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La majorité de Jésus
L'Évangile de saint
Luc (Luc 2, 41), nous dit: "Or les parents de Jésus se
rendaient chaque année à Jérusalem, pour la fête de la Pâque."
Cela ne doit pas nous étonner car beaucoup de juifs, même de la
diaspora, accomplissaient ce pèlerinage. Pessa'h, la fête
de Pâque, durait pendant huit jours, du vendredi
soir,
veille de la Pâque, au vendredi suivant, à la tombée de la nuit.
On fêtait alors la sortie d'Égypte et le passage de la mer
Rouge; on fêtait aussi les exilés de la diaspora. À l'époque de
Jésus, on fêtait également Pessa'h Chéni, pour ceux qui
n'avaient pu, le jour de Pessa'h, offrir le sacrifice pascal. On
marquait ce jour en consommant de la Matsa Chemoura. La
fabrication de la farine utilisée était attentivement surveillée
afin que le blé n'ait aucun contact avec de l’eau, ce qui aurait
rendu la farine impropre à cette utilisation. D'où l'emploi du
mot Chemoura qui signifie surveillé. Les matsot étaient rondes,
façonnées à la main. Elles ressemblaient à celles que les
enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Égypte.
Elles étaient cuites sous surveillance rabbinique, car le risque
existait de les voir lever à ce moment.
Nota : Pour les juifs d'aujourd'hui, la Matsa est l’aliment
de la Foi et de la Guérison. En effet, elle manifeste la
confiance absolue que leurs ancêtres avaient mise en Dieu.
La sainte Famille se rendait donc tous les ans à Jérusalem lors
de la fête de Pâques. Outre le caractère très religieux de ce
long déplacement, les membres de la sainte famille étaient
heureux de retrouver toutes leurs connaissances, chez Zacharie,
au Temple, et peut-être jusque chez les bergers de Bethléem. Et
puis, les deux cousins, Jean et Jésus, étaient tellement
contents de se retrouver pour jouer ensemble... Ce temps de
vacances était particulièrement apprécié. Mais quand Jésus eut
douze ans, les choses se passèrent différemment. Tout commença
comme les autres années, mais avant de quitter Jérusalem, Jésus
ayant atteint l'âge de la majorité, dut "passer ses examens",
comme tous les juifs de cet âge.
Imaginons ce qui se
passa. Joseph et Jésus entrèrent dans le Temple pour rencontrer
les docteurs chargés d'examiner les jeunes gens. Ces docteurs
avaient l'habitude de poser des questions assez simples
concernant toute la Thorah et la Loi juive. Ils devaient surtout
s'assurer que le jeune juif était capable d'assumer sa vie,
d'obéir non seulement au décalogue, mais aussi aux 635
prescriptions obligatoires de la vie courante. Et ce n'était pas
facile. Lorsque Joseph présenta Jésus, les docteurs commencèrent
comme à l'accoutumé, mais les réponses de Jésus furent si
incroyables d'intelligence et d'à propos qu'ils se mirent à
poser des questions de plus en plus difficiles. Et Jésus, non
seulement répondait toujours, mais il posait aussi d'étonnantes
questions. Les examinateurs émerveillés félicitèrent grandement
le père de l'Enfant. Joseph ne se tenant plus de joie remercia
chaleureusement les docteurs et se précipita dehors, là où se
tenaient les femmes, et annonça à Marie que Jésus était reçu
avec une mention d'hyper-excellence...
Quelle joie pour
les parents! Pendant ce temps, Jésus était encore avec les
docteurs qui lui demandaient s'il pourrait revenir le lendemain
pour continuer cette conversation, ce que Jésus accepta. C'est
ainsi que l'Évangile peut raconter: "Quand Jésus eut douze
ans, comme ils étaient montés selon la coutume de la fête, et
qu'ils s'en retournaient, le temps étant passé, l'enfant Jésus
resta à Jérusalem et ses parents ne le surent pas. Pensant qu'il
était avec la caravane, ils marchèrent tout un jour, puis ils le
cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances. Ne
l'ayant point trouvé, ils s'en retournèrent à Jérusalem en le
recherchant. Or, au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans
le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les
interrogeant; et tous ceux qui l'entendaient étaient ravis de
son intelligence et de ses réponses. En le voyant, ils furent
stupéfaits, et sa mère lui dit: 'Mon enfant, pourquoi nous
avez-vous fait cela? Voyez, votre père et moi, nous vous
cherchions tout affligés.' Et il leur répondit: 'Pourquoi me
cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être dans les
choses de mon Père?' Mais ils ne comprirent pas la parole qu'il
leur dit."
Plusieurs choses
nous étonnent dans ce passage d'Évangile:
– Pourquoi Jésus ne
prévint-il pas ses parents de son rendez-vous pris avec les
docteurs du Temple ?
– Pourquoi, devant
les docteurs, Joseph prit-il tous les compliments pour lui,
oubliant le travail quotidien de Marie, le professeur de Jésus
et de quelques enfants de Nazareth?
– Pourquoi est-ce
Marie qui s'exprime alors qu'à cette époque les femmes ne
devaient pas prendre la parole en public ?
– Pourquoi ce
jour-là, à ses parents, et peut-être aussi publiquement, Jésus
fit-il mention de son Père dans les cieux ?
Une première
remarque s'impose: à l'époque de Jésus, Jérusalem était une
petite ville dont on avait vite fait le tour. Certes, pendant
les fêtes de Pâques, il y avait de très grandes foules, mais
maintenant, les fêtes étaient terminées et tous les juifs qui
n'étaient pas de Jérusalem étaient repartis chez eux. Alors,
comment fallut-il trois jours à Marie et à Joseph pour retrouver
Jésus dans le Temple?
Il faut tout
d'abord savoir que les juifs ne comptaient pas les jours de la
même façon que nous. Ainsi, le premier jour, c'était le jour du
départ d'un événement, même si l'on se trouvait tout à la fin du
jour. Il en était de même pour le troisième jour, qui était
compté même si l'événement se terminait très tôt, voire à
l'aube. Seul le deuxième jour était complet. Ainsi, si l'on se
replace dans la tradition juive, Marie et Joseph n'auraient dû,
en réalité, ne chercher Jésus que pendant un seul jour, un jour
et demi tout au plus. L'Évangile ne nous disant rien de plus,
nous n'insisterons pas.
Une deuxième
remarque est nécessaire: Jésus était un garçon très bien élevé,
très gentil, très charitable: alors pourquoi n'a-t-il pas
prévenu ses parents qu'il devait rester une journée
supplémentaire à Jérusalem? On ne peut pas supposer un seul
instant qu'il ait pu oublier: Dieu, même incarné, n'oublie pas.
Donc il devait avoir une raison très grave pour agir ainsi. La
fin du texte évangélique rapportant cet événement nous le fait
comprendre un peu; nous y reviendrons après notre troisième
remarque.
Marie cherche son
fils depuis de nombreuses heures. Que lui est-il arrivé? A-t-il
eu un accident? Est-il tombé dans un ravin? A-t-il eu un
malaise? Ou encore, son heure était-elle déjà venue, maintenant
qu'il était majeur? Marie est très inquiète. Elle n'accuse pas
Jésus, elle est seulement terriblement inquiète, et cela, toutes
les mères peuvent le comprendre. Ah! Comme elle regrette de ne
pas l'avoir cherché plus tôt! Mais elle était tellement
convaincue qu'il était allé rejoindre Joseph et le groupe des
hommes, dans la caravane. C'était tellement normal: dès qu'un
jeune homme était majeur, il ne devait plus rester avec les
femmes. De son côté Joseph était tranquille: il y avait si peu
de temps que Jésus était majeur, qu'il avait dû conserver ses
anciennes habitudes et rester avec les femmes... Ce n'est que le
soir, lorsque les familles se reconstituèrent, selon la coutume,
que Joseph et Marie s'aperçurent de l'absence de Jésus.
Où était donc
Jésus? Joseph et Marie, ensemble, parcoururent toute la
caravane, mais personne n'avait vu Jésus. Affolés, Joseph et
Marie décidèrent de quitter la caravane et de retourner à
Jérusalem, le lendemain, dès le lever du jour. Il n'aurait en
effet, servi à rien qu'ils partent maintenant, toutes les
maisons étant fermées à Jérusalem.
Le lendemain, le
soleil étant à peine levé, et sans prendre le temps de déjeuner
un peu, Joseph et Marie retournèrent en toute hâte à Jérusalem.
Ils y arrivèrent vers la fin de la matinée. Immédiatement ils
parcoururent toutes les rues, s'arrêtant devant chaque maison
pour demander si leur fils était là... Mais il n'y était pas.
Enfin, quelqu'un eut l'idée de leur dire:
– Mais, ne
serait-il pas retourné dans le Temple ? Vous devriez aller voir.
Marie et Joseph
suivirent ce conseil et se dirigèrent vers le Temple. Ils
avancèrent un peu, pénétrèrent sur le parvis où, très souvent,
les docteurs s'installaient pour enseigner. Et Jésus était là...
Folle de joie, Marie, oubliant toutes les règles imposées aux
femmes, se précipita et s'écria:
— Mon enfant,
pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton Père et moi, nous te
cherchions tout affligés.
Jésus était au
milieu des docteurs. Il posait des questions, et les docteurs
lui répondaient, parfois difficilement, car les questions de
Jésus étaient très théologiques, et ils devaient souvent se
référer à des textes de la Thorah ou des prophètes, tout en
demeurant très imprécis dans leurs réponses. Alors c'est Jésus
lui-même qui reposait sa question, mais d'une manière telle
qu'elle contenait la réponse. Parfois aussi, Jésus abordait le
sujet du Messie, et, sans en avoir l'air, il conduisait les
docteurs à modifier leurs conceptions. Le Grand Hallel et
Gamaliel son disciple, étaient très étonnés et admiratifs des
réponses de Jésus. Qui était-il cet enfant béni, si bien
informé? Ne serait-ce pas lui, le Messie qu'ils attendaient si
impatiemment? Ils allaient poser ouvertement la question lorsque
Jésus entendit les appels de Marie. Aussitôt Jésus se retourna
et lui dit:
— Pourquoi me cherchez-vous ? Ne savez-vous pas qu'il me faut
être aux affaires de mon Père ?
Tout le monde se tut, car personne ne comprit ces paroles de
Jésus. Les docteurs se regardèrent: certains haussèrent les
épaules. D'autres, dont Hallel et Gamaliel, se dirent entre eux:
c'est bien lui (le Messie)... Joseph et Marie semblaient très
surpris; "ils ne comprirent pas la parole que Jésus venait de
leur dire." Mais Jésus quitta immédiatement le groupe des
docteurs de la Loi, et "il descendit avec Marie et Joseph, il
vint à Nazareth, et il leur était soumis. Et sa mère conservait
toutes ces choses en son cœur." (Luc 2, 42 à 51)
Nous aussi, nous ne
comprenons pas très bien. Pourquoi Jésus a-t-il agi ainsi?
Pourquoi, non seulement il ne s'excuse pas auprès de ses
parents, mais c'est lui qui leur fait des reproches? Regardons
les choses de près. Jésus, devenu majeur, ne pouvait pas se
comporter en dehors de la charité, puisqu'il est le Verbe de
Dieu, incarné. Personne ne le sait encore, mais voici que
peut-être, il est temps pour lui de révéler un peu du mystère
qui est le sien. Oui, il sait beaucoup plus de choses que les
docteurs et il a cherché à leur ouvrir l'esprit sur ce que sera
le Messie dont ils se font une image si fausse. Mais la plupart
des pharisiens et des docteurs présents n'ont pas compris.
La plupart des
pharisiens et des docteurs qui étaient là n'ont pas compris le
sens des paroles de Jésus, sauf probablement le Grand Hallel et
Gamaliel. Et ils ont certainement réfléchi, beaucoup, sur cette
parole de Jésus, et ils ont dû aussi en parler. En effet,
reportons-nous à la Passion de Jésus: selon certains mystiques,
quelqu'un serait intervenu lors du jugement de Jésus chez
Caïphe, pour signaler que l'on n'avait pas le droit de juger
pendant la nuit. Est-ce Gamaliel? Et puis, ce sont deux membres
du Sanhédrin: Nicodème et Joseph d'Arimathie qui ont demandé le
corps de Jésus à Ponce Pilate, et qui ont participé à la
descente de Croix, de Jésus. Joseph d'Arimathie donna même le
tombeau qu'il avait fait préparer pour lui, pour y déposer le
corps de Jésus. Étaient-ils des disciples de Gamaliel? C'est
très probable.
On voit encore
apparaître Gamaliel lorsque, après la Pentecôte, quelques
apôtres furent arrêtés parce qu'ils prêchaient au nom de Jésus.
Gamaliel intervint en leur faveur auprès du Sanhédrin, en
disant, entre autres: "Et maintenant, je vous le dis ne vous
occupez plus de ces hommes, et laissez-les aller. Si cette
entreprise ou cette œuvre vient des hommes, elle se détruira;
mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne
courez pas le risque d'avoir combattu contre Dieu." (Ac 5,
34-39). Selon certaines traditions, saint Paul de Tarse aurait
été l'élève de Gamaliel qui se serait, plus tard, secrètement
converti au christianisme.
Revenons à Jésus
qui affirme qu'il "doit être aux affaires de son Père." Or, pour
tous les hommes qui connaissaient Jésus, son père, c'était
Joseph, le Charpentier. C'était Joseph que les docteurs de la
Loi avaient si chaleureusement complimenté après l'examen de
Jésus, et Joseph n'avait rien dit. Est-ce que Jésus voulait
remettre la vérité en place, et pourquoi? En effet, Joseph, à
mesure que le temps passait, avait peut-être oublié que Jésus
n'était pas son fils selon la nature. Et Marie, elle aussi
peut-être, puisqu'elle dit: "Ton père et moi, te cherchions tout
affligés". C'est normal: dans la sainte Famille où régnait
tellement d'amour, Jésus était vraiment le fils de Joseph et de
Marie. Joseph avait tendance à oublier qu'il n'était que le
père adoptif de Jésus. Quant à Marie, obligée de taire la
Conception miraculeuse de Jésus, elle s'était habituée, en femme
docile à considérer vis à vis du monde, Jésus comme le fils de
Joseph. Il était temps, pour Jésus, de rétablir la vérité.
Jésus rétablit donc
la vérité, mais seuls Marie et Joseph purent comprendre toute la
profondeur des paroles de Jésus que pourtant ils ne comprirent
pas entièrement. Jésus devait vivre dans la discrétion sur ce
qui le concernait pendant encore longtemps: aussi l'Évangile
affirme-t-il que Jésus "descendit avec Marie et Joseph, qu'il
vint à Nazareth, et qu'il leur était soumis. Et sa mère
conservait toutes ces choses en son cœur." (Luc 2, 42 à 51)
Maintenant l'Évangile peut exprimer l'humilité de Jésus qui
"progressait en sagesse, en taille et en grâce, auprès de Dieu
et des hommes." (Luc 2, 52) |