appartement fut tout-à-coup éclairé d'une vive et douce lumière. Puis apparut un personnage céleste, tout resplendissant de gloire. D'abord la frayeur s'empara de moi, et je cherchai à cacher ma tête sous les couvertures. Ne crains rien, me dit ma tante, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ qui daigne venir nous voir ». L'apparition s'approcha de moi et me toucha la main, en signe de paix ; s'adressant ensuite à ma tante, Il lui dit : « Marie, tu m'as demandé de t'associer à ma Passion pour expier les crimes de la terre. Te voilà entre les mains de mes ennemis. Si tu trouves mon calice trop amer, dis une parole et les portes de la prison s'ouvriront devant toi. — Seigneur, répondit ma tante, seule, sans vous et votre croix, la vie la plus douce me parait insupportable, mais avec vous et votre croix la mort la plus cruelle fera mes délices ». Il y eut un moment de silence. Je croyais être au ciel. Peu après, l'apparition s'évanouit, nous laissant prier dans l'obscurité la plus profonde.

« La lumière céleste dont la chambre avait été inondée, fut aperçue du dehors. Le lendemain, le garde national Monier qui n'avait point vu d'apparition, mais seulement les flots de lumière qui avaient rempli la maison, sachant qu'on avait fait autour d'elles bonne garde, était persuadé que les prisonnières avaient reçu un message du ciel. Aussi s'empressa-t-il de dire à Marie-Anne de Peyre. «Je sais que Dieu, dont il n'est plus permis de prononcer le nom, est avec toi. J'ai obtenu la permission de t'accompagner à Orange. Je te réponds sur ma tête qu'en chemin tu seras respectée ».

Le jour même, en effet, Marie-Anne partait pour Orange. Dans la même charrette avaient pris place deux femmes pieuses de Tulette, arrêtées comme suspectes et envoyées au district pour qu'on statuât sur leur sort.

Le 28 mars (8 germinal), les trois prisonnières qui avaient charmé la longueur de la route en chantant des cantiques, étaient écrouées à la prison de la Cure. Trois religieuses furent emprisonnées avec elles : Elisabeth -Thérèse CONSOLIN, de Courthézon, qui devait mourir le 26 juillet, la dernière de la glorieuse phalange, Mélanie Collet et Eméranciane de Valréas que la chute de Robespierre priva de la couronne du martyre.

Le 2 mai suivant, les vingt-neuf religieuses arrêtées à Bollène venaient partager la captivité de Marie-Anne de Peyre. Les saintes victimes vouées à la mort furent bientôt au nombre de quarante et une, de divers ordres, amenées de diverses localités mais toutes pénétrées des mêmes pressentiments et de la même ferveur.

Marie-Anne de Peyre fut une des plus ferventes. Les trois grands mois qui la séparaient de son sacrifice, furent consacrés à sa préparation à la mort par une régularité exemplaire et l'exercice d'une infatigable charité à l'égard de ses compagnes. Parmi elles quelques-unes étaient d'un âge avancé : leurs infirmités jointes aux mille incommodités de la prison leur rendaient encore plus lourde la captivité où elles étaient réduites. Sœur Sainte-Françoise dont les malades avaient si souvent éprouvé la délicate compassion, fut pour ses aînées d'un parfait dévouement. Ses paroles de consolation, ses encouragements, autant que les soins qu'elle leur prodigua, adoucirent les angoisses et calmèrent les frayeurs de leurs derniers jours.

L'exercice assidu d'une telle charité eut dès avant la couronne du martyre, sa récompense, et Dieu voulut ménager à sa servante, à l'heure du dernier sacrifice, une douce consolation. Le 12 juillet, la veille du jugent, l'amie de toujours, Marie Boudon, la compagne fidèle de Marie-Anne, le témoin de son extase à Notre-Dame du Roure, déclarée suspecte, fut amenée de Tulette à Orange et enfermée à la prison du Cirque.

Le lendemain, 13 juillet, Sœur Sainte-Françoise comparaissait avec cinq de ses compagnes devant la Commission populaire. Condamnée à mort, elle fut ramenée à la prison du Cirque où, depuis la veille, Marie Boudon était détenue. Marie-Anne avait eu le secret avertissement et de sa mort pour ce jour-là, et de la dernière entrevue qu'elle devait avoir avec son amie. Le 12 juillet, en effet, alors que les victimes de la journée, s'acheminaient vers l'échafaud, elle s'écria, dans un transport de joie céleste : « Oh mes sœurs, quel beau jour que celui qui se prépare ! Demain, les portes du ciel s'ouvriront pour nous. Nous verrons notre Époux que nous n'avons jamais vu, nous irons jouir de la félicité des saints ! »

L'interrogatoire de Sœur Sainte-Françoise fut bref. L'acte d'accusation, le même pour les six religieuses, leur reprochait leur attachement à leurs saints vœux, leur refus de prêter le serment et leur « dangereux fanatisme ». Les saintes filles répondirent qu'engagées par vœu à rester fidèles à Dieu, elles Lui devaient obéissance, avant d'obéir aux hommes, et qu'elles refusaient de prêter un serment contraire à leur conscience, et considéré comme une apostasie.

Après leur condamnation, les six épouses de Jésus-Christ furent amenées à la prison du Cirque. L'accusateur public les y accompagna, les manches retroussées, le sabre nu à la main, et il les introduisit dans une petite cour. Là, assisté de l'huissier, il les fait dépouiller, et il confisque l'argent, ou les effets, que leurs parents et leurs amis leur ont fait passer.

Tandis qu'avec leur brutalité coutumière, et une avidité diabolique ces deux misérables procédaient à cette opération, Sœur Sainte-Françoise aperçut, dans un coin de la cour, son amie Marie Boudon. Dès qu'elle le peut, elle court vers elle, l'embrasse et lui dit combien elle est heureuse de la revoir, au moment où elle va monter au ciel. Puis détachant son cilice et la discipline de fer qu'elle portait elle les lui donne. «Mes plus beaux joyaux, dit-elle, ont échappé à la rapacité de mes juges. Prends-les, tu en seras l'héritière.» Puis après avoir sauvegardé, par une dernière toilette, la pudeur de son corps virginal, elle se mit en prières avec ses compagnes.

À six heures du soir, les six vierges martyres montaient au ciel et prenaient place dans le cortège de l'Agneau. Marie-Anne de Peyre avait été exécutée l'avant-dernière, après Thérèse-Marie FAURIE, et avant Marie-Anastasie DE ROQUARD. Elle était âgée de trente-quatre ans, et elle avait passé dix ans en religion.

Abbé Méritan

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