Providentiellement, le
Père Kolbe a été béatifié par le Pape Paul VI au moment où se tenait
le Synode sur les prêtres
(1971),
alors que certains reposaient la question du célibat sacerdotal. Le
Père Kolbe s'est offert à la mort en répondant seulement à la
question brutale de Fritch, 'Qui donc es-tu?': 'Je suis un prêtre
catholique'. Pour Paul VI cette béatification est alors, "en cette
heure d'incertitude, un réconfort pour les prêtres et religieux
animés du souci d'offrir leur vie pour sauver celle des autres." De
même le Cardinal Wojtyla (qui le canonisera plus tard comme Pape)
notait dans une conférence de presse à l'occasion de cette
béatification: "Au moment où tant de prêtres dans le monde entier
s'interrogent sur leur 'identité', le Père Maximilien Kolbe se
dresse au milieu de nous pour répondre, non par des discours
théologiques, mais avec sa vie et sa mort." Voyons donc quelle fut
sa vie pour y trouver cette réponse non pas théorique mais concrète.
Il naît à Zdunska Wola
(Pabianice) près de Lodz (Pologne) le 8 janvier 1894. Au baptême, il
reçoit le nom de Raymond. Ses parents sont de pauvres tisserands. Sa
mère Marie Dabrowska aurait voulu éviter le mariage et entrer en
religion, mais devant l'impossibilité de réaliser son vœu, elle se
marie avec Jules Kolbe qu'elle aide dans son travail. Elle mène le
ménage avec énergie. Ils n'auront que des garçons dont trois
survivront. Raymond est le second. Enfant très vif, sa mère malgré
son autorité, a de la peine à en venir à bout. Quand elle se fâche,
docilement le petit vient s'étendre sur un banc et lui tend le
fouet, quitte à recommencer ensuite. Un jour, découragée, elle lui
dit: "Mon pauvre enfant, qu'est-ce que tu deviendra?" Bouleversé,
Raymond demande à la Vierge: "Qu'est-ce que je deviendrai?" Ensuite,
à l'église, il lui repose la même question. "Alors, raconte-t-il, la
Sainte Vierge m'est apparue, en tenant deux couronnes, l'une blanche
et l'autre rouge. Elle me regarda avec amour et me demanda laquelle
je choisissais: la blanche signifie que je serais toujours pur, et
la rouge que je mourrais martyr. Alors moi, j'ai répondu à la Sainte
Vierge: 'Je choisis toutes les deux!' Elle sourit et disparut." A
l'époque, Raymond a 10 ans (1905). Sa mère remarque bien que son
comportement a changé. Il est devenu très sage et obéissant. Souvent
il se retire derrière l'armoire où se trouve un petit autel de
Notre-Dame de Czestochowa; il prie longuement et il en sort les yeux
rouges de larmes. Sa mère lui fait avouer son secret. Elle note: "Sa
transformation radicale prouve bien que l'enfant disait la vérité! A
partir de ce jour il ne fut plus le même. Souvent, et le visage tout
rayonnant, il me parlait du martyre et c'était son grand rêve."
Les parents envoient
l'aîné à l'école, cela représente un gros sacrifice financier, mais
Raymond doit rester à la maison pour aider sa famille. Il seconde sa
mère qui a également ouvert une petite boutique pour essayer
d'arrondir le budget. Il le fait avec beaucoup de compétence, mais
du coup son avenir intellectuel semble bouché. Un jour il va
chercher un médicament chez le pharmacien et lui récite la formule
latine par cœur. Étonné de son intelligence, le pharmacien se charge
de lui donner des leçons. A 13 ans, en 1907, il suit son frère
François qui entre au petit séminaire franciscain de Lvov. Très fort
en sciences et s'intéressant spécialement à la stratégie, il rêve de
conquêtes au service de sa Reine, Notre-Dame. A 16 ans el entre en
crise, pensant qu'il doit sortir du couvent pour combattre en
chevalier, plutôt que de se présenter au noviciat. Au moment précis
où il se rend chez le Père Provincial pour lui annoncer la chose, on
l'appelle au parloir. Sa mère lui annonce que toute la famille entre
au couvent, son père chez les Franciscains de Cracovie, elle chez
les Bénédictines de Lwow, et le dernier, Joseph, chez les
Franciscains. Coup de foudre pour Raymond: il reste! Au noviciat il
reçoit le nom de Maximilien (auquel s'ajoutera le nom de Marie). Cet
être qui ne veut pas de limites change pour lui la devise de Saint
Ignace: "ad majorem Dei gloriam" (pour la plus grande gloire de
Dieu) en "ad maximam Dei gloriam", qu'on pourrait traduire: "pour la
gloire maximum de Dieu". Peut-être est-ce un jeu de mot sur son nom.
En tout cas le Père Maximilien est un maximaliste: son désir de
sauver les âmes est illimité. Il ne dira jamais 'sauver des âmes',
mais: "toutes les âmes, celles qui sont sur cette terre et celles
qui seront jusqu'à la fin des temps."
En 1911 il fait ses
vœux temporaires. En 1912, vu ses capacités extraordinaires, on
l'envoie étudier à Rome. En 1914 son père meurt comme officier dans
le conflit qui oppose la Pologne à la Russie. Lui-même est exempt de
service, car, tuberculeux, il n'a plus qu'un poumon. En 1915 il est
docteur en théologie, et deux ans plus tard il fonde la 'Militia
Immaculatae' (Milice de l'Immaculée). Deux raisons l'y poussent: la
décadence de son Ordre, car il faut, comme le lui disait un ancien,
'remettre sur pied ou abattre'. D'autre part, il est choqué par une
manifestation de francs-maçons qui promènent des étendards
sataniques sous les fenêtres du Vatican. Alors se fait jour l'idée
de fonder une association pour combattre tous les 'suppôts de
Lucifer'. En 1918 il est ordonné prêtre et dit sa première messe à
Saint Andrea della Fratte, là où le Juif Ratisbonne, qui venait de
recevoir une médaille miraculeuse, avait eu une apparition de
Notre-Dame et s'était converti. La médaille miraculeuse est la
grande arme du Père Kolbe, il l'offre à tout le monde. En 1919 il
est docteur en théologie. Voyant les foules se précipiter sur les
mauvais films en cette époque encore nouvelle pour le cinéma, les
religieux se lamentent. Lui pense qu'il faut utiliser cette arme
pour l'apostolat. C'est sa tactique: s'emparer de toutes ces
inventions modernes qui servent souvent au mal et les employer pour
le bien. Il songe surtout à la presse.
Il revient en Pologne
très malade. Pourtant, vu le manque de personnel en ce temps
d'après-guerre, on le nomme professeur, mais ses confrères se
moquent de ce faiblard. En 1920 il doit faire un premier séjour au
sanatorium de Zakopan. Contraint au repos, il reste apôtre et
convertit, par exemple, un juif sur son lit de mort. La mère est
furieuse et on veut interdire au Père Kolbe les visites à l'hôpital,
mais il fait valoir le droit de visite, commun à tous, et il
continue. Il rêve aussi d'une revue qui porterait l'Évangile à tous
les peuples sous la protection de l'Immaculée. Il ne manque pas de
souffle!... Et pourtant il n'a plus qu'un quart de poumon. En 1922
paraît à Cracovie le premier numéro du 'Chevalier de l'Immaculée',
tiré à 5000 exemplaire. A Grodno. Grâce à Sœur Faustine, il achète
une vielle machine à imprimer...dont il convertit le propriétaire.
Des 'frères ouvriers' se groupent autour de lui, et cela dans un
climat d'égalité entre pères et frères, au service d'une œuvre à
laquelle tous travaillent avec acharnement. Et en plus, il faut
faire le travail conventuel dont ils ne sont pas dispensés, ni eux
ni le Père Kolbe. C'est l'exemple du Père qui entraîne librement les
frères. Il n'a qu'une seule exigence: "J'exige que vous soyez des
saints, et de très grands saints!" Les abonnements se multiplient
alors qu'on est dans une période de récession et que d'autres
journaux périclitent. En 1924 le Pape Pie XI lui envoie sa
bénédiction. Il avait déjà reçu celle de Benoît XV pour son
Mouvement en 1919. C'est une ruche que ce couvent fait de baraques
qui ne payent pas de mine et où l’on vit très pauvrement, mais les
frères sont heureux et ils chantent. Les paysans d'alentour le
remarquent bien.
Gravement malade, le
Père doit faire un deuxième séjour à Zakopane qui durera un an et
demi. D'abord tenté par le désespoir, il se console en pensant que
la Vierge poursuivra son chef-d'œuvre. Lui, il n'est qu'un
instrument. Au retour, en avril 1927, il rencontre dans le train des
étudiants japonais, sympathiques, à qui il donne des médailles
miraculeuses, mais il mesure la déréliction d'un monde païen, et
c'est de là que germe son projet d'implantation au Japon. La même
année, il achète un terrain près de Varsovie et construit le couvent
de Niepokalanow: la cité de l'Immaculée. En 1930, il se rendra au
Japon, mais il n'a ni argent, ni relations, ni connaissances de la
langue. Et pourtant dès le premier mois paraît une revue en
Japonais. En 1931 à Nagasaki, il construit un couvent sur une
colline, le dos tourné à la ville, à l'étonnement de tous: ce sera
le seul bâtiment resté debout lors de l'explosion de la bombe
atomique! Convoqué d'autorité pour un chapitre provincial, il doit
retourner en Pologne en 1933. On voudrait qu'il se contente de faire
fructifier son premier journal et d'en retirer les dividendes qui
serviraient à lui et à son ordre, mais le but du Père Kolbe n'est
pas de surveiller une machine qui ronronne bien. Le feu sacré de
l'apostolat le pousse à augmenter toujours son rayon d'action. Bien
sûr les Supérieurs sont dérangés par ce trublion. Alors le Père
Kolbe se déclare prêt à leur obéir comme à la voix de Dieu; mais
investis d'une telle responsabilité et redoutant le jugement du
Seigneur, les Supérieurs préfèrent lui donner le feu vert. D'autres
parutions se font jour. C'est d'abord "le Petit Journal" en réponse
à l'attente des évêques polonais qui souffraient de ne pas avoir de
journal catholique pour le pays. L'humble feuille, lancée en 1935,
va droit au cœur du peuple. Elle déclare une guerre sans merci à
toutes les formes d'abus, combattant la pornographie, assainissant
les mœurs. C'est le quotidien des petites gens, des paysans, des
ouvriers. Chacun se sent compris et défendu. En peu de temps, le
tirage de la petite feuille, blanc et bleu aux couleurs de la
Vierge, atteint 320'000 exemplaire. En même temps, il entreprend la
publication en latin du "Miles Immaculatae" destiné à rallier le
clergé de toutes les races et de toutes les langues.
Le 8 décembre 1936,
répondant à ses vœux, l'ordre des Frères Mineurs conventuels se
consacre à l'Immaculée. En 1938, il lance une station de radio sur
le terrain de Niepokalanow. Le couvent regroupe alors plus de 700
frères et le 'Chevalier de l'Immaculée' tire à un million
d'exemplaires. Mais, à l'étonnement de son entourage, il prévoit 'le
conflit atroce' qui va s'abattre sur le monde et spécialement sur la
Pologne. En septembre 1939 il est arrêté une première fois et battu
à mort ou presque à cause de son habit religieux et de sa foi. Il
est libéré le 8 décembre. En février 1941 il est arrêté à nouveau et
conduit au camp de concentration d'Auschwitz sous le Numéro 16'670.
De nouveau il est battu et laissé pour mort. Notons qu'on n'a jamais
pu percevoir dans son regard la moindre lueur de haine. C'est la
victoire de la charité qui trouve son couronnement dans le don de sa
vie. En effet, un détenu s'étant échappé, dix hommes, choisis au
hasard, sont condamnés à mourir d'inanition dans le sinistre bunker
de la faim, et parmi eux un père de famille que le Père Kolbe
demande à remplacer. Demande acceptée. Avec les neuf autres
condamnés le Père prie et chante, là où l'on n'entendait auparavant
que des cris de désespoir. D'ailleurs, avec son arrivée au camp,
l'atmosphère avait été changée. Tous l'ont noté. Et cela perdurera
jusqu'à la fin de la guerre. Seul survivant de tous ses compagnons
du bunker, il est achevé par une piqûre, le 14 août 1941, à l'âge de
53 ans. Le lendemain 15 août, fête de l'Assomption, son corps est
brûlé au four crématoire. Ainsi s'est consumé entièrement au service
de Notre-Dame, celui qui désirait 'être calciné' (sic) pour la
gloire de Dieu.
La dernière lettre
qu'il a écrite en prison se termine par ces mots: "Laissons-nous
conduire par Elle de plus en plus parfaitement, où qu'elle veuille
et quel que soit son bon plaisir, afin que, remplissant nos devoirs
jusqu'au bout, nous puissions, par amour, sauver toutes les âmes."
(12 mai 1941) |