Les huit martyrs
dominicains que nous célébrons dans la même fête ont été béatifiés
ensemble par saint Pie X en 1906. Martyrisés à des époques
différentes, ils appartiennent tous à la province des Philippines.
L'évangélisation de la
péninsule indochinoise remonte au XVIe siècle, avec le passage de
quelques missionnaires portugais, mais date en réalité de la
prédication des jésuites et notamment du Père de Rhodes qui connut
de tels succès que les mandarins obtinrent son expulsion en 1630.
Trente ans plus tard, les Missions Etrangères de Paris étaient
chargées de reprendre le travail ; leurs missionnaires trouvent des
chrétientés vivantes, soumises à l'alternative des persécutions et
des périodes de calme. Même s'il faut mettre un point
d'interrogation devant le chiffre de 300.000 chrétiens tonkinois
avancés par les rapports du P. de Rhodes, c'est au Tonkin que la
situation du catholicisme est la plus prospère.

Les dominicains des
Philippines y arrivèrent vers 1680 ; le vicariat du Tonkin oriental
leur fut attribué en 1693. Durant tout le XVIIIe siècle, la sécurité
des catholiques fut toujours précaire ; des flambées de persécutions
violentes y firent des ravages en 1696, 1713, 1721, 1736, 1744...
C'est au cours de la persécution de 1744 que furent martyrisés
François Gil de Frederich et Matthieu-Alphonse Leziniana. Tous deux
espagnols, ils avaient reçu leur formation apostolique à Manille,
avant d'être envoyés au Tonkin. Ils avaient l'un et l'autre 42 ans
quand ils furent arrêtés et jetés en prison ; là, dans la mesure où
leurs gardiens le leur permettaient, ils continuèrent leur ministère
apostolique auprès des chrétiens qui venaient les visiter. François
fut condamné à mort, Matthieu à la prison perpétuelle, mais il
insista pour partager le sort de son frère et tous deux furent
décapités le 22 janvier 1745, en exhortant les chrétiens à demeurer
fidèles.
Nouvelle persécution,
plus longue, de 1773 à 1778. Hyacinthe Castaneda, espagnol, âgé de
30 ans, prêchait depuis cinq ans quand il fut arrêté en 1773 et
enfermé dans une cage de roseaux où il devait se tenir
recroquevillé. Un autre dominicain, indigène celui-là, Vincent Liem
de la Paix, fut à son tour arrêté et enfermé dans une cage
semblable. Hyacinthe fut condamné à mort. Vincent pouvait se
dérober, car, d'après l'édit de persécution, les indigènes étaient
exempts de la peine capitale. Il supplia cependant qu'on lui laissât
partager le martyre de celui dont il avait partagé l'apostolat. Ils
eurent tous deux la tête tranchée le 7 novembre 1773.
A la fin du XVIIIe
siècle, la France, et notamment Mgr Pigneau de Béhaine, soutient un
roi exilé, Nguyen-Anh. Grâce à son appui, il réunit entre ses mains
l'Annam, la Cochinchine et le Tonkin et les gouverna jusqu'à sa mort
en 1821, sous le nom de Gia Long. Il assura alors la paix
religieuse. Son fils, oubliant les services rendus à son père par
les missionnaires, ouvrit de nouveau l'ère des persécutions en 1833.
Les martyrs se succédèrent sur tout le territoire. La plus violente
des persécutions fut celle de l'empereur Tu-Duc, à partir de 1858.
Dans les vicariats confiés aux Missions Etrangères de Paris, 68
prêtres annamites, une centaine de religieuses, quelques 10.000
chrétiens furent mis à mort, 40.000 périrent des mauvais traitements
et de la misère où les jeta le ravage de leurs villages. Dans les
vicariats confiés aux Dominicains, 47 prêtres et 3 évêques furent
assassinés.
Jérôme Hermosilla,
dominicain espagnol du couvent de Valence, ordonné prêtre aux
Philippines, fut nommé vicaire apostolique du Tonkin oriental. Il
revenait du long voyage à pied qu'il avait effectué en se cachant
pour recevoir la consécration épiscopale, quand il fut arrêté. Une
rançon le libéra. En septembre 1861, à nouveau poursuivi, il se
cacha pendant trois semaines dans des barques de pêcheurs chrétiens.
Trahi et capturé, il fut décapité ; il avait 61 ans et travaillait
depuis 30 ans au Tonkin. En même temps que lui fut arrêté son
catéchiste indigène Joseph Khang âgé de 29 ans. Ce n'était pas un
modèle de vertu (il aimait un peu trop le vin des occidentaux !),
mais quand on vint arrêter son évêque, il voulut le défendre et
reçut trois coups d'épée. Il refusa de marcher sur le crucifix et
mourut avec lui.
Valentin Berrio Ochoa
était, comme Jérôme, du diocèse de Logrono en Espagne. Entré chez
les dominicains en 1853, il était arrivé au Tonkin au début de la
persécution de Tu-Duc en 1858. Son évêque était vicaire apostolique
du Tonkin central. Il le secondait quand les persécuteurs mirent
l'évêque à mort. Valentin lui succéda. La persécution redoublant, il
s'enfuit au Tonkin oriental et se cacha chez des pêcheurs. Là,
quatre jours après la capture de Jérôme Hermosilla et de Joseph
Khang, il fut trahi par un médecin païen et pris le 25 octobre en
même temps que son frère en saint Dominique, Pierre Almato, un
catalan qui était au Tonkin depuis 1855. On lui commanda de fouler
aux pieds un crucifix: il l'adora à genoux. Il avait 31 ans et
Valentin 34 : ils furent ensemble décapités.
Un an après leur mort,
le traité de Saïgon (1862) assura aux chrétiens quelques années
d'accalmie. Puis la persécution reprit de plus belle en 1883, sous
le successeur de Tu-Duc, le cruel Nguyen-Van-Tuong. La conquête du
Tonkin par la France fut le signal d'un massacre général des
chrétiens ; plus de 50.000 périrent jusqu'à ce que la paix eût été
imposée par la victoire française.
Soixante-dix ans plus
tard, en 1953, les chrétientés vietnamiennes étaient les plus
florissantes de tout l'Orient. Les seize vicariats apostoliques du
Vietnam comptaient un million et demi de chrétiens sur 20 millions
d'habitants. Les dominicains espagnols évangélisaient les trois
vicariats de Bui-Chu, Haïphong et Bao-Ninh ; ils étaient environ 80,
assistés de 400 prêtres indigènes et un millier de religieuses pour
700.000 baptisés. Ceux de la province de Lyon avaient la Préfecture
apostolique de Lang-Son et Cao-Bang, le long de la frontière de
Chine : 16 pères, 32 prêtres indigènes, une cinquantaine de
religieuses et quelques 5.000 catholiques (c'était une mission de
broussse montagneuse, de création récente).
La révolution
communiste a tout emporté de ces territoires. Six cent mille
chrétiens préférèrent abandonner leurs villages du Vietnam nord (où
se situaient nos missions) plutôt que de vivre sous le régime
communiste, et cela pour des raisons religieuses. Ceux qui restèrent
furent évangélisés par le clergé indigène, tous les missionnaires
étrangers ayant été expulsés. Le Vietnam Sud vit, du coup, tripler
sa population chrétienne : plus d'un million. C'est là que
travaillent les Pères français, tandis que les espagnols sont partis
en d'autres pays.
Deux Pères français ont
été assassinés pendant la révolution : les Pères Brébion et Maillet,
ainsi que quatre prêtres vietnamiens et deux religieuses.
(Source : Chéry, Henri-Charles. Saints
et bienheureux de la famille dominicaine. Fraternité dominicaine
Lacordaire. Lyon. 1991.)
http://curia.op.org/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=105-martyrs-du-tonkin&catid=57-saints&Itemid=62 |