Meinrad naquit au château de
Sulchen, en Souabe, de famille noble, parente des Hohenzollern. Après avoir
passé dix ou onze ans dans la maison paternelle, il fit ses études au monastère
bénédictin de Reichenau. Il entra ensuite
dans les ordres et se fit moine à Reichenau (822) à l'âge de vingt-cinq ans. Sa science et ses vertus le firent
bientôt choisir pour enseigner. A trente et un ans il se retira dans une
solitude sur les bords du lac de Zurich, n'emportant qu'un missel, l'Evangile,
la règle de saint Benoît et les œuvres de Cassien. Bientôt sa solitude devint, à
son grand regret, un lieu de pèlerinage. Il se retira alors au sein d'une forêt
voisine. Les visiteurs allèrent encore l'y trouver en foule : ce fut l'origine
du pèlerinage de Notre-Dame d'Einsiedeln.
Il y avait plus de 25 ans que
Meinrad habitait le désert, servant le Seigneur dans les jeûnes et l'abstinence
de toutes les jouissances de ce monde, quand, à l'instigation. de celui qui,
sous l'apparence d'un serpent, avait trompé nos premiers parents et les avait
fait chasser du paradis, deux hommes se dirigèrent vers sa cellule pour
l'assassiner. Arrivés à une petite ville située sur les bords du lac Tigurin,
ils s'informèrent du chemin qui conduisait à la cellule du solitaire. Quand on
le leur eut indiqué, ils se levèrent au milieu de la nuit suivante, et se mirent
en marche par la route qu'on leur avait montrée. Pendant longtemps ils errèrent
hors du chemin qui menait directement à la cellule ; enfin, arrêtés par le
démon, ils parvinrent au but de leur voyage et aperçurent l'ermitage lorsque le
jour baissait.
Meinrad priait et célébrait la
messe. Au moment où ces deux assassins, dont l'un s'appelait Richard et était
Allemand, et l'autre Pierre, né en Souabe, approchaient de la cellule, les deux
corbeaux que nourrissait le vénérable moine se mirent à fuir devant eux, comme
si un renard les avait poursuivis, poussant des cris aigus et insolites, que
multipliaient à l'infini les échos de la forêt, à tel point que les misérables
meurtriers eux-mêmes en étaient étonnés, stupéfaits, et considéraient la chose
comme un vrai prodige.
Néanmoins les assassins ne
renoncèrent pas à leur infâme projet et vinrent frapper à la porte de la
chapelle, où l'homme de Dieu implorait le Seigneur par de ferventes prières,
après avoir reçu le corps de Jésus-Christ, qu'il prévoyait devoir être son
viatique pour le très prochain voyage de la mort. L'homme de Dieu, sachant que
ses meurtriers étaient à la porte, ne se hâta pas d'aller leur ouvrir : il
différa un moment pour prolonger son oraison. Enfin il acheva sa prière, et,
prenant toutes ses reliques, il les baisa amoureusement et recommanda avec
instance son combat suprême au Seigneur et à ses saints. Les scélérats qui
étaient dehors le regardaient par un trou de la muraille et voyaient ses
préparatifs. Le courageux athlète, soutenu par Dieu, sortit pour engager la
lutte et se présenta à ses meurtriers. Après les avoir salués gracieusement, il
leur dit : « Mes amis, comment venez-vous si tard ? Que ne vous êtes-vous hâtés
un peu plus, afin d'assister à ma messe?J'aurais prié avec plaisir pour vous
notre commun Seigneur. Mais enfin entrez maintenant : allez d'abord prier le
Seigneur et ses saints de nous être propices, et puis revenez me trouver, je
verrai ce que, par la libéralité de Dieu, je pourrai vous offrir de bon coeur
pour vous réconforter, et puis vous accomplirez ce pour quoi vous êtes venus
ici. » Les assassins entrèrent dans l'oratoire, mais non avec l'intention que
leur suggérait le saint ; puis ils retournèrent vers le solitaire avec la
résolution d'exécuter leur mauvais dessein. L'homme de Dieu, en les apercevant,
leur offrit sa tunique et sa coule pour se réchauffer; puis il leur servit du
pain et de l'eau en disant: « Recevez de moi ces petits présents, et quand vous
aurez terminé ce qui vous a amenés ici, je vous permets d'emporter ce que vous
voudrez. Car je sais que vous êtes venus pour me tuer; mais je vous demande une
seule grâce : quand vous aurez mis fin au cours de ma vie en ce monde, vous
allumerez ces cierges que vous voyez et que j'ai préparés exprès, vous poserez
l'un à la tête et l'autre au pied de mon cadavre, et puis vous détalerez au plus
vite de ce lieu, de peur que vous ne soyez saisis par les nombreux visiteurs qui
viennent ici régulièrement et qui vous feraient certainement expier votre crime.
»
Aussitôt le susdit Richard porta
ses mains souillées sur le corps du bienheureux, amaigri et débilité par les
jeûnes, et, après lui avoir lié les mains, il ordonna avec menaces à son
compagnon de fustiger le saint. Celui-ci se mit à battre sur le dos et les
flancs le saint, qui tendait les mains vers le Seigneur. Les coups duraient
depuis longtemps et le martyr était exténué, quand le misérable Richard,
s'élançant vers son complice lui cria : « Lâche que tu es ! frappe donc sur la
tête pour qu'il reçoive un coup mortel. Si tu tardes à le faire, je vais
l'achever moi-même» ; et saisissant un bâton, il se mit à frapper avec fureur
sur la tête du saint martyr, Meinrad, assommé, s'affaissa à terre presque sans
vie ; et les deux assassins, se précipitant sur lui, lui serrèrent la gorge
entre leurs mains, jusqu'à ce qu'il eût rendu le dernier soupir. Au moment où le
dernier souffle s'exhala de son corps, un parfum de suave odeur se répandit dans
la cellule et l'embauma comme si on y avait amassé les parfums les plus exquis.
— Les meurtriers déshabillèrent
alors le saint et le portèrent sur la couche où il prenait d'ordinaire son
repos, le recouvrirent d'un linge, et posèrent les cierges, comme l'avait
demandé l'homme de Dieu. Ils coururent ensuite à la chapelle pour y prendre la
lampe qui y brûlait continuellement, et allumer ces cierges ; mais à leur grand
étonnement, ils le trouvèrent à leur retour parfaitement allumés. Ce prodige le
terrifia tellement qu'ils n'osèrent toucher à rien de ce qui appartenait au
service de l'autel. Ils se contentèrent de ramasser les vêtements du saint et
quelques couvertures de son lit, et prirent la fuite.
Tandis qu'ils se sauvaient, les
corbeaux, qui venaient chaque jour recevoir leur nourriture des mains du
serviteur de Dieu, se mirent à les poursuivre, comme pour venger la victime ;
ils firent résonner la forêt de leurs cris perçants, s'approchant la plus près
possible de la tête des meurtriers pour vendre les coupables diables Quelques
jours après, les assassins furent arrêtés : le Frime qu’ils avaient perpétré
dans les ténèbres fut manifesté au rand jour et Dieu ne voulut pas qu'ils
échappassent plus longtemps au châtiment que méritait leur crime. Condamnés -
par la sentence des juges et du peuple fidèle, ils furent brûlés vifs sous le
gouvernement du comte Adalbert. Les cierges allumés par la main de Dieu
continuèrent à brûler et consumèrent le linceul; mais dés que la flamme eut
touché le corps du saint, elle s éteignit Le bruit de cette mort se répandit
promptement dans tout le pays, et l'abbé Walter, accompagné de ses moines, étant
venu enlever les saintes reliques, les transporta au monastère d'Auge, et les y
ensevelit honorablement. Notre martyr souffrit le 12 des calendes de février,
l'an de l'incarnation de N. S. 863, la 28e année du règne de Louis,
roi des Francs.
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